Les liens en Amérique du Nord - Aspects sociaux et marchés du travail L ES ÉTUDES RÉUNIES DANS CET OUVRAGE sont le fruit de travaux réalisés par des chercheurs universitaires. Certaines des personnes qui ont commenté ces études ou participé à un panel étaient à l'emploi d'organismes gouvernementaux ou internationaux et ont rédigé leur communication à titre privé. Des membres du personnel d'Industrie Canada et de Ressources humaines et Développement des compétences Canada ont formulé et géré le projet et fourni une rétroaction constructive tout au long des travaux. Néanmoins, ces études et commentaires demeurent la seule responsabilité des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les politiques et les positions d'Industrie Canada, de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, du gouvernement du Canada ou de tout autre organisme auquel sont affiliés les auteurs et les directeurs généraux de la publication. DIRECTEURS GENERAUX DE LA PUBLICATION : RICHARD G. HARRIS ET THOMAS LEMIEUX Les liens en Amérique du Nord - Aspects sociaux et marchés du travail University of Calgary Press ISBN 1-55238-146-3 ISSN 1700-201X University of Calgary Press 2500, University Dr. N.W. Calgary (Alberta) Canada T2N 1N4 Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Les liens en Amérique du Nord : aspects sociaux et marchés du travail / directeurs généraux de la publication, Richard G. Harris et Thomas Lemieux. (Documents de recherche d'Industrie Canada, ISSN 1700-201X ; v. XII) Publ. aussi en anglais sous le titre : Social and labour market aspects of North American linkages. Compte-rendu d'une conférence présentée à Montréal, Québec, le 22 nov. 2002. Publ. en collab. avec : Industrie Canada. Comprend des références bibliographiques. ISBN 1-55238446-3 54240B (Industrie Canada) SP-614-05-05 (Ressources humaines et Développement des compétences Canada) 1. Amérique du Nord - Intégration économique - Congrès. 2. Libre-échange - Amérique du Nord — Congrès. 3. Travail, marché du — Amérique du Nord - Congrès. 4. Amérique du Nor d - Politique sociale - Congrès. 5. Canada - Conditions économiques - 1991- - Congrès. I. Harris, Richard G. IL Lemieux, Thomas III. Canada. Industrie Canada. IV. Collection. HF1766.S63142005 382'.917 C2005-900718-4 Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Câliadsî Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ) pour nos activités d'édition. Nous reconnaissons l'appui reçu de l'Alberta Foundation for thé Arts pour la publication de cet ouvrage. Publié par University of Calgary Press en collaboration avec Industrie Canada, Ressources humaines et Développement des compétences Canada et Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Tous droits réservés. Il est interdit de reproduire ou de transmettre le contenu de la présente publication, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, enregistrement sur support magnétique, reproduction électronique, mécanique, photographique ou autre, ou de l'emmagasiner dans un système de recouvrement, sans l'autorisation écrite préalable du Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, Ottawa (Ontario) Canada K1A OS5. ©Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2005 Numéro de catalogue : ID53-11/12-2005F SERVICES D'ÉDITION, DE TRADUCTION ET DE MISE EN PAGE : CIGC Services conseils MAQUETTE DE LA PAGE COUVERTURE : Paul Payer/ArtPlus Limited Imprimé et relié au Canada Cet ouvrage est imprimé sur papier désacidifié. inc Table des matières REMERCIEMENTS xv PRÉFACE xvii APERÇU 1 RICHARD G. HARRIS ET THOMAS LEMIEUX Introduction l Panel I : Liens nord-américains : enjeux sociaux et enjeux liés au marché du travail au Canada 4 Partie I : Portée et évolution de l'intégration économique Canada-États-Unis, 5 Partie II : Effets de l'intégration économique Canada-Etats-Unis sur le marché du travail 8 Partie III : Adaptation des entreprises et des travailleurs à l'intégration économique Canada-Etats-Unis 11 Panel II : Evaluation de la portée des liens économiques actuels entre le Canada et les Etats-Unis et de leurs coûts et avantages 12 Partie IV : Conséquences de l'intégration Canada-Etats-Unis pour la politique sociale : Y a-t-il une course vers le bas! 13 Partie V : Évaluer la portée et les répercussions de la mobilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis 14 Partie VI : Conséquences de l'intégration transfrontière du marché du travail sur les plans de l'analyse et des politiques 16 Panel III : L'opportunité de libéraliser les mouvements de travailleurs entre le Canada et les États-Unis 19 Conclusion 20 Notes 24 Bibliographie 25 PANEL I : LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL AU CANADA 27 STEPHEN CLARKSON KEITH G. BANTING PARTIE I : PORTEE ET EVOLUTION DE L'INTEGRATION ÉCONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS 1. L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES POUR LA POLITIQUE CANADIENNE DANS LE CONTEXTE NORD-AMÉRICAIN 47 JOHN F. HELLIWELL Introduction 47 Les frontières ont de l'importance, pour le commerce et bien d'autres choses 48 Pourquoi les frontières ont-elles de l'importance? 59 Gravité et gravitas : une solution à l'énigme de la frontière? 67 Mise à jour des résultats et conséquences sur le plan des politiques 72 Conséquences sur le plan des politiques pour le Canada 77 Notes 83 Remerciements 84 Bibliographie 84 COMMENTAIRE 89 JAMES E. ANDERSON 2. EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE : OÙ EN SOMMES-NOUS? 97 SERGE COULOMBE Sommaire 97 Introduction 97 Synopsis de l'effet frontière 99 Taille et résistance au commerce : solution proposée à l'énigme de la frontière 104 Qu'est-ce qui compte en définitive? La taille et la densité 109 Interprétations de l'effet frontière 115 Évolution estimative de l'effet frontière sur la période 1981 -2000 117 Conclusion et commentaires sur les politiques 125 Notes 128 Remerciements 12 8 Bibliographie 129 COMMENTAIRE 130 MARK BROWN PARTIE II : EFFETS DE L'INTEGRATION ECONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL 3. LA LIBÉRALISATION DU COMMERCE ET LE MARCHÉ DU TRAVAIL 13 7 THOMAS LEMIEUX Introduction 137 Théorie et données disponibles 139 Les données 44 La réalité au niveau national 146 Ecarts de structure salariale entre les régions 151 Conclusion 162 Notes 162 Remerciements 64 Bibliographie 164 Appendice 166 COMMENTAIRE 168 W. CRAIG RIDDELL 4. L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD- AMÉRICAINE, L'ADAPTATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LES FERMETURES D'USINES AU CANADA 173 EUGENE BEAULIEU; ET CHRISTOPHER D. JOY Sommaire 173 Introduction 174 La théorie liant le commerce et les salaires 178 L'économie politique de l'intégration économique 183 Les effets de l'ALE sur le marché du travail 196 Restructuration dans le secteur manufacturier 203 Conclusion 210 Notes 211 Remerciements 213 Bibliographie 213 Appendice sur les données 216 COMMENTAIRE 219 RICHARD G. HARRIS PARTIE III : ADAPTATION DES ENTREPRISES ET DES TRAVAILLEURS À L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS 5. QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR : CE QUE RÉVÈLENT LES DONNÉES LONGITUDINALES 225 ROSS FlNNIE Introduction 225 Données et modèles 227 Le départ 231 Le retour 243 Conclusion 251 Notes 252 Remerciements 254 Bibliographie 254 COMMENTAIRE 256 JENNIFER HUNT 6. INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES ET DES PRATIQUES EN MILIEU DE TRAVAIL À L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ACCRUE DU CANADA ET DES ÉTATS-UNIS 259 RICHARD P. CHAYKOCWSKI ET GEORGE A. SLOTSVE Introduction 259 Adoption dans l'entreprise et effets des pratiques de travail innovatrices et à haut rendement au Canada et aux États-Unis 263 Adoption de pratiques de travail à haut rendement, concurrence et mobilité des travailleurs 266 Analyse empirique de l'adoption des pratiques de travail à haut rendement et de la concurrence étrangère 2 78 Conclusions et pistes de recherche futures 298 Notes 301 Bibliographie 304 Appendice A 306 Appendice B 314 Appendice C 316 COMMENTAIRE 322 PETER KUHN PANEL II : ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS ET DE LEURS COÛTS ET AVANTAGES 333 GLEN HODGSON ANDREW JACKSON JAYSON MYERS PARTIE IV : CONSEQUENCES DE L'INTEGRATION CANADA- ÉTATS-UNIS POUR LA POLITIQUE SOCIALE : Y A-T-IL UNE COURSE VERS LE BAS? 7. L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE DE LA POLITIQUE SOCIALE? ANALYSE DES LIENS NORD-AMÉRICAINS ET DE LA POLITIQUE SOCIALE 351 RAFAËL GOMEZ ET MORLEY GUNDERSON Introduction 351 Convergence grâce à une intégration économique plus poussée et plus étendue 352 Le marché de la politique sociale 356 Raisons de la convergence des politiques sociales sous l'effet de l'intégration 359 Raisons de la divergence des politiques sociales dans un contexte d'intégration 369 Y a-t-il des preuves d'une convergence des politiques et des mesures sociales? 377 Sommaire et observations finales 395 Notes 396 Remerciements 399 Bibliographie 399 COMMENTAIRE 407 MICHAEL R. SMITH REDISTRIBUTION, PROTECTION SOCIALE ET LIENS NORD-AMÉRICAINS : LE CANADA PEUT-IL AVOIR UNE POLITIQUE SOCIALE DISTINCTE DANS UN CONTEXTE DE MOBILITÉ ACCRUE DE LA MAIN-D'ŒUVRE EN AMÉRIQUE DU NORD? 421 GERARD W. BOYCHUK Introduction 421 Cadre conceptuel — Lien entre intégration du marché du travail, redistribution et protection sociale 423 Méthodologie - Examen des Etats américains et des provinces canadiennes par rapport aux Etats américains 430 Résultats empiriques 434 Conclusion 455 Notes 458 Remerciements 461 Bibliographie 462 Appendice A 463 Appendice B 466 COMMENTAIRE 467 ALAIN NOËL 8 PARTIE V : ÉVALUER LA PORTÉE ET LES REPERCUSSIONS DE LA MOBILITÉ DE LA MAIN-D'ŒUVRE ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS 9. MOBILITÉ DE LA MAIN-D'ŒUVRE ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS : QUO VADIS 2004? 473 DON J. DEVORETZ ET DIANE COULOMBE Introduction 473 Revue de la documentation 474 Expériences hypothétiques 488 Restrictions récentes à la frontière et intégration du marché du travail 491 Sommaire et conclusion 495 Notes 497 Bibliographie 499 Appendice 500 COMMENTAIRE 504 DWAYNE BENJAMIN 10. MODÈLE D'ÉQUILIBRE GÉNÉRAL SIMPLE COMPORTANT DES LIENS AVEC LE MARCHÉ INTERNATIONAL DU TRAVAIL 513 JEAN MERCENIER ET NICOLAS SCHMITT Introduction 513 Libéralisation du commerce et mobilité internationale de la main-d'œuvre 515 Modèle du commerce, de la répartition des salaires et de la mobilité internationale de la main-d'œuvre 521 Exercices de simulation 528 Conclusion 540 Notes 542 Bibliographie 544 Appendice 546 COMMENTAIRE 548 ALAN V. DEARDORFF PARTIE VI : CONSEQUENCES DE L'INTEGRATION TRANSFRONTIÈRE DU MARCHÉ DU TRAVAIL SUR LES PLANS DE L'ANALYSE ET DES POLITIQUES 11. POLITIQUE FISCALE, CAPITAL HUMAIN ET INTÉGRATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL CANADA-ÉTATS-UNIS 557 DAVID E. WILDASIN Introduction 557 Considérations théoriques : commerce et migration 560 Migration interne au Canada et aux Etats-Unis 564 L'enseignement supérieur au Canada et aux Etats-Unis 586 Intégration du marché du travail et concurrence fiscale en Amérique du Nord 592 Notes 604 Remerciements 608 Bibliographie 608 COMMENTAIRE 611 MARY E.LOVELY 12. PRODUCTIVITÉ ET INTÉGRATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL NORD-AMÉRICAIN : NOUVELLES PERSPECTIVES ANALYTIQUES 615 RICHARD G. HARRIS Introduction 615 Mobilité, prix des facteurs et productivité 619 Croissance axée sur le capital humain : conséquences de la mobilité de la main-d'œuvre pour la convergence du revenu 624 Mobilité à l'échelle mondiale et flux de connaissances 631 Spécialisation des compétences et exportations de services 638 TAG, changement technologique axé sur les compétences et mobilité de la main-d'œuvre 648 Conclusion 658 Notes 661 Remerciements 663 Bibliographie 663 COMMENTAIRE 667 EUGENE BEAULIEU PANEL III : L'OPPORTUNITE DE LIBERALISER LES MOUVEMENTS DE TRAVAILLEURS ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS 679 JEAN-CHRISTOPHE DUMONT ROBERT LACROIX MARC A. VAN AUDENRODE PROGRAMME DE LA CONFÉRENCE 711 LES AUTEURS 717 This page intentionally left blank Remerciements L ES DIRECTEURS GÉNÉRAUX DE LA PUBLICATION tiennent à remercier toutes les personnes qui ont collaboré à la préparation de cet ouvrage de recherche et de la conférence. Richard Roy (directeur général par intérim, Analyse de la politique micro-économique, Industrie Canada) a conçu et organisé la confé- rence à laquelle les études publiées ici ont initialement été présentées. Wendy Salmon, Aaron Sydor, Leslie Krukoff et Sarah Fisher ont fourni un soutien inestimable au niveau de l'organisation de la conférence. Joanne Fleming a coordonné la publication de l'ouvrage avec l'aide de Varsa Kuniyal, qui a aussi produit les biographies des auteurs. Daniel Boothby et Jeff Waring ont aussi contribué à la préparation du volume. Jean-Pierre Toupin a révisé la version anglaise et produit la traduction française, Marie-Claude Faubert a assuré la mise en page et Véronique Dewez a fait la correction d'épreuves de la version française. Enfin, nous aimerions remercier Walter Hildebrandt et John King, de University of Calgary Press, pour leur collaboration à la publication de cet ouvrage. xv This page intentionally left blank Préface L ' APPROFONDISSEMENT DE L'INTÉGRATION économique régionale en Amé- rique du Nord ces vingt dernières années a pris de nombreuses formes, dont l'intensification des flux de commerce et d'investissement, l'implantation straté- gique d'usines dans l'espace nord-américain en vue de desservir un marché in- tégré et l'augmentation des mouvements transfrontières de personnes. Cette intégration accrue découle en partie d'initiatives de politique comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), mais aussi de facteurs fondamen- taux dont les progrès de la technologie de l'information et leur diffusion, la mondialisation des courants commerciaux et de la concurrence économique et une géographie politique particulière. Face à cette intégration croissante, les entreprises et les particuliers en Amérique du Nord adoptent de plus en plus une stratégie continentale dans leur prise de décision, qui englobe la localisa- tion des installations de production, la localisation et l'intensité des dépenses de recherche-développement et l'organisation de la production pour les entre- prises, ainsi que l'acquisition de compétences et les décisions relatives au lieu de travail pour les personnes hautement qualifiées. Les effets de l'intégration économique s'observent partout, mais nous en savons peu sur la façon dont celle-ci influe sur des aspects de notre vie écono- mique tels que l'organisation des lieux de travail ou le fonctionnement du mar- ché du travail. Si l'on reconnaît généralement que l'intégration économique nord-américaine ouvre des débouchés aux Canadiens et qu'elle a contribué à hausser leur niveau de vie, on craint par contre qu'une intégration accrue puisse restreindre la capacité du Canada de poursuivre certains objectifs de po- litique intérieure importants. Ainsi, on estime que la plus grande mobilité des professionnels entre le Canada et les Etats-Unis suscite une concurrence bud- gétaire qui pourrait imposer une convergence des politiques dans des domaines tels que la fiscalité et le financement de l'enseignement postsecondaire. La re- cherche sur les politiques consacrée aux liens nord-américains doit examiner la xvii PREFACE mesure dans laquelle une plus grande intégration économique pourrait restreindre les options qui s'offrent en matière de politique sociale et de politique du marché du travail et pourrait mener à une convergence dans ces domaines. Afin d'explorer ces questions, Industrie Canada et Développement des res- sources humaines Canada (maintenant Ressources humaines et Développement des compétences Canada) ont organisé conjointement un atelier intitulé Les liens nord-américains - aspects sociaux et aspects relatifs au marché du travail, tenu à Montréal du 20 au 22 novembre 2002. L'atelier a été organisé autour de quatre thèmes : les obstacles et les occasions liés à une intégration économique accrue; l'intégration et le marché du travail national; l'intégration et les pro- grammes sociaux; les avantages et les coûts éventuels d'un assouplissement sup- plémentaire de la mobilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis. Le présent volume renferme les études commandées en vue de l'atelier, les com- mentaires des participants sur ces études, un résumé des discussions en panel qui ont eu lieu lors de l'atelier, ainsi qu'un Aperçu rédigé par les directeurs généraux de la publication. Les travaux de recherche réunis dans cet ouvrage devraient contribuer à une meilleure compréhension des conséquences de l'intégration économique nord-américaine pour les programmes sociaux et les marchés du travail. Les professeurs Richard Harris, de l'Université Simon-Fraser, et Thomas Lemieux, de l'Université de la Colombie-Britannique, ont agi à titre de direc- teurs généraux de la publication. Nous tenons à les remercier pour leur travail diligent dans la révision et la préparation des textes publiés dans cet ouvrage, ainsi que tous les auteurs, commentateurs et panélistes pour leur contribution à l'atelier et à notre compréhension de ces questions. LUCIENNE ROBILLARD PRÉSIDENTE DU CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE POUR LE CANADA, MINISTRE DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALES ET MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES DAVID L. EMERSON MINISTRE DE L'INDUSTRIE xviii Richard G. Harris et Thomas Lemieux Université Simon Fraser Université de la Colombie-Britannique Aperçu INTRODUCTION L E PRÉSENT DOCUMENT DE RECHERCHE est l'aboutissement d'un atelier organisé par Développement des ressources humaines Canada et Industrie Canada en novembre 2002 sur le thème « Liens nord-américains - Aspects so- ciaux et aspects relatifs au marché du travail ». Dans cet aperçu, nous tentons de situer le contexte dans lequel s'inscrivent les questions abordées dans l'ouvrage, de présenter une synthèse des diverses études et de leurs conclusions, et d'esquisser les conséquences qui en découlent pour la recherche future sur les politiques. L'ouvrage est le fruit de la collaboration d'un grand nombre de personnes provenant d'un large éventail de disciplines. Il renferme de précieux recueils de données historiques, de faits et de notions conceptuelles dans ce qui constitue un secteur de politique en évolution rapide. Aucune question de politique n'a probablement suscité autant d'intérêt parmi le public que les répercussions, sur le plan social et sur le marché du tra- vail, de la mondialisation en général et, dans le cas du Canada, des liens nord- américains. Les motifs fondamentaux de cet intérêt sont bien connus. L'intégration économique du Canada aux États-Unis, mesurée à l'aide des données sur le commerce et l'investissement, n'a cessé de progresser depuis la signature de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE) en 1988. Si l'on discute toujours du rôle exact de l'ALE à cet égard, la 'réalité' de l'intégration économique canado-américaine est peut-être le principal change- ment structurel qui ait marqué l'économie canadienne au cours des quinze der- nières années 1 . Une intégration accrue du commerce s'est également produite dans d'autres pays, et les coûts et avantages de la mondialisation donnent lieu à des débats animés dans presque tous les pays. Outre la mondialisation, d'autres 1 HARRIS ET LEMIEUX tendances ont aussi alimenté les discussions sur la politique sociale et le marché du travail. Dans certains pays, l'inégalité des revenus et, plus précisément, l'inégalité des salaires a augmenté de façon assez marquée. Si nous comparons, par exemple, les gains des personnes qui détiennent un diplôme universitaire à ceux des travailleurs moins scolarisés, nous constatons une augmentation de la prime liée aux compétences. Par ailleurs, certains pays ont vécu des expériences fort différentes sur le plan du chômage. En Amérique du Nord, les taux de chômage au Canada demeurent obstinément au-dessus des taux américains. De nombreuses études consacrées à un pays particulier ou qui adoptent une pers- pective internationale ont tenté d'établir un lien entre la source des tendances de l'inégalité et de l'emploi, d'une part, et les tendances de la technologie, la mon- dialisation croissante et les changements apportés aux politiques économiques, d'autre part. Un certain nombre d'études publiées dans cet ouvrage sont moti- vées directement ou indirectement par ces questions. Bien que la plupart semblent indiquer que l'inégalité du revenu au Canada a été moins prononcée qu'aux États-Unis, la tendance vers une plus grande inégalité du revenu est attribuée par de nombreux spécialistes aux liens plus étroits entre les économies cana- dienne et américaine. Cela peut être vu comme la conséquence inévitable de marchés plus efficients. Par contre, une plus grande inégalité suscite une de- mande accrue d'intervention au niveau de la politique sociale. La tension entre ces deux perspectives est un important déterminant de la politique qui jouxte l'intégration nord-américaine et les tendances nationales sur le plan social et celui du marché du travail. Une seconde tendance observée durant les années 90 qui a eu un effet majeur sur le débat entourant les politiques au Canada est le mouvement accru de travailleurs et de professionnels de la haute technologie vers les États-Unis. Ce mouvement a engendré la perception que le Canada était aux prises avec un important exode des cerveaux parmi ses meilleurs éléments vers la fin de la dernière décennie. Il est impératif de savoir si cette tendance est le résultat des politiques adoptées ou simplement une conséquence de l'essor technologique survenu aux États-Unis. Ce débat sert de toile de fond à certaines des études publiées dans l'ouvrage et recoupe presque tous les autres thèmes. Il soulève des questions fondamentales au sujet des subventions publiques à l'éducation, des origines de l'augmentation de la prime liée aux compétences et de la capa- cité du Canada de conserver et d'offrir des emplois à ses travailleurs les plus qualifiés. Le débat sur l'exode des cerveaux s'inscrit lui-même dans une ré- flexion plus vaste sur les sources possibles de l'écart de niveau de vie croissant entre le Canada et les États-Unis et les solutions éventuelles à ce problème. Les niveaux plus élevés de revenu monétaire accessibles aux Canadiens qui peuvent obtenir un emploi aux États-Unis constituent une importante contrainte concurrentielle pour les entreprises, les établissements d'enseignement et les 2 APERÇU systèmes de soins de santé au Canada. Selon les défenseurs de la politique so- ciale, l'exode des cerveaux n'est quantitativement pas significatif et fausse sé- rieusement les politiques publiques en raison d'une définition excessivement étroite du niveau de vie, qui n'accorde pas suffisamment d'importance aux ser- vices sociaux. Même si ce débat s'est apaisé depuis l'éclatement de la bulle technologique après 2000, il demeure un élément persistant de la perception qu'ont les Canadiens des contraintes que les marchés du travail américains exercent sur les marchés du travail et les politiques au Canada. La mesure dans laquelle le resserrement des liens en Amérique du Nord a réduit la marge de manœuvre dont dispose le Canada pour établir ses propres po- litiques économiques et sociales est étroitement liée à ce thème. Cette préoc- cupation revient dans un certain nombre d'études, à partir d'une perspective soit positive, soit normative. Selon certains, il y a eu une réduction significative de la capacité du Canada de poursuivre une politique sociale distincte de celle de son imposant voisin du Sud; en outre, cela limiterait la portée générale de l'Etat providence au Canada. D'autres soutiennent qu'il y a peu de preuves permettant d'étayer une telle affirmation. Si des pressions s'exercent vers une intégration économique, il est naturel de rechercher d'autres mécanismes pour soutenir les différences nationales. Les preuves montrant que le Canada peut maintenir certaines différences nationales avec les États-Unis sont devenues un important élément contextuel dans ce débat. Dans un courant de la documen- tation économique, on a énoncé l'hypothèse que le commerce au sein des pays était beaucoup plus important que le commerce entre pays — ce qu'on appelle l'effet frontière 2 ; cette notion a servi à étayer l'idée que les liens nationaux sont en réalité plus développés que les liens internationaux, que la mondialisation n'a pas affaibli les institutions nationales et que des écarts peuvent être main- tenus au niveau des politiques. Un certain nombre d r études traitent directe- ment de la mesure et de l'interprétation de l'effet frontière. En tant que modèle d'intégration économique, l'Union européenne (UE) continue de retenir l'attention des responsables des politiques en Amérique du Nord. Le Canada devrait-il poursuivre une politique d'intégration économique plus étroite avec les Etats-Unis, peut-être en se servant de l'Accord de libre- échange nord-américain (ALENA) comme véhicule institutionnel? Cette ques- tion a suscité un débat animé auquel les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont donné encore plus d'impulsion; cela a contribué à inscrire la sécurité sur la liste des objectifs et à faire ressortir la vulnérabilité du Canada aux per- turbations à la frontière avec les États-Unis. À l'heure actuelle, il n'y a pas véri- tablement de consensus sur le bien-fondé d'étendre la portée de l'ALENA. Parmi les propositions mises de l'avant en faveur d'une intégration économique accrue du Canada avec les États-Unis, il y a des dispositions plus formelles sur la mobilité de la main-d'œuvre au sein de l'ALENA. La libre circulation des 3 HARRIS ET LEMIEUX travailleurs de part et d'autre de la frontière Canada-États-Unis aurait des conséquences importantes pour le Canada. Jusqu'à très récemment, cette ques- tion n'avait attiré que peu d'attention. Cependant, le marché commun euro- péen et l'expérience tant du Canada que des États-Unis sur le plan de la mobilité nationale de la main-d'œuvre (entre les provinces et entre les États) constituent des études de cas intéressantes sur les conséquences d'une plus grande mobilité transfrontière de la main-d'œuvre. Un certain nombre d'études traitent de ce thème. L'éventail des questions éventuelles est étendu. La sup- pression des restrictions aux mouvements transfrontières de main-d'œuvre entraînerait-elle une convergence des salaires et des taux de chômage? Le pro- fil de commerce et la structure industrielle du Canada en seraient-ils modifiés? Les facteurs qui soutiennent actuellement les différences de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis seraient-ils affaiblis ou consolidés? La mobilité transfrontière de la main-d'œuvre entraînerait-elle une plus grande inégalité régionale au Canada? Le programme de recherche est à la fois long et, jusqu'à maintenant, essentiellement inexploré. Un certain nombre d'études renferment un examen initial de ces questions. Nous passons maintenant à un sommaire des études et des principaux messages qui en émanent. La partie I traite de la mesure de l'intégration du commerce et évalue l'état actuel du débat sur l'effet frontière. Les parties II et III traitent de la mesure de l'impact sur le marché du travail national de l'intégration économique accrue qui s'est déroulée durant les années 90. La partie IV aborde explicitement la question de la convergence ou de la diver- gence des politiques sociales en Amérique du Nord. Les parties V et VI examinent les questions de recherche et de politique soulevées par les changements obser- vés dans la mobilité de la main-d'œuvre de part et d'autre de la frontière canado- américaine, tant dans le passé récent que pour l'avenir, à la faveur des change- ments plus formels apportés au régime de politiques. En outre, nous résumons les débats des trois panels organisés dans le cadre de l'atelier, lesquels ont traité de thèmes étroitement liés à des questions abordées dans les études. PANEL I - LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL AU CANADA L E PREMIER PANEL a traité de questions d'intégration économique continentale et de convergence des politiques entre le Canada et les États-Unis. Les deux panélistes, Stephen Clarkson et Keith Banting, sont d'éminents spécialistes des sciences politiques qui font intervenir une riche expérience et une large gamme de points de vue dans l'analyse de ces questions. Ils offrent aussi un contrepoint utile à la perspective économique adoptée dans la plupart des autres études. Y a-t-il une convergence de la politique sociale en raison de l'intégration économique accrue? Selon Keith Banting, il y a peu de preuves 4 APERÇU d'une convergence de la politique sociale à l'échelle mondiale ou au sein de PUE ou de l'ALENA, en dépit des affirmations contraires. Dans le cas du Canada et des Etats-Unis, les dépenses consacrées à la politique sociale sont, propor- tionnellement, à peu près égales dans les deux pays, mais produisent des résul- tats sensiblement différents — ce qui témoigne, selon lui, d'une divergence et de l'existence d'un véritable choix au niveau national. Stephen Clarkson pré- sente un point de vue fort différent, s'intéressant à l'impact de l'ALENA sur les travailleurs et les conditions du marché du travail. Il soutient que l'ALENA a i) réduit les possibilités d'emploi, ii) aggravé le dumping social en accentuant la divergence entre les travailleurs peu qualifiés et hautement qualifiés, et iii) détérioré les conditions de travail parallèlement à l'affaiblissement des normes du travail provoqué par les forces de la mondialisation et de l'intégration com- merciale. Globalement, Clarkson juge que le processus d'intégration continen- tale a renforcé le pouvoir relatif du capital sur la main-d'œuvre. Il est peu enthousiaste devant la perspective d'un accroissement supplémentaire de la mobilité de la main-d'œuvre à l'échelle continentale. Les pressions politiques en vue de protéger les emplois et les revenus aux Etats-Unis limiteront l'accès des travailleurs canadiens et mexicains au marché du travail de ce pays. Devant les réalités politiques du protectionnisme américain, les gouvernements cana- diens tenteront encore une fois de conserver la plus grande marge de manœuvre possible à l'égard des instruments de politique du marché du travail interne. PARTIE I - PORTÉE ET ÉVOLUTION DE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS L A PREMIÈRE SÉRIE D'ÉTUDES aborde les questions liées à la mesure de l'étendue et des conséquences de l'intégration économique Canada-Etats- Unis à l'aide des données sur le commerce. Une bonne partie de cette docu- mentation a été motivée récemment par des données nouvelles sur l'évolution du commerce entre les provinces et les États. John McCallum (1995) a utilisé ces données à l'origine pour démontrer qu'au milieu des années 80, un impor- tant effet frontière caractérisait les échanges commerciaux du Canada — et que les provinces canadiennes commerçaient beaucoup plus entre elles qu'avec le reste du monde sur la base de variables représentant la distance et le revenu. Il existe maintenant une abondante documentation sur cette question, et les études de Coulombe et de Helliwell nous présentent deux points de vue diffé- rents. Même si l'intégration du commerce ne se répercute pas directement sur la mobilité transfrontière de la main-d'œuvre, elle influe de façon significative sur la position générale que l'on adopte devant les pressions économiques favo- rables à une intégration future du marché du travail. Si les frontières demeurent un frein important au commerce, ces pressions économiques resteront probable- ment faibles. Par contre, si la frontière perd de son efficacité comme mécanisme 5 HARRIS ET LEMIEUX de segmentation des marchés canadien et américain, l'intégration du marché du travail pourrait suivre la tendance observée sur le marché des biens. L'étude de John Helliwell et le commentaire de James Anderson présentent un tour d'horizon utile de la recherche actuelle sur l'incidence de l'éloignement et des frontières nationales sur les liens économiques, principalement les flux commerciaux, à partir de perspectives différentes. Helliwell passe en revue cer- tains de ses travaux bien connus dans ce domaine et il présente certaines esti- mations inédites tirées des données sur le commerce provinces-États entre le Canada et les États-Unis, dans le cadre d'un modèle du commerce reposant sur une équation de gravité. Il offre aussi une analyse détaillée et une critique de l'étude d'Anderson et van Wincoop (2003) sur l'effet frontière. Pour les lec- teurs intéressés par ces questions, l'étude constitue un excellent point de dé- part. Mais après avoir cheminé à travers la logique et les détails de la théorie, les données et l'interprétation des résultats économétriques, nous demeurons perplexes quant à l'état de la recherche publiée, en dépit des efforts de Helliwell. L'auteur documente attentivement les travaux qui ont démontré l'importance manifeste de l'effet frontière, parus dans les nombreuses études consacrées au commerce interne et au commerce international, à la variabilité des prix entre les villes, aux effets de la recherche-développement sur la productivité et aux flux migratoires. Il ne fait pratiquement aucun doute que les frontières nationales ont de l'importance et, selon toute vraisemblance, qu'elles ont assez d'importance. Ainsi, l'estimation qui semble faire consensus est que le com- merce interne au Canada serait 10,6 fois plus important que le commerce in- ternational, tandis que le commerce interne aux États-Unis serait 2,6 fois plus important que le commerce international de ce pays. En outre, l'éloignement a un effet réducteur très significatif sur les échanges commerciaux. Il est impossible d'aborder toutes les questions examinées par Helliwell. Il est évident que des différends méthodologiques persistent entre Helliwell et Anderson, ce dernier faisant valoir avec insistance que nous ne pouvons utiliser que des modèles de gravité issus d'un cadre théorique explicite pour tirer des conclusions sur le plan des politiques. Il semble que le désaccord porte en bonne partie sur l'interprétation à donner à l'effet frontière estimatif. Selon Helliwell, l'éloignement et les frontières ont beaucoup plus d'importance que les barrières commerciales et réglementaires formelles provenant des politiques nationales, en raison d'une perte de densité de réseau et de normes communes lorsqu'on traverse la frontière. Il invoque ces notions pour défendre deux positions fondamentales sur le plan des politiques. Premièrement, une plus grande intégration commerciale en Amérique du Nord et, en particulier, avec les États-Unis ne procurera pas de gain de bien-être si- gnificatif au Canada. Cela, bien sûr, est une idée solidement ancrée au Canada et diamétralement opposée à l'idée voulant qu'une intégration économique accrue 6 APERÇU avec les États-Unis soit bénéfique sur le plan économique. Un corollaire de cette opinion est qu'un investissement dans les institutions nationales en vue de renforcer les réseaux et les normes communes au Canada même accroîtra le bien-être au Canada et le commerce entre les provinces canadiennes. La deuxième série d'arguments que Helliwell met de l'avant est liée à une éven- tuelle union monétaire entre le Canada et les États-Unis. Sur ce point, il ex- prime clairement son opposition au projet en affirmant que la souveraineté nationale en serait inévitablement compromise. Cependant, il poursuit en sou- tenant, sur la base de l'effet frontière observé dans les régressions du commerce, que le niveau actuel d'intégration économique entre le Canada et les États- Unis n'est pas suffisant pour justifier une union monétaire canado-américaine. Serge Coulombe présente un aperçu et une critique extrêmement utiles des écrits théoriques et empiriques sur l'effet frontière estimé à l'aide d'un mo- dèle de gravité du commerce. Comme il le souligne, tant la taille de l'effet fron- tière estimatif que son interprétation sont extrêmement sensibles à divers facteurs. Il débute en notant que l'effet frontière de McCallum, calculé à l'aide des données sur le commerce interprovincial au Canada et des données sur le commerce provinces-États, est dix fois plus important que l'effet frontière esti- mé pour les États-Unis à l'aide des données sur le commerce inter-État et le commerce international. Il mentionne deux raisons importantes pour expliquer ce résultat. Premièrement, l'effet frontière est le ratio du commerce interprovin- cial pondéré au commerce international pondéré. La pondération du commerce est basée sur le revenu et l'éloignement, de sorte que la taille économique a un effet important sur l'estimation de l'effet frontière. Les petits pays auront un commerce intranational plus important, cetera parïbus, si la pondération est ba- sée sur l'inverse du revenu. Le second argument de Coulombe est que l'effet frontière estimé à l'aide de données de ce genre est faussé par l'omission de cer- taines variables — en particulier l'absence de données sur le commerce avec des pays tiers, ce qui signifie que l'analyse ne tient pas compte de la résistance multilatérale au commerce. Dans le cas du Canada, en raison de la géographie et de l'éloignement des marchés externes, la résistance multilatérale au com- merce est plus grande qu'aux États-Unis, ce qui, encore une fois, entraîne des flux de commerce interprovinciaux plus importants et une surestimation de l'effet frontière. Coulombe poursuit en attirant l'attention sur ce qu'il considère comme un élément manquant très important du modèle de densité économique fondé sur une équation de gravité. Non seulement le Canada a une petite taille économique, mais il n'a pas une grande densité économique en comparaison des États-Unis. Encore une fois, cela a tendance à produire un commerce in- terne plus important. Il examine ensuite les estimations de l'effet frontière de McCallum, obtenues à partir de séries de données temporelles, en notant que l'effet observé n'a cessé de régresser, d'abord parce que le commerce interprovincial a 7 HARRIS ET LEMIEUX diminué par rapport au produit intérieur brut entre 1981 et 1991, puis, du fait qu'il y a eu une expansion spectaculaire du commerce international après 1991. Il conclut son étude en invitant à faire preuve de beaucoup de prudence dans l'interprétation de la signification, sur le plan des politiques, de l'effet frontière estimé à partir de régressions transversales. Premièrement, les estimations ne traduisent pas nécessairement avec exactitude le rôle des barrières commerciales internationales non mesurées, au sens où le paramètre estimé nous éclaire sur ce qui arriverait au commerce si tous les coûts à la frontière pouvaient être supprimés. Deuxièmement, cette estimation ne fournit pas, à son avis, une éva- luation précise du pouvoir de création de commerce d'un ensemble particulier d'institutions nationales, souligné par Helliwell dans son étude. Coulombe sou- tient de façon générale qu'à défaut d'un modèle structurel plus détaillé du commerce régional tenant adéquatement compte de la géographie, il est diffi- cile de répondre à ces deux questions. La lecture de ces études amène à des évaluations passablement différentes de l'importance passée et présente de la frontière comme obstacle à l'intégration économique. Il ne fait aucun doute que ce débat se poursuivra et les lecteurs trouveront ces textes extrêmement utiles pour se former une opi- nion sur la question. PARTIE II - EFFETS DE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL L A DEUXIÈME SÉRIE D'ÉTUDES analyse directement l'impact de l'intégration commerciale sur les salaires et l'emploi. Thomas Lemieux examine l'effet de l'intégration sur la rémunération des travailleurs appartenant à différentes catégories de compétences au Canada et aux États-Unis. Beaulieu et Joy poussent plus loin l'analyse en se demandant si les groupes de travailleurs qui ont le plus à gagner de l'intégration nord-américaine sont aussi ceux qui ont tendance à appuyer les accords de libre-échange. Lemieux cherche à déterminer si le libre-échange entre le Canada et les États-Unis a entraîné une convergence tant du niveau que de la répartition des salaires dans les deux pays. Il note qu'il serait peu réaliste de s'attendre à ce qu'il y ait une égalisation des salaires entre les deux pays devant la persistance systématique d'écarts salariaux entre les régions d'un pays. En d'autres termes, les écarts dans le niveau et la dispersion des salaires entre les régions d'un pays fournissent un point de repère utile pour interpréter l'ampleur des écarts sala- riaux entre le Canada et les États-Unis. Lemieux montre tout d'abord que si les niveaux de rémunération étaient comparables au Canada et aux États-Unis avant le libre-échange en 1984, les salaires canadiens sont aujourd'hui sensi- blement inférieurs à ceux qui prévalent au sud de la frontière. Cependant, cet écart émergent est nettement moins important que les écarts existants entre les 8 APERÇU régions du Canada (par exemple entre l'Ontario et les provinces de l'Atlantique). Par contre, la dispersion salariale, mesurée par l'écart de rémuné- ration entre les diplômés du niveau universitaire et ceux du secondaire, a au- menté beaucoup plus aux États-Unis qu'au Canada entre 1984 et 2001. En conséquence, cet écart est aujourd'hui essentiellement plus important dans chacune des régions des États-Unis que dans les six régions du Canada exami- nées dans l'étude. Cela incite à penser que les écarts dans les niveaux et la dis- persion des salaires entre le Canada et les États-Unis sont plus importants aujourd'hui qu'avant le libre-échange entre les deux pays. Les résultats de Lemieux indiquent que l'intégration économique entre le Canada et les États-Unis a eu peu d'incidence sur les salaires au Canada. Ce résultat confirme les travaux antérieurs de Gaston et Trefler (1997) et de Beaulieu (2000), qui ont aussi constaté, à partir de données et de méthodologies diffé- rentes, que le libre-échange entre le Canada et les États-Unis n'avait pas eu beaucoup d'effet sur les salaires canadiens. Beaulieu et Joy étudient l'effet du libre-échange canado-américain sur la répartition du revenu au Canada, un domaine qui demeure relativement inex- ploré en comparaison d'autres aspects du libre-échange. Comme le notent les auteurs, cela est quelque peu étonnant car, historiquement, les arguments au sujet de l'identité des groupes qui appuient une libéralisation des échanges commerciaux ont tourné autour de la façon dont celle-ci influe sur les revenus. Deux modèles économiques représentant des cas extrêmes, qui ont été utilisés pour explorer cette question sont le modèle de la spécificité des facteurs et le modèle Heckscher-Ohlin-Vanek (HOV). Le premier suppose que les facteurs de production ne sont pas mobiles entre les industries; l'appui ou l'opposition à la libéralisation du commerce peut donc être prédit en déterminant si une in- dustrie en sortira vraisemblablement gagnante ou perdante. Les industries qui bénéficient d'une protection tarifaire élevée, notamment, sont plus susceptibles de s'opposer au libre-échange. Le modèle HOV suppose que les facteurs sont mobiles entre les industries, du moins à plus long terme, et l'appui ou l'opposition à la libéralisation des échanges est lié au facteur de production fourni individuellement par un électeur et non à l'industrie où il se trouve. Beaulieu et Joy examinent d'abord les données sur l'élection fédérale de 1988 au Canada, laquelle est généralement considérée comme une forme de ré- férendum sur le libre-échange avec les États-Unis — l'enjeu clé de cette élec- tion. Avec ces données, les auteurs tentent d'expliquer ce qui a incité les électeurs à appuyer ou non l'ALE. À l'aide d'un modèle statistique, ils consta- tent que l'industrie d'emploi ne permet pas de prédire le comportement des électeurs mais que, par contre, le niveau de compétence le permet. Cela corro- bore le point de vue selon lequel les électeurs considèrent les facteurs qu'ils of- frent comme étant mobiles à plus long terme et, en outre, que les travailleurs 9 HARRIS ET LEMIEUX non qualifiés étaient les plus opposés à l'ALE parce qu'ils craignaient d'être les plus exposés à en subir les contrecoups. Les deux résultats corroborent jusqu'à un certain point l'interprétation découlant du modèle HOV de la structure économique canadienne à l'époque. Les auteurs poursuivent en examinant les conséquences réelles de l'ALE plutôt que les facteurs à l'origine des préférences des électeurs. Les électeurs ont-ils eu raison et, le cas échéant, pourquoi? Il est bien connu qu'à cette époque, les salaires des travailleurs non qualifiés stagnaient généralement dans tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, y compris le Canada, tandis que les salaires des travailleurs qualifiés s'amélioraient. Dans le cas du Canada, toutefois, il est nécessaire de déterminer la mesure dans laquelle l'ALE a modifié la structure salariale. Dans une étude antérieure, qui faisait intervenir un cadre de contrôle-traitement, Beaulieu (2000) est arrivé à la conclusion que l'ALE n'avait eu aucun effet sur les salaires, bien qu'il ait contribué à augmenter l'emploi des travailleurs qualifiés et à ré- duire l'emploi des travailleurs non qualifiés. Utilisant un cadre de régression des salaires de type Mincer, les auteurs tentent de vérifier si les prédictions anté- rieures du modèle HOV quant aux préférences en matière de politique com- merciale étaient conformes aux changements observés dans les salaires après l'entrée en vigueur de l'ALE. Les résultats étaient plutôt partagés et, dans cer- tains cas, nettement contraires aux prédictions du modèle HOV, ce qui est plus ou moins compatible avec les observations de Lemieux. Enfin, Beaulieu et Joy examinent l'effet de l'ALE sur les fermetures d'usines. Ils constatent que les in- dustries à droits tarifaires élevés sont celles où l'on a observé les taux les plus élevés de fermeture d'usine par rapport aux industries à faibles droits tarifaires. On peut tirer deux grandes conclusions de cette étude. Premièrement, jusqu'à un certain point, les électeurs peuvent prévoir de façon rationnelle l'effet à long terme des changements qui surviennent dans la politique écono- mique; deuxièmement, les efforts d'adaptation économique à un phénomène fondamental tel que la libéralisation du commerce ont tendance à être plus éle- vés pour les travailleurs qui possèdent un faible niveau de compétence. Dans la mesure où une intégration économique accrue impose des efforts d'adaptation supplémentaires, ces résultats viennent appuyer les politiques qui visent à haus- ser les niveaux de scolarité et de compétence parmi les travailleurs peu quali- fiés. En outre, si l'on cherche à prévoir ou à réduire les obstacles politiques à une telle adaptation, ce sont les politiques de ce genre qui ont le plus de chance de donner de bons résultats, contrairement aux mesures de soutien axées sur des industries particulières. 10 APERÇU PARTIE III - ADAPTATION DES ENTREPRISES ET DES TRAVAILLEURS À L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE CANADA-ÉTATS-UNIS L ES DEUX ÉTUDES REGROUPÉES DANS CETTE PARTIE abordent les effets de l'intégration économique sur le marché du travail, dans une perspective différente. Un thème commun à ces études est qu'elles scrutent la réalité microéconomique pour voir comment les travailleurs et les entreprises s'adaptent individuellement à une intégration accrue. Ross Finnie se demande comment certains travailleurs peuvent « voter avec leurs pieds », en quittant le Canada parce qu'il existe de meilleures perspectives économiques ailleurs. Par contre, les entreprises étudiées par Richard Chaykowski et George Slotsve ne quittent pas le Canada mais doivent être plus innovatrices pour demeurer concurrentielles dans un contexte économique de plus en plus intégré. Finnie utilise des données sur l'impôt sur le revenu provenant de la banque de données administratives longitudinales pour estimer l'importance de l'émigration du Canada et du retour migratoire au Canada. La banque de don- nées permet d'identifier trois groupes de personnes qui ont quitté le Canada : celles qui ont indiqué (sur leur déclaration de revenu) qu'elles avaient quitté le Canada, celles qui ont déclaré être non résidentes aux fins de l'impôt et celles qui ont inscrit une adresse postale étrangère sur leur déclaration de revenu. A l'aide de ces diverses définitions fiscales de la migration, Finnie constate qu'environ 0,1 p. 100 des Canadiens émigrent à l'étranger chaque année. Il note aussi qu'une petite fraction seulement de ces migrants retourne éventuel- lement au Canada (moins de 20p. 100 après dix ans). Les résultats de Finnie appuient l'hypothèse selon laquelle le problème de l'exode des cerveaux est de- venu plus important dans les années 90. Tout au long des années 80 et 90, les personnes à revenu élevé avaient une plus grande probabilité de quitter le Canada que les personnes à revenu faible ou moyen. Dans les années 90, la proportion des personnes à revenu élevé (celles gagnant annuellement 100 000 dollars ou plus) qui ont quitté le Canada a atteint près de 1 p. 100 an- nuellement. Les taux globaux d'émigration n'ont cessé d'augmenter tout au long des années 90. Les résultats empiriques confirment aussi que les jeunes ont une probabilité plus élevée de quitter le Canada, tandis que les francophones du Québec ont une probabilité moindre de partir que les autres contribuables. Quelle est l'incidence de l'intégration économique sur les pratiques des entreprises en ce qui a trait au lieu de travail et aux relations industrielles? Richard Chaykowski et George Slotsve utilisent des données provenant de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés (ELTE) pour tenter de répondre à cette question. Après avoir passé en revue la documentation existante sur l'adoption de pratiques innovatrices en milieu de travail, Chaykowski et Slotsve élaborent un modèle formel montrant les conditions dans lesquelles les entre- prises adopteront ces pratiques lorsqu'il y a libéralisation du commerce entre II MARRIS ET LEMIEUX deux pays. Les principales prédictions du modèle sont ensuite comparées aux données de l'ELTE. Cette enquête fournit des renseignements précieux sur le degré de concurrence auquel font face les entreprises (au niveau local, national et international) et sur les pratiques en milieu de travail adoptées par les entre- prises, comme le changement organisationnel, l'organisation du travail, la par- ticipation des employés, les formules de rémunération flexible et la formation. Les résultats empiriques montrent que les entreprises qui rivalisent uniquement sur le marché local ont une probabilité moins grande d'adopter ces pratiques innovatrices. Par contre, les entreprises qui livrent concurrence au niveau na- tional ont une probabilité plus élevée d'adopter certaines de ces nouvelles pra- tiques de travail. Une concurrence accrue provenant des Etats-Unis ou du reste du monde a peu d'impact sur l'adoption de la plupart de ces pratiques. La seule exception notée est l'intensité de la formation, qui est plus élevée dans les en- treprises rivalisant au niveau international que dans les autres entreprises. PANEL II - ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS ET DE LEURS COÛTS ET AVANTAGES L E SECOND PANEL a examiné l'état actuel des liens économiques canado- américains. Deux visions très différentes ont été présentées. Glen Hodgson affirme que c'est l'émergence des chaînes d'approvisionnement mondiales dans le secteur de la fabrication qui a transformé le commerce international et les relations commerciales. Les pays se sont spécialisés en fonction de ces chaînes d'approvisionnement verticales. Cela a été notamment bénéfique pour les petits pays et le monde en développement. L'investissement étranger direct (IED) est le facteur complémentaire clé de ce processus, comme en témoigne la tendance de l'IED sortant et de l'IED entrant. Selon Hodgson, l'ALE Canada-Etats-Unis a eu un impact considérable sur la structure du commerce canadien et, par un calcul rapide, il estime que le ratio du commerce du Canada serait d'environ 60 p. 100 en l'absence de l'ALE et de l'ALENA, plutôt que le niveau actuel de 80 p. 100 (ou plus). Il affirme que la préoccupation première à l'heure actuelle devrait être de maintenir ouverte la frontière canado-américaine. Andrew Jackson offre un point de vue passablement différent. Il reprend sa thèse familière, selon laquelle les avantages de l'ALE ont été exagérés, et il cite en preuve l'écart de productivité manufacturière croissant entre le Canada et les États-Unis et la dépendance commerciale accrue du Canada à l'égard des exportations de res- sources. Il soutient qu'une intégration plus poussée entre les deux pays, par exemple une union douanière ou d'autres modalités associées à un marché commun, serait désavantageuse. À son avis, toute perte supplémentaire de sou- veraineté dans une gamme étendue de domaines, comme la politique sociale et les affaires étrangères, serait très préjudiciable. Le Canada doit préserver ses 12 APERÇU options en matière de politique industrielle à des fins de développement éco- nomique et il doit recourir activement à la politique sociale pour contrer les tendances à l'inégalité observées aux États-Unis. PARTIE IV - CONSÉQUENCES DE L'INTÉGRATION CANADA-ÉTATS-UNIS POUR LA POLITIQUE SOCIALE : Y A-T-IL UNE COURSE VERS LE BAS? D ANS CETTE PARTIE DE L'OUVRAGE, l'étude de Rafaël Gomez et Morley Gunderson et celle de Gérard Boychuk tentent de déterminer si l'intégration accrue de l'activité économique et du marché du travail en Amérique du Nord a entraîné une convergence des politiques sociales entre les régions et les pays. Gomez et Gunderson font un tour d'horizon de la documentation existante, tandis que Boychuk examine explicitement le cas des politiques de redistribu- tion dans les provinces canadiennes et les États américains. Gomez et Gunderson passent d'abord en revue la théorie et les données existantes sur les déterminants des politiques sociales dans un contexte écono- mique intégré. Ils se demandent ensuite si le Canada et les États-Unis ont adopté des lois et des règlements de plus en plus semblables au cours des an- nées 90. Ils examinent une gamme étendue de lois dans des domaines tels que les relations de travail, les normes du travail, l'assurance-chômage, la rémuné- ration des travailleurs, la santé et la sécurité, les droits de la personne et les règles anti-discrimination, la politique des pensions, les prestations sociales et familiales et la fiscalité. Dans l'ensemble, ils arrivent à la conclusion que les politiques so- ciales ont généralement convergé au cours de la dernière décennie, mais qu'une divergence considérable persiste. L'étude constitue une source de référence fort utile sur la façon dont plu- sieurs politiques sociales et économiques canadiennes se comparent à celles des États-Unis et d'autres pays. Compte tenu du large éventail de politiques et de programmes pris en compte, il est difficile de fournir une réponse claire et com- plète à la question de savoir si l'intégration du marché du travail entraîne une convergence des politiques sociales entre pays. En ce sens, Gomez et Gunderson jettent les bases d'une ronde supplémentaire d'études plus spécialisées qui de- vraient examiner plus en détail la façon dont l'intégration influe sur des politiques et des programmes particuliers. L'étude de Gérard Boychuk constitue un bon exemple de la façon dont une approche plus ciblée peut servir à répondre à une question similaire : Quelles sont les chances que le Canada puisse maintenir des politiques sociales distinctes dans un marché du travail nord-américain de plus en plus intégré? L'étude tente d'abord de déterminer si différents États américains ont pu main- tenir des politiques sociales différentes en dépit du niveau élevé d'intégration du marché du travail aux États-Unis. Cela fournit un point de repère utile pour 13 HARKIS ET LEMIEUX évaluer dans quelle mesure le Canada pourrait maintenir des politiques sociales et de redistribution distinctes dans un marché du travail nord-américain pro- gressivement plus intégré. Si des États américains peuvent maintenir des politiques distinctes, le Canada devrait certes pouvoir le faire. Boychuk examine une me- sure étendue de la protection sociale — les gains dans les parts du revenu — pour montrer que différents États américains ont, de fait, réussi à maintenir des politiques sociales distinctes. Les gains dans les parts indiquent la mesure dans laquelle les programmes sociaux augmentent (diminuent) la part du revenu qui revient à différentes tranches de revenu et, en particulier, au quintile inférieur de la répartition du revenu. Boychuk compare ensuite les gains dans les parts observés pour les provinces canadiennes et les États américains. Il constate, contrairement aux attentes, qu'il y a eu divergence des politiques sociales, telles que mesurées par les gains dans les parts, entre les provinces canadiennes et les États américains. Il en conclut que rien ne prouve que l'intégration du marché du travail provoque une course vers le bas en matière de politiques sociales. Les conclusions des deux études sont en partie contradictoires. Gomez et Gunderson constatent que les politiques sociales ont généralement convergé durant la dernière décennie, tandis que Boychuk arrive à la conclusion oppo- sée. Il reste à voir si cette discordance traduit simplement les perspectives diffé- rentes adoptées par les chercheurs ou une divergence méthodologique plus fondamentale. Dans l'intervalle, les deux études, ainsi que les commentaires de Smith et Noël, fournissent un point de référence utile pour les lecteurs intéres- sés à la question importante de la convergence des politiques sociales dans un contexte économique de plus en plus intégré. PARTIE V - ÉVALUER LA PORTÉE ET LES RÉPERCUSSIONS DE LA MOBILITÉ DE LA MAIN-D'ŒUVRE ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS C ETTE PARTIE DE L'OUVRAGE aborde directement la question de la mobilité transfrontière de la main-d'œuvre. L'une des études examine des données économétriques anciennes et nouvelles sur l'étendue de la mobilité transfron- tière de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis, tandis que l'autre applique des méthodes d'équilibre général hypothétique pour évaluer les consé- quences possibles d'une augmentation de la mobilité de la main-d'œuvre sur les deux économies. Les travaux publiés sur ces deux aspects sont plutôt rares, de sorte que ces contributions sont accueillies avec satisfaction. De Voret z et Coulombe tentent d'expliquer pourquoi la mobilité des Canadiens vers les Etats-Unis semble modérée en dépit des dispositions spéciales d'accès prévues dans l'ALENA (les visas TN). Les auteurs élaborent en premier lieu la notion de « biais favorable au pays d'origine » dans le contexte de la mobi- lité entre le Canada et les États-Unis. En l'absence d'un tel biais, tous les Cana- diens qui ont une incitation économique à migrer aux États-Unis le feraient. 14 APERÇU Les déterminants de la décision de déménager au sud de la frontière seraient exactement les mêmes que les déterminants de la décision de déménager dans une autre province canadienne (par exemple des salaires plus élevés ou de meilleures possibilités d'emploi). S'appuyant sur des estimations économétriques tirées d'études antérieures, DeVoretz et Coulombe affirment qu'il n'y a pas de biais favorable au pays d'origine pour les travailleurs hautement qualifiés. Utili- sant diverses sources de renseignements juridiques et économiques, ils constatent que les visas TN mis en place dans la foulée de l'ALENA ont grandement faci- lité les mouvements transfrontières pour les groupes de travailleurs (hautement qualifiés) admissibles à ce type de visa. Ils signalent toutefois que les attentats du 11 septembre 2001 ont fondamentalement changé la dynamique de la mobi- lité canado-américaine. Une surveillance accrue à la frontière a haussé les coûts d'obtention d'un visa et pourrait éventuellement segmenter le marché du travail canadien entre les Canadiens nés au Canada et les Canadiens nés à l'étranger (en particulier au Moyen-Orient). DeVoretz et Coulombe en concluent que l'intégration nord-américaine a cessé de progresser et a même amorcé un recul. Jean Mercenier et Nicolas Schmitt s'attaquent à la difficile tâche d'évaluer l'impact d'une plus grande mobilité des entrepreneurs entre le Canada et les Etats-Unis à l'aide d'un modèle d'équilibre général quantitatif. Ils signalent que certains problèmes théoriques fondamentaux doivent être résolus dans un mo- dèle approprié du processus de création des entreprises. En dépit du fait que le commerce et la migration sont des substituts dans la théorie du commerce in- ternational la plus connue — le modèle Heckscher-Ohlin —, les données et la plus grande partie des travaux subséquents font ressortir une complémentarité entre migration et commerce. Les auteurs passent en revue certaines théories récentes fondées sur des modèles de géographie économique et ils analysent quelques-unes des voies d'interaction entre le commerce et la migration. Il semble que les résultats de ces théories soient souvent assez sensibles aux hypo- thèses faites quant aux valeurs des paramètres mais, généralement, la nouvelle géographie économique semble postuler que, dans un contexte de libre-échange des biens et du capital, la mobilité des personnes hautement qualifiées a ten- dance à exacerber l'inégalité entre les régions. Mercenier et Schmitt affirment qu'en étudiant la migration des entrepre- neurs hautement qualifiés, nous devons traiter à la fois de l'hétérogénéité des compétences et des rendements croissants sur les habiletés — l'effet superstar de Sherwin-Rosen. Les entrepreneurs très talentueux (superstars) peuvent pro- fiter d'un marché plus grand soit en attirant plus de clients soit en abaissant leurs coûts à tous les niveaux de production. Cependant, sur des marchés in- ternationaux ouverts, ces entrepreneurs peuvent exploiter à profit un grand marché tout en demeurant dans leur pays d'origine — en vendant à la fois sur 15 HARRIS ET LEMIEUX le marché local et à l'étranger. L'hétérogénéité des niveaux de compétence est importante parce qu'elle veut dire hétérogénéité des rendements correspon- dants. La mobilité de la main-d'œuvre peut susciter une migration supplémen- taire, certaines personnes quittant un pays pour devenir entrepreneurs dans un autre. Les auteurs situent leur modèle de création des entreprises et d'entrepreneuriat dans un cadre commercial caractérisé par une différenciation verticale et horizontale des produits. Dans un tel cadre, les entrepreneurs plus talentueux produisent des biens de meilleure qualité; en conséquence, la locali- sation et les compétences des entrepreneurs dans les différents pays influent sur le profil du commerce des biens caractérisés par une différenciation verticale. Devant la complexité globale de la théorie, Mercenier et Schmitt considè- rent une version simulée du modèle d'équilibre général et étudient comment l'introduction de la mobilité des entrepreneurs influe sur les résultats en pré- sence de certaines asymétries exogènes entre pays. Les résultats sont assez inté- ressants et débouchent sur des observations qui vont plutôt à l'encontre de l'intuition. À titre d'exemple, si deux pays diffèrent uniquement par leur dota- tion en main-d'œuvre qualifiée, et donc par l'offre potentielle d'entrepreneurs, l'introduction de la mobilité fera en sorte que le pays de plus grande taille aura tendance à exporter des entrepreneurs. Si, au contraire, ce pays a une dotation plus abondante en main-d'œuvre non qualifiée, la mobilité aura tendance à ré- duire le bassin d'entrepreneurs dans le pays de plus petite taille, ces derniers al- lant s'établir sur les marchés du pays de plus grande taille. Fait intéressant, les auteurs constatent que ce sont parfois les entrepreneurs possédant des compé- tences moyennes qui déménagent. Les véritables superstars n'ont pas besoin de migrer pour récolter la totalité des gains liés à leurs habiletés exceptionnelles — ils peuvent utiliser le marché d'exportation pour le faire. Mercenier et Schmitt affirment aussi que le commerce des biens caractérisés par une différenciation verticale est celui qui subit le plus l'influence des changements dans la mobilité, ce qui pourrait être un mécanisme important que l'on a négligé dans les analyses de bien-être de la mobilité de la main-d'œuvre, où l'accent a été mis sur les échanges commerciaux dictés par la dotation en facteurs. PARTIE VI - CONSÉQUENCES DE L'INTÉGRATION TRANSFRONTIÈRE DU MARCHÉ DU TRAVAIL SUR LES PLANS DE L'ANALYSE ET DES POLITIQUES L ES ÉTUDES DE DAVID WlLDASIN ET RICHARD HARRIS font un tour d'horizon des questions plus vastes qui entourent l'intégration de marchés du travail nationaux jusque-là segmentés. Wildasin s'intéresse à certaines ques- tions d'ordre fiscal et aux leçons que l'on peut tirer de l'expérience des États américains alors que les marchés du travail nationaux deviennent plus intégrés. Il est clair que les politiques gouvernementales en matière d'impôts et de dépenses 16 APERÇU ne peuvent être considérées comme exogènes ou insensibles à ce processus. Harris s'interroge sur la pertinence possible de certaines tendances à l'échelle mondiale parmi les déterminants de la croissance économique et de la technolo- gie dans l'optique des coûts et des avantages d'une intégration transfrontière du marché du travail. Il affirme qu'au bout du compte, il faudra démontrer l'effet positif sur la croissance de la productivité au Canada des politiques qui visent à accroître la mobilité de la main-d'œuvre et il propose certains canaux par les- quels cela pourrait se produire. Wildasin scrute les liens complexes entre l'intégration commerciale, la mi- gration et le cadre de la politique fiscale, tels qu'influencés par la situation de la mobilité de la main-d'œuvre entre les Etats, les régions et les nations. En bonne partie, son analyse est motivée par des travaux publiés en économie du travail et en finances publiques locales, où l'on a employé des données sur les Etats américains, les provinces canadiennes et les administrations locales. Il débute en soulignant que l'intégration des marchés nationaux des biens et de la main- d'œuvre s'est accompagnée d'une expansion des flux commerciaux et des mou- vements de main-d'œuvre. Il en conclut que le commerce et la migration sont plus probablement des compléments que des substituts. Il affirme que si la mo- bilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis devait augmenter, il serait aussi plus probable que les flux de commerce et de main-d'œuvre aug- mentent. Wildasin soutient que la mobilité accrue de la main-d'œuvre, tant sur le marché intérieur qu'au niveau international, devrait améliorer l'efficience générale en déplaçant la main-d'œuvre des marchés à faible productivité vers ceux où la productivité est plus grande. Les écarts de revenu entre les régions demeurent l'un des plus importants facteurs de migration. Cependant, l'auteur note aussi qu'en renforçant le marché du travail pour toute forme de capital humain, la mobilité accrue de la main-d'œuvre réduit sensiblement le risque de revenu lié à un investissement dans ce capital humain. La mobilité accrue contribue donc à abaisser le risque et à encourager la spécialisation, deux élé- ments qui stimulent la croissance économique. Bien que ce phénomène ait été observé sur les marchés du travail nationaux, l'argument est de nature générale et s'applique manifestement à la mobilité transfrontière de la main-d'œuvre. Wildasin passe ensuite à l'examen de certaines questions de politique — la concurrence fiscale en général et, plus particulièrement, le financement de l'enseignement supérieur. La mobilité de la main-d'œuvre entre les États ou les provinces signifie que l'endroit où l'on acquiert sa scolarité n'est pas nécessai- rement le même que celui où, subséquemment, on travaillera et paiera des im- pôts. Cette séparation entre les particuliers qui profitent des dépenses gouvernementales et ceux qui paient des impôts suscite une concurrence fis- cale entre les gouvernements des provinces et des États. Les paliers inférieurs de gouvernement voudraient attirer des travailleurs hautement scolarisés en 17 HARRIS ET LEMIEUX abaissant leurs impôts mais, simultanément, les résidents veulent de meilleurs services d'éducation pour leurs enfants. En passant en revue les travaux publiés sur cette question complexe, l'auteur arrive à la conclusion que, si les preuves d'une course vers le bas entre les États sont rares, il est de plus en plus facile d'étayer un argument en faveur du déplacement vers le palier fédéral de la res- ponsabilité pour l'enseignement supérieur. Wildasin affirme qu'en fait, les don- nées sur le financement de l'enseignement supérieur aux États-Unis confirment cette tendance. Cela est vrai dans le régime actuel de mobilité de la main- d'œuvre, et les facteurs qui agissent en ce sens seront vraisemblablement renfor- cés par l'accroissement de la mobilité internationale du travail. La conclusion principale qui se dégage de cette étude est que les changements dans le degré de mobilité de la main-d'œuvre en Amérique du Nord pourraient avoir des ré- percussions importantes sur les relations entre les différents niveaux de gouver- nement et sur les politiques en matière de fiscalité et de dépenses. L'un des faits qui a le plus influencé la recherche sur les politiques au Canada au cours de la dernière décennie est l'écart croissant de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis. On reconnaît généralement qu'une bonne partie de cette disparité est attribuable aux écarts de niveaux de productivité entre les deux pays. Dans son étude, Harris passe en revue les données sur cet aspect et affirme que la politique à l'égard de la mobilité de la main-d'œuvre en Amérique du Nord doit être envisagée dans un cadre analytique qui permet de traiter des déterminants des écarts internationaux de productivité et de la façon dont ces écarts réagissent aux changements dans la mobilité transfrontière de la main- d'œuvre. Harris explique qu'il y a quatre approches analytiques offrant des ex- plications intéressantes du lien possible entre la croissance de la productivité et la mobilité de la main-d'œuvre. La première est associée à la théorie de la croissance endogène axée sur le capital humain, élaborée par Lucas. Si la croissance économique (par habitant) est déterminée par l'accumulation de capital humain, alors la mobilité trans- frontière de personnes possédant des niveaux différents de capital humain de- vient un puissant facteur de convergence des niveaux de revenu. Une théorie similaire aboutit à la conclusion que la libre circulation des biens et du capital ne suffit pas pour garantir la convergence des niveaux de revenu nationaux. Une stratégie d'intégration économique axée sur le libre-échange et l'ouverture des marchés de capitaux comme moyens de réduire l'inégalité internationale des revenus sans tenir compte de la mobilité de la main-d'œuvre est par consé- quent incomplète. Un second ensemble de théories établit un lien entre la mobilité de la main-d'œuvre et les retombées internationales de la connaissance. Dans un modèle, la population active est segmentée entre les personnes qui sont mobiles à l'échelle internationale et celles qui ne le sont pas, la connaissance se diffuse 18 APERÇU grâce aux interactions des travailleurs évoluant sur le marché mondial, et les politiques visant à améliorer la demande ou l'offre de travailleurs mobiles à l'échelle mondiale contribuent à la croissance de la productivité. Les petits pays peuvent profiter de cette tendance en comptant un plus grand nombre de tra- vailleurs mobiles à l'échelle mondiale qui faciliteront la diffusion des connais- sances. Le troisième ensemble de théories est une variante du premier, mais il insiste sur l'importance pratique du secteur des services et des exportations de services. L'accroissement de la mobilité transfrontière de la main-d'œuvre de- vrait favoriser l'expansion des exportations de services canadiens et, partant, la croissance de la productivité dans le secteur des services au Canada. Le dernier ensemble de théories fait intervenir la révolution des technolo- gies de l'information et des communications (TIC) comme explication possible de l'accélération observée de la croissance de la productivité aux États-Unis. Si les TIC sont un type de technologies d'application générale à l'origine des ten- dances observées de la productivité et de l'inégalité des salaires, alors elles pourraient influer sur l'évolution des régimes de mobilité internationale de la main-d'œuvre. Une hypothèse possible est que les TIC sont étroitement liées aux phénomènes de l'exploitation multi-tâches et des exigences professionnelles croissantes des postes par suite de l'adoption de méthodes de production plus souples et de structures organisationnelles plus horizontales associées à l'utilisation des TIC. Par ailleurs, une plus grande intégration commerciale augmente la spécialisation des petits pays au niveau de gammes de produits par le mécanisme de la sous-traitance et de la spécialisation verticale des industries. Ces deux tendances ont des effets opposés sur la spécialisation des tâches dans les entreprises, contribuant ainsi à équilibrer la demande et l'offre sur des mar- chés du travail hétérogènes. L'augmentation de la mobilité transfrontière de la main-d'œuvre peut réduire les tensions entre ces deux facteurs en élargissant le marché des emplois hautement spécialisés pour les citoyens des petits pays sans renoncer aux avantages du libre-échange des biens et services. PANEL III - L'OPPORTUNITÉ DE LIBÉRALISER LES MOUVEMENTS DE TRAVAILLEURS ENTRE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS L ES PARTICIPANTS AU TROISIÈME PANEL, Jean-Christophe Dumont, Robert Lacroix et Marc Van Audenrode, ont discuté des possibilités de libéralisa- tion de la mobilité des travailleurs entre le Canada et les États-Unis. Le premier a présenté une comparaison intéressante des expériences européenne et nord- américaine. Il précise tout d'abord que l'UE est une entreprise politique, sociale et économique beaucoup plus ambitieuse que l'ALENA, qui porte principale- ment sur des questions économiques telles que les barrières commerciales. Néanmoins, il affirme que les pays nord-américains peuvent tirer de précieuses leçons de l'expérience européenne. L'une est que la libéralisation ne suffit pas à 19 HARRIS ET LEMIEUX endiguer le flux de migrants des pays plus pauvres vers les pays plus riches. Ain- si, un grand nombre de travailleurs ont migré de l'Europe du Sud (Espagne, Italie, etc.) vers l'Europe du Nord, même après une libéralisation substantielle du commerce dans la région. Ces flux n'ont cessé que lorsque le revenu moyen en Espagne et en Italie a sensiblement rattrapé celui de pays tels que la France et l'Allemagne. Sur la base de cette expérience, il est probable que les travailleurs mexicains continueront de migrer en grand nombre vers le Canada et les États- Unis malgré la libéralisation du commerce en vertu de l'ALENA. Robert Lacroix traite du cas des universités canadiennes, qui ont une longue tradition de recrutement de personnel hautement qualifié dans d'autres pays. Tout au long des années 60 et 70, les universités canadiennes ont embauché un grand nombre d'universitaires en Europe, aux Etats-Unis et dans d'autres pays pour combler les besoins de la génération du baby-boom qui entrait à l'université. Lacroix estime que les dix prochaines années présenteront un défi semblable, voire plus grand, aux universités canadiennes. Avec le départ à la retraite d'un grand nombre de professeurs et le nombre sans cesse croissant d'inscriptions, ces institu- tions n'auront d'autre choix que de recruter de nombreux détenteurs de doctorat étrangers dans un contexte mondial extrêmement concurrentiel. À son avis, of- frir des installations de recherche de calibre mondial aux enseignants nouvelle- ment embauchés sera la clé du succès dans cette colossale entreprise de recrutement. Des politiques d'immigration flexibles ainsi qu'une rémunération et une fiscalité concurrentielles sont aussi des facteurs importants. Marc Van Audenrode présente quelques observations personnelles et gé- nérales sur l'évolution des effets de la frontière sur les décisions migratoires. Il souligne que, même si la plupart des obstacles à la mobilité ont été abolis en Europe, les mouvements entre pays européens riches demeurent limités, comme l'a aussi noté Dumont. Van Audenrode rappelle que migrer demeure une option coûteuse et difficile, même dans un contexte où les barrières à la mobilité internationale ont été supprimées, comme les visas TN l'ont fait pour les professionnels canadiens intéressés à occuper un emploi aux États-Unis. En conclusion, il discute de la façon dont les changements démographiques et les impôts pourraient poser un défi de plus en plus grand au niveau des politiques qui encadrent la migration entre le Canada et les États-Unis. CONCLUSION Q UELLES SONT LES PRINCIPALES LEÇONS que l'on peut tirer, sur le plan des politiques, de la collection d'études regroupées dans cet ouvrage? Quelles sont les principales questions de recherche qu'il reste encore à examiner? Dans cette dernière partie de notre synthèse, nous tentons de répondre à ces ques- tions dans le contexte des quatre grands thèmes décrits dans l'Introduction. 20 APERÇU Le premier thème portait sur la façon dont l'intégration économique et la mondialisation sont souvent blâmées pour l'inégalité croissante des revenus ob- servée dans la plupart des pays au cours des deux dernières décennies. Devrions- nous nous inquiéter des effets sur l'inégalité d'une intégration encore plus pous- sée avec les États-Unis? D'un côté, l'étude de Beaulieu et celle de Lemieux et Joy montrent que le marché du travail pour les personnes moins qualifiées au Canada s'est détérioré au cours des dix à vingt dernières années. Cependant, ces études montrent aussi que, dans la meilleure des hypothèses, le lien entre ces changements défavorables et l'intégration économique avec les États-Unis est mince. À titre d'exemple, Beaulieu et Joy ne constatent pas généralement de baisse des salaires dans les professions qui auraient dû être les plus durement touchées par le libre-échange. Lemieux aborde la question sous un angle diffé- rent et note que l'inégalité a augmenté davantage aux États-Unis qu'au Canada. Prises ensemble, les deux études donnent à penser que le libre-échange et l'intégration économique ont eu relativement peu d'effets défavorables sur l'inégalité au Canada. Ces conclusions sont aussi généralement conformes aux observations qui ressortent de l'étude de Chaykowski et Slotsve, qui débouche sur la conclusion que le libre-échange n'a eu qu'un impact limité sur les pratiques en milieu de travail et en matière de relations industrielles. Cela limite encore plus le nombre de mécanismes par lesquels le libre-échange peut contribuer à accentuer l'inégalité. La question de l'inégalité croissante est aussi étroitement liée au débat sur l'exode des cerveaux. L'étude de Finnie et celle de DeVoretz et Coulombe montrent que les Canadiens qui sont récemment allés s'établir aux États-Unis (ou ailleurs) ont tendance à provenir de la partie supérieure de la pyramide des revenus. DeVoretz et Coulombe constatent que les personnes qui ont profité des visas TN pour aller travailler aux États-Unis sont généralement hautement scolarisées et travaillent comme professionnels ou employés dans des postes bien rémunérés. De même, Finnie montre que les contribuables gagnant plus de 100 000 dollars par an ont une probabilité beaucoup plus grande d'émigrer (aux États-Unis ou dans un autre pays) que les autres personnes. Le niveau moins élevé d'inégalité au Canada fait des États-Unis une destination particulière- ment attrayante pour les Canadiens à revenu élevé qui, habituellement, ga- gnent sensiblement moins que leurs homologues américains. Si le libre-échange et l'intégration économique avaient poussé l'inégalité des revenus au Canada vers le niveau observé aux États-Unis, nous n'aurions probablement pas assis- té à cette migration systématique de Canadiens hautement qualifiés, à revenu élevé, vers les États-Unis. Dans la discussion en panel, Dumont, Lacroix et Van Audenrode soulignent également l'importance croissante de la mobilité des travailleurs dans une économie nord-américaine plus intégrée. 21 HARRIS ET LEMIEUX L'inégalité croissante est aussi liée au troisième thème évoqué dans l'Introduction, à savoir la marge de manœuvre des gouvernements nationaux dans un contexte d'intégration économique croissante. Comme nous venons de le mentionner, l'inégalité grandissante et les autres défis qui se posent sur le plan des politiques pourraient, ou non, être la conséquence de l'intégration économique. Mais même si l'inégalité n'est pas causée par l'intégration écono- mique, les réactions à l'inégalité croissante, au niveau des politiques, pourraient être de plus en plus limitées par l'intégration accrue. Boychuk aborde directe- ment cette question dans le contexte des politiques en vigueur dans différents États américains. Il arrive à la conclusion que même dans cet environnement hautement intégré, les gouvernements parviennent à maintenir des politiques de redistribution distinctes. Dans la discussion en panel, Banting fait aussi ce constat. A l'instar de Boychuk et Banting, Wildasin arrive à la conclusion qu'il n'y a pas beaucoup de preuves d'une course vers le bas entre les États améri- cains. Il souligne néanmoins qu'en présence d'une mobilité accrue de la main- d'œuvre, l'argument en faveur d'un transfert au gouvernement fédéral de la responsabilité de l'enseignement supérieur est plus convaincant. Cela pose un problème dans l'optique de la mobilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les Etats-Unis car il n'y a pas de niveau supra-national de gouvernement pour assumer la responsabilité de l'enseignement supérieur. Il pourrait en résulter une concurrence fiscale, chaque pays réduisant ses impôts pour tenter d'attirer les travailleurs hautement scolarisés, ce qui le laisserait avec des ressources in- suffisantes pour financer l'enseignement supérieur. Après avoir examiné un en- semble plus vaste de politiques et de programmes, Gomez et Gunderson n'arrivent pas à une conclusion aussi optimiste que Boychuk en ce qui a trait aux perspectives de maintien de politiques nationales distinctes. Ces auteurs concluent que le Canada et les États-Unis ont adopté des politiques et des pro- grammes de plus en plus similaires après la mise en œuvre de l'ALE et qu'il y a, jusqu'à un certain point, une course vers le bas. Dans la discussion en panel, Clarkson fait également valoir qu'il y a bel et bien une course vers le bas. Le quatrième et dernier thème abordé dans l'Introduction a trait aux conséquences d'une mobilité transfrontière accrue de la main-d'œuvre. D'un point de vue essentiellement analytique, les raisons pour lesquelles la main- d'œuvre devrait se déplacer de part et d'autre de la frontière ne ressortent pas clairement une fois que le commerce des biens (et des services) a été pleine- ment libéralisé. Cependant, Harris décrit plusieurs façons dont la mobilité de la main-d'œuvre peut améliorer la performance économique et le niveau de vie. Mercenier et Schmitt enrichissent cette analyse en scrutant la mobilité des tra- vailleurs hautement qualifiés dans un modèle d'équilibre général calculable. Leur approche fait ressortir des mécanismes intéressants, et parfois contraires à l'intuition, par lesquels la mobilité peut se répercuter sur la répartition du revenu. 22 APERÇU C'est là un domaine important et relativement inexploré, et les deux études proposent des pistes prometteuses pour la recherche future. En définitive, la plupart des problèmes abordés dans ces études peuvent être ramenés à deux questions fondamentales : 1) Les politiques qui favorisent une intégration accrue peuvent-elles améliorer la performance économique et le niveau de vie (moyen) au Canada? et 2) Le cas échéant, ces politiques peuvent- elles-a voir des répercussions sociales défavorables? Les études que nous venons d'examiner offrent toutes des réponses partielles à ces questions. Dans tous les cas, elles partent plus ou moins de l'hypothèse selon laquelle l'intégration est souhaitable d'un point de vue économique, mais peut être défavorable d'un point de vue social en engendrant une plus grande inégalité, en réduisant la marge de manœuvre des gouvernements, etc. C'est aussi la position tenue par Hodgson et Jackson dans la discussion en panel. Hodgson s'intéresse aux effets positifs de l'intégration sur la performance économique, tandis que Jackson émet une mise en garde contre ses conséquences sociales néfastes. Par ailleurs, Helliwell souligne qu'un important effet frontière pourrait bien être une indication qu'une intégration accrue représenterait une solution « perdante » sur tous les plans. Elle aurait des répercussions négatives tant sur le plan social que sur le plan économique. L'étude de Coulombe offre une in- terprétation différente de l'effet frontière, qui aboutit à des conclusions très dif- férentes sur le plan des politiques. Il est clair que ces différentes interprétations de l'effet frontière démontrent la nécessité de poursuivre les recherches afin de mieux distinguer les conséquences économiques et sociales d'une intégration plus étroite. Dans l'ensemble, les études publiées dans cet ouvrage soulèvent proba- blement plus de questions qu'elles ne fournissent de réponses. Certaines études utilisent une approche empirique pour documenter les effets sociaux et écono- miques des rondes antérieures d'intégration (l'ALE entre le Canada et les Etats-Unis et l'ALENA). D'autres adoptent une approche plus analytique pour prévoir les conséquences éventuelles de rondes supplémentaires d'intégration. Dans la perspective des politiques, il est utile d'envisager les résultats de ces études à la lumière de ce qui est survenu au cours des quinze années écoulées depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Il est bien connu que l'ALE et l'ALENA ont sans aucun doute accru le volume des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. La mobilité du travail, mesurée par le nombre de Canadiens qui vont travailler aux États-Unis, s'est aussi intensifiée dans les années 90, en partie sous l'effet des nouvelles dis- positions de l'ALE et de l'ALENA sur la mobilité de la main-d'œuvre. Mais au-delà du commerce et des flux migratoires, on est en droit de dire que les études réunies dans cet ouvrage démontrent que les visions des partisans et des opposants les plus farouches au libre-échange ne se sont pas matérialisées. 23 HARKIS ET LEMIEUX Si l'on regarde plus globalement la performance économique du Canada, celui- ci n'a fait aucun progrès par rapport aux États-Unis depuis quinze ans. Le taux de chômage y demeure plus élevé, les gains de productivité n'ont pas suivi ceux des États-Unis, et le niveau de vie des Canadiens, mesuré sur la base du revenu moyen, a reculé par rapport à celui des Américains. Ainsi, si le libre-échange a engendré des avantages économiques substantiels, ils ont été plus qu'annulés par d'autres facteurs. Même si l'on n'a pas observé de gains économiques importants et systéma- tiques dans la foulée du libre-échange, les prédictions catastrophiques sur la fa- çon dont le libre-échange détruirait la trame sociale du Canada ne se sont pas non plus concrétisées. Contrairement aux résultats économiques, relativement faciles à quantifier, nombre de résultats sociaux importants sont difficiles à suivre de manière systématique. Mais, mis à part ces problèmes de mesure, il est clair que le Canada ne s'est pas simplement transformé en « États-Unis du Nord », comme le prétendaient certains des opposants les plus visibles au libre-échange. Nous n'avons qu'à regarder les programmes législatifs actuels des gouverne- ments canadien et américain en matière sociale pour constater que cela n'est tout simplement pas survenu après quinze années de libre-échange. Comme pour la performance économique, les véritables conséquences sociales du libre- échange pourraient être masquées par d'autres événements qui ont peu à voir avec l'intégration économique. Néanmoins, l'impression qui reste est qu'au- delà des flux commerciaux, les conséquences économiques et sociales de quinze années d'intégration nord-américaine ont été relativement modestes. Beaucoup de choses se sont passées au cours des quinze dernières années et l'intégration économique n'est qu'un facteur parmi plusieurs autres ayant contribué à redessiner le paysage économique et social du Canada. Dans l'ensemble, les études publiées dans ce volume incitent à penser que si une in- tégration plus poussée ne permet pas de résoudre le problème de productivité du Canada, celui-ci ne deviendra pas pour autant les États-Unis du Nord. L'ouvrage illustre comment la recherche peut amorcer une réflexion attentive sur les effets du libre-échange et de l'intégration économique entre le Canada et les États-Unis et comment les leçons tirées des expériences passées pour- raient servir à améliorer les politiques dans l'avenir. NOTES 1 Ces questions sont examinées en détail dans le premier document de recherche d'Industrie Canada consacré aux liens en Amérique du Nord. Voir Harris, 2003. 2 L'effet frontière a d'abord été décelé par John McCallum, 1995. 24 APERÇU BIBLIOGRAPHIE Anderson, James, et Eric van Wincoop. « Gravity with Gravitas: A Solution to thé Border Puzzle », American Economie Review, vol. 93, n° 1 (mars 2003), p. 170-192. Beaulieu, Eugène. « The Canada-U.S. Free Trade Agreement and Labour Market Adjustment in Canada », Revue canadienne d'économique, vol. 33, n" 2 (mai 2000), p. 540-563. Gaston, Noël, et Daniel Trefler. « The Labour Market Conséquences of thé Canada- U.S. Free Trade Agreement », Revue canadienne d'économique, vol. 30, n° 1 (février 1997), p. 18-41. Harris, Richar. G. (dir.). Les liens en Amérique du Nord : Occasions et défis pour le Canada, Document de recherche d'Industrie Canada, Calgary, University of Calgary Press, 2003. McCallum, John. « National Borders Matter: Canada-US Régional Trade Patterns », American Economie Review, vol. 85, n° 3 (septembre 1995), p. 615-623. 25 This page intentionally left blank Panel I Liens nord-américains : enjeux sociaux et enjeux liés au marché du travail au Canada L'économie politique de la main-d'œuvre dans un contexte d'intégration nord-américaine 1 Stephen Clarkson Université de Toronto T ' APPRÉCIE CERTES L'HONNEUR d'être invité à participer au panel inaugural de J cette conférence d'experts, mais j'éprouve la sensation inconfortable de faire irruption dans une communauté épistémique parlant un dialecte différent. En relisant la documentation produite pour la conférence, je me suis re- trouvé plongé dans le langage stérilisé de l'économie du travail, qui semble privé de toute dimension humaine. Certains passages font référence au « fonctionne- ment du marché du travail » et à 1' « offre de main-d'œuvre », sans recourir au terme « emploi ». D'autres mentionnent l' « accès à l'emploi », la « souplesse » et la « mobilité de la main-d'œuvre » sans parler de « chômage ». Là où le texte s'approche le plus des préoccupations des citoyens à l'égard de leur milieu pro- fessionnel est lorsqu'il évoque la « rémunération » (non les salaires), le « niveau de vie » (non le salaire social) et la « vie quotidienne » (non les conditions de travail). L'étude traite des « structures de gouvernance qui sous-tendent le marché du travail » sans une seule mention des syndicats. Ce langage crée un paysage linguistique où l'on peut ignorer que ce sont des êtres humains qui existent comme travailleurs et travailleuses. Il décrit un monde largement apolitique qui n'est pas perturbé par les luttes de groupes 27 CLARKSON ET BANTING sociaux, économiques ou culturels pour prendre le contrôle et obtenir des avantages. Ces réflexions sont loin d'être abstraites. Le langage est porteur de valeurs et, en supposant que les valeurs exprimées dans le document de référence reflètent les valeurs de la conférence, il me faudra davantage qu'un traducteur dans l'autre langue officielle pour en saisir la portée. Cela, parce que je ne parle pas la langue de l'économie néoclassique, qui se préoccupe de supprimer les « bar- rières » qui entravent le marché pour en maximiser l'efficience, mais celui de l'économie politique, qui s'intéresse à l'interaction de l'État avec le marché en tant que meneur de jeu et arbitre. Ses signaux linguistiques évoquent d'autres différences : • Contrairement au scepticisme des économistes, qui porte sur l'incapacité du gouvernement d'atteindre l'efficience du marché, le scepticisme du spécialiste de l'économie politique porte sur l'incapacité du marché d'atteindre des objectifs d'équité sociale. • Notre attention est centrée sur les relations de pouvoir réelles entre les acteurs de la société, plutôt que sur des points d'équilibre imaginaires entre des concurrents sur le marché. • Différentes méthodologies favorisent des points d'accès différents à des savoirs communs. Alors que l'expression ceteris parïbus signale l'intention simplificatrice de l'économiste de vérifier des relations hy- pothétiques entre un petit nombre de facteurs, la perspective du spé- cialiste de l'économie politique embrasse l'ensemble du monde, dans toute sa complexité, qui est le contexte dans lequel agissent les forces à l'étude. Je ne devrais toutefois pas exagérer les différences, puisqu'il y a beaucoup de points communs dans nos discours, comme il ressort de la lecture du docu- ment de référence. • La présence de l'État, par exemple. Le Canada est décrit dans un pas- sage comme un État-nation, tandis que l'existence des États-Unis en tant qu'État territorial est reconnu par l'importance que l'on accorde à l'« effet frontière » dans le programme de la conférence. • La question de l'autonomie de l'État est abordée de façon implicite lorsqu'on évoque « notre capacité de poursuivre des objectifs natio- naux » et l'intérêt accordé à la « capacité des gouvernements cana- diens de poursuivre leurs objectifs sociaux, comme le maintien du revenu, grâce à des programmes d'assurance sociale » ou leur capacité 28 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHE DU TRAVAIL de recourir à la redistribution du revenu ou de la richesse pour atteindre leurs objectifs sociaux. • D'autres enjeux sur le plan des politiques sont mis en relief par une ex- pression telle que « la convergence dans des domaines comme la fisca- lité ou le financement de l'enseignement postsecondaire ». • L'intégration économique nord-américaine est le sujet de nos délibéra- tions, plus spécifiquement en termes de convergence non souhaitée des politiques sociales et de la mobilité des facteurs de production comme le capital et la main-d'œuvre hautement spécialisée. • La problématique analytique de la conférence est illustrée par deux types de « liens ». Premièrement, il y a le rapport entre l'intégration écono- mique continentale et les résultats observés au pays sur le plan social et sur le marché du travail (soins de santé, éducation et niveaux d'emploi). Puis, il y a la relation entre la mobilité de la main-d'œuvre (une attaque contre les normes de négociation collective) et les gains d'efficience découlant d'une libéralisation du commerce (la déqualification et les pertes d'emplois). Ce que le document appelle les barrières à la mobili- té de la main-d'œuvre, d'origine législative ou non législative, serait perçu par un spécialiste de l'économie politique comme des mesures prises par l'État en vue de protéger les droits des travailleurs ou de leur garantir un salaire social. La perspective dans laquelle j'aborde la question de la politique du travail est celle d'un généraliste qui cherche à comprendre l'impact sur l'État cana- dien, au cours des deux dernières décennies, de l'interaction complexe entre les forces de changement exogènes (comme la mondialisation de l'économie et la gouvernance à l'échelle mondiale) et les facteurs endogènes (par exemple le glissement idéologique vers le néo-conservatisme et le rôle continu des institu- tions héritées du passé, comme la Charte des droits et libertés). Comprendre l'intégration continentale ne représente donc qu'une partie seulement du ta- bleau plus vaste qui nous force à examiner aussi bien les changements qui se produisent à l'échelle planétaire que les transformations sur le plan national, qui pourraient être partiellement dissociées des phénomènes externes. LA MAIN-D'ŒUVRE ET L'ÉTAT AVANT D'EXPLORER L'INCIDENCE DE L'INTÉGRATION nord-américaine sur la situation des travailleurs canadiens, nous devons d'abord identifier les trois principaux domaines — les conditions de travail, les relations industrielles et la création d'emplois —- où l'État s'intéresse à la main-d'œuvre afin de ré- glementer la relation inégale entre le capital et le travail. 29 CLARKSON ET BANTING Ces trois types d'interactions sont étroitement liés. Ainsi, lorsque les gou- vernements n'arrivent pas à créer d'emplois et que le chômage augmente, les entreprises sont plus réticentes à accorder de meilleurs contrats de travail. D'autres politiques publiques peuvent aussi influer sur le marché du travail : si la Banque du Canada relève les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation, toute hausse concomitante du chômage aide les entreprises à résister aux aug- mentations de salaire. RESTRUCTURATION CONTINENTALE ET MAIN-D'ŒUVRE LES ÉCONOMISTES EN FAVEUR DE l'ALENA (Accord de libre-échange nord- américain) ont affirmé que le libre-échange entraînerait automatiquement une hausse de l'emploi et du niveau de vie au Canada. Ils prévoyaient aussi que toute perte d'emplois résultant de la fermeture d'entreprises non concurrentiel- les serait compensée par des gains de productivité et d'emplois de haut de gamme, sans toutefois promettre plus d'emplois ou une plus grande sécurité d'emploi. Les fabricants canadiens pourraient réaliser de plus grandes économies d'échelle dans leurs installations à forte valeur ajoutée et deviendraient plus concurrentiels en recourant à la main-d'œuvre peu coûteuse du Mexique dans leurs usines (Gagnon, 1998). À mesure que les barrières tarifaires sont tombées, les entreprises cana- diennes ont été exposées à une plus grande concurrence venant du Sud. Elles ont réagi en exhortant le gouvernement fédéral et les provinces à alléger ou à abolir la réglementation des conditions de travail et des relations industrielles. Le fait que l'ALENA aide les sociétés transnationales (ST) à éviter des normes du travail rigoureuses révèle l'effet primordial, mais indirect, de cet accord sur la main-d'œuvre canadienne. En assouplissant les modalités de réglementation nationales — du moins au Canada et au Mexique — mais sans les remplacer par une réglementation continentale applicable, l'ALENA a créé un espace où le capital peut s'accumuler plus librement à l'échelle continentale. Relations industrielles La main-d'œuvre est devenue un outil de concurrence sur un marché conti- nental intégré, où l'ALENA a renforcé la capacité des entreprises de se sous- traire aux pressions syndicales. Le Congrès du travail du Canada a documenté de nombreux cas où, lors de négociations, les « entreprises ont indiqué claire- ment que la production et les nouveaux investissements pouvaient aller ailleurs si les taux de rendement ne correspondaient pas à ceux enregistrés aux États- Unis ou au Mexique » 2 . Dans la mesure où elle a contribué à constitutionnaliser un nouveau régime d'accumulation du capital dans lequel la main-d'œuvre a perdu son pouvoir de négociation, l'ALENA a enchâssé, au lieu d'atténuer, le phénomène du dumping social. 30 LIENS NORD-AMERICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIES AU MARCHE DU TRAVAIL L'ALENA a aussi aggravé les divisions sociales dans les pays membres péri- phériques en exerçant une discrimination entre les travailleurs bien rémunérés et ceux qui touchent de bas salaires. En raison de la crainte des syndicats amé- ricains de voir les immigrants mexicains faire baisser les salaires aux États-Unis, la mobilité est interdite à la plupart des travailleurs dans les modalités d'intégration économique nord-américaine. En vue de répondre aux besoins des ST continentales, dont le personnel clé doit pouvoir circuler sans entrave dans l'ensemble des opérations de l'entreprise, l'ALENA permet aux dirigeants, aux gestionnaires et aux travailleurs qualifiés de se déplacer entre les filiales. En outre, les employés professionnels visés par une liste de professions spécifiques peuvent obtenir des permis de travail « temporaires » renouvelables en présen- tant une preuve de citoyenneté. Le nombre de travailleurs professionnels cana- diens ayant migré temporairement aux États-Unis est ainsi passé de 2 677 en 1989 à 26 987 en 1996 3 . En plus de faciliter l'exode des cerveaux, cette mobili- té accroît la valeur marchande de personnes qui sont déjà parmi celles qui tou- chent les plus hauts salaires. Ce n'est que l'une des façons dont l'ALENA a accentué les divisions entre les classes sociales au Canada. Conditions de travail Autrefois considérées essentielles au bon fonctionnement d'une économie fon- dée sur des méthodes fordistes, des normes du travail élevées sont maintenant perçues comme des éléments de rigidité coûteux et anticoncurrentiels qui im- posent des coûts mutiles aux gouvernements et aux entreprises. Rivalisant avec des économies moins réglementées, les entreprises ont affirmé qu'elles ne pourraient pas survivre dans le régime canadien de réglementation du travail (qui accroît leurs coûts) et de relations industrielles (qui donne aux syndicats le pouvoir de négocier de meilleurs avantages). Les entreprises devaient, au contraire, pouvoir réduire leurs coûts en utilisant la main-d'œuvre avec plus de « souplesse » et en devenant plus efficientes. De façon générale, les responsables des politiques (et une bonne partie du public) au Canada ont accepté cet ar- gument en faveur d'un abaissement des normes du travail. En plus d'affaiblir les normes du travail sur le marché intérieur, les gou- vernements mettent en péril les mesures employées jusqu'ici pour réduire les inégalités sociales et les disparités entre les sexes. Le Canada rivalise avec les États-Unis et le Mexique pour attirer des investissements, et il est moins en mesure d'imposer les entreprises pour financer des dépenses nationales servant à maintenir un salaire social. La plupart des provinces ont sensiblement réduit leurs programmes d'aide sociale depuis 1992 4 . L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail ne fournit aucun moyen de corriger ces inégalités ou de freiner l'érosion de la position des travailleurs. Sous l'effet des règles de l'ALENA, le marché devient l'élément le plus efficace et le plus 31 CLARKSON ET BANTING puissant de stratification de la main-d'œuvre et des relations sociales et entrave toute initiative de redistribution des gains engendrés par la continentalisation. En somme, la Commission de coopération dans le domaine du travail ne peut réduire l'asymétrie causée par le pouvoir largement accru du capital et l'insécurité plus grande de la main-d'œuvre en Amérique du Nord. CONCLUSION CONCEPTUALISER LES PROBLÈMES posés par le continentalisme au niveau de la politique du travail uniquement en termes d'intégration économique nord- américaine risque de détourner notre attention de l'ensemble de la forêt pour la porter vers quelques arbres seulement. Trois rondes de libéralisation du com- merce — l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE), l'Accord de libre-échange nord-américain et l'Organisation mondiale du commerce — ont imposé une constitution externe à l'État canadien. Une fois que l'on a pris conscience de l'impact de ces institutions bilaté- rale, trilatérale et multilatérale sur le plan constitutionnel, on constate rapide- ment que les spéculations sur la suppression des barrières à la mobilité de la main- d'œuvre surgissent facilement en salle de classe mais sont inapplicables dans la réalité. Alors que l'ALE a été pratiquement oblitéré par l'ALENA, qui a fait du Mexique un partenaire à part entière, tout changement fondamental dans les règles qui dictent le traitement que reçoit le Canada à la frontière américaine doit recevoir l'aval du Mexique. L'instauration d'une plus grande mobilité du capital, tout en laissant la main-d'œuvre essentiellement immobile de chaque côté des deux frontières nationales, signifie que des éléments d'inefficience sur le marché du travail per- sisteront inévitablement à l'échelle continentale. Étant donné l'absence d'une institution continentale pouvant résoudre ce problème, ni le Canada ni le Mexique ne peuvent espérer obtenir une mobilité parfaite de la main-d'œuvre tant que la centrale syndicale AFL/CIO (American Fédération of Labor and Congress of Industrial Organizations) n'aura pas abandonné sa position protec- tionniste et que le tout-puissant Congrès des États-Unis n'aura pas accepté un meilleur partage avec ses modestes voisins. En refusant de renoncer aux mesures commerciales d'urgence et, de ce fait, en rejetant un véritable libre-échange continental, le gouvernement amé- ricain force les États canadien et mexicain à continuer d'intervenir en tant qu'institution politique légitimement responsable de définir les normes qui régi- ront les conditions de travail, d'assurer la médiation des relations entre em- ployés et employeurs et de promouvoir la création d'emplois. 32 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIES AU MARCHE DU TRAVAIL Ainsi condamnés à survivre, les gouvernements, au palier fédéral, provin- cial et municipal, conservent une marge de manœuvre politique considérable face aux contraintes accrues de la gouvernance à l'échelle mondiale. Cela signi- fie que les responsables politiques et les fonctionnaires qui les conseillent peuvent encore choisir une combinaison particulière de politiques sur le spectre allant du relèvement de la qualité à la promotion de la compétitivité de l'économie par la réduction des coûts. Le niveau accru d'intégration dans l'espace nord- américain pourrait avoir déplacé quelque peu les poteaux du début. Mais il n'a pas changé fondamentalement les règles du jeu. NOTES 1 Une partie du présent texte, reproduite avec la permission de l'éditeur, provient essentiellement du chapitre 16, « The Working State: Labour Relations under Stress », d'un de mes ouvrages antérieurs, intitulé Uncle Sam and Us: Globalisation, Neoconservatism and thé Canadian State, Toronto et Washington (D.C.), University of Toronto Press et Woodrow Wilson Center Press, 2002, 535 pages. 2 Voir Jackson et Baldwin, 1997, p. 16. 3 Voir Globerman, 1999, p. 17, cité dans Gabriel et Macdonald (à paraître). 4 Voir Statistique Canada, cité dans Gabriel et Macdonald (à paraître). BIBLIOGRAPHIE Gabriel, Christina, et Laura Macdonald. « Beyond thé Continentalist/Nationalist Divide: Canada in North America », dans Changing Canada: Political Economy as Transformation, publié sous la direction de Wallace Clément et Leah Vosko, Montréal, McGill-Queen's University Press, à paraître. Gagnon, Eric. 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Selon Theda Skocpol, l'État pré- sente fondamentalement deux faces opposées qui traduisent essentiellement son double arrimage dans la société intérieure et dans le système international (1979, p. 32). Inévitablement, donc, le rôle des gouvernements a consisté à équilibrer les pressions émanant de ces deux sources. En partie, les gouvernements cherchent à protéger la société intérieure des menaces extérieures et à faire évoluer du mieux qu'ils peuvent le système international conformément à ses intérêts et à ses pré- occupations. Mais, en partie, les gouvernements transmettent aussi à la société intérieure les pressions qui proviennent du contexte mondial, en adaptant les politiques intérieures à la conjoncture internationale qu'ils ne peuvent modifier et en aidant les groupes d'intérêts nationaux à s'ajuster au reste du monde. Aujourd'hui, on assiste à un débat intense qui vise à déterminer si l'équilibre s'est déplacé de façon décisive. Certains affirment que les contraintes qui s'exercent à l'échelle mondiale réduisent la marge de manœuvre de l'État et que les pressions en vue d'une harmonisation ou d'une convergence mènent lentement mais inexorablement les démocraties avancées à adopter des modèles de politique transnationaux communs dans un nombre de plus en plus grand de domaines de politiques. Ces arguments soulèvent d'importantes questions au sujet de notre conception fondamentale de l'univers politique. Si le degré d'autonomie qui caractérise la politique intérieure a considérablement diminué, quel rôle jouent les politiques et les mécanismes de gouvernance nationaux — qui font toujours la manchette des journaux et des bulletins de nouvelles? Quelle empreinte une culture nationale distinctive peut-elle laisser sur la struc- ture des programmes publics? Ou, pour reformuler la question en termes plus familiers, « A quoi sert un pays? » Cet exposé met en lumière l'importance continue des choix politiques na- tionaux dans la conception de la politique sociale. Partout dans le monde, les pays ont dû s'ajuster à la nouvelle économie mondiale. Mais les structures 34 CLARKSON ET BANTING LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL politiques et culturelles propres aux différents pays continuent de façonner leur mode d'adaptation. Les contraintes internationales sont peut-être un peu plus lourdes que par le passé, et le coût du maintien d'un caractère distinctif, un peu plus élevé. Cependant, à l'époque moderne, les gouvernements disposent tou- jours d'une marge de manœuvre significative et les choix politiques ont encore de l'importance. Un message clair ressort de cette analyse pour notre pays. Au cours des décennies de l'après-guerre, le Canada a tissé une trame sociale distinctive dans la moitié supérieure du continent nord-américain. Et même si notre pays doit s'accommoder d'un ensemble de liens de plus en plus développés et profonds dans la nouvelle réalité économique nord-américaine, il y a peu d'indications que ces liens imposent forcément une convergence vers les normes sociales américaines. Nos deux pays se sont adaptés de façons distinctives à l'évolution du monde. Si, dans les décennies à venir, les Canadiens renonçaient aux aspira- tions sociales qui sont à l'origine du contrat social hérité de la génération de l'après-guerre, si les programmes sociaux évoluaient en se rapprochant de plus en plus de ceux que l'on trouve au sud de la frontière, cela serait le reflet de choix politiques et non la conséquence inexorable d'impératifs économiques. MONDIALISATION ET POLITIQUE SOCIALE : TENDANCE GÉNÉRALE LE RÉGIME DE POLITIQUES APPARU dans les démocraties avancées durant la période d'après-guerre peut être décrit en empruntant la terminologie du monde musical : une composition de politiques révélant un puissant thème commun et de riches variations nationales. Le thème central a consisté en un ensemble de politiques combinant une libéralisation du régime commercial in- ternational et une expansion des mesures de sécurité sociale — un ensemble que John Ruggie a appelé le « libéralisme enchâssé » (Ruggie, 1983; 1994). A la faveur de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et d'autres initiatives, un processus systématique de libéralisation économique a entraîné l'abolition de nombreux obstacles au commerce international et régimes de réglementation détaillée mis en place durant les années de la grande dépres- sion et de la guerre. Cependant, cette libéralisation s'est accompagnée de l'adoption de mesures de protection sociale qui assuraient une plus grande sé- curité à des groupes de citoyens et à l'ensemble des populations. Selon Ruggie, les gouvernements demandaient à la population d'accepter le changement et les bouleversements provoqués par la libéralisation en échange de la promesse d'aider à limiter et à socialiser les coûts d'adaptation. (1994, p. 4-5). Ainsi, l'Etat-providence d'après-guerre s'est développé parallèlement à la plus grande ouverture de l'économie internationale, en facilitant les processus d'ajustement concomitants. En ce sens, le contrat social a servi de pare-chocs contre le genre de réactions sociales et politiques qui avaient compromis les initiatives 35 CLARKSON ET BANTING d'ouverture durant la première moitié du vingtième siècle : le protectionnisme, le nationalisme et les conflits internationaux. Sous ce thème général du libéralisme enchâssé, les pays disposaient d'une autonomie considérable dans la conception de leur contrat social, selon les cultures et les intérêts politiques nationaux, et divers pays ont mis en place des systèmes de protection sociale passablement différents. Certains ont beaucoup investi dans ce domaine, élaborant des systèmes de sécurité détaillés; d'autres y ont consacré moins de ressources. En 1974, année qui représente probablement le point culminant de cette époque, la part du produit intérieur brut (PIB) re- présentée par les dépenses sociales dans les pays de l'Organisation de coopéra- tion et de développement économiques (OCDE) variait entre 8p. 100 au Japon et 27 p. 100 aux Pays-Bas. On observait des différences remarquables dans la conception des programmes — conditions d'admissibilité, couverture, niveaux de prestations, etc. Dans les années d'après-guerre, il n'y avait pas de modèle transnational unique de l'Etat-providence. Avance rapide sur la période contemporaine. Nous sommes manifeste- ment entrés dans une ère nouvelle de libéralisation économique et presque toutes les nations occidentales s'emploient à revoir leur régime de protection sociale. De ce processus émergent de nouveaux thèmes communs qui, globalement, représentent un effort en vue de réenchâsser une autre ronde de libéralisation économique, assortie d'un système de sécurité sociale adapté à une économie d'envergure mondiale axée sur le savoir. Ces thèmes communs sont, entre autres, l'importance de marchés du travail flexibles, le rôle central de l'investissement en capital humain, et la nécessité de réduire l'exclusion sociale. Ces thèmes sont au cœur des débats sur la politique sociale qui se déroulent dans presque tous les pays industriels avancés. Cependant, le besoin impérieux d'adapter la politique sociale à la nouvelle réalité économique ne constitue pas une preuve de l'érosion de l'autonomie des États. L'enjeu critique aux fins qui nous intéressent est de savoir s'il y a toujours place pour des variations nationales significatives autour des nouveaux thèmes communs. Les pays sont-ils libres de définir leur avenir social, ou l'intégration économique impose-t-elle une convergence vers un modèle transnational de politique sociale? Que signifie la notion de pays à l'heure de la mondialisation? En fait, il y a remarquablement peu d'indices d'une convergence générale des régimes de politique sociale. L'analyse des tendances de la fiscalité présen- tée par Nancy Olewiler et celle des impôts et des dépenses produite par Geoffrey Garrett n'ont fait ressortir aucune preuve d'une convergence significative parmi les pays de l'OCDE (Olewiler, 1999; Garrett, 1998). Ces observations ont été confirmées à plusieurs reprises et reflètent aujourd'hui un consensus dans les travaux de recherche publiés. (Pour un échantillon de textes tiré d'une docu- mentation beaucoup plus volumineuse, voir Iverson, 2001; Swank, 1998, 2002; Reiger et Leibfried, 1998). En guise de preuve supplémentaire, certains analystes 36 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL invoquent la durabilité des importants écarts observés dans la rémunération des travailleurs et les normes de travail entre les États américains, en dépit d'une monnaie commune et d'une mobilité sans restriction de la main-d'œuvre, du ca- pital, des biens et des services. Dani Rodrik a probablement raison lorsqu'il af- firme que même si les arbitrages auxquels font face les responsables des politiques sont devenus plus difficiles en raison de l'accroissement des flux d'échanges et de capitaux, il y a encore largement place pour que les Etats- nations maintiennent leurs propres modalités sociales sur le plan intérieur (1997, p. 13). Cette conclusion s'étend automatiquement à une seconde forme d'intégration économique — les blocs commerciaux régionaux. L'Union euro- péenne (UE) fournit un intéressant exemple de courants opposés. Durant la période d'après-guerre, certains pays européens ont mis en place des Etats- providence sensiblement différents, et chacune des trois manifestations du ca- pitalisme social de Esping-Andersen est profondément ancrée sur le continent (Esping-Andersen, 1990). De nos jours, toutefois, ces différences historiques sont confrontées à un projet d'intégration résolu. La détermination politique à mettre en place une union encore plus étroite et la décision d'adopter un ré- gime monétaire commun ont exercé des pressions sur les choix nationaux bien au-delà de ceux visés implicitement par la notion d'économie mondiale. Il en est résulté un profil de convergence des politiques sociales, exprimées en pro- portion du PIB, au cours des deux dernières décennies. Pourtant, derrière cette tendance, on constate que la réalité des solutions nationales distinctes est tou- jours présente. La convergence des dépenses sociales a été attribuée autant aux hausses considérables survenues dans les pays méridionaux, comme le Portugal, l'Espagne et la Grèce, qu'au ralentissement de la croissance des dépenses dans les pays du Nord. En outre, la conception des programmes sociaux révèle des variations nationales. En dépit de l'adoption par les États membres, au début des années 80, d'une résolution formelle en faveur d'une stratégie volontaire de convergence des politiques de protection sociale, une étude de la Commission européenne n'a pas réussi à déceler de profil cohérent de convergence : « II y a certes eu convergence des problèmes à résoudre, [... mais] il n'y a aucune preuve manifeste d'une convergence des systèmes de protection sociale au sein de la communauté dans les années 80 » (Commission des communautés euro- péennes, 1994, p. 9). L'UE tente encore une fois d'adopter une stratégie de promotion de la convergence, appelée «méthode de coordination ouverte », mais le processus est centré sur la fin, non sur les moyens, et il laisse toujours aux États membres le choix final en matière de politiques. Il semble y avoir peu de raisons de penser que les États-providence européens soient en voie de se fondre dans un modèle commun. 37 CLARKSON ET BANTING LE CANADA ET LES ETATS-UNIS QU'EN EST-IL DE LA SITUATION EN AMÉRIQUE DU NORD? D'un côté, l'ALENA ne donne pas lieu à une intégration économique aussi poussée que l'UE, et il n'y a pas de projet d'intégration politique supranationale à l'horizon. De l'autre, la nature fortement asymétrique de la relation et le niveau étonnamment élevé de dépendance commerciale du Canada envers l'économie américaine pourrait néanmoins engendrer des pressions réelles vers une convergence. Jusqu'à main- tenant, toutefois, l'expérience canadienne suit la tendance internationale. Il y a eu certains mouvements vers les normes américaines; l'assurance-emploi et les prestations pour enfants en sont les exemples les plus remarquables. Mais le tableau général montre une persistance des différences traditionnelles dans le cheminement social des deux pays (Banting, 1996, 1997; Hoberg, Banting et Simeon, 2002; Boychuk, 1997; Boychuk et Banting, 2003). Dans des domaines comme les soins de santé et les pensions, les écarts historiques ont persisté ou même augmenté, et le Canada a maintenu un régime distinct de mesures sociales. Alors que les États-Unis font voir une hausse significative de l'inégalité au cours des vingt dernières années, et plus particulièrement dans les années 80, la tendance a été beaucoup plus modérée au Canada. Cependant, pouvons-nous maintenir ce modèle pour l'avenir? Afin de voir si nous pouvons continuer à suivre une voie différente, il est utile de se deman- der quels instruments ont joué le plus grand rôle en vue de préserver un modèle canadien distinctif jusqu'à maintenant. Le niveau global des dépenses sociales est-il en cause? Ou la conception des programmes sociaux? Ou, encore, les mo- dalités fiscales? Lorsque nous aurons identifié les instruments clés, nous pour- rons nous demander s'ils risquent de subir les conséquences de contraintes plus rigoureuses dans l'avenir, à mesure que se manifesteront les effets à long terme de l'intégration de l'économie nord-américaine. La différence entre le Canada et les Etats-Unis ne porte pas principale- ment sur le niveau des dépenses sociales. Comme l'indique la figure 1, les dé- penses sociales totales des deux pays sont beaucoup plus près que la plupart des Canadiens ne le pensent. Un examen des données à la mi-1995, présen- té au tableau 1, montre que l'écart des dépenses publiques brutes diminue considérablement lorsqu'on tient compte des différences de traitement fiscal des prestations sociales. Il est difficile de croire que les résultats différents ob- servés sur le plan social dans les deux pays reposent principalement sur des écarts aussi faibles dans les niveaux de dépenses. (Il est utile d'attirer l'attention sur la dernière colonne du tableau 1, qui montre que lorsque lés dépenses privées vi- sant à répondre à des besoins sociaux — en santé et en éducation par exemple — sont ajoutées au total, les Américains dépensent plus que les Canadiens.) 38 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL FIGURE 1 DÉPENSES SOCIALES PUBLIQUES AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS, 1980-1999 (EN POURCENTAGE DU PIB) Source : OCDE, ensemble de données sur les dépenses sociales. TABLEAU 1 DÉPENSES SOCIALES AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS, 1995 (EN POURCENTAGE DU PIB) Note : Ces chiffres diffèrent de ceux publiés par l'OCDE parce qu'ils sont rajustés pour exclure la valeur des pensions des employés du secteur public aux États-Unis et inclure les dépenses consacrées à l'éducation publique, et qu'ils sont fondés sur le PIB aux prix du marché plutôt que sur le PIB au coût des facteurs. Sources : OCDE et données de Développement des ressources humaines Canada et de la Social Security Administration des États-Unis. Calculs fournis par Statistique Canada. Si combien nous dépensons ne nous fournit pas une réponse complète, celle-ci réside peut-être dans la façon dont nous dépensons ces fonds. Nous avons peut-être là une partie de la réponse, comme en témoignent nos deux plus importants programmes sociaux — les soins de santé et les pensions. Les figures 2 et 3 confirment qu'en pourcentage du PIB, les dépenses consacrées à ces programmes sont inférieures au Canada, mais les résultats sur le plan social y sont supérieurs. Manifestement, la conception des programmes revêt beau- coup d'importance. 39 DÉPENSES PUBLIQUES BRUTES Canada États-Unis 24,6 19,1 DÉPENSES PUBLIQUES APRÈS IMPÔTS 22,1 19,5 DÉPENSES PUBLIQUES ET PRIVÉES APRÈS IMPÔTS 25,0 26,0 6 0 CLARKSON ET BANTING FIGURE 2 DÉPENSES DE SANTÉ ET RÉSULTATS SUR LE PLAN DE LA SANTÉ, CANADA ET ÉTATS-UNIS, 1960-2000 Sources : Volet de gauche : OCDE, Ensemble de données sur les dépenses sociales. Volet de droite : OCDE, Données sur la santé, 2004- FIGURE 3 DÉPENSES AU CHAPITRE DES PENSIONS ET RÉSULTATS, CANADA ET ÉTATS-UNIS Note : La pauvreté est définie comme étant 50 p. 100 du revenu médian disponible. Sources : Volet de gauche : OCDE, Ensemble de données sur les dépenses sociales. Volet de droite : Étude sur le revenu du Luxembourg. 40 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL Qu'en est-il de la situation en général? La figure 4 confirme que le sys- tème d'impôts et de transferts continue d'atténuer l'inégalité des revenus gagnés dans une proportion beaucoup plus grande au Canada qu'aux Etats- Unis. Et, comme l'illustre clairement la figure 5, la plus grande partie de l'effort de redistribution au Canada se situe du côté des dépenses. L'écart entre le niveau d'inégalité du revenu gagné sur le marché et du niveau d'inégalité du revenu total (qui tient compte de l'effet des transferts gouvernementaux) est beaucoup plus grand que l'écart entre le revenu total et le revenu après impôts (qui tient compte à la fois des transferts et des impôts). Le système fiscal joue un rôle es- sentiel en produisant les ressources nécessaires pour soutenir le volet dépenses, et les impôts directs jouent un rôle redistributif, quoique secondaire. Qu'est-ce que cela signifie pour l'avenir? Du côté des dépenses, on peut affirmer que la conception a de l'importance et que la conception des pro- grammes sociaux n'est pas particulièrement vulnérable aux contraintes impo- sées par l'intégration économique. Il semble n'y avoir que peu de raisons de penser que nous perdrons notre marge de manœuvre sur ce plan. Bien entendu, le débat est plus animé du côté des recettes, certains analystes insistant sur le fait que la concurrence économique à l'échelle mondiale requiert un abaisse- ment des taux d'imposition du revenu. Je suis convaincu que cet argument est sans fondement. Cependant, même s'il s'avérait exact, nous pourrions préserver notre contrat social en modifiant la composition des impôts. Le Canada a tradi- tionnellement moins eu recours aux impôts de sécurité sociale que d'autres pays, dont les États-Unis, ce qui l'a privé de la durabilité politique plus grande de cette forme de fiscalité spécifique. Les ambitieux systèmes de sécurité sociale créés par les régimes sociaux-démocrates en Europe du Nord font beaucoup plus appel à ce type d'impôts; au Royaume-Uni, le chancelier Gordon Brown compte sur une hausse des primes d'assurance nationale pour financer la pro- messe de relever les dépenses sociales dans ce pays à la moyenne européenne. Les données canadiennes pointent dans la même direction. L'absence de résis- tance publique, année après année, à l'augmentation des taux de cotisation au Régime de pensions du Canada est révélatrice; en outre, l'Alberta et l'Ontario ont récemment adopté des formules de primes pour les soins de santé. Évi- demment, il y a eu une réaction négative de la part du public ontarien, mais cela semble imputable au fait que le gouvernement provincial a renié sa pro- messe électorale de ne pas hausser les impôts. Un recours accru aux impôts de sécurité sociale pourrait rendre notre système fiscal légèrement moins progressif, selon la structure de ces impôts. Le cas échéant, nous pourrions poursuivre nos objectifs de redistribution en faisant intervenir davantage le côté des dé- penses. En définitive, c'est la dernière ligne de la figure 5, et non la ligne mé- diane, qui compte. 41 CLARKSON ET BANTING FIGURE 4 CHANGEMENT DANS L'EFFET REDISTRIBUTIF DES IMPÔTS ET DES TRANSFERTS, CANADA ET ÉTATS-UNIS, 1974-1995 Note : Les chiffres représentent le changement en pourcentage des coefficients de Gini entre 1974 et 1995. Source : Calculs de Statistique Canada. FIGURE 5 INÉGALITÉ DU REVENU AU CANADA, ENSEMBLE DES FAMILLES, 1971-2000 Source : Statistique Canada, Tendances du revenu au Canada, sur CD-ROM. 42 LIENS NORD-AMÉRICAINS : ENJEUX SOCIAUX ET ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL Quelles sont les conséquences de cette analyse pour l'avenir de nos pro- grammes sociaux? Le message clé qui en ressort est que notre avenir social de- meure toujours entre nos mains. Nos politiques intérieures ont toujours de l'importance pour ce qui est de déterminer notre mode de fonctionnement et d'adaptation à l'ère de la mondialisation. Cela ne signifie pas que les Canadiens feront automatiquement les mêmes choix que par le passé. La confiance dans l'efficacité des programmes gouvernementaux et dans la capacité des pouvoirs publics de gérer les ressources collectives avec probité a été mise à rude épreuve ces dernières années. L'électorat pourrait choisir de prendre une nouvelle voie, en accordant la priorité aux réductions d'impôt au détriment des programmes sociaux. Mais si les Canadiens optaient pour un contrat social moins généreux, s'ils adoptaient progressivement une conception américaine des obligations qu'ils ont les uns envers les autres, cela constituerait un choix politique et non un impératif économique. Pour ma part, j'espère que les Canadiens continue- ront d'exprimer leurs traditions culturelles distinctives par le truchement de leurs programmes sociaux. Après tout, à quoi sert un pays? NOTE 1 Ce texte représente une version mise à jour de l'exposé que j'ai présenté à la conférence sur les Liens nord-américains - Aspects sociaux et aspects relatifs au marché du travail. Une version révisée a par la suite été intégrée à la Donald Gow Mémorial Lecture, que j'ai prononcée le 25 avril 2003 à la School of Policy Studies de l'Université Queen's. BIBLIOGRAPHIE Banting, Keith. « Social Policy », dans Border Crossings: The Intemationalization of Canaàian Public Policy, publié sous la direction de G. 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Helliivell Université de la Colombie-Britannique L'effet frontière : évaluer ses conséquences pour la politique canadienne dans le contexte nord-américain INTRODUCTION L A PRÉSENTE ÉTUDE RÉSUME LES DONNÉES DISPONIBLES sur la mesure dans laquelle l'éloignement et les frontières nationales réduisent l'intensité de divers liens économiques et sociaux. Elle examine ensuite une série d'explications possibles de l'effet frontière actuel et, enfin, elle envisage ses conséquences pour la politique canadienne dans le contexte nord-américain. Bien qu'il subsiste une incertitude considérable, et même une certaine contro- verse, au sujet des valeurs passées, présentes et futures de l'effet frontière, sa prévalence a incité les analystes à examiner les causes de ce phénomène et les décideurs, à comprendre sa signification sur le plan des politiques. Dans une large mesure, la réponse à l'interrogation des décideurs dépend des réponses à l'énigme qui se pose aux analystes. À titre d'exemple, si les barrières commer- ciales ou les autres obstacles sur le plan des politiques sont à l'origine de l'effet frontière et si une expansion supplémentaire des échanges commerciaux peut engendrer des gains substantiels, alors un effet frontière important signifie qu'il reste beaucoup à faire pour réaliser le projet de libre-échange nord-américain. Par contre, si les structures étonnamment locales et nationales des économies et des sociétés sont le reflet du coût moins élevé de traiter avec des interlocu- teurs rapprochés et traduisent une communauté d'institutions, de goûts, de valeurs, de normes et de réseaux, alors l'effet frontière pourrait représenter une situation optimale. Le cas échéant, on ne pourrait alors supposer qu'une intégra- tion économique plus étroite entre le Canada et les États-Unis entraînerait des avantages économiques nets pour l'un ou l'autre pays. 47 I HELLIWELL Une question de politique qui requiert une attention particulière est celle des avantages et des inconvénients de l'existence d'une monnaie nationale dis- tincte. Puisque les frontières monétaires et les frontières politiques coïncident généralement dans les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à l'exception notable et récente de la zone euro, une partie de l'effet frontière actuel est probablement attribuable à la présence de monnaies différentes. L'utilisation d'une monnaie nationale dis- tincte n'est pas une barrière commerciale au sens habituel et elle pourrait même permettre à un pays d'avoir une politique commerciale plus ouverte qu'il n'en serait autrement; mais si les différences monétaires occupent une place importante dans l'explication de l'effet frontière et si l'effet frontière est une mauvaise chose, alors l'adoption par le Canada de la devise américaine pourrait être envisagée comme une autre façon d'accroître les échanges commerciaux, du moins entre le Canada et les États-Unis. Le débat sur cette question est examiné dans une étude connexe (Helliwell, 2002e). L'analyse présentée dans cette étude sera intégrée à d'autres produites pour la conférence en tentant de voir dans quelle mesure il existe des arbitrages sur le plan du bien-être entre les gains économiques découlant d'une plus grande intégration des économies nord-américaines et diverses autres situations individuelles et collectives. Ces études cherchent à préciser dans quelle mesure une intégration économique accrue pourrait mener à un plus grand parallélisme au niveau d'autres politiques et institutions. L'analyse de bien-être préliminaire exposée dans cette étude peut ainsi servir à évaluer, au moins de façon indica- tive, les changements globaux nets sur le plan du bien-être au Canada qui dé- couleront vraisemblablement des politiques destinées à renforcer l'intégration nord-américaine. Les deuxième et troisième sections, intitulées Les frontières ont de l'importance, pour le commerce et bien d'autres choses et Pourquoi les frontières ont-elles de l'importance?, sont essentiellement tirées de Helliwell (2002e), tandis que les quatrième et cinquième sections, intitulées Gravité et gravitas : une solution à l'énigme de la frontière? et Mise à jour des résultats et conséquences sur le plan des politiques, décrivent des recherches plus récentes; enfin, la dernière section, intitulée Conséquences sur le plan des politiques pour le Canada, énonce certaines des conséquences qui en découlent au niveau des politiques. LES FRONTIÈRES ONT DE L'IMPORTANCE, POUR LE COMMERCE ET BIEN D'AUTRES CHOSES J E NE SUIS PAS LE SEUL À AVOIR ÉTÉ SURPRIS par le résultat de McCallum mon- trant que le commerce des marchandises entre les provinces en 1988 avait une intensité plus de vingt fois supérieure à celle du commerce entre les pro- vinces canadiennes et les États américains. À la lumière de certaines critiques 48 L'EFFET FRONTIERE : EVALUER SES CONSEQUENCES récentes sur la façon dont McCallum a estimé le modèle de gravité qui sous- tend ce résultat, il faut souligner au départ que les données brutes utilisées pour les comparaisons du commerce entre paires de provinces et paires d'États amé- ricains séparées par des distances similaires font ressortir un résultat compara- ble. À titre d'exemple, l'Ontario est située à peu près à la même distance de la Californie et de la Colombie-Britannique, mais la population de la Californie et son produit intérieur brut (PIB) sont environ dix fois plus élevés que ceux de la Colombie-Britannique. S'il n'y avait pas de différences systématiques entre le commerce interprovincial et le commerce province-État, on devrait donc s'attendre à ce que les mouvements bidirectionnels de biens entre l'Ontario et la Californie soient dix fois plus importants que les mouvements correspon- dants entre l'Ontario et la Colombie-Britannique. Mais les flux réels de mar- chandises entre la Colombie-Britannique et l'Ontario sont plus de deux fois supérieurs à ceux observés entre la Californie et l'Ontario, c'est-à-dire vingt fois plus élevés que prévu. Bien entendu, le résultat de McCallum s'appliquait à 1988, l'année qui a précédé la signature de l'Accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et les États-Unis. Dans la foulée de cet accord, il y a eu une forte augmentation des flux de commerce de marchandises nord-sud. Ceux-ci ont été suffisants pour réduire l'effet frontière de 14,7 en 1991 à 10,2 en 1996 (Helliwell et Verdier, 2001, p. 1037). À vrai dire, ces augmentations ont été si importantes et les gains de productivité connexes si modestes, que cela consti- tue en soi une énigme. Selon les modèles économiques prédisant les répercus- sions futures de l'ALE, les exportations canadiennes aux États-Unis devaient augmenter d'un tiers et les importations de 12p. 100, les revenus demeurant inchangés dans les deux cas. Les gains de productivité connexes au Canada devaient atteindre 8p. 100 du PIB par habitant. Mais l'augmentation observée du commerce, même après rajustement pour tenir compte des effets de la crois- sance des revenus dans les deux pays, a été plus de trois fois supérieure à celle anticipée (Helliwell, Lee et Messinger, 1999), tandis que le PIB par habitant a augmenté plus rapidement au Canada qu'aux États-Unis, sans indice d'un ré- trécissement de l'écart de productivité. Dans une certaine mesure, l'évolution de la productivité correspond à ce que l'on attendait, les industries faisant face à une plus forte intensification de la concurrence internationale et ayant de meilleures perspectives de marché enregistrant les gains de productivité les plus élevés (Trefler, 1999). Cependant, on n'a pas encore réussi à expliquer pour- quoi l'augmentation des échanges commerciaux a été plus forte que prévu en fonction de la taille des réductions tarifaires, avec peu ou pas d'indice d'une baisse de l'écart persistant de productivité manufacturière entre les deux pays. Je reviendrai sur cette énigme plus loin. Mais d'abord, voici une synthèse des données les plus récentes sur l'étendue et les conséquences de l'effet frontière. Le résultat obtenu par McCallum incite fortement à penser que les éco- nomies nationales ont une structure interne beaucoup plus élaborée qu'on ne 49 HELLIWELL l'avait pensé jusque-là et que la progression de la mondialisation est par consé- quent beaucoup moins forte qu'on ne le suppose généralement. Premièrement, il fallait vérifier si ce résultat s'applique plus généralement à d'autres endroits, à d'autres époques et à d'autres marchés. Cela semble être une stratégie de re- cherche assez simple, mais elle ne s'avère pas aussi facile à appliquer pour des raisons qui pourraient aussi contribuer à expliquer pourquoi les perceptions ont été si éloignées de la réalité mise au jour par McCallum. Ce n'est pas par hasard que les travaux de McCallum portaient sur l'année 1988 et uniquement sur cette année-là. Statistique Canada avait produit des estimations complètes des échanges bilatéraux de marchandises pour les années 1984 à 1988, sur la base d'enquêtes menées auprès des manufacturiers, dans le cadre des efforts visant à estimer de façon cohérente les comptes provinciaux et nationaux. Jusqu'à maintenant, aucun autre pays n'a élaboré de mesures aussi complètes de son commerce interne. Deuxièmement, en prévision de l'intérêt que susciterait après l'ALE un examen plus détaillé des flux de commerce entre le Canada et les États-Unis, Statistique Canada a commencé à publier, à compter de 1988, des données sur les importations et les exportations bilatérales de marchandises entre les provinces canadiennes et les États américains. McCallum a réalisé que ces deux sources de données pourraient être com- binées de manière à obtenir, pour la première fois, une comparaison directe des intensités commerciales nationales et internationales. Il a aussi senti la nécessi- té de faire des comparaisons qui permettent de mesurer l'intensité du com- merce séparément des effets de la taille et de la distance. En choisissant de comparer des paires de marchés situées à égale distance, comme en comparant le commerce entre l'Ontario et la Californie au commerce entre l'Ontario et la Colombie-Britannique, il est possible de tenir compte de l'éloignement. Mais le modèle de gravité représente un meilleur choix parce qu'il permet d'utiliser simultanément toutes les paires de marchés pour obtenir une moyenne de la taille de l'effet frontière. C'est donc le modèle de gravité que McCallum a em- ployé pour obtenir son étonnant résultat, en s'appuyant sur un nombre suffisant d'exemples particuliers pour convaincre les lecteurs que le résultat statistique ne provient pas d'observations extrêmes et non représentatives. Une difficulté que l'on rencontre généralement en tentant de départager les effets de l'éloignement de ceux des frontières est que, presque par définition, les frontières d'un pays englobent des villes ou des économies provinciales qui sont situées plus près l'une de l'autre qu'elles ne le sont des villes ou des pro- vinces d'un autre pays. Cependant, la géographie économique et politique par- ticulière du Canada et des États-Unis — la plus grande partie de la population canadienne vit le long de la frontière nord des États-Unis et la frontière elle- même plonge vers le sud jusqu'au cœur des États-Unis — signifie que la distance bilatérale moyenne entre les provinces canadiennes est presque exactement iden- tique à la distance moyenne entre les provinces canadiennes et les trente plus 50 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES importants États commerçants utilisés dans l'analyse de McCallum. En outre, chaque province canadienne a, parmi les provinces et les États, des partenaires commerciaux qui sont près et d'autres qui sont éloignés, de sorte qu'il n'y a pas de corrélation entre la variable représentant la frontière (qui sert à désigner les paires de commerce province-État) et la variable représentant la distance. Ainsi, McCallum a pu obtenir des effets puissants et facilement identifiables tant pour la distance que pour la frontière nationale. La taille de l'effet frontière qu'il a découvert a beaucoup attiré l'attention. Ce qui est tout aussi important, et plus facile à répéter dans d'autres études sur le commerce international, est l'importance de l'effet associé à la distance. Les frontières nationales réduisent considérablement l'intensité commerciale, mais on peut dire la même chose de l'éloignement, et cela dans une mesure beaucoup plus grande que ne pourraient l'expliquer les coûts de transport. Je ferai valoir plus loin que ces deux résultats peuvent, et devraient, s'expliquer de façons similaires. La nature singulière des données canadiennes fait surgir une difficulté fondamentale au moment de répéter l'étude de McCallum pour d'autres pays, d'autres types de liens économiques ou des décennies antérieures. Cela aide aussi à expliquer pourquoi tout le monde a été surpris par le résultat de McCallum. Même si les chercheurs qui l'ont précédé avaient voulu comparer les liens économiques intranationaux et internationaux, ils ne disposaient pas de données pour produire facilement des résultats clairs. En l'absence de don- nées, les chercheurs et les commentateurs étaient portés à supposer, devant l'attention accordée à la mondialisation et les multiples rapports sur le volume élevé et croissant du commerce international, que les liens économiques natio- naux et internationaux avaient une importance comparable. Après avoir établi que mon postulat antérieur était erroné, une stratégie de recherche à plusieurs volets s'imposait : examiner les résultats sur le com- merce de marchandises province-État afin d'en déterminer la concentration par produit et par région, faire des estimations comparables pour les services, retracer l'évolution de l'effet frontière dans la foulée de l'ALE, élaborer des méthodes afin d'obtenir des estimations comparables pour d'autres pays et, enfin, voir dans quelle mesure l'effet frontière est comparable pour les mouvements de capitaux et de population. Simultanément, un examen détaillé de la documen- tation sur le commerce et les liens internationaux pouvait se révéler utile pour repérer les études antérieures renfermant des preuves directes ou implicites de l'effet frontière. Une étude très comparable est celle de Engel et Rogers (1996); ces au- teurs ont examiné la covariabilité des prix entre des paires de villes pour un grand nombre de villes canadiennes et américaines. Ils ont montré que les prix changeaient de façon plus concertée si les villes étaient rapprochées ou si elles se trouvaient dans le même pays. Bien entendu, c'est exactement ce à quoi on devrait s'attendre à la lumière du résultat obtenu par McCallum, puisque l'une 5] HELLIWELL des motivations classiques du commerce est l'arbitrage des écarts de prix entre des marchés situés à des endroits différents. Acheter des bananes là où elles coûtent peu et les revendre là où elles commandent un prix élevé. S'il y a un volume plus important de ce genre de commerce, on devrait alors s'attendre à observer que les prix évoluent de façon plus synchronisée sur les deux marchés. Puisque le commerce entre les provinces est beaucoup plus dense que le com- merce entre provinces et États, on devrait aussi s'attendre à ce que les prix soient plus étroitement alignés pour les paires de villes situées dans le même pays. C'est ce que les auteurs ont constaté, en signalant que la frontière canado- américaine avait une largeur équivalente à 2 500 milles, au sens où elle abais- sait la covariabilité des prix autant qu'une distance de 2 500 milles à l'intérieur du pays. Cette estimation est fondée sur leur estimation plus modérée de l'effet attribuable à la frontière. Des travaux subséquents ont montré que l'effet de la frontière sur la covariabilité des prix est beaucoup plus grand que ce qu'ils avaient calculé. Sur ce point, il importe manifestement de vérifier si l'effet de la distance sur les flux commerciaux est le même pour les liens transfrontières et les liens internes. C'est ce que j'ai fait pour les flux commerciaux province-État et les flux commerciaux entre provinces, en constatant que l'effet de la distance était le même dans les deux cas. Cependant, lorsque j'ai estimé à nouveau l'équation de Engel et Rogers, j'ai observé que l'effet de la distance était important pour des paires de villes d'un même pays, mais qu'il n'y avait aucun effet pour des paires de villes situées de part et d'autre de la frontière. Puisque la largeur de la frontière est calculée à partir des tailles relatives de l'effet frontière et de l'effet attribuable à la distance, cela signifie que la largeur implicite de la frontière est infime. En outre, j'ai découvert (Helliwell, 2002a) que même en utilisant leur estimation de l'effet de la distance comme si elle s'appliquait également à des paires de villes transfrontières, la méthode de calcul ne convient pas. En utili- sant la bonne méthode, l'estimation de la largeur de la frontière augmente pour atteindre des distances qualifiées d'intergalactiques dans des études parallèles. En utilisant la bonne méthode pour calculer la distance équivalente à l'effet frontière, la largeur estimative de la frontière canado-américaine est d'environ 10 000 milles pour les flux de commerce de marchandises, mais elle atteint plusieurs millions de milles, voire l'infini, sur la base de la covariabilité des prix entre paires de villes (Helliwell, 2002a). Ainsi, l'étude de Engel et Rogers confirme de façon manifeste les résultats basés sur les données du com- merce. En fait, leurs résultats semblent encore plus extrêmes lorsque les deux séries de résultats sont exprimées en termes relativement comparables. Le contraste entre les résultats fondés sur les données du commerce et les résultats fondés sur les prix est encore plus frappant lorsque l'on compare les densités du commerce province-État à celles du commerce entre États plutôt qu'à celles du commerce interprovincial, pour des raisons qui seront explorées plus en détail 52 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES dans les quatrième et cinquième sections. Qu'est-ce qui explique la différence marquée entre ces résultats? Trois raisons expliquent pourquoi l'arbitrage transfrontière des prix est si limité dans les données employées par Engel et Rogers. La première et plus im- portante est que, à court terme, la plupart des prix à la consommation sont assez stables, tandis que les taux de change ne le sont pas. Ainsi, la principale source d'écart transfrontière dans les variations de prix sur deux mois (celles étudiées par Engel et Rogers) est, de loin, constituée des variations de taux de change. La seconde raison est que les auteurs utilisent les variations de prix sur deux mois, ce qui est probablement trop court pour provoquer un changement per- ceptible dans les expéditions transfrontières. Enfin, pour leur comparaison, Engel et Rogers utilisent des composantes de l'indice des prix à la consommation qui englobent des biens et des services qui, dans les deux cas, comprennent les marges des détaillants. À l'opposé, les résultats obtenus à partir des données sur le commerce portent uniquement sur les biens et excluent les marges des dé- taillants locaux. D'autres études ont montré que l'effet frontière était sensible- ment plus élevé pour les services que pour les biens — dans certains cas, deux à trois fois plus élevé (Helliwell, 1998, p. 38) — et que les marges des détaillants locaux avaient un coefficient de commercialisation inférieur à celui de la plu- part des autres services. Ces trois raisons combinées fournissent une solide base pour expliquer presque entièrement l'absence d'arbitrage transfrontière des va- riations des prix à la consommation à court terme. La plus grande partie de la variabilité provient du taux de change. Quoi qu'il en soit, si cette variabilité donnait lieu à un arbitrage, ce serait par des moyens moins coûteux que, par exemple, changer de ville pour se faire couper les cheveux chaque mois ou acheter des bananes à Toronto pour les consommer à Seattle. En situant l'étude de Engel et Rogers dans un contexte plus large, notons que de nombreuses études ont tenté de déterminer si et quand les prix et les taux de change évoluaient de manière à maintenir la parité des pouvoirs d'achat. Tel qu'indiqué précédemment, les modèles économiques traditionnels du commerce ont longtemps reposé sur l'hypothèse que la parité des pouvoirs d'achat serait maintenue pour les biens dits commercialisables, reflétant la loi du prix unique. Dans ce contexte, tout écart international des prix s'expliquerait par des écarts dans les prix des biens non commercialisables, les services à coeffi- cient élevé de main-d'œuvre constituant à cet égard un bon exemple. Les études sur la parité des pouvoirs d'achat, notamment celles effectuées depuis que s'est amorcé le mouvement généralisé vers des taux de change flexibles au début des années 70, ont montré que la réalité ne cadrait pas avec l'hypothèse classique. Trois résultats se sont avérés d'application générale. Premièrement, les taux de change sont sujets à des variations à court terme qui ne se traduisent pas im- médiatement dans les prix des biens et des services de part et d'autre de la fron- tière. Ainsi, comme l'ont constaté Engel et Rogers, les variations à court terme 53 HELLIWELL des taux de change nominaux se traduisent par des écarts correspondants par rapport à la parité des pouvoirs d'achat. Exprimés en termes un peu différents, les changements observés dans les taux de change nominaux donnent généra- lement lieu, à court terme, à des changements équivalents dans les taux de change réels. Deuxièmement, s'il y a mouvement des prix ou des taux de change vers la parité des pouvoirs d'achat, cela se produit lentement, l'ajustement se déroulant sur une période mesurée davantage en années qu'en mois. Troisièmement, les écarts de parité de pouvoir d'achat s'observent autant pour les biens que pour les services, ce qui écarte la possibilité que l'absence de parité des pouvoirs d'achat s'explique par la simple présence de biens et de ser- vices non commercialisables. Ces résultats se sont accumulés pendant de nom- breuses années. L'étude de Engel et Rogers a été la première à les contraster avec les mouvements de prix sur le marché national, révélant ainsi la mesure dans laquelle les liens sur les marchés internationaux ne sont pas aussi robustes que les liens sur le marché intérieur. Un autre courant de la documentation empirique sur le commerce est plus facile à comprendre lorsqu'il y a un important effet frontière lié au commerce. Les expériences faites avec le modèle économique standard du commerce in- ternational — le modèle dit de Heckscher-Ohlin — ont systématiquement échoué dans leur tentative d'observer des profils de commerce international révélant des avantages comparés. Cependant, des vérifications plus récentes des prédictions de ce modèle à l'aide de données sur les flux commerciaux ré- gionaux au Japon montrent que les régions de ce pays se spécialisent dans les industries où la théorie suggère qu'elles possèdent un avantage comparé (Davis, Weinstein, Bradford et Shimpo, 1997). Cela a semblé poser une énigme : pour- quoi les modèles du commerce international qui n'ont pu prédire les profils d'échange réussissent-ils néanmoins à expliquer les profils de spécialisation de la production au sein d'une économie? La raison, que l'on peut déduire de la taille et de la nature généralisée de l'effet frontière, est que les hypothèses rela- tives à la mobilité qui sous-tendent la théorie classique du commerce s'appliquent raisonnablement bien au sein de l'économie japonaise, mais qu'elles sont loin de se vérifier pour les échanges entre pays. La seule chose qui cloche dans la théorie du commerce international traditionnel est peut-être le terme international. Cette théorie parvient à expliquer le commerce intérieur, mais elle n'arrive pas à expliquer le commerce international parce qu'elle ne tient pas compte de toute une variété de facteurs qui séparent les marchés, en particulier les marchés nationaux : l'information coûteuse, les connaissances et les goûts différents, les coûts de transaction qui augmentent sensiblement avec l'éloignement ou lorsque l'on tente de faire des affaires dans une société ayant des normes et des institutions différentes. Étant donné que de nombreux ré- seaux et institutions ont une portée nationale, ce raisonnement incite à penser 54 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES que la séparation des marchés augmentera avec l'éloignement et le déplace- ment d'un marché national vers un autre. L'effet frontière touche-t-il aussi les marchés de capitaux? La réponse est complexe et les données semblent souvent montrer une chose alors qu'en réali- té elles indiquent autre chose. Dans les écrits économiques, on a tendance à accepter l'hypothèse d'un marché des capitaux unique à l'échelle mondiale pour les titres portant intérêt et de risque équivalent, de sorte que les écarts internationaux de taux d'intérêt représenteraient une prime de risque ou une variation attendue du taux de change. Cette forme relativement poussée d'intégration du marché des capitaux est appelée « parité des intérêts sans cou- verture », par opposition à la « parité des intérêts avec couverture ». La parité des intérêts avec couverture correspond à une situation où les écarts interna- tionaux dans les taux d'intérêt nominaux sont exactement compensés par une prime ou un escompte sur le marché à terme du change étranger. On peut véri- fier s'il y a ou non parité des intérêts avec couverture puisqu'il est souvent pos- sible d'obtenir les prix du marché des titres portant intérêt et des contrats à terme de devises permettant de compenser exactement le risque de change. Les recherches passées ont montré que même si la condition de la parité des inté- rêts avec couverture n'est pas strictement respectée, elle a tendance à se véri- fier, sauf lors de turbulences du marché, dans des limites pouvant être raisonnablement imputées aux coûts de transaction. La condition de la parité des intérêts sans couverture ne peut se vérifier directement, parce qu'elle sup- pose uniquement que l'écart de taux d'intérêt est égal à la variation attendue du taux de change étranger plus une certaine marge pour le coût lié au fait d'assumer le risque de change. Étant donné que ni le taux de change attendu ni la prime de risque ne peuvent être directement mesurés, la théorie elle-même n'est pas directement vérifiable. Devant les preuves à l'appui de la condition de la parité des intérêts avec couverture, les économistes ont depuis longtemps supposé que les conditions de parité des taux d'intérêt, avec et sans couverture, étaient respectées. Cela signi- fie que les marchés de capitaux sont parfaitement liés au niveau international et que l'écart entre les taux de change à terme représente le taux de variation attendu du taux de change. Toute différence entre l'écart de taux de change à terme et le prix futur réel du change étranger représente une mesure du risque de change, plus évidemment les effets aléatoires qui interviennent dans l'intervalle. Le grain de sable empirique dans cet engrenage théorique est que l'écart entre les taux de change à terme est habituellement un très mauvais prédicteur de la variation future du taux de change. En fait, le taux de change à terme est un si mauvais prédicteur du taux futur du marché qu'il est déclassé dans ce jeu de hasard par la valeur actuelle du taux de change. Ainsi, l'hypothèse selon laquelle le taux de change dans un an sera identique à celui d'aujourd'hui est plus précise que celle voulant qu'il corresponde au taux de 55 HELLIWELL change à terme. Devant ce constat de longue date, je crois qu'il est erroné de supposer que la condition de la parité des intérêts sans couverture se vérifie. J'ai généralement fait valoir que l'écart de taux de change à terme est en réalité déterminé par la différence entre les deux taux d'intérêt nationaux, de sorte que la condition de la parité des intérêts avec couverture a tendance à se véri- fier assez fidèlement. Mais le fait que l'écart de taux de change à terme soit un aussi mauvais prédicteur du taux du marché futur montre que la condition de la parité des intérêts sans couverture est une hypothèse risquée. Après tout, si les marchés internationaux de capitaux étaient parfaitement liés, il devrait y avoir de nombreux spéculateurs prêts à spéculer contre le taux de change à terme lorsqu'il affiche un écart important, ce qui en ferait un meilleur prédic- teur du taux du marché futur. Mais il n'est pas facile non plus de vérifier cette hypothèse et, pour l'essentiel, les travaux publiés sur les taux de change conti- nuent de traiter les marchés internationaux de capitaux comme étant parfaite- ment intégrés, à tout le moins pour les capitaux financiers de court terme. Puisque l'on a généralement supposé que les marchés internationaux de capitaux étaient étroitement liés, un scepticisme considérable a accueilli la proposition de Feldstein et Horioka (1980) selon laquelle les marchés de capi- taux avaient encore une dimension nationale plutôt qu'internationale. Les au- teurs ont basé leur conclusion sur une étude des corrélations entre les taux d'épargne nationaux et les taux d'investissement intérieurs pour un échantillon de pays. Ils ont fait le raisonnement que s'il y avait un seul marché mondial des capitaux, l'épargne accumulée de façon aléatoire dans un pays aurait autant de chance d'être investie dans un autre pays et les épisodes d'investissement in- tense dans un pays seraient financées à même le bassin mondial d'épargnes, de sorte qu'il n'y aurait aucune raison pour que les pays qui affichent un taux d'épargne élevé aient aussi un taux d'investissement élevé. Les sceptiques n'ont pas tardé à souligner que les périodes de forte activité d'investissement sur un marché national peuvent susciter une augmentation du revenu national et, ce faisant, une hausse simultanée de l'épargne nationale même si les marchés de capitaux étaient parfaitement liés au niveau international. J'ai moi-même été enclin à adopter ce point de vue puisque j'appliquais alors un modèle empirique d'une macroéconomie ouverte qui avait précisément ces caractéristiques : de fortes périodes d'investissement entraînant des augmentations du revenu et de l'épargne nationale même si le fonctionnement du modèle reposait sur l'hypothèse de la parité des intérêts sans couverture et, partant, d'un lien par- fait des marchés de capitaux à l'échelle internationale. Heureusement, les efforts de Statistique Canada qui ont produit les don- nées sur le commerce interprovincial ont aussi produit des comptes provinciaux qui permettent de définir l'épargne et l'investissement sur une base provinciale, à l'instar des comptes nationaux pour les pays de l'OCDE. Ainsi, il était possible de combiner les données sur les provinces canadiennes et les données nationales de 56 L'EFFET FRONTIERE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES l'OCDE en un même échantillon afin de faire une vérification plus probante de l'hypothèse de Feldstein et Horioka. Si ces auteurs avaient raison de conclure que leurs résultats traduisaient une séparation internationale des marchés na- tionaux de capitaux, alors la corrélation qu'ils ont observée entre l'épargne na- tionale et l'investissement sur le marché intérieur à l'aide des données au niveau des pays serait beaucoup moins élevée pour les données sur les provinces canadiennes. Par contre, si la corrélation n'est pas attribuable à l'effet frontière national et s'il n'y a qu'un seul marché mondial des capitaux, alors la corréla- tion entre les taux d'épargne et d'investissement serait tout aussi présente au niveau des provinces que des pays. Les travaux de recherche subséquents ont appuyé sans réserve l'interprétation de Feldstein et Horioka. Dans l'échantillon regroupé, il subsiste une forte corrélation des taux d'épargne et d'investissement parmi les pays, mais aucune parmi les provinces canadiennes (Helliwell et McKitrick, 1999). D'autres études utilisant des données moins complètes sur l'épargne et l'investissement pour les régions d'autres pays font ressortir le même profil 1 . De nombreuses applications des calculs de Feldstein et Horioka, qui montrent généralement une baisse de la corrélation parallèle à l'intégration progressive des marchés de capitaux au cours des vingt dernières années, se sont ajoutées aux données indiquant une absence de corrélation au sein des économies nationales pour convaincre un nombre croissant d'économistes que l'interprétation faite par Feldstein et Horioka de leurs résultats était juste et que les marchés de capitaux demeurent essentiellement d'envergure nationale. Cette conclusion a été confirmée par des études sur la structure de portefeuille qui montrent que les investisseurs préfèrent habituellement détenir des titres nationaux plutôt que des titres étrangers (French et Poterba, 1991; Baxter et Jermann, 1997) et d'autres études qui ne font ressortir aucune preuve que les consommateurs empruntent ou prêtent à l'étranger pour étaler leur consomma- tion en présence de fluctuations temporaires du revenu. Jusqu'à maintenant, nous avons confirmé que l'effet frontière lié au com- merce demeure important au Canada et correspond à des liens au niveau des prix qui sont beaucoup plus étroits entre les paires de villes nationales qu'entre les paires de villes internationales. L'effet frontière lié aux services est encore plus grand que celui lié au commerce des marchandises et a moins diminué après l'entrée en vigueur de l'ALE (Helliwell, 1998, p. 38). Les données cana- diennes et internationales montrent également que les marchés de capitaux ont une portée principalement nationale. Que peut-on faire pouf obtenir des don- nées internationales sur l'effet frontière lié au commerce des marchandises? Comme nous l'avons déjà noté, le problème fondamental est que les autres pays ne possèdent pas de données aussi complètes et comparables sur leur commerce interne que celles dont nous disposons pour les provinces canadiennes. Deux solutions de rechange ont été adoptées pour contourner cette difficulté. Une so- lution directe a consisté à utiliser des données moins complètes sur le commerce 57 HELLIWELL intérieur, en appliquant différents moyens pour les rendre comparables aux sta- tistiques sur le commerce international. C'est ce qu'ont fait, par exemple, Nitsch (2001) pour les landers allemands et Wolf (2000), Hillberry (1998, 1999) et Anderson et van Wincoop (2003) pour les États américains. Les résultats dé- pendent beaucoup des hypothèses qui sous-tendent la comparabilité des don- nées sur le commerce intérieur et extérieur, de sorte que Hillberry obtient des estimations beaucoup plus élevées de l'effet frontière aux États-Unis que celles de Anderson et van Wincoop. Ces derniers font valoir de façon convaincante que les grands pays comme les États-Unis devraient afficher un effet frontière beaucoup plus petit que les économies qui représentent une fraction moindre du PIB mondial. Leur analyse a de nombreuses autres conséquences pour l'étude de la taille et des répercussions de l'effet frontière et elle sera au centre de la section intitulée Gravité et gravitas : une solution à l'énigme de la frontière? L'autre façon de procéder, introduite par Wei (1996) pour les pays de l'OCDE, et appliquée depuis par Helliwell (1997; 1998, chapitre 3), Nitsch (2000a, 2000b) et Chen (2004) pour les pays de l'OCDE, par Helliwell (1998, p. 57) pour des échantillons plus larges de pays, ainsi que par Helliwell et Ver- dier (2001) pour comparer le commerce intraprovincial et interprovincial au Canada, est d'utiliser des données entrées-sorties afin d'établir le total des ventes finales de marchandises, puis de soustraire les exportations afin d'obtenir une estimation résiduelle des biens vendus sur le marché intérieur. Cela permet d'obtenir une estimation raisonnable des biens vendus au pays même, mais l'application du modèle de gravité requiert aussi une estimation de la distance potentielle des échanges commerciaux. La méthode adoptée à l'origine par Wei (1996) et par Helliwell (1997, 1998) consistait à employer le quart de la dis- tance séparant un pays de son partenaire commercial. Comme l'a noté Nitsch (2000a), cette méthode repose trop sur la géographie des pays limitrophes et pas assez sur la géographie du pays d'origine. Les études subséquentes ont eu tendance à évoluer vers des mesures fondées sur des estimations de la distance interne en combinant la structure théorique du modèle de gravité et l'information sur la répartition de la population et l'activité économique au sein du pays (Helliwell et Verdier, 2001; Nitsch, 2000b; Chen, 2004; Helliwell, 2002a). Ces estimations plus exactes des distances internes sont, en moyenne, plus grandes que celles que supposait Wei et produisent donc des estimations plus élevées de l'effet frontière. Cependant, les estimations plus récentes de l'effet frontière améliorent généralement le modèle de gravité bilatéral de base en y intégrant d'autres mesures des échanges de chaque pays avec chacun de ses partenaires commerciaux bilatéraux, et cette extension du modèle entraîne parfois des estimations plus basses de l'effet frontière. Toutes les études mon- trent un effet frontière significatif pour les pays industrialisés et un effet beau- coup plus grand pour les pays en développement. Ces effets sont encore importants et significatifs même pour les échanges entre paires de pays qui sont 58 L'EFFET FRONTIERE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES depuis longtemps membres de l'Union européenne (UE). À titre d'exemple, même dans les années 90, le commerce intérieur des pays membres de TUE ne partageant pas la même langue était six fois plus intense que le commerce in- ternational entre ces pays (Nitsch, 200Gb; Helliwell, 1998, p. 51). La densité du commerce des marchandises au sein des pays en développement était jusqu'à 50 fois, voire 100 fois, plus forte que les échanges traversant leurs frontières na- tionales (Helliwell, 1998, p. 56). Les études des flux commerciaux par industrie révèlent que l'effet frontière est généralement présent dans toutes les industries (Chen, 2004; Helliwell, 1998, p. 31). En outre, des études ont démontré que le profil de l'effet frontière entre industries ne s'explique pas par les différences observées dans les barrières non tarifaires (Head et Mayer, 2000), de sorte que toute explication générale de l'effet frontière ne peut s'appuyer uniquement sur l'étendue des barrières officielles au commerce qui subsistent. Au Canada, on a accordé beaucoup d'attention à l'existence et aux effets possibles des barrières au commerce interprovincial. Des données récemment améliorées sur les distances caractéristiques des échanges intraprovinciaux permettent de faire des estimations plus utiles de la taille relative des effets frontières interprovinciaux et internationaux, jugés jusque-là non significatifs pour toutes les provinces (Helliwell, 1998, p. 23-26). Sur la base des nouvelles données, le commerce interprovincial est moins dense que le commerce intra- provincial dans les quatre plus grandes provinces, tandis que l'effet frontière interprovincial ne représente pas plus d'une fraction de l'effet frontière interna- tional pour aucune province (Helliwell et Verdier, 2001). Ainsi, les différences interprovinciales sur les plans de la langue, des réseaux et de la réglementation ont très peu d'importance comparativement aux différences correspondantes observées de part et d'autre des frontières nationales. POURQUOI LES FRONTIÈRES ONT-ELLES DE L'IMPORTANCE? Q UELLES SONT LES CAUSES PROBABLES de la séparation des marchés natio- naux? Jusqu'à ce que nous ayons au moins une réponse préliminaire à cette question, nous ne pouvons dire si ce regroupement des marchés par na- tion est une bonne ou une mauvaise chose, ni nous prononcer sur ses consé- quences éventuelles au niveau des politiques publiques. Étant donné que des études ont révélé que les obstacles sur le plan des politiques ne sont pas une cause importante de l'effet frontière qui subsiste entre les pays industrialisés, l'explication doit se trouver ailleurs. J'ai longtemps été convaincu que l'explication doit tenir compte à la fois de l'effet frontière et des effets très im- portants de Péloignement sur la séparation des marchés. Qu'arrive-t-il aux échanges commerciaux à mesure que la distance augmente, que l'on franchit des frontières et que l'on passe du connu à l'inconnu, ou à tout le moins à ce qui est moins familier? Être loin de chez soi signifie habituellement être moins 59 HELLIWELL bien intégré aux réseaux locaux, moins capable de comprendre les normes loca- les et moins en mesure de savoir jusqu'à quel point on peut croire ce que les gens disent. Ces changements surviennent à mesure que l'on s'éloigne de son terri- toire familier et sont plus probables lorsqu'on franchit les frontières nationales car de nombreux systèmes juridiques et institutions ont une envergure natio- nale et diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre. En outre, comme nous en ferons état plus loin, la migration est beaucoup plus probable à l'intérieur des frontières nationales qu'au-delà de celles-ci, et la migration et les voyages sont les principaux mécanismes de propagation des connaissances et des réseaux. Pour que la perte de densité de réseau et de normes communes soit une cause première des très importants effets frontières observés, l'une de deux conditions doit se vérifier (et parfois les deux) : i) le coût des échanges au sein de réseaux moins denses est élevé et ii) les gains liés à une augmentation du commerce international avec des partenaires éloignés sont modestes. Exami- nons d'abord l'importance des normes et des réseaux communs et la mesure dans laquelle elle diminuera vraisemblablement avec l'éloignement, en fran- chissant les frontières nationales. Prenons le cas extrême de ce qui arrive au commerce et à l'activité économique en l'absence d'un cadre partagé de règles et d'institutions. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, la plupart des spé- cialistes du développement économique pensaient que les niveaux élevés de scolarité et le désir généralement répandu d'adopter la démocratie et les mar- chés ouverts entraîneraient une expansion rapide du commerce et une conver- gence des normes de vie entre les parties de l'Europe qui avaient été divisées par le Rideau de fer. Pourtant, dans la décennie qui a suivi, les principales composantes de l'ancienne Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), dont la Russie, l'Ukraine et de nombreuses républiques de plus petite taille, n'ont montré aucune convergence vers les normes de vie de l'Europe de l'Ouest, mais plutôt une diminution de moitié de leur PIB réel par habitant. À l'époque, des institutions fiables, des normes largement acceptées et des ni- veaux élevés.de confiance mutuelle étaient jugés importants (Marer et Zecchini, 1991), mais personne n'a prévu la portée et le coût de leur absence ou même soupçonné avec quelle rapidité et quel succès la Mafia en viendrait à dominer des entreprises légitimes en raison d'un vide institutionnel. Il faut reconnaître que l'expérience de l'URSS est un exemple extrême mais néanmoins utile en raison de sa dimension dramatique. Nous disposons aujourd'hui d'études à plus petite échelle des réductions de coûts attribuables aux normes et aux réseaux partagés, ainsi que des effets des frontières nationales et de l'éloignement. À titre d'exemple, des études ont montré que les retom- bées de la recherche-développement (R-D) dépendent dans une très large me- sure de la vigueur et de la structure des réseaux d'association et de confiance et que ces effets diminuent rapidement avec l'éloignement (Keller, 2002) et les frontières nationales (Helliwell, 1998, p. 105). De façon similaire, les réseaux 60 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES internationaux de travailleurs de haute technologie migrant de l'Inde à Silicon Valley ont permis d'établir, grâce à un processus d 1 intermédiation basée sur la réputation (Kapur, 2001), des relations d'affaires sur de longues distances que l'on n'aurait pu envisager en l'absence de la confiance mutuelle inhérente à ces réseaux personnels. L'importance de la confiance mutuelle comme alternative moins coûteuse et plus efficace aux contrats complexes et à leur application juridique est reconnue depuis longtemps. Dans l'optique d'une réduction des coûts, l'importance des réseaux informels et des contacts assidus pour établir un climat de confiance et valider des contrats informels a été soulignée dans des études aussi diverses que celles visant à expliquer l'existence de l'entreprise moderne (Hart, 1995), la réussite des districts industriels du Nord de l'Italie et l'évolution historique des voies et des profils de commerce (Greif, 1992). Si les réseaux et la confiance jouent un grand rôle en facilitant les échanges et si la vigueur des réseaux diminue avec l'éloignement ou lorsque l'on traverse la frontière, cela suffirait à expliquer pourquoi l'éloignement et les frontières nationales sont associées à des baisses marquées de l'intensité des liens com- merciaux. Cette explication semble de plus en plus largement acceptée. Le cas échéant, que signifie-t-elle? Les particuliers et les gouvernements devraient-ils s'efforcer d'accroître la densité des réseaux internationaux, travaillant de concert à l'établissement d'institutions et de cultures homogènes dans l'espoir que le commerce prospérera et entraînera une amélioration du niveau de vie national et mondial? Quelles sont les preuves de l'effet d'une expansion du commerce sur la croissance et le revenu réel? Dans une étude bien connue, Sachs et Warner (1995) ont réparti les pays en développement en un groupe fermé et un groupe ouvert; l'étude a révélé que le groupe ouvert montrait une convergence signifi- cative vers les niveaux de vie plus élevés des pays industrialisés, tandis qu'en moyenne, les pays moins ouverts ne montraient aucun signe de rétrécissement de l'écart de niveau de vie. En outre, Frankel et Rosé (2000) ont récemment soutenu que les pays qui participaient davantage au commerce avaient des ni- veaux de PIB par habitant significativement plus élevés. Mon interprétation des résultats de Sachs et Warner est qu'un certain degré d'ouverture est probable- ment requis pour permettre aux résidents d'un pays de tirer des leçons précieuses de l'expérience étrangère et d'exploiter au mieux leurs propres talents et res- sources. Cependant, comme la comparaison de la Chine et de l'ancienne URSS dans les années 90 l'illustre clairement, l'ouverture n'est ni nécessaire ni suffi- sante pour engendrer la croissance ou la stabilité. En l'absence d'institutions nationales robustes, une plus grande ouverture pourrait bien faire plus de tort que de bien. Mes propres résultats concordent avec l'observation de Frankel et Rosé à l'effet que les pays riches sont plus ouverts au commerce, puisque j'ai déjà noté que l'effet frontière a tendance à être plus limité pour les pays riches que pour les pays pauvres (Helliwell, 1998). Cependant, les travaux subséquents 6l HELLIWELL présentés dans la prochaine section donnent à penser que ce lien entre la ri- chesse et la taille de l'effet frontière disparaît en bonne partie si l'on tient compte aussi de la relation inverse prévisible entre la taille d'un pays et la taille de l'effet frontière. Afin de déterminer si les riches pays industrialisés seraient encore plus riches s'ils changeaient leurs politiques afin d'encourager le commerce interna- tional au détriment du commerce intérieur, il serait peut-être très utile de voir si les grands pays industrialisés sont significativement plus riches que les pays de taille plus petite. Pourquoi est-ce là un exercice utile? Parce que l'importance de l'effet des frontières nationales témoigne du fait que les pays de plus grande taille disposent déjà de réseaux commerciaux plus étendus et plus denses que les pays dont le PIB est moins élevé. Les données disponibles ne font ressortir aucune tendance montrant que les grands pays de l'OCDE ont un plus haut revenu par habitant que les pays de plus petite taille. Cela incite à penser que pour ces pays, les principaux gains du commerce issus des avantages comparés ont déjà été récoltés et que toute expansion supplémentaire des échanges devra probablement compter sur une plus grande variété de produits, représentée par le nombre de marques que l'on trouve sur les tablettes. Incidemment, de nom- breuses théories modernes du commerce international s'appuient sur le fait que l'expansion récente des échanges commerciaux est en bonne partie attribuable à des exportations intra-industries plutôt qu'à des exportations inter-industries et est donc axée sur la variété des produits. Des études psychologiques mon- trent qu'un plus grand choix de produits devient coûteux pour les acheteurs à un stade relativement précoce — ceux-ci trouvent de plus en plus difficile de prendre des décisions lorsqu'ils sont placés devant un grand nombre d'options, il leur faut plus de temps pour arriver à une décision et ils ont une probabilité plus grande de regretter celle-ci par la suite (lyengar et Lepper, 1999). Ainsi, en l'absence d'avantages démontrés (sur le plan du bien-être) d'une densité com- merciale plus grande que celle déjà observée parmi les pays industrialisés, il semble plausible de supposer que la densité accrue des réseaux nationaux par rapport aux réseaux internationaux pourrait traduire un état de chose souhai- table. Si les réseaux locaux ont une valeur intrinsèque et qu'ils n'incitent pas à négliger des occasions commerciales fort avantageuses, alors le fait que les pro- fils commerciaux moins coûteux qui en découlent aient un contenu local et national' élevé pourrait bien correspondre à la prescription du spécialiste. Comme nous le signalons dans la prochaine section, l'analyse de bien-être qui découle du modèle de Anderson et van Wincoop se situe exactement à l'opposé, puisque ce modèle repose sur l'hypothèse qu'une variété plus grande de produits, que l'on suppose augmenter avec le PIB de la région, est la seule motivation et le seul avantage découlant du commerce. Mon explication favorite de l'effet frontière s'articule autour du fait qu'il est moins coûteux et plus facile de fonctionner au sein de réseaux de normes et 62 L'EFFET FRONTIÈRE : EVALUER SES CONSÉQUENCES de confiance partagées lorsque la densité de ces réseaux diminue avec l'éloignement, notamment lorsque l'on franchit les frontières nationales. Un corollaire important de ce raisonnement est que les producteurs locaux sont mieux placés pour répondre aux goûts locaux, de sorte que les consommateurs ont, réciproquement, plus de chance d'être attirés par les caractéristiques de la production locale. S'il en est ainsi et si les biens et services locaux sont par conséquent mieux adaptés aux conditions et aux goûts locaux, il serait alors faux de supposer que les consommateurs accordent une aussi grande valeur aux biens et services provenant de l'étranger qu'aux produits locaux. Quelle preuve avons-nous que les réseaux et les normes partagées ont une importante dimension locale et nationale? Il pourrait être utile d'explorer ici deux aspects clés. L'un est le mouvement des personnes, puisque les contacts personnels ont une importance déterminante dans l'établissement et le main- tien de réseaux et d'un climat de confiance. L'autre a trait aux institutions offi- cielles qui complètent, et parfois remplacent, les réseaux personnels plus informels. Parmi celles-ci, il y a les lois et l'administration de la justice, la conception et la mise en œuvre des normes, ainsi que l'efficience et la qualité des services essentiels, en particulier la santé et l'éducation, mais aussi les services publics habituels — l'eau, le chauffage, l'éclairage, l'énergie et les communica- tions. Si des institutions non familières et l'absence de liens de confiance sont à l'origine de la diminution des échanges et des autres densités avec l'éloignement et les frontières, nous devrions trouver des preuves d'un affaiblis- sement des contacts personnels et d'une plus grande variété sur les plans de la structure et de la qualité des institutions lorsque les collectivités sont éloignées les unes des autres et séparées par des frontières. Deux courants de la documentation sur la migration aident à éclairer les effets de l'éloignement et des frontières sur la densité des réseaux. Le premier porte sur la mesure dans laquelle la migration change avec l'éloignement et les frontières nationales. A l'aide de données de recensements menés au Canada et aux États-Unis, il est possible de modéliser la façon dont l'éloignement et les frontières nationales influent sur la probabilité de migrer. Les résultats sont frappants : les effets de l'éloignement sont importants, comme nous l'avons déjà observé à partir des flux de commerce. Le nombre de migrants tombe de moitié pour une province deux fois plus éloignée. Les effets des frontières nationales sont encore plus marqués pour la migration que pour les échanges de biens et de services. À titre d'exemple, le nombre de résidents canadiens nés dans un État américain ne représente que le centième de ceux nés dans une autre pro- vince canadienne, après avoir tenu compte évidemment des différences sur les plans de la taille et de la distance (Helliwell, 1998, p. 85-86). Cet effet frontière de 100 s'applique aux résidents du Canada. L'effet frontière national bilatéral est beaucoup plus restreint pour les personnes résidant aux États-Unis, ce qui témoi- gne du fait qu'au cours des cent dernières années, trois fois plus de personnes 63 HELLIWELL nées au Canada ont déménagé aux États-Unis que de personnes nées aux États-Unis ont déménagé au Canada. Il importe de noter que ces effets frontiè- res bilatéraux ont augmenté plutôt que de diminuer depuis un siècle, puisque la fraction des résidents d'un pays qui sont nés dans l'autre a suivi une trajectoire descendante relativement constante. Ainsi, en 1910, le nombre de personnes nées au Canada mais vivant aux États-Unis représentait 20 p. 100 du reste de la population du Canada; en 1990, la proportion était tombée aux environs de 3p. 100 (Helliwell, 2000, p. 17). En direction opposée, le nombre de personnes nées aux États-Unis mais vivant au Canada en 1920 représentait environ 4p. 100 de la population totale des États-Unis, une proportion qui avait dimi- nué à un peu plus de 1 p. 100 en 1990. Les effets de la frontière sur la migration ont donc augmenté sensiblement au cours du dernier siècle, ce qui a coïncidé avec la montée de l'État-nation. Il ne fait aucun doute qu'une partie du déclin de la migration internationale entre les deux pays est attribuable aux politiques adoptées de part et d'autre pour contrôler le rythme et la structure de l'immigration; mais ces changements périodiques au niveau des politiques ne permettent pas d'expliquer facilement la tendance baissière à long terme de la mobilité internationale entre les deux pays. Il y a eu des périodes de mobilité plus grande au cours du siècle, avec une migration nette vers le nord durant la période de la Guerre du Viêt-Nam, d'importants mouvements de professionnels vers le sud au cours des années 50 et 60, et une grande attention accordée au Canada à la reprise des flux migratoires vers le sud à la fin des années 90. Comme d'autres l'ont noté (Finnie, 2001; Frank et Bélair, 1999; Helliwell, 2000; Helliwell et Helliwell, 2000, 2001), les données sur les années 90 n'offrent qu'un appui limité à ces préoccupations. Le second courant pertinent de la documentation sur la migration confirme l'importance des réseaux en tant que déterminant du niveau et des profils de migration et démontre l'importance de la migration pour l'évolution subséquente du commerce, de l'investissement et de la migration. Les migrants empruntent des voies établies : ceux qui les ont précédés leur transmettent de l'information sur les occasions et les perspectives qui s'offrent, fournissant des contacts aux nouveaux arrivants et une collectivité où ils peuvent s'établir à leur arrivée. Il en résulte donc la formation de grappes assez denses de migrants provenant du même village, parfois situé à des milliers de kilomètres. Ces grappes sont plus apparentes et plus denses lorsque les immigrants viennent de plus loin et qu'ils doivent franchir de plus grands fossés linguistiques, politiques et cultu- rels. Les migrants attirent d'autres migrants dans leur sillage, et les réseaux transnationaux qu'ils créent engendrent à leur tour des profils correspondants d'investissement et de commerce international. À titre d'exemple, la composi- tion de l'immigration au Canada par pays d'origine aide à prédire l'évolution subséquente des échanges du Canada avec ces pays. Ces changements sont plus apparents pour les importations au Canada que pour les exportations, ce qui 64 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES laisse penser que l'effet est lié au moins partiellement à la persistance des préfé- rences pour les biens provenant du pays d'origine (Head et Ries, 1998) 2 . La documentation sur la migration révèle donc d'importants effets frontières, en illustrant le fait que la migration humaine engendre des réseaux internationaux d'information et de soutien et dépend de ces réseaux. La portée, la densité, les causes et les conséquences des normes et des ré- seaux sociaux constituent un domaine de recherche en plein essor. Bien que les études connexes remontent à plusieurs années dans certaines disciplines et se présentent sous différentes appellations, elles ont connu un regain au cours de la dernière décennie sous la rubrique du capital social. Un rapport récent de l'OCDE définit le capital social comme étant les réseaux ainsi que les normes, les valeurs et les conceptions partagées qui facilitent la coopération au sein des groupes et entre ceux-ci (2001, p. 41). Cette définition englobe exactement les mêmes facteurs que ceux proposés ci-dessus comme déterminants clés de la densité du commerce et des autres interactions économiques et sociales. Si les données sur le capital social montrent que la vigueur des réseaux diminue gé- néralement avec l'éloignement ou lorsque l'on franchit les frontières nationales, cela viendrait appuyer encore davantage la notion selon laquelle les différences dans la densité des réseaux expliquent les écarts observés dans les échanges commerciaux et les autres transactions économiques. Une des premières études consacrées aux effets des frontières sur les ré- seaux a porté sur l'intensité relative des appels téléphoniques interurbains entre des villes de l'Ontario, du Québec et des Etats-Unis. Utilisant un cadre de gra- vité pour modéliser les effets attendus de la taille et de l'éloignement, l'étude (Mackay, 1958) a révélé que la fréquence des appels était la plus élevée au sein de la province d'origine, qu'elle était moins élevée entre les villes dont la lan- gue principale était différente et, de loin, la moins élevée de part et d'autre de la frontière; l'intensité des appels rajustée en fonction de la taille et de l'éloignement était cinquante fois plus élevée entre les villes de l'Ontario qu'entre les villes de cette province et les villes américaines avoisinantes. Un projet de recherche récent qui a ouvert de nouvelles pistes d'exploration de la nature et des conséquences des normes et des réseaux est l'étude à long terme de la démocratie dans les régions de l'Italie moderne réali- sée par Putnam (1993) et ses collaborateurs. Putnam a étudié l'efficience des gouvernements régionaux, en particulier la façon dont ils se sont développés dans différentes régions au lendemain des réformes qui ont permis une déléga- tion importante de pouvoirs aux autorités régionales dans les années 80. Il a élaboré de nombreuses mesures de la qualité des normes et des réseaux partagés dans les vingt régions étudiées et constaté que celles qui avaient un capital so- cial de plus grande qualité offraient des services de meilleure qualité à leurs citoyens et faisaient le meilleur usage des pouvoirs nouvellement acquis. Inci- demment, certaines données indiquent que la meilleure utilisation faite de ces 65 HELLIWELL nouveaux pouvoirs par les régions qui disposaient d'un plus grand capital social est à l'origine du renversement de ce qui avait été, en Italie, une répétition de la convergence du revenu par habitant observée dans l'Europe de l'après-guerre (Helliwell et Putnam, 1995). Une constatation de Putnam qui est plus particu- lièrement pertinente à l'étude des différences internationales dans les normes et les réseaux est la présence de différences interrégionales durables dans les normes et les réseaux en dépit d'importants flux migratoires entre régions. Cependant, en Italie comme dans la plupart des autres pays, la grande majorité des gens demeurent près de l'endroit où ils sont nés et leurs normes et réseaux ont ainsi une dimension locale. Lorsque Putnam a orienté ses recherches vers les États-Unis, il a constaté que de nombreuses mesures du capital social avaient progressé au cours des soixante premières années du vingtième siècle pour reculer ensuite à peu près au rythme auquel elles avaient augmenté. Etant donné que ses études sur l'Italie et les États-Unis révèlent que les collectivités montrant une mesure éle- vée de capital social se classent généralement au haut de l'échelle pour de nombreux indicateurs de bien-être économique, matériel et communautaire, l'auteur a lancé des avertissements largement repris au sujet des risques possi- bles de cette tendance pour la trame des collectivités américaines (Putnam, 1995, 2000). Des recherches antérieures (Almond et Verba, 1963) sur la quali- té de la vie civique vers le milieu du siècle avaient fait ressortir d'importantes différences entre les pays pour de nombreuses mesures et conséquences du ca- pital social, en particulier le niveau de confiance interpersonnel. Trois caracté- ristiques de ces différences internationales doivent être signalées ici : elles ont un caractère durable et persistent pendant des décennies, elles sont transmises d'un pays à un autre à la faveur des flux migratoires et, dans certains cas, on peut en retracer l'origine à des politiques gouvernementales ou des événements précis. La mesure dans laquelle ces différences internationales sont transmises par la migration a été étudiée par Rice et Feldman (1997), qui ont constaté qu'un prédicteur efficace des différences inter-Etats dans le niveau de confiance interpersonnel aux États-Unis était les différences observées dans le nombre de résidents dont les parents ou les grands-parents étaient nés dans des pays où l'on retrouve des niveaux élevés de confiance. Dans la même veine, Putnam (2000) a constaté que l'un des meilleurs prédicteurs des différences inter-États dans le niveau de confiance est la part de la population ayant des ancêtres Scandinaves. Pour bien comprendre ce dernier point, il importe de savoir que les mesures de la confiance interpersonnelle sont significativement plus élevées dans les pays Scandinaves qu'ailleurs. Enfin, un lien entre les niveaux de confiance et certains événements est apparu dans une étude du capital social en Russie après 1990 (Raiser, 1997), tandis qu'un lien avec les politiques a été établi par Worms (2002), qui affirme que les niveaux exceptionnellement bas de confiance interpersonnels en France (par rapport à ceux des autres pays et à 66 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES la confiance envers les gouvernements) pourraient être partiellement attribua- bles au fait que les gouvernements qui ont précédé et suivi la Révolution se sont systématiquement efforcés de supprimer divers réseaux non étatiques, les perce- vant comme une menace potentielle au statut et à la légitimité de l'Etat. J'ai soutenu jusqu'à maintenant que la qualité des réseaux est un détermi- nant clé de nombreuses autres formes de contact économique et social et que les réseaux sont beaucoup plus développés dans l'environnement immédiat et au sein d'un pays. Ce dernier point a été partiellement exposé en démontrant l'existence d'écarts durables dans diverses mesures du capital social entre les États américains et au niveau international. La présence de ces écarts pourrait suffire à démontrer que les réseaux s'effritent avec l'éloignement et les frontiè- res, mais cela n'est pas nécessaire. Ainsi, il se peut que plusieurs pays montrent des niveaux et des répartitions identiques de diverses mesures du capital social au niveau agrégé, tout en ayant des réseaux qui sont largement indépendants les uns des autres. Incidemment, il en est presque toujours ainsi. Cependant, l'étude du rayonnement de la confiance et des réseaux, ainsi que de la mesure dans laquelle les gens participent à de nombreux types de réseaux dans des buts différents et avec des effets différents sur leur comportement et leurs attitudes, en est encore à ses débuts. Il serait donc prématuré de tirer des conclusions fermes sur la mesure dans laquelle divers réseaux superposés s'effritent avec l'éloignement et lorsque l'on traverse les frontières. Il est probable que l'évolution des types et des profils de communication, qui va de l'avènement de l'avion à réaction dans les années 60 au courriel et à Internet dans les années 80 et 90, modifie la nature et les coûts de l'élaboration et du maintien de différents types de réseaux. GRAVITÉ ET GRAVITAS : UNE SOLUTION À L'ÉNIGME DE LA FRONTIÈRE? L )IMPORTANTE ÉTUDE DE ANDERSON ET VAN WlNCOOP (A&vW, 2003) qui porte ce titre est une application empirique de l'influent modèle théo- rique élaboré par Anderson (1979). Selon la solution proposée par A&vW à l'énigme de la frontière, le fait de prendre au sérieux la théorie du modèle de gravité entraîne un ensemble de résultats sensiblement différents : la suppres- sion de l'effet frontière n'entraînerait qu'une augmentation de 44 p. 100 des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, accompagnée d'une réduction du commerce interprovincial à un sixième seulement de son niveau actuel. Si ce résultat devait avoir une application générale, dans quelle mesure résoudrait-il l'énigme de la frontière? Cela dépend de notre conception de ce qu'est, ou a été, l'énigme de la frontière. J'ai toujours pensé que la principale interrogation liée à la frontière était pourquoi! La réponse de A&vW à cette 67 HELLIWELL question comporte deux volets. Premièrement, ces auteurs affirment que, pour des pays plus grands que le Canada (en termes de PIB), l'effet frontière est beaucoup plus petit et que, même pour le Canada, il est probablement jusqu'à un tiers plus petit que ce qu'indiquerait la procédure d'estimation de McCallum (1995). Leurs résultats montrent un effet frontière de 10,6 pour le Canada et de 2,6 pour les États-Unis en 1993. Mais le lien entre l'effet frontière et la taille, qui est étayé de plus en plus par la théorie et les données, signifierait donc que l'effet frontière pour des pays représentatifs serait plus élevé que celui du Canada ou des États-Unis. Les données de la Banque mondiale comparant le PIB à parité des pouvoirs d'achat situent les États-Unis en première place par une marge assez importante, suivis de la Chine, du Japon et de l'Inde; le Canada arrive en douzième place dans la liste de 164 pays dressée par cet organisme. Le pays mé- dian sur la liste a un PIB correspondant à 3 p. 100 de celui du Canada et à en- viron 0,25 p. 100 du PIB américain. Alors, si 2,6 p. 100 est le plus petit effet frontière observé et si cet effet augmente inversement à la taille dans la mesure suggérée par les résultats de A&vW, nous devrions alors nous attendre à ce que, typiquement, l'effet frontière soit beaucoup plus important que celui cal- culé par McCallum 3 . Deuxièmement, A&vW supposent que la cause de l'effet frontière réside dans les politiques nationales. Cette hypothèse est répandue parmi les spécialistes de l'économie internationale. À titre d'exemple, Paul Krugman affirmait que « Tout cela nous amène à la vraie raison pour laquelle les frontières nationales ont de l'importance et au concept pertinent de nation pour notre analyse. Les nations ont de l'importance — elles existent au sens d'une modélisation — parce qu'elles possèdent des gouvernements dont les politiques influent sur les mouvements de biens et de facteurs » (1991, p. 71-72). Si les déterminants de la répartition régionale et nationale de l'activité économique ressemblent à ceux que j'ai décrits dans les sections antérieures, la déduction de Krugman risque alors d'être sérieusement trompeuse. J'ai déjà partagé à peu près la même opinion mais, au cours des dix dernières années, j'ai pu observer des preuves telles de l'effet frontière et si peu de succès dans les tentatives faites pour expli- quer leur taille en invoquant des politiques gouvernementales que j'en suis ve- nu à croire que cet effet existe principalement parce que les goûts, les marchés, les ressources, les institutions et les sociétés diffèrent géographiquement au sein des pays et encore plus lorsque l'on franchit les frontières. Dans un contexte — sur lequel Krugman a beaucoup insisté en termes de localisation industrielle — où les profils passés déterminent les profils futurs et où il est coûteux de renver- ser les décisions prises en matière d'investissement, le fait que les producteurs locaux possèdent, en raison de leur proximité, un avantage pour ce qui est de percevoir et d'exploiter les occasions qui s'offrent localement, signifie que les marchés conserveront probablement une dimension locale et nationale même en l'absence de politiques nationales visant à limiter la mobilité internationale. 68 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES Si la solution de l'énigme de la frontière exige de montrer pourquoi l'effet frontière existe, alors le modèle de A&vW n'offre pas une solution, parce que ses auteurs supposent que la cause de cet effet est liée aux politiques, sans tou- tefois offrir de preuve qui validerait cette hypothèse. A vrai dire, comme ils prennent soin de le souligner, et comme Balistreri et Hillberry (2002) le mon- trent très clairement, il n'y a rien dans le modèle de A&vW qui permette à leur estimation de différencier leur hypothèse selon laquelle l'effet frontière est im- putable aux politiques (qui empêchent les consommateurs d'avoir pleinement accès aux biens étrangers — qu'ils apprécient tout autant que les biens locaux) d'une autre voulant que l'effet frontière existe parce que les produits locaux correspondent mieux aux goûts locaux. Comme nous le verrons plus loin, ces deux interprétations assez différentes, que le modèle actuel de A&vW ne per- met pas de distinguer, ont des significations très différentes quant aux consé- quences de l'effet frontière au niveau des politiques. Lorsque j'ai rédigé la première version de cette étude, je n'étais encore qu'à mi-chemin dans mes efforts pour reproduire les résultats de A&vW et pour comprendre si, et pourquoi, leur modèle et leurs résultats différaient de ceux présentés dans Helliwell (1998). Comme l'a noté James Anderson dans ses commentaires prudents sur cette version, ma compréhension de leurs tra- vaux et des conséquences d'autres méthodes d'estimation était alors incomplète et confuse. Il en est peut-être encore ainsi, mais au moins maintenant, comme les étudiants se plaisent à le dire, je suis confus à un niveau plus élevé. En attei- gnant ce niveau supérieur, j'ai profité des données et des conseils tant de Eric van Wincoop que de James Anderson, de même que des travaux de recherche parallèles menés par d'autres, et plus particulièrement Ed Balistreri et Russell Hillberry (2002, 2003) et Robert Feenstra (2003). Afin d'économiser l'espace, il est peut-être préférable de présenter un résumé de ce que j'estime avoir appris jusqu'à maintenant, en reconnaissant que des changements sont encore appor- tés aux données, aux estimations et à la théorie, de sorte que certaines de ces conclusions pourraient devoir être révisées. Mais voici un premier essai. 1. Dans ma première version, j'avais noté que l'effet frontière à deux pays pour le Canada estimé par A&vW était de 10,6 pour l'année 1993, ce qui se trouve dans le même intervalle que l'estimation de 12,3 figurant dans Helliwell (1998, p. 22) sur la base de la même variable dépen- dante et en appliquant le modèle à la même année, mais en faisant une tentative beaucoup plus limitée pour situer les données sur le com- merce bilatéral dans un contexte multilatéral. Beaucoup d'effort a été consacré à l'explication des raisons pour lesquelles ces estimations dif- fèrent. L'une et l'autre étaient beaucoup plus basses que l'estimation de McCallum (1995), principalement parce que les effets de l'ALE ont été importants entre 1988 (l'année visée par les données de McCallum) 69 HELLIWELL et 1993 et aussi en raison des raffinements et des révisions apportés aux données. Pendant longtemps, j'ai pensé que le pouvoir explicatif beaucoup moins grand de l'équation de A&vW, par rapport aux équa- tions que nous avions estimées, était imputable à certaines restrictions peu plausibles imposées par leur modèle. J'ai éventuellement découvert que la principale raison du faible pouvoir explicatif de l'équation de A&vW, mesuré par le R 2 rajusté, n'était qu'une conséquence de la redé- finition de la variable dépendante comme moyen d'imposer les élasticités- revenus unitaires hypothétiques. En tentant de reproduire leurs travaux, j'ai aussi découvert que des révisions significatives avaient été faites aux données sur le PIB depuis notre étude antérieure et que nous et A&vW avions utilisé des sources de données différentes. J'ai aussi dé- couvert certaines erreurs mécaniques dans les données de notre échan- tillon antérieur; éventuellement, nous avons élaboré un ensemble de données préférentiel, qui est supérieur à celui que nous avions employé auparavant et à celui de A&vW, mais qui est aussi plus près du leur que du nôtre. En particulier : 2. L'ensemble de données préférentiel utilise le PIB au coût des facteurs tant pour les États américains que pour les provinces canadiennes (au lieu du PIB aux prix du marché). C'est la seule façon d'obtenir une comparabilité rigoureuse parce que seules les données sur le coût des facteurs sont disponibles pour les Etats, tandis que les deux séries sont disponibles pour les provinces. Les tests visant à comparer les résultats fondés sur le PIB aux prix du marché à ceux obtenus avec le PIB au coût des facteurs favorisent ce dernier, qui est le choix fait par A&vW. 3. Pour ce qui est des distances interprovinciales et province-Etat, A&vW utilisent les distances séparant les capitales, tandis que nous utilisons les distances qui séparent les principales villes, parfois en utili- sant la moyenne géographique pondérée des grandes villes, comme l'avait fait McCallum (1995). Cette dernière approche concorde da- vantage avec le cadre de gravité et donne des résultats empiriques lé- gèrement supérieurs; elle est donc probablement préférable. L'impact sur la taille de l'effet frontière est minimal. 4. Pour ce qui est des distances associées aux échanges internes, qui sont importantes pour les variables de résistance multilatérale définies par A&vW, mais qui ne sont pas requises dans nos travaux ni dans le cadre plus simple proposé comme alternative par Feenstra (2003), A&vW utilisent le quart de la distance séparant la capitale d'un État de celle de son voisin le plus rapproché, comme l'avait d'abord proposé Wei (1996). En utilisant plutôt une moyenne des distances internes 70 L'EFFET FRONTIERE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES pondérées en fonction de la population pour chaque unité (tel que proposé par Helliwell et Verdier, 2001), le pouvoir explicatif du mo- dèle de A&vW augmente sensiblement et rapproche le coefficient de la distance de celui obtenu dans d'autres études. Puisque cette der- nière méthode cadre aussi davantage avec la logique de toutes les ver- sions du modèle de gravité, elle est probablement préférable. A&vW montrent qu'il est important sur les plans théorique et empiri- que d'inclure l'effet frontière, de même que la possibilité de faire du commerce au sein du même État ou de la même province, dans la dé- finition pertinente des solutions de rechange à chaque observation sur le commerce bilatéral. A un moment donné, je pensais que cette exi- gence découlait uniquement de leur version particulière du modèle de gravité et que cela pouvait expliquer l'ajustement en apparence moins bon de ce modèle. Je suis aujourd'hui convaincu qu'ils avaient tout à fait raison sur ce point et, par conséquent, que leur estimation de 10,5 de l'effet frontière pour le Canada en 1993 doit être préférée à toutes celles qui n'intègrent pas ces rajustements. Plusieurs pistes de recherche ont convergé pour permettre d'avancer cette conclusion avec une cer- titude raisonnable. Premièrement, lorsque des données et des spécifica- tions tout à fait comparables sont employées, l'ajustement de l'équation de A&vW et celui de l'équation basée sur une version plus simple des autres possibilités commerciales, telle qu'utilisée dans Helliwell et Verdier (2001), sont essentiellement similaires. Deuxiè- mement, comme le démontrent de façon convaincante A&vW, tout modèle de gravité doit tenir compte de la possibilité d'un commerce interne plus important dans le pays de plus grande taille pour que l'on puisse l'appliquer à des pays ayant des tailles et des structures différentes. Troisièmement, l'effet frontière entre dans la définition des autres possibi- lités de commerce même si le modèle théorique sous-jacent explique l'effet frontière par les différences de goûts plutôt que par des obstacles sur le plan des politiques. Comme nous le verrons plus loin, la diffé- rence ne surgit qu'au moment où l'on tente de simuler les effets de changements dans les politiques. Quatrièmement, la théorie et les tra- vaux empiriques de Feenstra (2003), que nous avons aussi reproduits et prolongés quelque peu ici, montrent qu'en utilisant un ensemble d'effets fixes liés au pays convenablement définis, au lieu de la procé- dure d'estimation plus complexe employée par A&vW, nous pouvons obtenir une estimation des effets frontières du Canada et des États- Unis qui est cohérente et vraisemblable sur le plan empirique. 7l 5 HELLIWELL MISE À JOUR DES RÉSULTATS ET CONSÉQUENCES SUR LE PLAN DES POLITIQUES L E TABLEAU 1 FAIT VOIR UNE VERSION À JOUR de certaines estimations de l'effet frontière pour le Canada et les États-Unis, conformément à la syn- thèse des observations présentée dans la section précédente. Le tableau ren- ferme les résultats de type McCallum obtenus antérieurement, les résultats de A&vW, les résultats provenant d'une réestimation à l'aide des données révi- sées, ainsi que des estimations parallèles obtenues à partir de la stratégie propo- sée par Feenstra. Ces résultats montrent de façon assez systématique un effet frontière moyen d'environ 5 pour le Canada et les États-Unis, alors que le mo- dèle de A&vW produit des valeurs de 10,5 pour le Canada et de 2,6 pour les États-Unis. La méthode d'estimation de Feenstra est utile parce qu'elle fournit une estimation convergente de la moyenne géométrique des effets frontières du Canada et des États-Unis. Cette estimation est assez rapprochée de la moyenne géométrique des estimations distinctes obtenue pour le Canada et les États- Unis à l'aide du modèle de A&vW. Cela contribue à renforcer la confiance avec laquelle on peut penser que les résultats de A&vW sont compatibles avec des modèles plus généraux que le leur, puisque l'équation de Feenstra n'impose aucune structure théorique et parvient à une estimation concordante des effets frontières en utilisant des effets fixes du côté des importations et des exporta- tions pour chaque État et province. Le R 2 plus élevé obtenu par Feenstra ne signifie donc pas que ce modèle est plus performant parce que les coefficients des effets fixes liés au pays (qui sont, en moyenne, suffisamment significatifs pour compenser leur coût en termes de degrés de liberté) ne constituent en réalité qu'une façon d'illustrer l'énigme qu'il reste encore à élucider. Pourquoi des États et des provinces différents ont-ils des intensités commerciales si diffé- rentes? Les effets fixes significatifs ne font que mettre en relief l'importance de ces écarts. Des tests supplémentaires révèlent que ce clivage est le reflet des données et n'est pas attribuable à des restrictions théoriques imposées à des données qui refusent de collaborer. Les données brutes indiquent que les rela- tions commerciales inter-États sont beaucoup moins intenses que les relations commerciales entre provinces. À titre d'exemple, si nous prenons une forme pure du modèle de gravité bilatéral dans lequel les échanges correspondent à une constante quelconque multipliée par le produit des PIB et divisée par l'éloignement bilatéral, la constante implicite pour 1993 est plus de dix fois supérieure pour le commerce entre provinces que pour le commerce entre États. Cela est encore plus grand que la différence entre les effets frontières que suppose le modèle de A&vW. Je suis porté à penser que cela pourrait être attribuable en partie à la non-comparabilité des données sur les expédi- tions interprovinciales et inter-États. Statistique Canada vient de compléter des améliorations notables aux données sur le commerce interprovincial et 72 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES Notes : Toutes les équations sont estimées par la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO). 676 observations ont été utilisées pour l'équation (1), tirée directement de Helliwell (1998, tableau 2-2), ce qui correspond à un échantillon plus restreint afin d'obtenir les mêmes paires de commerce pour toutes les années de 1991 à 1996. L'équation (2) suit l'approche de A&vW en utilisant 679 observations pour le commerce interprovincial et province-Etat, soit le nombre maximum disponible pour 1993. Si l'équation (1) est réestimée avec ces 679 ob- servations, l'effet frontière augmente à 12,6, tandis que si l'équation (2) est réestimée avec 676 observations, l'effet frontière diminue à 13,7. L'équation (3) et les suivantes sont estimées à l'aide de 1 511 observations, qui englobent les 679 observations de l'équation (2) et 832 observations sur le commerce inter-États. province-État. Celles-ci devraient permettre une meilleure analyse de la pé- riode 1992-2001, qui est visée par ces données. Cependant, dans le cas des données sur le commerce entre États, il est possible qu'une nouvelle série de données soit produite pour l'année 1997, mais il n'y a aucune chance que l'on puisse obtenir une série temporelle complète, et seulement une probabilité limi- tée d'obtenir des données suffisamment comparables aux données sur le com- merce interprovincial. Ainsi, même s'il sera possible d'étudier les tendances de l'effet frontière pour le Canada, il sera plus difficile d'analyser la relation entre la taille du pays et l'effet frontière de la même façon. 73 TABLEAU 1 EFFETS FRONTIÈRES POUR LE CANADA EN 1993, ESTIMÉS À L'AIDE DE DONNÉES SUR LE COMMERCE DE MARCHANDISES ENTRE PROVINCES ET PROVINCE-ÉTAT EFFETS FRONTIÈRES R 2 RAJUSTÉ ÉTATS- MOYENNE DE CANADA UNIS GÉOMÉTRIQUE L'ÉQUATION (1) Équation de type.McCallum estimée en 1997 (tirée de Helliwell, 1998, tableau 2-2) en utilisant des , _ , .. _, . 123 0 764 variables d'éloignement (2) Même équation estimée en 2002 à l'aide de données mises à jour et corrigées et d'autres possibilités de commerce, comme dans Helliwell , , ., , „,, w j- /TAAIX 14,3 0,766 et Verdier (2001) (3) Estimation théoriquement conver- gente de A&vW (leur tableau 5) 10,5 2,6 5,2 0,430 (4) Réestimation du modèle de A&vW en utilisant les distances internes de Helliwell et Verdier (2001) 10,5 2,6 5,2 0,490 (5) Equation de Feenstra (2003) avec effets fixes à l'importation et à l'exportation 4,7 0,640 HELLIWELL Dans l'intervalle, peut-on utiliser d'autres données pour jeter un peu de lumière sur le degré de réalisme des hypothèses de A&vW au sujet des causes de l'effet frontière? La solution la plus évidente consisterait à examiner la me- sure dans laquelle le modèle a prédit les répercussions de l'ALE sur le com- merce interprovincial et le commerce international. Une autre solution serait d'analyser les conséquences du modèle sur le plan des coûts de transport, comme l'ont suggéré Balistreri et Hillberry (2002). J'explorerai donc ces deux pistes dans la présente section et la suivante. Premièrement, tel que noté précédemment, l'ALE entre le Canada et les États-Unis ressemble beaucoup à une expérience contrôlée de réduction de l'effet frontière par une intervention au niveau des politiques. Le modèle de A&vW fait une prédiction frappante au sujet de ce qui arrive à un pays de la taille du Canada après une réduction de l'effet frontière. L'analyse statique comparative de A&vW débute avec un effet frontière pour le Canada qui se rapproche beaucoup de la valeur produite par le modèle de gravité plus général de type McCallum, pour aboutir à la conclusion que la suppression de l'effet frontière augmenterait les échanges canado-américains par une modeste frac- tion seulement de la baisse concomitante du commerce interprovincial. L'ALE a entraîné une réduction de l'effet frontière, ce qui constitue un test semi- expérimental de l'analyse statique comparative de A&vW. Selon leur modèle, une réduction de l'effet frontière qui accroîtrait les échanges canado-américains de 70 p. 100 entraînerait aussi une réduction de la densité du commerce inter- provincial au sixième de sa valeur. Mais les faits ne concordent pas avec cette prédiction. Dans le sillage de l'ALE, la réduction de la densité des échanges interprovinciaux n'a représenté qu'une petite fraction de l'augmentation du commerce canado-américain. La raison probable de cette prévision erronée a déjà été énoncée. A&vW supposent que, des deux côtés de la frontière, les consommateurs apprécient une plus grande variété de produits et ont des préfé- rences identiques pour les biens nationaux et étrangers. Exprimé de façon un peu différente, les producteurs nationaux ne sont pas mieux placés que les pro- ducteurs étrangers pour créer et offrir des produits qui correspondent aux goûts locaux. Le modèle de A&vW ne peut faire la distinction entre cette interpréta- tion et une autre qui envisage une correspondance plus étroite entre les biens locaux et les préférences locales. L'expérience postérieure à l'ALE laisse penser qu'il y existe des différences de goûts de part et d'autre des frontières nationales et dans l'espace géographique. Cette interprétation alternative ferait aussi res- sortir une baisse beaucoup plus limitée du commerce interprovincial que le mo- dèle de A&vW suite à toute mesure visant à réduire la taille de l'effet frontière. 74 L'EFFET FRONTIERE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES Deuxièmement, il est possible d'évaluer le modèle de A&vW du point de vue de son analyse des répercussions sur la densité des liens commerciaux. Les auteurs attribuent aux coûts de transport la réduction de la densité commer- ciale observée avec l'éloignement. Le problème que cela pose est que la baisse de la densité commerciale liée à l'éloignement est si importante qu'elle suppose des coûts de transport beaucoup trop élevés par rapport à la réalité. À titre d'exemple, Balistreri et Hillberry (2002) calculent que, dans le modèle de A&vW, la baisse estimative des échanges commerciaux avec l'éloignement suppose que près de la moitié de la production est consacrée au transport — une proportion qui est encore plus élevée pour les biens transportés sur des dis- tances supérieures à la moyenne en Amérique du Nord. Je soupçonne que la nature des énigmes posées par la frontière et l'éloignement se ressemble sur le fond. Dans les deux cas, la densité commerciale chute beaucoup plus rapide- ment que ne le justifierait toute estimation raisonnable des coûts nécessaires pour expédier des biens sur une certaine distance ou au-delà des frontières. A mon avis, il est probable que toute explication satisfaisante de ces deux énigmes fasse intervenir, dans bien des cas, les mêmes éléments de la vie économique et sociale : les réseaux facilitent l'information, la confiance et les échanges de toute sorte; la densité des réseaux diminue avec l'éloignement; les goûts changent avec l'éloignement et les frontières; enfin, les producteurs établis près des consommateurs peuvent prédire et répondre plus efficacement aux besoins lo- caux. Une explication complète des énigmes liées à la frontière et à l'éloignement englobera probablement plusieurs de ces sources d'influence. En résumé, le jugement que je porte est que l'analyse de A&vW a fait deux contributions majeures à la compréhension de l'effet frontière. Première- ment, ces auteurs ont clairement décrit la corrélation négative entre la taille d'un pays et l'effet frontière que suppose toute application du modèle de gravité dans un contexte commercial multilatéral. Deuxièmement, ils ont clairement démontré la nécessité d'intégrer l'effet frontière aux divers modèles du com- merce international. Cependant, ils n'ont pas encore offert de solution à l'énigme de la frontière et cela, à deux égards : ils n'ont pas fourni d'explication des causes de l'effet frontière, et leur modèle de dotation axé sur la variété pro- duit des prévisions conditionnelles des conséquences de l'ALE qui semblent diverger de la réalité subséquente. Notamment, dans leur modèle, l'ALE aurait dû engendrer une petite augmentation des échanges province-État et une di- minution proportionnellement beaucoup plus importante du commerce inter- provincial. Cependant, les résultats obtenus semblent aller à l'encontre de cette prédiction : l'augmentation du commerce nord-sud a été beaucoup plus impor- tante que la baisse du commerce est-ouest. Ce profil divergent évoque la néces- sité de concevoir des modèles plus généraux. Quels genres de modèles plus généraux sont vraisemblablement requis? Premièrement, il serait utile de concevoir des moyens empiriques de déterminer 75 HELLIWELL le degré de concordance entre les produits locaux et les goûts locaux. Le mo- dèle de A&vW n'aborde pas cette question d'importance capitale pour déduire toute conséquence sur le plan des politiques. Deuxièmement, le modèle de la dotation et du commerce néglige les prin- cipaux déterminants classiques du commerce, en particulier l'avantage comparé et les économies d'échelle. Selon la façon dont les ressources sont réparties, les deux types d'échanges classiques engendreront des flux commerciaux qui cor- respondent assez bien à l'équation de gravité, même s'il devient très difficile de trouver des moyens de modéliser les possibilités de commerce avec des tiers. Troisièmement, le modèle de A&vW et de nombreux autres modèles de la répartition géographique de la production et du commerce ne tiennent pas compte des échanges de produits intermédiaires. Cette question a une impor- tance critique, même pour l'interprétation des données. Lorsque les analystes utilisent le ratio du commerce au PIB comme mesure de la mondialisation, ils risquent de comparer des pommes et des oranges. Dans le modèle théorique de A&vW, la production finale provient de chacun des États ou provinces, et est ensuite consommée au même endroit ou ailleurs — il n'y a que des marques différentes de pommes. Cependant, dans une mesure importante et croissante, l'économie moderne se caractérise par une décomposition verticale de la chaîne de production, de sorte que la croissance du volume des échanges dans une industrie est représentée en bonne partie par des expéditions de pièces et d'assemblages. Cette décomposition verticale peut découler soit d'économies d'échelle soit d'un avantage comparé. Ainsi, il arrive souvent que les étapes de la production qui exigent beaucoup de main-d'œuvre soient réalisées là où ce facteur se trouve en abondance et où les taux de salaire réels sont bas. Un exemple extrême de commerce international intra-industrie où do- mine la désintégration verticale est celui de l'industrie nord-américaine de l'automobile, répartie entre le Michigan, l'Ontario et le Québec; dans ce cas, la frontière pourrait être vue comme une ligne tracée au beau milieu d'une usine de voitures dont les chaînes de montage serpentent de part et d'autre de cette ligne à mesure que progresse la production. Ainsi, même si l'effet frontière est généralement aussi important pour les voitures et les pièces que pour d'autres produits, il disparaît entièrement dans les flux entre le Michigan, l'Ontario et le Québec (Helliwell, 1998, tableau 2-4). Le commerce important et croissant de produits intermédiaires soulève des problèmes même au niveau de la mesure de l'intensité des échanges com- merciaux. On emploie les ratios commerce/PIB comme s'ils représentaient des parts de la production totalisant 100 p. 100. Pourtant, les données canadiennes les plus récentes montrent que les expéditions totales de biens et de services (selon une définition cohérente pour les expéditions intérieures et extérieures) atteignent plus du double du PIB, ce qui signifie que les ratios commerce/PIB souvent cités exagèrent la part du commerce dans l'ensemble des expéditions 76 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES par un facteur de plus de 2,0. On observe aussi une tendance à la hausse du ratio expéditions/PIB, qui est passé d'environ 2,0 en 1992 à 2,3 en 2001, de sorte qu'une partie de ce qui est perçu comme une tendance à la mondialisa- tion est, en fait, une tendance plus générale, sur les marchés intérieurs et inter- nationaux, vers une intensification des échanges de biens et de services intermédiaires. Il est aussi probable que l'ALE ait entraîné une augmentation des échanges transfrontières de ce type, ce qui aiderait à élucider les énigmes que n'avaient pu expliquer le modèle d'équilibre général calculable (MEGC) et les prédictions de A&vW quant aux effets probables de cet accord. L'expansion du commerce international a été beaucoup plus forte et celle du PIB beaucoup moins élevée que ne l'avaient prédit les MEGC, tandis qu'il y a eu une baisse beaucoup moins marquée des expéditions interprovinciales que celle prédite par le modèle de A&vW. Ces résultats pourraient facilement s'expliquer dans le contexte d'un modèle intégrant des échanges endogènes de biens intermé- diaires. Un tel modèle permettrait à l'ALE de hausser sensiblement les expédi- tions provinces-États, de réduire légèrement les expéditions interprovinciales et de hausser le ratio des expéditions totales au PIB. Manifestement, les théoriciens et les analystes empiriques ont beaucoup de chemin à parcourir avant que l'on puisse formuler des conclusions précises sur les causes et les conséquences de l'effet frontière sur le plan du bien-être. Les résultats les plus récents continuent de montrer que cet effet demeure im- portant pour tous les pays, qu'il est sensiblement plus élevé pour les petits pays que pour les grands, et qu'il est beaucoup plus faible pour les biens que pour les services, quoique ces résultats révèlent aussi une tendance à la baisse dans tous les cas. Cependant, comme nous l'avons déjà noté, même la mesure de ces ten- dances est compliquée par le fait que tendance et PIB sont des concepts diffé- rents, et qu'une partie de l'augmentation du ratio commerce/PIB ne représente pas une internationalisation croissante des expéditions mais, plutôt, une ten- dance à la hausse du ratio des expéditions totales au PIB. Des modèles sont requis pour articuler et intégrer ces différences conceptuelles clés sur les plans empirique et théorique et pour expliquer leurs tendances. CONSÉQUENCES SUR LE PLAN DES POLITIQUES POUR LE CANADA U NE BONNE PARTIE DE L'HISTOIRE DU CANADA a trait aux causes et aux conséquences militaires, culturelles, linguistiques et économiques des frontières. L'étude de l'effet frontière est donc une affaire sérieuse, ayant des ramifications profondes sur les plans de la politique, de l'économie et du bien- être. Comment la recherche empirique récente sur la taille et les répercussions de l'effet frontière peut-elle servir à enrichir et à élargir le débat traditionnel? 77 HELLIWELL La première série de résultats nouveaux, amorcée par McCallum (1995), a permis d'exposer l'importance économique continue des frontières nationales, mais en laissant à la recherche future le soin de répondre aux questions essen- tielles : Quelle est l'origine de ces effets? Quelles seraient les conséquences de la suppression des frontières? Les travaux récents ont tenté de répondre à ces questions de façon passablement différente et en produisant des évaluations divergentes des conséquences sur le plan des politiques. Un courant de la do- cumentation empirique subséquente s'est intéressé au 'pourquoi?' en examinant des données désagrégées sur différentes industries, différentes provinces et dif- férents aspects de la vie économique et sociale 4 . Cela englobe des tentatives visant à expliquer la mesure dans laquelle les écarts entre industries au niveau de l'effet frontière peuvent être imputés à des différences dans les politiques qui touchent à la frontière. Dans certains cas (par exemple, les produits agricoles, les voitures et pièces et les produits du tabac), la taille et le profil de l'effet fron- tière ont été clairement associés aux politiques commerciales. Dans l'ensemble, toutefois, on a constaté que l'effet frontière était si généralisé dans l'industrie et l'acticité économique que les politiques commerciales ne pouvaient constituer qu'une petite partie de la réponse. Une approche assez différente, adoptée par Anderson et van Wincoop (2001; ci-après A&vWb) dans leur analyse de bien-être de l'effet frontière, a consisté à utiliser un modèle spécifique attribuant un rôle clairement défini (mais sans explication) à l'effet frontière et comprenant certaines variables no- minales pour représenter cet effet, et de procéder à des exercices de statique comparative en supprimant l'effet frontière sur une base bilatérale ou multilaté- rale. Tel que noté dans A&vWb, cette approche présente certaines ressem- blances avec l'utilisation antérieure des MEGC pour évaluer les conséquences possibles de l'ALE Canada-États-Unis. Les auteurs affirment que leur nouvelle analyse est supérieure parce qu'elle s'appuie davantage sur l'estimation empirique de la structure du modèle et en raison de la simplicité de la structure de ce mo- dèle, ce qui permet de voir plus facilement d'où proviennent les résultats. Ce- pendant, ceux qui ont élaboré et utilisé des MEGC diraient qu'en construisant un modèle sans attribuer de rôle à la spécialisation et aux économies d'échelle qui influent favorablement sur la production, A&vW écartent probablement les sources les plus importantes d'avantages issus des politiques de promotion du commerce. De plus, en incluant toute une gamme d'industries dans une structure de modèle qui attribue un rôle aux droits tarifaires propres à diverses industries, les MEGC peuvent produire une analyse spécifique de nombreuses variantes de réductions tarifaires. Les spécialistes des MEGC mentionneraient également qu'ils ont utilisé un large éventail d'estimations empiriques pour les paramètres clés de leurs modèles. 78 L'EFFET FRONTIERE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES A&vWb soutiennent que les MEGC ne peuvent expliquer pourquoi l'accroissement du commerce postérieur à l'ALE a été aussi important. Ils affir- ment que leur modèle, en montrant d'importantes augmentations des échanges commerciaux en réponse à la suppression de l'effet frontière, surmonte cette lacune. Cependant, comme nous l'avons indiqué dans les sections précédentes, l'expérience postérieure à l'ALE est loin de corroborer cette affirmation, et la comparaison avec les applications des MEGC n'est pas appropriée. En com- mençant par ce dernier point, les MEGC prédisaient les conséquences d'un abaissement du niveau de barrières tarifaires identifiées et ont fait ressortir ce que l'on jugeait alors comme des effets substantiels d'expansion du commerce — mais tout de même inférieurs à ce qui est survenu en réalité 5 . Cependant, les effets de stimulation du PIB ont été plus faibles que prévu par les MEGC. Les spécialistes de ces modèles n'ont aucunement prétendu que les réductions tari- faires en question rendraient les flux d'échanges de marchandises entre pro- vinces et provinces-États d'une intensité égale. Incidemment, leurs études ont précédé la découverte de la taille et de la prévalence de l'effet frontière. L'exercice de statique comparative de A&vWb est passablement différent. Ces auteurs supposent que tout effet frontière est directement ou indirectement attribuable aux politiques, pour ensuite les supprimer entièrement. Puisqu'ils supposent une réduction beaucoup plus importante de l'effet frontière que les spécialistes des MEGC, il n'est pas étonnant qu'ils obtiennent des effets plus importants sur les échanges commerciaux. Cependant, il faut se rappeler que tout le commerce supplémentaire dans les MEGC provenait d'une plus grande spécialisation axée sur l'exploitation d'économies d'échelle et s'accompagnait donc d'une augmentation du PIB. À l'opposé, comme nous l'avons noté dans les sections antérieures, les résultats de A&vWb sont entièrement imputables au fait que les consommateurs passent des fournisseurs nationaux aux fournis- seurs étrangers de biens — dont l'offre demeure inchangée. Ainsi, il n'y a au- cun gain au niveau du PIB dans le modèle de A&vW, mais le bien-être pourrait changer si les consommateurs sont plus satisfaits. Selon l'analyse de bien-être de A&vWb, les Canadiens feraient des gains de bien-être substantiels en l'absence de l'effet frontière. Les auteurs affirment que si l'effet frontière disparaissait (à partir des niveaux observés dans les an- nées 90, et non de ceux de 1988), il y aurait une augmentation de plus de 50 p. 100 du bien-être au Canada, contre une augmentation d'environ 6p. 100 aux États-Unis (Anderson et van Wincoop, 2001, tableau 2). Dans leur mo- dèle, ce gain colossal de bien-être au Canada est attribué, à parts à peu près égales, à un effet de ressources (diminution des coûts de transport) 6 , à une ex- pansion des échanges commerciaux et à une amélioration des termes de l'échange. Cela représente beaucoup plus que ce que promettait l'analyse issue des MEGC, qui a fourni la justification économique de l'ALE. Peut-on y voir un appel en faveur d'un nouveau programme d'action nord-américain ou d'une 79 HELLIWELL nouvelle initiative énergique vers la mondialisation politique et économique? A&vW affirment que l'on ne peut faire une analyse politique sensée sans s'appuyer sur un modèle théorique spécifique montrant comment et pourquoi les politiques ont un effet sur le bien-être. Du même coup, .la pertinence des résultats sur le plan des politiques est tributaire de celle du modèle employé pour les obtenir. Quelle évaluation doit-on faire des résultats de A&vWb? Dans leurs deux études, A&vW soutiennent qu'en prenant au sérieux (avec gravitas) la théorie, ils peuvent résoudre simultanément l'énigme de .la frontière et préciser les conséquences sur le plan des politiques d'une suppres- sion de l'effet frontière. Comme je l'ai déjà mentionné, l'étude 'gravitas' de A&vW fait, à mon avis, une contribution importante et fort utile à la recher- che sur les frontières. Cette contribution prend principalement deux formes, d'abord en expliquant clairement le lien qui existe entre l'effet frontière et la taille d'un pays et, deuxièmement, en fournissant un exemple de la façon dont l'effet frontière peut être représenté dans un modèle théorique spécifique de détermination du commerce et du bien-être. Mais pour passer de leur modèle spécifique à l'analyse des effets des politiques, il faut non seulement prendre la théorie au sérieux, mais il faut aussi que celle-ci soit corroborée par les faits. Dans la première version de la présente étude, nos travaux préliminaires indi- quaient que le modèle de A&vW et les hypothèses sous-jacentes étaient rejetés par les données. Je suis maintenant convaincu que leur modèle s'ajuste aux données aussi bien que tout autre modèle proposé jusqu'à maintenant. Le pro- blème que soulèvent leurs conclusions au sujet du bien-être n'est pas qu'elles proviennent d'un modèle rejeté par les données, mais que leur modèle permet aussi une autre interprétation, dans laquelle l'effet frontière découle de diffé- rences de goûts. Si cette interprétation était la seule valide et si des politiques étaient adoptées dans le but d'accroître les flux commerciaux nord-sud (plutôt que de réduire simplement les obstacles artificiels), il serait alors plus probable qu'elles entraînent une diminution qu'une augmentation du bien-être, pour toutes les raisons que les économistes invoquent habituellement en vue d'expliquer les conséquences des distorsions commerciales. Est-il possible de rechercher de façon plus générale des preuves qui nous inciteraient à préférer l'hypothèse des goûts identiques à l'alternative, fondée sur les différences de goûts? Si l'hypothèse de A&vW est juste, c'est-à-dire que le bien-être des consommateurs est largement déterminé par la variété des pro- duits et que ces derniers apprécient tout autant les produits nationaux que les produits étrangers (et souhaitent obtenir dix fois plus de produits d'un pays dix fois plus grand), alors les niveaux actuels de bien-être seraient beaucoup plus élevés dans les économies de grande taille, en raison de l'existence d'un impor- tant effet frontière, notamment dans les pays de plus petite taille. La différence implicite est très importante, comme il ressort des calculs de bien-être présentés au tableau 2 de A&vWb. Ces derniers ont estimé que le bien-être augmenterait 80 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES de plus de 50 p. 100 au Canada si l'effet frontière était supprimé, comparative- ment à un gain de 6 p. 100 aux États-Unis. Sur la foi de leur analyse, les Cana- diens auraient des niveaux de bien-être nettement inférieurs à ceux des Américains, parce que l'effet frontière suppose, dans leur modèle, une variété plus limitée que celle à laquelle ont accès les consommateurs des pays de plus grande taille, notamment les États-Unis. Les pays plus petits que le Canada — ce qui, comme nous l'avons déjà noté, englobe la majorité des pays — seraient plus défavorisés, dans l'état actuel des choses. Heureusement, des données sys- tématiquement comparables sur le bien-être subjectif dans cinquante pays (Inglehart et coll., 2000) sont disponibles pour vérifier l'hypothèse de A&vW au sujet de l'effet des frontières sur le bien-être. J'ai déjà noté dans les sections précé- dentes que des données psychologiques montrent qu'une plus grande variété de produits engendre rapidement une situation où le consommateur se sent moins satisfait que lorsque la variété est plus restreinte, parce qu'il doit alors consacrer plus de temps à prendre une décision et a subséquemment une probabilité plus élevée de la regretter (lyengar et Lepper, 1999). Cela donne à penser que le modèle de commerce et de bien-être axé sur la variété qu'emploient A&vW pourrait aller à l'encontre des faits. Si les personnes vivant dans les petits pays disposent déjà d'une variété de produits suffisante ou si les produits fabriqués localement conviennent mieux à leurs goûts idiosyncrasiques, alors la vie ne serait pas plus belle dans les écono- mies de plus grande taille. Par contre, si la théorie de A&vW a quelque perti- nence, nous devrions constater que le bien-être est plus élevé dans les grands pays. J'ai fait un certain nombre de vérifications directes de cette hypothèse et constaté que, parmi les pays de l'OCDE, le bien-être subjectif est systémati- quement plus élevé dans les petits pays que dans les grands. Lorsque la taille économique globale est répartie entre le PIB par habitant et la population to- tale, le PIB par habitant a des effets positifs mais fortement tronqués, tandis que la taille de la population a un effet négatif. L'effet négatif de la taille de la popu- lation sur le bien-être moyen ressort d'équations simples comme il ressort du modèle pleinement spécifié utilisé dans Helliwell (2002b), qui inclut des varia- bles représentant la taille 7 . L'effet négatif de la taille est plus petit lorsque l'on tient compte de l'effet positif de la qualité de l'appareil gouvernemental sur le bien-être subjectif, puisque celle-ci (selon la moyenne des mesures de Kaufmann, Kraay et Zoido-Lobatoni, 1999a, 1999b) montre une corrélation négative avec la population d'un pays. Ainsi, les données sur le bien-être subjectif— de plus en plus utilisées par les économistes comme mesure du bien-être 8 — n'appuient aucunement la notion selon laquelle une réduction de l'effet frontière augmen- terait le bien-être grâce à une plus grande variété de produits. 81 HELLIWELL Un simple examen des données brutes sur le bien-être subjectif permet de rejeter l'idée selon laquelle le bien-être est plus élevé dans les pays de plus grande taille, puisque c'est en Suisse et dans les pays Scandinaves que le bien- être subjectif est le plus élevé. Au Canada, même en présence d'un effet fron- tière, le bien-être subjectif est sensiblement plus élevé en moyenne qu'aux États-Unis, quoique inférieur aux niveaux observés en Scandinavie. Ainsi, l'idée voulant que le bien-être puisse augmenter au Canada de plus du tiers par rapport aux États-Unis en offrant simplement aux consommateurs canadiens un meilleur accès aux produits américains n'est aucunement validée par les données sur le bien-être. En réalité, les données appuient l'hypothèse selon la- quelle les gens vivant dans un petit pays ont une capacité accrue de créer des biens, des services et des activités gouvernementales correspondant à leurs pré- férences et répondant à leurs besoins. Les liens détaillés entre la présence d'un effet frontière et les niveaux de bien-être restent à préciser, comme d'ailleurs la trame complexe des facteurs qui se profilent derrière l'effet frontière. Même si la recherche en est encore à un stade préliminaire, il est déjà évident, à mon avis du moins, qu'il ne peut tout simplement pas y avoir de gains de bien-être important à retirer d'efforts visant systématiquement à niveler l'intensité des relations commerciales nationales et internationales. Alors que les barrières commerciales formelles ont atteint les faibles ni- veaux actuellement observés dans les pays industrialisés, l'effet frontière qui subsiste traduit probablement une segmentation attribuable à des institutions, des goûts et des réseaux différents, les résidents des petits pays ne subissant au- cun désavantage systématique, en termes de qualité de vie mesurée par le bien- être subjectif, par rapport aux résidents des pays de plus grande taille. Ce n'est qu'en poursuivant les recherches que nous pourrons montrer où de plus grands efforts de coordination et d'harmonisation à l'échelle mondiale rapporteront les dividendes plus élevés. Pour ce qui est de la politique canadienne, la meilleure solution ne passe probablement pas par une plus grande intégration nord- américaine. Cela parce que les mesures du bien-être subjectif en moyenne plus élevées au Canada résultent de différences institutionnelles qui seraient mena- cées par une harmonisation plus étroite avec les institutions américaines. En outre, la capacité du Canada d'offrir ses bons offices pour aider d'autres pays et pour faciliter le développement d'institutions d'envergure mondiale, qui ont une importance particulière pour les personnes vivant dans les plus petits pays, nécessite une autonomie évidente sur le plan des politiques 9 . 82 L'EFFET FRONTIÈRE .- ÉVALUER SES CONSEQUENCES NOTES 1 Voir Dekle (1996) pour le Japon, Sinn (1992) pour les États-Unis et Bayoumi et Rosé (1993) pour le Royaume-Uni. 2 Si l'on s'interroge sur la proportion du commerce mondial qui se déroule entre des pays ayant des effets frontières de tailles différentes, alors le point mitoyen pour- rait tomber sur un pays dont la taille se rapproche de celle du Canada, ou est un peu plus grande que celle-ci. Ces calculs sont compliqués par les résultats des re- cherches antérieures qui montrent que l'effet frontière est plus important pour les pays les plus pauvres. La Chine et l'Inde ont un faible revenu par habitant et, en- semble, ces deux pays abritent plus du tiers de la population mondiale. 3 Gould (1994) présente une étude comparable des effets du commerce sur l'immigration aux États-Unis. 4 Par exemple, Chen (2004) et Head et Mayer (2000). 5 Les prédictions et les résultats sont comparés dans Helliwell, Lee et Messinger, 1999. 6 Le lecteur pourrait se demander d'où proviennent les économies de ressources dans une économie de dotation. Même si la production totale demeure inchangée, une partie beaucoup moins importante de celle-ci est absorbée par les coûts de transport lorsque les consommateurs canadiens peuvent satisfaire leur penchant pour la variété en s'approvisionnant à des sources américaines plus rapprochées. L'importance de ces économies hypothétiques s'explique par le coefficient très élevé de la variable représentant les coûts de transport. Comme l'ont déjà noté Balistreri et Hillberry (2002), ce coefficient suppose des coûts de transport in- croyablement élevés. Incidemment, les économies de 18 p. 100 dans les coûts de transport au Canada calculées dans A&vWb (tableau 2) dépassent de beaucoup le total des ressources consacrées aux transports au Canada. Comme je l'ai déjà fait valoir, la raison pour laquelle le coefficient représentant la distance est si élevé dans les équations du commerce n'est pas que les coûts de transport soient si éle- vés mais plutôt que les marchés et les goûts soient séparés dans l'espace de même que par les frontières nationales. En ne tenant pas compte de cette possibilité, A&vW sont alors incités à en tirer la conclusion — forcément contraire aux faits — que s'il n'y a pas d'effet frontière, les coûts de transport seront abaissés dans une proportion beaucoup plus grande que leur taille totale initiale. 7 Si le logarithme du PIB national ou de la population nationale est ajouté à l'équation finale (5) de Helliwell (2002b), on obtient un coefficient négatif peu élevé et non significatif. Si les variables représentant la taille sont incluses sépa- rément pour les pays de l'OCDE et les pays en développement, elles montrent un effet positif modeste dans les pays en développement (qui regroupent un certain nombre de nouveaux petits États dont la situation est précaire) et un effet négatif plus important et significatif pour les pays de l'OCDE. Le coefficient est de -0,055 pour le logarithme de la population (t=3,3) et de -0,050 (t=2,8) pour le loga- rithme du PIB agrégé. 8 Voir, par exemple, Alesina, Di Telia et MacCulloch (2001), Blanchflower et Oswald (2000), Di Telia, MacCulloch et Oswald (2000), Easterlin (1974, 1995), Frey et 83 HELLIWELL Stutzer (2000, 2002), Helliwell (200la, 200Ib, 2002b), Gardner et Oswald (2001), Offer (2000) et Oswald (1997). 9 Les raisons de cela sont expliquées plus clairement au chapitre 3 de Helliwell (2002e). REMERCIEMENTS C ETTE VERSION RÉVISÉE DIFFÈRE SENSIBLEMENT de l'exposé présenté à la conférence, notamment les quatrième et cinquième sections, intitulées Gravité et gravitas : une solution à l'énigme de la frontière? et Mise à jour des résultats et conséquences sur le plan des politiques, pour plusieurs raisons. Premièrement, nos efforts visant à comprendre les différences entre les résultats de Andersen et van Wincoop et nos propres résultats se poursuivaient toujours au moment de la rédaction de la version présentée à la conférence. Nos efforts — mainte- nant plus probants — pour concilier les deux séries de résultats reposent en grande partie sur les données et les conseils d'Eric van Wincoop, Jim Anderson, Russell Hillberry, Ed Balistreri et Rob Feenstra. En outre, les échanges que nous avons eus avec Jim Anderson à la conférence et par la suite, et le précieux apport des travaux de recherche menés en parallèle par Balistreri et Hillberry ainsi que par Rob Feenstra ont précisé ma compréhension (il n'est pas trop tôt, diraient certains) de la nature et des conséquences des diverses façons de for- muler et de vérifier l'équation de gravité. Dans cette progression ardue vers une meilleure compréhension des théories et des résultats, j'ai bénéficié largement de l'assistance à la recherche et de la collaboration de Martin Berka, Aneta Bonikowska, Nikola Gradojevic et Christy Leung. Les estimations des distances internes sont tirées d'une étude conjointe réalisée avec Aneta Bonikowska, Geneviève Verdier, Martin Berka et Volker Nitsch. BIBLIOGRAPHIE Alesina, Alberto, Rafaël Di Telia et Robert MacCulloch. Inequality and Happiness: Are Europeans and Americans Différent?, Cambridge (Mass.), National Bureau of Economie Research, 2001, NBER Working Paper No. 8198. Almond, Gabriel A., et Sidney Verba. The Civic Culture: Political Attitudes and Democracy in Five Nations, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 1963. 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Anderson Boston Collège et National Bureau of Economie Research L ) ÉTUDE DE JOHN HELLIWELL RENFERME DES COMMENTAIRES sur un large éventail de publications traitant de l'effet frontière et dresse un bilan de la question. Je passerai outre à une bonne partie de ce travail pour concentrer mon attention sur son analyse de régression des flux commerciaux et, en parti- culier, les arguments méthodologiques qu'il soulève à l'égard de deux études que j'ai publiées récemment. Ces commentaires s'inscrivent dans une conversa- tion continue entre nous, au sens étroit comme au sens large. Au sens étroit, cette conversation a débuté avec la première ébauche produite par Helliwell en vue de la conférence. En réponse, il a sensiblement modifié son exposé, de sorte que mes commentaires doivent nécessairement être modifiés. Au sens large, les travaux de Helliwell et mes propres travaux s'inscrivent dans l'important pro- gramme de recherche, entrepris récemment et qui se poursuit, sur la forme et les déterminants des coûts du commerce. Nous avons profité réciproquement de nos efforts et de ceux des nombreuses autres personnes qui participent à ce programme. Une partie de la synthèse que présente Helliwell couvre des points que j'ai abordés ailleurs (Anderson et van Wincoop, 2003b), avec un accent et des conclusions un peu différents. Une partie de notre conversation représente une variante d'un vieux dé- bat méthodologique entre les courants structuraliste et inductif. Tous les parti- cipants au programme de recherche s'efforcent de déduire les coûts du commerce à partir de données. Quelle approche permet une progression plus utile est une question sur laquelle le débat n'est pas clos, mais je me range du côté des structuralistes tandis que Helliwell loge dans le clan des induetionistes. La faiblesse de la première approche est que de nombreuses intuitions plausibles sont très difficiles à intégrer à un modèle économétrique structurel applicable. Tant d'énergie est consacrée à l'élaboration d'une théorie que la découverte de profils révélateurs dans les données passe au second rang et la spécification des modèles économétriques n'est souvent pas vérifiée à la lumière de situations assez générales pour que l'on puisse être convaincu de leur validité. L'approche inductive inverse la priorité. Sa faiblesse est que des modèles économétriques en apparence plausibles peuvent souvent intégrer implicitement des structures économiques très improbables sinon impossibles (la théorisation implicite selon 89 HELLIWELL la fameuse critique de Leontief). L'évolution de la documentation sur l'effet frontière et le chapitre Andersen c. Helliwell présenté ici illustrent à la fois l'utilité des méthodes structurelles et l'utilité des méthodes inductives pour faire ressortir des anomalies et des régularités intéressantes dans les données avant de pouvoir en donner une explication satisfaisante. LA POSITION DE HELLIWELL SUR LES TRAVAUX DE A&vW HELLIWELL AFFIRME QUE LES TRAVAUX de Andersen et van Wincoop (2003a) sont incompatibles avec les données, ce qui voudrait dire que l'on ne peut en tirer des conclusions fiables au plan des politiques. Il en déduit qu'il faut passer à des modèles de régression théoriques qui n'appuient pas une analyse d'équilibre général en statique comparative ou une analyse de bien-être. La so- lution que je propose est d'envisager des raffinements appropriés sur le plan méthodologique aux travaux de A&vW. Je suis convaincu qu'il en ressortira des effets frontières qui diffèrent quantitativement de ceux que nous avons pré- sentés, mais que les conclusions qualitatives demeureront robustes. Laissez-moi traiter d'abord de l'importante anomalie soulignée par Helli- well. Bien que toutes les théories soient fausses, comme l'a noté Ed Leamer, un certain degré d'inexactitude est tolérable. Helliwell affirme que l'expérience de l'ALE au Canada falsifie les prédictions de notre modèle parce que les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis ont augmenté tandis que le commerce intracanadien n'a pas changé sensiblement. Nous n'avons pas tenté de modéliser une expérience calquée sur l'ALE, mais en supposant que nous l'ayons fait, Helliwell en déduit que nous aurions reproduit les importants changements observés dans le commerce bilatéral et que nous aurions observé des changements dans les flux commerciaux internes trop grands pour être cré- dibles. Nous ne pouvons tirer aussi simplement une telle inférence des travaux de A&vW parce que l'ALE est un accord préférentiel (les frictions sont rédui- tes uniquement entre les parties à l'accord) et partiel (toutes les frictions ne sont pas supprimées). Néanmoins, puisque dans la version à deux pays de notre modèle, les États-Unis et le Canada sont traités comme s'il étaient les deux seuls pays au monde, et où la suppression des frontières équivaudrait à un commerce sans friction, il est assez clair que l'objection soulevée par Helliwell s'appliquera à une analyse d'équilibre général de l'ALE en statique compara- tive : les changements dans les flux commerciaux internes paraîtront excessifs à la lumière de l'évolution de l'ALENA. Bien sûr, les données historiques sont influencées par d'autres changements qui ne font pas l'objet d'un contrôle dans une simple expérience de statique comparative, lesquels pourraient donner lieu au profil observé tout en demeurant compatibles avec le modèle. Une analyse complète devrait tenir compte de ce point. En définitive, les répercussions sur le 90 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSEQUENCES commerce interne constitueront probablement une anomalie trop importante pour que l'on puisse l'ignorer. La réponse méthodologique appropriée à cette observation est d'étendre le modèle de façon parcimonieuse. Je propose qu'une telle extension englobe la substitution entre les biens entrant dans le commerce et les autres biens. En ajoutant cette dimension inspirée de Salter Swan au modèle d'échange simple, nous en améliorons sensiblement le réalisme mais sans en sacrifier l'applicabilité. Notons que, comme une bonne partie du PIB n'entre pas dans le commerce, l'impact de changements dans les barrières au commerce extérieur sur le commerce intérieur est atténué par la présence du bien non échangé, qui est un substitut inférieur pour les biens exportables d'une région par rapport aux autres biens échangés. Le modèle étendu par l'ajout d'un bien non échangé dans chaque région peut permettre une réaction moins forte que le modèle simple au niveau de l'activité intérieure. C'est ce que j'ai fait dans des travaux non publiés. L'effort de modélisation pourrait profiter d'une extension supplé- mentaire aux biens échangés sur le marché national mais non sur le marché international. Je n'ai pas fait un tel changement, mais il semble faisable et cons- tituerait une expérience intéressante. La séquence consistant à élaborer un modèle simple, à trouver une anomalie, puis à étendre la portée du modèle est le cheminement normalement suivi en science. Ma suggestion d'intégrer les biens qui n'entrent pas dans le commerce re- monte en fait à mon étude de 1979. Je proposais alors d'interpréter les écarts des élasticités-revenus par rapport à un et les élasticités non nulles de la popu- lation comme des éléments d'une fonction de forme réduite représentant la part des dépenses consacrée au commerce, la forme réduite incorporant l'équilibre du marché des biens non échangés. La profession a choisi d'ignorer cette suggestion, peut-être pour de bonnes raisons. J'émets l'opinion qu'une approche structurelle pourrait ici se révéler fructueuse. BIAIS FAVORABLE AU PAYS D'ORIGINE ET BARRIÈRES FRONTALIÈRES HELLIWELL PROPOSE D'ÉTENDRE LE MODÈLE en y intégrant des barrières fronta- lières et un biais favorable au pays d'origine pour ce qui est des goûts. Le pro- blème est que l'on ne peut identifier séparément ces éléments dans un modèle de préférences/technologie à élasticité de substitution constante (CES) qui pro- duit l'équation de gravité ayant servi à la dérivation de Anderson. Une réflexion attentive sur la structure et une utilisation ingénieuse des données pourrait faire ressortir une façon de dissocier ces deux éléments. Selon l'interprétation de Helliwell, l'effet frontière représente les effets de l'affinité culturelle et des réseaux sociaux, une hypothèse plausible qui tient compte à la fois des coûts du commerce et des éléments liés aux différences de goûts. Ma préférence méthodologique, qui ressort de l'accent mis dans mes 9l HELLIWELL travaux sur l'interprétation de l'effet frontière en tant que coût, est d'utiliser les différences au niveau des goûts ou de la technologie seulement en dernier res- sort. Je soupçonne qu'au terme de cette quête, nous pourrions constater que les différences de goûts ont de l'importance mais que les régularités observées dans les mesures de nombreux analystes des coûts implicites du commerce indiquent que l'effet frontière englobe d'importants éléments de coût. Voir Andersen et van Wincoop (2003b) pour un exposé plus complet. Helliwell conclut de son examen de la période de l'ALE non seulement que le modèle de A&vW peut-être rejeté (ce que j'accepte, mais avec des conclusions différentes quant à la prochaine étape, tel qu'indiqué précédem- ment), mais aussi que l'explication de l'effet frontière basée sur les différences de goûts est celle qui convient. Je ne peux logiquement accepter cela, parce que les changements dans les goûts qui ont été à l'origine des très importants chan- gements observés dans les échanges internationaux depuis l'ALE devraient hy- pothétiquement entraîner aussi des changements dans le commerce interprovincial, du moins si ces changements doivent s'inscrire dans un modèle CES, qui est à l'origine de l'équation de gravité. Incidemment, ce point ressort clairement de l'équivalence observée entre les différences de goûts et les barriè- res frontalières dans le modèle théorique. Je pense que ce que Helliwell voudrait faire, c'est s'écarter du modèle structurel — le modèle de A&vW étant rejeté, un modèle non structurel quelconque, reflétant peut-être des différences de goûts qui changent après l'entrée en vigueur de l'ALE, pourrait 'expliquer' le profil qui ressort des données. Helliwell étaye son argument sur les différences de goûts en faisant état de l'observation de Balistreri et Hillberry à l'effet que l'élasticité de la distance et les effets frontières dans les travaux de A&vW engendrent des différences de coûts trop importantes pour que l'on puisse les expliquer par les coûts de trans- port et les barrières frontalières habituelles. La conclusion que je tire de l'étude de Balistreri et Hillberry est que des éléments non familiers des coûts du com- merce (information, insécurité des contrats, etc.) semblent jouer un rôle impor- tant. Voir Anderson et van Wincoop (2003b) pour une analyse plus détaillée. ANALYSE DE BIEN-ÊTRE DANS L'ÉTUDE DE A&VW PUBLIÉE AU BROOKINGS INSTITUTION (2002), nous montrons que le modèle de gravité est un modèle d'équilibre général calculable (MEGC) complet. Nous exploitons pleinement cette caractéristique dans une analyse de bien-être visant à évaluer diverses formes de suppression des barriè- res frontalières. Nous avons été raisonnablement francs au sujet des limites de ces expériences : aucun rôle n'est alloué à la spécialisation, la libéralisation des échanges n'a aucun effet dynamique et les barrières frontalières non liées à des rentes sont traitées comme un coût entièrement exogène en termes de ressources, 92 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES dans la tradition des coûts du commerce de type iceberg. Les objections à cha- cune de ces simplifications sont généralement légitimes et nous les avons re- connues dans l'étude précitée. Helliwell décrit le modèle de gravité basé sur des préférences à élasticité de substitution constante comme une approche caractérisée par un « penchant pour la variété ». Cette étiquette évoque une application des préférences à élas- ticité de substitution constante dans un cadre de concurrence monopolistique qui met l'accent sur la possibilité offerte par le commerce d'élargir l'éventail des biens consommés. Helliwell remet en cause l'utilité du modèle caractérisé par un penchant pour la variété dans une analyse de bien-être, en citant des études psychologiques qui montrent qu'un choix plus vaste peut initialement réduire le bien-être dans une certaine mesure, probablement en raison du coût de trai- tement de l'information nouvelle. Dans le cas des expériences de statique com- parative où de nouveaux biens entrent dans le commerce, cette critique pourrait avoir quelque pertinence. Elle est compatible avec l'explication, basée sur les coûts fixes, de l'absence de certains flux commerciaux bilatéraux, en laissant entrevoir que le vendeur et l'acheteur assument tous deux certains coûts fixes. Mais dans les applications de Anderson et van Wincoop, l'accent est mis essentiellement sur la statique comparative, ce qui change l'ordre de grandeur des flux commerciaux existants. Ici, l'analyse de bien-être est une analyse classique des gains engendrés par le commerce et ne nous apprend rien sur les gains pouvant découler d'une plus grande variété. À mon avis, l'utilité de nos résultats est qu'ils font ressortir des gains po- tentiellement importants qu'une intégration économique plus poussée permet- trait de concrétiser. Les réserves énoncées dans ce qui précède englobent des éléments qui font de ce potentiel une limite inférieure (l'absence de spécialisa- tion et de gains dynamiques) et d'autres qui en font une limite supérieure (la suppression de la frontière engendre aussi bien des coûts que des avantages, une partie de l'effet frontière pourrait être attribuable à des différences de goûts, qui sont immuables). Il est néanmoins très intéressant de constater l'importance des enjeux que suppose un simple modèle de gravité à la lumière des enjeux relativement modestes qui ressortent des MEGC classiques. J'ajouterais en second lieu que j'ai été étonné d'observer, dans notre exercice sur l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), que les effets associés aux termes de l'échange étaient aussi puissants dans le modèle. Je pense qu'il y a peut-être ici une leçon utile pouvant être généralisée jusqu'à un certain point. OÙ EN SOMMES-NOUS? OÙ ALLONS-NOUS? EN DÉPIT DE SEPT ANNÉES D'ANALYSE SUBSÉQUENTE, nous sommes toujours dans l'incertitude au sujet de l'importance des barrières frontalières et de leur signification sur le plan du bien-être. Nous savons que les barrières frontalières 93 HELLIWELL sont beaucoup moins importantes que ne l'indique l'étude de McCallum. Nous avons fait des progrès dans la façon de modéliser la résistance au commerce et dans la façon d'estimer les modèles de gravité. Nous avons tiré certains ensei- gnements des études empiriques sur la façon d'améliorer le modèle de gravité. Nous sommes capables de tirer au moins des conclusions simples sur le plan du bien-être en nous appuyant sur le modèle de gravité. J'émets l'hypothèse que les principales raisons qui expliquent l'effet fron- tière touchent à l'insécurité, d'une part, et à l'information, de l'autre. Dans des travaux théoriques, j'ai élaboré des modèles du commerce et de l'insécurité qui permettaient d'endogéniser la qualité des institutions qui appuient le com- merce, tandis que James Rauch et Vitor Trindade (à paraître) ont modélisé les échanges commerciaux en présence d'une information asymétrique. Ces modè- les sont un premier pas sur la voie d'une meilleure compréhension de l'importance de l'effet frontière dans l'optique du bien-être, qui ressort comme une résistance exogène dans les écrits consacrés à la frontière. Un aspect inté- ressant de ces modèles est qu'ils permettent que la libéralisation ait des effets d'entraînement, en ce sens qu'une baisse d'une forme de coût lié au commerce entraîne une baisse d'autres formes de coût à mesure que les institutions s'améliorent. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que cette piste de recherche mènera à une compréhension de l'effet frontière pour le Canada. Elle semble accaparer un important volume d'échanges (40p. 100 selon les calculs de A&vW dans l'étude publiée dans American Economie Review) et il est difficile de croire que l'insécurité et l'asymétrie d'information pèsent aussi lourd à cette frontière. Les MEGC classiques ont très mal prédit les changements qui se sont pro- duits dans les flux commerciaux après l'entrée en vigueur de l'ALENA. Cela corrobore les affirmations selon lesquelles les MEGC donnent de très mauvais résultats 'hors de leur échantillon'. J'ai trouvé assez intéressant que notre exer- cice plutôt particulier sur l'ALENA, présenté dans l'étude du Brookings Institu- tion, ait pu produire des résultats qui se rapprochaient beaucoup plus des changements observés dans les échanges bilatéraux des partenaires de l'ALENA durant les années 90. Cela est bien sûr compatible avec l'ajustement et la stabilité du modèle de gravité, mais l'ALENA constitue un test beaucoup plus rigoureux à cause de l'important changement paramétrique imposé à un modèle qui, avant nos efforts pour prendre au sérieux la théorie, n'était consi- déré que comme une régularité empirique sous forme réduite. Je suis d'avis que les MEGC à échelle réduite pourront, dans l'avenir, tirer profit des tentatives faites pour adapter l'approche empirique au modèle de gravité. En tant que scientifiques de l'économie, nous avons devant nous des pers- pectives fort intéressantes. Les recherches publiées sur l'effet frontière et les différentes pistes qu'elles ont explorées nous ont appris que la compréhension, au sein de la profession, de la façon dont les marchés fonctionnent vraiment 94 L'EFFET FRONTIÈRE : ÉVALUER SES CONSÉQUENCES dans l'espace est assez déficiente, sur les plans tant qualitatif que quantitatif. Mais nous avons en main les outils nécessaires pour faire des progrès. BIBLIOGRAPHIE Anderson, James E. « A Theoretical Foundation for thé Gravity Equation », American Economie Review, vol. 69, n° 1 (1979), p. 106-116. Anderson, James E., et Eric van Wincoop. « Borders, Trade and Welfare », dans Brookings Trade Policy Forum 2001, publié sous la direction de Dani Rodrik et Susan Collins, Washington (D.C.), Brookings Institution, 2002. . « Gravity with Gravitas: A Solution to thé Border Puzzle », American Economie Review, vol. 93, n° 1 (2003a), p. 170-192. Version révisée du NBER Working Paper No. 8079. . « Trade Costs », ébauche en préparation pour le Journal of Economie Literature, 2003b. Rauch, James E., et Vitor Trindade. « Information, International Substitutability, and Globalization », American Economie Review (juin 2003). 95 This page intentionally left blank Serge Coulombe / Université d'Ottawa Effet frontière et intégration économique nord-américaine : Où en sommes-nous? D ANS LA PREMIÈRE PARTIE DE L'ÉTUDE, nous passons en revue et examinons l'évolution récente de la documentation sur les effets liés à la frontière, à la lumière de la solution proposée par Anderson et vanWincoop (2001) à l'énigme de la frontière. Nous faisons valoir que ces auteurs ont franchi une étape critique en ce qui a trait à l'information que renferment les estimations de l'effet frontière. Dans la seconde partie de l'étude, nous estimons les effets liés à la frontière pour le Canada et les dix provinces à l'aide d'un échantillon qui englobe la période 1981-2001. Pour le Canada et la plupart des provinces, l'effet frontière sur le commerce des biens semble avoir diminué constamment sur la période 1981-2000. INTRODUCTION D EVANT LA MONDIALISATION et la suppression graduelle des barrières commerciales, notamment parmi les blocs commerciaux de pays industria- lisés, l'observateur détaché pourrait être tenté d'anticiper l'apparition d'un monde sans frontières. La situation du Canada et des États-Unis pourrait même dominer la liste des études de cas documentant cette prévision. Les deux écono- mies ont en commun de nombreux traits institutionnels, politiques, sociaux et culturels. Les biens et les capitaux devraient circuler librement de part et d'autre de cette frontière qui, pour une bonne part, ressemble à une ligne droite artificiellement tracée sur le 49 e parallèle par un géographe sans imagination. 97 SOMMAIRE 2 COULOMBE C'est essentiellement la raison pour laquelle l'étude de 1995 de McCallum — qui affirme que les frontières nationales ont beaucoup d'importance — a attiré tant d'attention parmi les économistes et les responsables des politiques. Ce résultat était très étonnant et, pour certains, déroutant. D'aucuns y voyaient une énigme économique qu'il fallait éclaircir (Obstfeld et Rogoff, 2000; Grossman, 1998). D'autres ont pris très au sérieux cette conclusion et déployé beaucoup d'efforts pour en illustrer la robustesse, ainsi que documenter et analyser ses conséquences sur le plan des politiques (Helliwell, 1998). La présente étude a un double objet. Premièrement, nous nous proposons d'examiner l'évolution de la documentation récente sur l'effet frontière en adoptant le point de vue d'un observateur extérieur, celui d'un économiste régional canadien. Nous soutiendrons que la tendance récente de la recherche dans ce domaine (Brown, 2003; Brown et Anderson, 2002; et notamment Anderson et van Wincoop, 2001) changera vraisemblablement l'orientation du débat économique et politique sur la question. Les études récentes utilisent une nouvelle base de données sur les échanges inter-États qui, à notre avis, révèle un fait stylisé d'importance capitale : l'effet de la frontière canado-américaine est d'un ordre de grandeur plus important lorsque mesuré à l'aide des données sur le commerce interprovincial qu'avec les données sur le commerce inter-Etats. L'explication théorique de ce fait stylisé, proposée par Anderson et van Wincoop (2001), constitue une étape décisive vers la solution de l'énigme de l'effet fron- tière. Utilisant un modèle théorique de la résistance au commerce élaboré par Anderson en 1979 1 , ces auteurs expliquent que la plus grande partie des écarts dans les estimations de l'effet frontière obtenues à partir des deux bases de données peut être attribuée au fait que l'économie canadienne est beaucoup plus petite que l'économie américaine [mesurées par le produit intérieur brut (PIB)]. Cependant, nous montrerons que cette explication de l'énigme de la frontière est incomplète parce qu'elle ne tient pas compte des notions de dis- tance et de densité. Dans la formulation de Brown (2003), la structure spatiale a de l'importance. Deuxièmement, nous utilisons les données familières sur les flux de commerce agrégés au niveau provincial pour estimer indirectement les effets liés à la frontière au Canada sur la période 1981-2000. Ces effets sont habituellement estimés à l'aide de données régionales nord-américaines détail- lées (plus ou moins compatibles), mais seulement pour la période 1988-1996. Le fait de prolonger la période étudiée jette un éclairage nouveau sur l'évolution temporelle de l'effet frontière au Canada. Pour le pays tout entier et la plupart des provinces, l'effet frontière sur le commerce des biens semble avoir diminué sur l'ensemble de la période 1981-2000. Cette constatation remet vraisemblablement en question l'opinion répandue (Helliwell, 1998) voulant que le déclin de l'effet frontière durant les années 90 s'observe uniquement après la mise en œuvre de l'Accord de libre-échange (ALE) et que ces effets 98 EFFET FRONTIERE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE ont été stables depuis. Cependant, cela ne s'applique pas aux effets de la fron- tière sur les échanges de services, pour lesquels l'explication fondée sur l'ALE semble correspondre adéquatement aux données temporelles. Dans la seconde section, nous présentons une brève synthèse de l'origine et de la signification de l'effet frontière, en débutant par le modèle de gravité du commerce. Dans la troisième section, nous analysons les travaux récents qui utilisent les nouvelles données sur le commerce inter-Etats, puis nous exami- nons l'analyse théorique critique proposée par Anderson et van Wincoop (2001). Dans la section suivante, nous montrons comment et pourquoi l'accent mis par ces auteurs sur la taille de l'économie est un raccourci qui néglige d'autres facteurs importants comme la distance et la densité. Brown (2003) a reconnu le rôle possible de la distance et de la densité (la structure spatiale) pour expliquer les écarts observés dans les estimations de l'effet frontière obte- nues à partir des données sur le commerce interprovincial et des données sur le commerce inter-Etats. Dans la cinquième section, nous revenons sur les deux interprétations dominantes de l'effet frontière, à la lumière de l'analyse récente. La sixième section renferme notre prolongement temporel des effets liés à la frontière pour les biens et les services au Canada. Enfin, nous concluons, dans la dernière section, par un examen des politiques pertinentes. SYNOPSIS DE L'EFFET FRONTIÈRE L'ÉQUATION DE GRAVITÉ L E POINT DE DÉPART DE L'EXAMEN DE L'EFFET FRONTIÈRE est l'équation de gravité, depuis longtemps reconnue pour sa correspondance étroite avec les données sur le commerce international (Tinbergen, 1962; Linneman, 1966). La forme simple de l'équation de gravité met en relation le commerce entre deux pays, i et j, et le produit du PIB (Y) des deux pays, divisé par la distance qui les sépare. Plus précisément, dans l'équation de gravité suivante, 99 b et c représentent Pélasticité-revenu des échanges commerciaux, tandis que d est l'élasticité par rapport à la distance. D'autres variables, dont la participation à un bloc commercial, peuvent entrer dans l'équation de gravité de façon mul- tiplicative, par l'intermédiaire du paramètre A. L'équation (1) est habituellement testée avec un terme d'erreur multiplicatif prenant la forme linéaire logarithmique suivante : COULOMBE La relation de gravité était à l'origine une régularité empirique, puis elle est devenue un modèle économique. Andersen (1979) a proposé le cadre théo- rique de la relation de gravité, basé sur des biens différenciés selon leur lieu d'origine, une fonction d'utilité CES (à élasticité de substitution constante) et la distance comme variable représentant les coûts de transport. D'autres cadres théoriques ont été élaborés pour rendre compte de la relation de gravité dans les années 80, notamment dans les études de Bergstrand (1985) et de Helpman (1984). La régularité empirique devenait peu à peu le modèle de gravité, mais celui- ci n'était pas encore très connu. C'est le travail d'un économiste canadien, utilisant des données inédites et nouvellement publiées sur le commerce régio- nal au Canada, qui a rendu célèbre le modèle de gravité en 1995. McCallum (1995) a utilisé le modèle de gravité pour comparer les données sur le com- merce interprovincial aux données sur le commerce provinces-États. Il a posé la question : Les frontières ont-elles de l'importance? Et sa réponse a été : Oui. L'EFFET FRONTIÈRE DE MCCALLUM L'OBSERVATION FONDAMENTALE QUI RESSORT de l'étude bien connue de McCallum est que l'estimation de l'équation de régression (2) à l'aide des don- nées sur le commerce interprovincial et des données sur le commerce provinces- États pour l'année 1988 sous-estime manifestement le commerce interprovin- cial, et cela par un multiple important. McCallum a estimé l'équation de gravi- té suivante : 100 où la variable nominale DUMMY prend la valeur un pour le commerce interpro- vincial et la valeur zéro pour le commerce provinces-États. L'estimation ponc- tuelle du paramètre e était d'environ 3, et McCallum a interprété ainsi ce résultat : Toutes choses égales par ailleurs, le commerce entre deux provinces est plus de 20 fois plus important que le commerce entre une province et un État [exp(3,09) = 22]. (p. 616) Les données canadiennes originales étaient les seules avec lesquelles l'effet de la frontière sur les échanges commerciaux pouvait être vérifié directement et seules les données pour l'année 1988 (avant l'ALE) étaient disponibles à l'époque. À la fin de son étude, McCallum a vu juste en prédisant que l'ALE et l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) entraîneraient un dépla- cement fondamental des profils d'échanges régionaux et internationaux. En raison du caractère unique des données sur le commerce canadien, il était im- possible de répéter l'exercice de McCallum avec d'autres bases de données EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE détaillées en vue d'y déceler les mêmes résultats. Néanmoins, McCallum a conclu sa célèbre étude par une affirmation qui incite à penser que ses résultats pourraient généralement s'appliquer à toute frontière : Le fait que même la frontière relativement ouverte entre le Canada et les États-Unis continue d'avoir un effet décisif sur les profils d'échanges continentaux nous incite à penser qu'en règle générale, les frontières na- tionales ont toujours de l'importance, (p. 622) L'effet frontière était né. AUTRES ESTIMATIONS DE L'EFFET FRONTIÈRE DE MCCALLUM JOHN HELLIWELL A PRIS TRÈS AU SÉRIEUX le résultat obtenu par McCallum et il a produit une série d'études documentant, analysant et prolongeant le scénario de l'effet frontière associé au commerce canado-américain (Helliwell et McCallum, 1995; Helliwell, 1996, 1998). Dans l'ensemble, les travaux de re- cherche de Helliwell illustrent la robustesse du résultat de McCallum, mais ils révèlent aussi que l'effet frontière a eu tendance à diminuer rapidement après l'entrée en vigueur de l'ALE. Néanmoins, en utilisant les bases de données de Statistique Canada sur le commerce interprovincial et le commerce provinces- États, le paramètre exp(e), dans l'équation de régression (3), demeure impor- tant. Il n'y a aucun truc, aucune tromperie. En bonne partie, la contribution de Helliwell se situe au niveau méthodo- logique. Il a montré (1998) que l'utilisation de meilleures données provenant d'un rapprochement plus précis des données sur les échanges interprovinciaux et internationaux — les données sur le commerce tirées de deux bases de don- nées distinctes de Statistique Canada disponibles uniquement pour les années postérieures à 1990 — réduisait l'effet frontière de McCallum de 20 p. 100 (de 25,3 à 19,5). Il a aussi montré qu'entre 1990 et 1996, l'effet frontière est tombé de 19,5 à 11,9, l'essentiel de la baisse ayant eu lieu avant 1994. Il attri- bue cette baisse à l'ALE. À l'aide d'équations de gravité, il a estimé l'effet fron- tière pour différentes provinces et industries, ainsi que pour les importations et les exportations. Il a produit une estimation approximative de l'effet frontière pour les échanges de services. Celui-ci est beaucoup plus significatif que pour les biens, variant entre 42 et 29 au cours de la période 1988-1996. Il a utilisé une mesure de l'éloignement pour se conformer davantage au modèle de Anderson (1979), mais cette variable n'a pas beaucoup d'effet sur l'estimation ponctuelle du paramètre e. 101 COULOMBE MESURES DE L'EFFET FRONTIÈRE AVEC D'AUTRES BASES DE DONNÉES COMME NOUS L'AVONS SOULIGNÉ CI-DESSUS, jusqu'au développement très récent de données sur le commerce inter-États, les données canadiennes au niveau provincial étaient les seules données sur le commerce intranational à l'aide desquelles on pouvait estimer un effet frontière de type McCallum. En outre, les données sur le commerce provinces-États n'existent que depuis 1988. Cependant, des tentatives ont été faites pour estimer l'effet frontière, à l'aide d'autres bases de données de pays développés et d'estimations brutes des distances, pour les échanges intranationaux. La règle habituellement suivie pour représenter les distances internes dans ces études est celle proposée par Wei (1996). Pour un pays donné, celui-ci a fait l'hypothèse que la distance caractéristique des échanges internes équivaut au quart de la distance séparant la capitale du pays de la capitale la plus rapprochée d'un autre pays. L'estimation obtenue par Wei de l'effet frontière dans les pays de l'OCDE à l'aide de cette estimation plutôt grossière de la distance est beaucoup plus basse (légèrement supérieure à 2) que celle de McCallum. Helliwell (1998) fait état de résultats semblables, avec un effet frontière estimatif de 5,6 pour les pays de l'OCDE partageant la même langue, contre une estimation de 15,2 pour le commerce interprovincial/provinces-États durant l'année 1992. Helliwell (1998) montre que les estimations de l'effet frontière pour les pays de l'OCDE sont très sensibles à la définition (ad hoc) que l'on donne à la distance interne. Il en tire la conclusion suivante : Dans l'intervalle, il est probablement approprié d'accorder plus de poids aux données sur les flux commerciaux provinces-États en situant les ré- sultats obtenus pour les pays de l'OCDE dans la partie inférieure de l'intervalle probable des valeurs, (p. 62) Quant à l'étude de 1995 de McCallum, Helliwell suppose implicitement qu'un effet frontière de type McCallum estimé à l'aide du ratio du commerce interprovincial au commerce entre le Canada et les États américains est un phénomène observable dont l'ordre de grandeur pourrait correspondre à celui de l'effet frontière entre pays. Il fait ensuite l'hypothèse que, de façon générale, l'ordre de grandeur de l'effet frontière pourrait correspondre à peu près à l'estimation ponctuelle de exp(e) dans l'équation de régression (3), en utilisant une base de données de type McCallum. Cependant, ce point de vue risque de changer à la lumière des études récentes utilisant des données sur le commerce inter-États (Brown, 2003; Brown et Andersen, 2002; Andersen et van Wincoop, 2001). 102 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE QUE MESURE LE PARAMÈTRE EXP(E) ? AVANT D'ALLER PLUS LOIN, il importe de décrire plus exactement en quoi con- siste l'effet frontière de type McCallum [le paramètre exp(e)]. Que mesure précisément ce chiffre élevé? À cette fin, nous retournons à l'équation de gravi- té (1) dans sa forme multiplicative et nous la traitons de façon non formelle pour obtenir un résultat stylisé simple. Avec un effet frontière comme celui modélisé dans l'équation (3), l'équation (1) devient : La valeur estimative de 22 obtenue par McCallum pour l'effet frontière, dans l'étude parue dans American Economie Revient (1995), est une estimation linéaire des moindres carrés provenant de données transversales. Le paramètre de l'effet frontière est le ratio du commerce interprovincial pondéré au com- merce international pondéré. Les échanges entre le Québec (ou toutes les autres provinces canadiennes dans le cas général) et ses partenaires commerciaux sont pondérés (multipliés) par la distance et (divisés) par le PIB. L'estimation ponc- tuelle caractéristique du paramètre de la distance est de 1,4, tandis que les estimations paramétriques de l'élasticité par rapport au PIB sont souvent proches de l'unité. Certaines études (comme celle de Anderson et van Wincoop, 2001), où l'on a refait l'estimation du paramètre de l'effet frontière de McCallum pour l'année 1993, montrent que le fait d'imposer une élasticité-revenu égale à l'unité, comme le suppose le modèle de gravité de Anderson, ne change pas beaucoup la valeur estimative de exp(e). 103 Pour simplifier l'analyse, supposons que nous estimons l'effet frontière pour une seule province, disons le Québec (comme dans Helliwell, 1996), qui est la province 4. Dans cet exemple, i prend la valeur q pour le Québec, tandis que ; est soit p pour les neuf autres provinces soit s pour les États américains. En utilisant les solutions de l'équation (4) pour lesquelles la variable DL/MMY prend la valeur 1 pour le commerce entre le Québec et les autres provinces (qp) et la valeur 0 pour le commerce entre le Québec et les Etats américains (qs) (pour les 30 plus importants États retenus dans l'analyse de McCallum), nous obtenons, après manipulation, l'expression suivante : COULOMBE La conclusion qui s'en dégage est la suivante : ce que signifie vraiment « après avoir neutralisé l'effet de l'échelle et de la distance » est que le com- merce interprovincial est 16,4 fois plus important que le commerce provinces- États. Ce chiffre correspond au ratio des échanges pondérés. Etant donné la forme multiplicative du modèle de gravité, dans les estimations de l'effet fron- tière, le commerce est pondéré par l'inverse du PIB et multiplié par la distance à l'exposant 1,4- Dans le reste de l'étude, nous utiliserons l'expression « com- merce pondéré » pour indiquer que nous ne parlons pas du commerce au sens habituel. Cette précision est requise dans l'analyse qui suit de l'étude de Andersen et van Wincoop (2001) puisque la compréhension exacte de leur contribution, et de ses limites, est liée à la notion de commerce pondéré. TAILLE ET RÉSISTANCE AU COMMERCE : SOLUTION PROPOSÉE À L'ÉNIGME DE LA FRONTIÈRE N OUS PASSONS MAINTENANT À L'EXAMEN des contributions récentes à la documentation sur l'effet frontière, en mettant l'accent sur les grandes questions qui entourent ce sujet dans le reste de l'étude. Nous croyons que ces questions ne sont pas liées à l'estimation de exp(e) mais plutôt à l'interprétation du résultat. L'analyse de la signification de l'effet frontière dans le contexte canadien s'est réorientée fondamentalement après la publication de l'étude de Andersen et van Wincoop (2001) dans la collection des documents de travail du NBER. Afin d'esquisser directement les enjeux posés par cette importante étude, citons un bref passage tiré du sommaire : Le chiffre spectaculaire obtenu par McCallum découle d'un biais lié à l'omission de variables et de la petite taille de l'économie canadienne. Deux points majeurs ressortent de cette étude : l'effet lié à la taille et le biais causé par l'omission de variables. Les deux peuvent être examinés séparé- ment même si, comme nous le montrons plus loin, ils sont partiellement liés. Mais avant d'aborder ces points, examinons brièvement un fait stylisé fonda- mental qui ressort de travaux récents, un fait étroitement lié à l'importante analyse de Andersen et van Wincoop. L'EFFET DE LA FRONTIÈRE CANADO-AMÉRICAINE N'EST PAS SYMÉTRIQUE TROIS ÉTUDES RÉCENTES SUR L'EFFET FRONTIÈRE (Anderson et van Wincoop, 2001; Brown, 2003; Brown et Anderson, 2002) ont pavé la voie à une nouvelle interprétation de l'effet frontière. Cet effet est d'un ordre de grandeur plus petit (entre six et douze fois) lorsque mesuré par le ratio du commerce inter-États pondéré au commerce transfrontière pondéré des États-Unis, plutôt que par la 104 EFFET FRONTIERE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE méthode de McCallum, laquelle correspond au ratio du commerce interprovin- cial pondéré au commerce transfrontière pondéré du Canada. Ce point est en soi très important parce qu'il montre que la frontière n'a pas le même effet pour tous les pays en termes de commerce pondéré. La frontière est encore plus importante — d'un ordre de grandeur — pour les flux de commerce pondérés du Canada que pour les flux de commerce pondérés des États-Unis. Fait intéressant, Brown (2003) et Brown et Andersen (2002) utilisent une base de données désagrégée par secteur, contrairement à Anderson et van Wincoop (2001) et arrivent à des résultats très comparables. Leur méthodolo- gie économétrique est aussi sensiblement différente puisqu'ils utilisent des va- riables de contrôle pour les salaires, la productivité et les facteurs spatiaux dans l'estimation de l'équation de gravité. Globalement, l'effet frontière non symé- trique qui ressort des nouvelles données sur le commerce inter-Etats semble très robuste et devrait dorénavant être considéré comme un fait stylisé. Suite à la conclusion formulée par McCallum dans son étude de 1995, de nombreux analystes ont affirmé que l'estimation de l'effet frontière de McCallum était la seule estimation fiable d'un phénomène général (l'importance des fron- tières d'un pays sur le plan du commerce). Les trois études récentes démontrent que les estimations de l'effet frontière de type McCallum sont extrêmement sensibles au fait que la comparaison porte sur le commerce international pondé- ré et le commerce interprovincial pondéré, ou le commerce inter-Etats pondéré, dans une équation de gravité. Ce résultat demande une explication. Anderson et van Wincoop (2001) ont franchi une étape décisive dans cette direction. L'EFFET LIÉ À LA TAILLE LE PARADOXE QUI RESSORT DE L'ESTIMATION de l'effet frontière obtenue avec les données sur le commerce inter-Etats est le point de départ de l'analyse de Anderson et van Wincoop. Utilisant l'équation de gravité de McCallum avec diverses sources de données pour l'année 1993 (commerce interprovincial, commerce Etats-provinces et commerce inter-Etats), ils estiment l'effet fron- tière de type McCallum à 16,4 pour le commerce interprovincial canadien, mais à seulement 1,6 pour le commerce des États américains. Les auteurs con- centrent leur attention sur ce point et offrent une explication très simple et convaincante pour ce paradoxe apparent. Les valeurs élevées de l'effet frontière présentées dans l'étude de McCallum et dans d'autres études subséquentes, et les valeurs plus basses obtenues à l'aide des données sur le commerce des États américains découlent principalement du fait que l'économie canadienne a une petite taille par rapport à l'économie américaine. L'explication de l'effet lié à la taille fournie dans l'étude de Anderson et van Wincoop (2001) s'inscrit dans le cadre d'un modèle de gravité théorique semblable à celui de Anderson (1979). Nous reviendrons sur l'aspect théorique du modèle de gravité élaboré dans 105 COULOMBE l'étude de Andersen et van Wincoop au moment d'analyser le biais causé par l'omission de certaines variables puisque l'effet lié à la taille a une pertinence générale et n'est pas limitée à un cadre théorique en particulier. La meilleure façon d'expliquer l'effet lié à la taille est de faire appel à l'exemple proposé par Anderson et van Wincoop (2001). Supposons que l'économie mondiale est constituée de deux pays, un grand pays qui possède cent régions (États) et un petit pays qui n'a que deux régions (provinces). La distance n'intervient pas dans cet exemple, tout comme elle est absente de la démonstration formelle de l'effet lié à la taille dans le modèle théorique de Anderson et van Wincoop. Supposons aussi que la dotation en ressources de cette économie est répartie entre régions de taille économique égale. Initiale- ment, il n'y a pas de barrières commerciales entre les deux pays et toutes les régions échangent une unité (divisible) de biens les unes avec les autres. Cette hypothèse équivaut à pondérer le commerce en fonction de la taille en suppo- sant une élasticité unitaire, comme dans le modèle de gravité, puisque le ratio du commerce intranational au commerce international est proportionnel à la taille économique. Supposons ensuite qu'une modeste barrière au commerce est érigée, entraînant une réduction de 20 p. 100 du commerce entre les deux pays. L'effet de ce choc est beaucoup plus important pour les provinces de la petite économie que pour les Etats de la grande économie. La province 1 voit ses exportations vers le grand pays diminuer de vingt unités. Selon l'hypothèse du détournement pur, cette province vendra dorénavant dix unités supplémen- taires de biens à elle-même et dix unités supplémentaires à l'autre province. Le commerce interrégional au sein du petit pays se trouve alors multiplié par un facteur de 11, tandis qu'il n'est multiplié que par un facteur de 1,004 dans le grand pays. En analysant la situation nouvelle à l'aide du modèle de gravité de l'effet frontière de McCallum, on constate qu'après rajustement pour tenir compte de la taille, le commerce interprovincial est 13,75 fois plus élevé que le commerce international, tandis que le commerce inter-Etats n'est que de 1,255 fois plus élevé que le commerce international. Ainsi, même une modeste barrière au commerce entre un petit pays et un grand pays peut provoquer un important effet frontière, mesuré par le ratio du commerce interprovincial au commerce international comme dans le calcul de McCallum, où le commerce est pondéré par la taille. La solution offerte par Anderson et van Wincoop à l'énigme de la frontière pourrait se résumer par la question et la réponse suivantes : Les frontières nationales ont-elles de l'importance? Oui, et beaucoup plus pour un petit pays que pour un grand pays. Pour un petit pays, la frontière accroît les coûts du commerce avec la plupart des partenaires commerciaux. Mais ce n'est pas le cas d'une grande économie comme celle des États-Unis, où la frontière ne hausse pas le coût des échanges inter-Etats. J06 EFFET FRONTIERE ET INTEGRATION ECONOMIQUE NORD-AMERICAINE Dans l'étude du cas canado-américain, l'effet lié à la taille est encore plus convaincant lorsque nous le considérons conjointement au modèle de gravité. Supposons que le commerce est proportionnel au PIB et inversement propor- tionnel à l'éloignement. Étant donné que l'Amérique du Nord est éloignée des autres régions prospères du monde (l'Europe et le Japon), une part importante des débouchés commerciaux des États et des provinces (pondérés par la taille et la distance) se trouve en Amérique du Nord. Même une modeste barrière au commerce, comme les coûts de transaction de la conversion des devises ou la prime de risque associée au taux de change, peut engendrer un important effet frontière de type McCallum, mesuré par le ratio du commerce interprovincial pondéré au commerce international pondéré. L'économie américaine recèle une part très élevée des débouchés commerciaux de toute province canadienne, et une frontière les sépare. Ce n'est pas le cas des Etats américains, pour lesquels la grande majorité des débouchés commerciaux se trouve dans les Etats voisins. LE PROBLÈME DU BIAIS CAUSÉ PAR L'OMISSION DE VARIABLES L'ÉTUDE DE 1979 DE ANDERSON, publiée dans American Economie Review, est souvent citée comme l'un des fondements théoriques du modèle de gravité. Il n'est pas étonnant que l'analyse de Anderson et van Wincoop (2001) repose sur un cadre théorique provenant des travaux antérieurs de Anderson. Les deux piliers de l'étude de Anderson et van Wincoop (2001) sont les mêmes que ceux de l'étude de Anderson (1979) : 1) les biens sont différenciés selon leur lieu d'origine, et 2) les préférences homothétiques sont représentées approxi- mativement par une fonction d'utilité CES. L'élément théorique clé de l'étude est qu'elle répartit la résistance au commerce entre les régions i et j en trois composantes : 1) la barrière au commerce bilatéral entre les régions i et j, 2) la résistance multilatérale au commerce de la région i face à l'ensemble des régions i, et 3) la résistance multilatérale au commerce de la région;. La résis- tance multilatérale au commerce d'une région est fonction de la distance qui la sépare de ses partenaires commerciaux potentiels et des barrières commerciales. Le résultat fondamental du modèle de gravité de Anderson et van Wincoop est que le commerce entre deux économies, rajusté en fonction de la taille, est fonc- tion du ratio de la résistance bilatérale au commerce entre les deux économies et du produit de leur résistance multilatérale au commerce. Comparativement à un monde commercial sans frontières, la frontière canado-américaine accentue les trois aspects de la résistance au commerce des provinces et des États. L'effet de la frontière sur le ratio du commerce interpro- vincial au commerce international a été calculé par Anderson et van Wincoop dans un exercice en plusieurs étapes et est fonction des changements dans les termes de la résistance multilatérale. Cette « estimation conforme à la théorie » de l'effet frontière s'établit à 10,7. Anderson et van Wincoop ont pu calculer 107 COULOMBE un « paramètre de type McCallum théoriquement implicite » qui est fonction du ratio (et non du changement) des termes de la résistance multilatérale. Ce paramètre est estimé à 14,8. Selon les auteurs, les estimations de l'effet fron- tière de type McCallum pour le Canada basées sur le ratio du commerce inter- provincial au ratio du commerce international exagèrent l'effet frontière dans une proportion de 38 p. 100 à cause d'un biais engendré par l'omission de cer- taines variables. Les variables omises sont les termes de la résistance multilaté- rale, non modélisés dans une régression de gravité de type McCallum. Il importe de noter que ce biais entraîne une surestimation de l'effet fron- tière parce que le terme de résistance multilatérale est plus élevé pour les pro- vinces canadiennes que pour les États américains. Cela n'a rien d'étonnant étant donné que la frontière canado-américaine accroît beaucoup plus la résis- tance multilatérale des provinces canadiennes que celle des États américains en raison de l'effet lié à la taille, examiné précédemment. Réciproquement, Anderson et van Wincoop montrent qu'en utilisant une régression de type McCallum pour estimer l'effet frontière à partir du ratio du commerce inter-États au commerce international (des États-Unis), on sous-estime l'effet frontière véritable. Les auteurs constatent que l'estimation de l'effet frontière conforme à la théorie serait de 2,24, comparativement à la valeur paramétrique de 1,63 obtenue par McCallum. CONSIDÉRATIONS RELATIVES À L'EMPLACEMENT DANS L'ANALYSE DE ANDERSON ET VAN WlNCOOP FAIT INTÉRESSANT, ANDERSON ET VAN WlNCOOP signalent qu'une régression de type McCallum estimera un effet frontière positif pour le ratio du commerce interprovincial pondéré au commerce international (canadien) pondéré, même dans un monde sans frontières. Selon les auteurs, c'est uniquement à cause de la distance que l'estimation de la résistance multilatérale dans un contexte sans frontières est, en moyenne, plus élevée pour les provinces canadiennes que pour les Etats américains. Cela n'a rien à voir avec l'effet lié à la taille (écono- mique), mais plutôt avec la situation géographique. En moyenne, les provinces canadiennes sont plus éloignées de leurs partenaires commerciaux potentiels (après pondération) que les États américains, en raison de la situation périphé- rique des provinces. Le Canada est non seulement un petit pays en comparaison des États-Unis, mais il est situé à la périphérie de l'économie nord-américaine. Afin d'illustrer l'impact de la localisation sur la résistance multilatérale et les estimations standard de l'effet frontière, envisageons l'alternative suivante au monde réel. Supposons que l'économie canadienne se trouve à égale distance des économies des États-Unis et de l'Union européenne (UE). Supposons aussi que les flux commerciaux entre les trois économies (et leurs régions) suivent la loi d'un modèle de gravité avec effet lié à la frontière nationale. Dans le cadre 108 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE analytique de Andersen et van Wincoop, une estimation de type McCallum de l'effet lié à la frontière canado-américaine serait beaucoup plus basse que le chiffre habituel de 16. Pourquoi? Parce que la résistance multilatérale du Canada serait relativement plus basse qu'en réalité, puisque le Canada se trouverait plus près de l'Europe. Dans ce monde hypothétique, l'effet de la frontière amé- ricaine sur les débouchés commerciaux du Canada est plus restreint que dans le monde réel parce que la frontière canado-américaine n'aggrave pas les obstacles commerciaux entre les régions canadiennes et leurs voisines de TUE. La résis- tance multilatérale au commerce des États-Unis serait également plus faible. Cependant, la différence serait plus grande pour le Canada parce que son éco- nomie est plus petite que celle des États-Unis et que, dans ce monde hypothé- tique, il est situé entre les États-Unis et l'Union européenne. Étant donné que les estimations de l'effet frontière de McCallum sont proportionnelles au ratio de la résistance multilatérale dans l'analyse théorique de Anderson et van Wincoop, les estimations de l'effet frontière pourraient être beaucoup plus basses dans un monde hypothétique. Ce point illustre un autre aspect du biais engendré par l'omission de certaines variables, évoqué par Anderson et van Wincoop. En résumé, la contribution de Anderson et van Wincoop changera vrai- semblablement le courant dominant sur l'interprétation et la signification à donner à l'effet frontière. Leur étude montre que l'effet de la frontière sur les ratios du commerce pondéré entre deux pays n'est pas symétrique. L'analyse met en lumière le rôle de la résistance multilatérale et aide à expliquer pourquoi le ratio pondéré du commerce interprovincial au commerce canado-américain est si élevé en comparaison du ratio pondéré du commerce inter-États au commerce international. Comme nous le verrons dans la section suivante, toutefois, l'analyse axée sur la taille relative des deux économies ne prend pas en considé- ration le rôle joué par la distance et l'emplacement. Ces deux facteurs sont au centre de l'analyse du biais engendré par les variables omises, mais ils devraient aussi figurer dans l'analyse de l'effet lié à la taille. QU'EST-CE QUI COMPTE EN DÉFINITIVE? LA TAILLE ET LA DENSITÉ A NDERSON ET VAN WINCOOP INSISTENT SUR L'IMPORTANCE du rôle joué par la taille (économique) dans l'incidence des barrières commerciales sur la résistance multilatérale. C'est la première contribution importante de leur étude, la seconde étant l'analyse économétrique et l'estimation du biais engendré par les variables omises. Cependant, nous pensons que leur analyse est incomplète en ce qui a trait à la relation théorique entre la taille économique et les flux commerciaux pondérés (en fonction de la taille et de la distance). Il s'ensuit 109 COULOMBE que le lien qu'ils établissent entre le chiffre célèbre de McCallum et la petite taille de l'économie canadienne pourrait être quelque peu trompeur. En effet, Anderson et van Wincoop n'incluent pas la distance en calculant leurs résul- tats au sujet de la taille. Nous montrerons que la distance importe, notamment dans un modèle de gravité. En jumelant la taille (économique) et la distance, nous constatons que la densité économique (la taille économique divisée par la distance) est un autre déterminant de la valeur obtenue par McCallum (avec le biais causé par les variables omises). L'ANALYSE THÉORIQUE DE ANDERSON ET VAN WlNCOOP PEUT-ELLE SE TRANSPOSER DANS UN MODÈLE DE GRAVITÉ? DANS LEUR DÉMONSTRATION DE L'EFFET DES BARRIÈRES COMMERCIALES sur le commerce rajusté en fonction de la taille entre grands et petits pays, Anderson et van Wincoop (2001, p. 11-12) ne tiennent pas compte de la distance. La distance entre dans l'analyse seulement dans l'équation (16), à la page 12. Les auteurs sont bien conscients de cela puisque les trois conséquences qui découlent de leur analyse, à la section 3, sont formulées en termes de relation entre les barrières commerciales et le commerce rajusté en fonction de la taille. Avant d'introduire formellement la distance, dans les équations (12) à (15), ils isolent l'effet d'un changement dans les barrières commerciales t entre l'ensemble des pays sur les flux d'échanges intranationaux et internationaux en tant que fonc- tion de la taille économique des pays. A titre d'exemple, voici la structure de leur équation (15), à la page 11 : d (ratio du commerce interprovincial(ii) /international(ij) pondéré) = F [taille économique (ij) ] •dt, où dt est la différentielle des barrières commerciales. Cet exercice comparatif s'appuie sur l'hypothèse que l'équilibre initial, dans un contexte sans frontières, suppose que t = 1 pour toutes les économies et que l'effet d'une augmentation des barrières commerciales est dt pour toutes les économies. Cette hypothèse critique est énoncée juste avant la présentation de l'équation (16). De façon générale, cette analyse ne pourrait être directement transposée en un modèle de gravité où les barrières commerciales sont fonction de la distance. Cela découle clairement de l'analyse de Anderson et van Wincoop puisque, comme ils l'affirment, dans l'équation (16) qui suit, 110 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE Nous suivons l'exemple d'autres auteurs en faisant l'hypothèse que t- est une fonction log-linéaire des valeurs observables : la distance bilatérale et la présence ou l'absence d'une frontière internationale entre i et j : Par conséquent, le terme dt dans les équations (12) à (15) devrait être proportionnel au facteur distance, Dy p , dans un modèle de gravité. Ici, p est le paramètre de la distance de l'équation (3). Dans une analyse complète, tant la distance interne que la distance externe figureraient dans les résultats qui relient les ratios du commerce à la taille économique. Par conséquent, leur analyse est fondée sur l'hypothèse singulière que les distances internes et externes sont les mêmes pour une petite et une grande économie! Cette hypothèse ne serait valide dans un modèle de gravité que si la densité économique était propor- tionnelle à la taille économique. DÉTAILS SUPPLÉMENTAIRES SUR LE CHIFFRE CÉLÈBRE DE MCCALLUM MÊME SI LE CANADA EST UN PETIT PAYS en comparaison des États-Unis sous l'angle de la population et du PIB, les distances caractéristiques du commerce interprovincial au Canada sont assez importantes et du même ordre de gran- deur que les distances qui caractérisent le commerce canado-américain. Comme l'a montré Helliwell (1998, p. 18), la distance moyenne entre les pro- vinces canadiennes est de 7p. 100 supérieure à la distance entre les provinces et les États américains. Wei (1996) et Helliwell (1998) ont montré aussi que l'estimation habituelle de l'effet frontière est très sensible à la mesure de la distance interne. De façon générale, si l'élasticité de la distance d dans l'équation (3) est proche de l'unité, l'effet frontière de type McCallum est pro- portionnel à la mesure de la distance interne pour un pays donné. Envisageons maintenant l'expérience hypothétique suivante. Supposons que la distance interne au Canada, en comparaison avec les États-Unis, devient proportionnelle au ratio des PIB des deux pays; la distance interne ne change pas aux Etats-Unis; enfin, la distance qui caractérise les échanges provinces- Etats ne change pas. En d'autres termes, la densité économique (PIB/distance interne) est la même au Canada et aux États-Unis. Puisque la distance interne au Canada est réduite par un facteur de 10, une estimation de l'effet frontière de type McCallum fondée sur le commerce interprovincial pondéré, dans ce cadre hypothétique, serait très comparable à une estimation fondée sur le commerce inter-États pondéré. Dans l'exemple qui précède, la densité économique est la même dans les deux pays. Afin d'illustrer cette notion, comparons les versions suivantes d'un monde à deux pays. Dans le premier cas, le monde est constitué du Canada et des Etats-Unis; dans le second, il est constitué des États-Unis et de la Belgique. 111 COULOMBE La distance caractéristique entre le Canada et la Belgique, d'un côté, et les Etats-Unis, de l'autre est la même. La taille économique de l'économie améri- caine est dix fois celle des économies canadienne et belge. La taille géographique du Canada est égale à la taille des États-Unis mais elle est dix fois celle de la Belgique. En d'autres termes, la Belgique et les Etats-Unis ont des densités économiques identiques, tandis que la densité du Canada est dix fois plus pe- tite. Quelle serait l'estimation de l'effet frontière de type McCallum sur la base des ratios des données du commerce intranational pondéré du Canada et de la Belgique aux données du commerce international pondéré avec les États-Unis dans ces deux versions du monde? La réponse dépend d'un certain nombre de choses, mais l'un des déterminants clés des estimations de l'effet frontière relatif pour le Canada et la Belgique est l'estimation ponctuelle du paramètre de la distance dans l'équation (3). Si elle est égale à zéro, les deux effets frontières sont du même ordre de grandeur. Mais si l'estimation ponctuelle se situe autour de l'unité, l'effet frontière est d'un ordre de grandeur plus élevé pour le Canada que pour la Belgique (par exemple 16 contre 1,6). Il en est ainsi parce que le commerce interne et le commerce externe sont pondérés par la distance dans l'estimation de l'effet frontière de type McCallum. Avec une estimation ponc- tuelle du paramètre de la distance égale à un, le commerce entre des régions distantes de 1 000 milles (comme au Canada) vaut dix fois le commerce entre des régions qui ne sont éloignées que de 100 milles (comme en Belgique). Au- trement dit, Andersen et van Wincoop ont raison : la taille économique a de l'importance, mais la taille géographique compte aussi. Ce qui importe, en défi- nitive, est le ratio de ces deux facteurs, c'est-à-dire la densité économique. Ce que Anderson et van Wincoop démontrent dans leur analyse de la ré- sistance multilatérale est que les barrières commerciales accroissent davantage le commerce rajusté en fonction de la taille dans les petits pays que dans les grands pays (la seconde conséquence de leur analyse). Mais cela ne signifie pas que les barrières commerciales accroissent davantage le commerce rajusté en fonction de la taille et de la distance dans les petits pays que dans les pays de plus grande taille. C'est là l'essentiel de notre contribution. Si un petit pays (en termes économiques) est aussi petit en termes géographiques, la distance interne sera plus petite qu'au sein d'un grand pays. L'effet frontière de type McCallum ne sera pas nécessairement biaisé. Mais comme la densité économique varie beau- coup entre pays (comme la taille économique d'ailleurs), la conséquence géné- rale de l'analyse est la même que dans Anderson et van Wincoop (2001) : l'effet frontière de type McCallum ne saisit pas l'effet quantitatif des frontières sur les barrières commerciales qui pourrait être comparé au niveau transversal (entre pays). 112 EFFET FRONTIÈRE ET INTEGRATION ECONOMIQUE NORD-AMERICAINE GRAVITÉ, STRUCTURE SPATIALE, RELATIVITÉ ET TOPOLOGIE Si NOUS RESTREIGNONS L'ANALYSE À LA TAILLE en faisant abstraction de la distance, l'approche de Anderson et van Wincoop nous semble tout à fait cor- recte. Leur analyse ne pourrait être transposée directement dans un cadre où la distance compte, mais elle demeure néanmoins très révélatrice. Cependant, il ne suffit pas d'accorder de l'importance à la gravité pour résoudre l'énigme de la frontière. Poursuivant l'analogie avec la physique, nous devons passer de la gravité à la relativité afin de solutionner cette énigme. Cela découle du fait qu'une estimation de l'effet frontière basée sur des pondérations relatives (pour la taille et la distance) est, à notre avis, très sensible à la densité relative. Nous croyons qu'il sera extrêmement difficile d'isoler théoriquement la relation entre le commerce pondéré en fonction de la taille et de la distance dans une approche théorique comme celle de Anderson et van Wincoop, dans un contexte où la densité varie. Mais une telle analyse théorique va bien au-delà de la présente réflexion. Deux études récentes, celle de Brown et Anderson (2002) et celle de Brown (2003), mettent aussi en relief et examinent d'une autre façon l'importance de la structure spatiale particulière des économies nord- américaines aux fins de l'estimation de l'effet frontière. Bien entendu, l'introduction de la structure spatiale avec des variables telles que la distance et la densité dans un modèle de gravité théorique est une tâche très complexe. Cela n'a pas encore été fait et l'analyse de la structure spatiale demeure au niveau de la discussion dans ces deux études. Cependant, Brown (2003) souligne clairement l'importance de la distance et de la densité dans son exposé : De fait, l'économie canadienne prend la forme d'un marché étroit et dis- persé qui s'étend d'est en ouest le long de la frontière avec les États- Unis, délimitée par un territoire essentiellement inhabité au nord et la frontière américaine au sud. À l'opposé, l'économie américaine n'a pas de limites géographiques ou économiques comparables. Son marché est plus gros, plus dense et plus également réparti dans l'espace. Par consé- quent, [... ] les régions canadiennes font face à un niveau plus élevé de résistance multilatérale que leurs voisines américaines. Toute mesure de l'effet frontière qui s'appuierait sur le commerce interprovincial pourrait donc être sensiblement biaisée à la hausse, (p. 4) Une tentative « simpliste » (le terme employé par Brown) est faite dans Brown (2003) pour vérifier la signification de la structure spatiale dans les flux commerciaux nord-américains. Mais en l'absence d'un modèle de gravité théo- rique qui tiendrait compte de l'incidence de la distance et de la densité sur les estimations de l'effet frontière, cette hypothèse est très difficile à vérifier. 113 COULOMBE Comme on pouvait s'y attendre, l'exercice de Brown (2003) a produit des résul- tats ambigus qu'il est très difficile d'interpréter. Nous partageons entièrement sa conclusion à l'effet que des recherches supplémentaires sont requises sur cette question. Cependant, nous croyons que les études empiriques futures devraient s'intéresser davantage au rôle de la densité de l'activité économique dans un modèle de gravité. Pour conclure cet exposé sur l'importance de la distance et de la densité, nous souhaitons souligner le rôle joué par la topologie. La distance moyenne entre partenaires commerciaux au sein d'un pays est déterminée non seulement par la taille géographique du pays, mais aussi par la topologie des flux commer- ciaux, un sujet très complexe. Contentons-nous d'affirmer ceci : le fait que le commerce interprovincial au Canada se déroule sur un seul axe (est-ouest) — plutôt que sur de multiples axes, comme aux États-Unis — suppose, toutes choses étant égales par ailleurs, que les distances internes sont plus grandes en moyenne au Canada qu'aux États-Unis, des pays de taille géographique équiva- lente. On peut illustrer ce point à l'aide d'un exemple simple. Prenons deux cas : 1) les points A, B et C sont situés sur une ligne droite, B étant à égale distance de A et de C; 2) les points A, B et C sont situés sur des points diffé- rents d'un triangle équilatéral. Supposons que la distance entre B et les deux autres points soit la même. Dans le premier cas, il n'y a qu'un seul axe de com- merce et la distance entre A et C correspond à deux fois la distance AB. Dans le second cas, il y a trois axes de commerce et la distance entre A et C est égale à AB. La distance interne moyenne dans le cas linéaire (cas 1) est 33 p. 100 plus grande que dans le cas triangulaire (cas 2). Ce résultat peut être généralisé, mais ce qui importe ici est que les distances internes dans un pays sont plus grandes, pour une taille géographique donnée, lorsque les flux commerciaux se déroulent uniquement sur un axe, comme c'est le cas au Canada. Pour résumer, le chiffre célèbre de McCallum est le résultat d'un biais en- gendré par l'omission de certaines variables et de la grande distance interne qui caractérise le commerce interprovincial au Canada. Même si l'économie cana- dienne représente environ un dixième de la taille de l'économie américaine, la distance interne typique du commerce entre les provinces canadiennes est du même ordre de grandeur que la distance typique du commerce entre une province canadienne et un État américain. Cela découle de la géographie particulière du Canada et du fait que le commerce interprovincial canadien suit essentiellement un axe est-ouest en comparaison des multiples axes de commerce qui existent entre le Canada et les États-Unis. 114 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE INTERPRÉTATIONS DE L'EFFET FRONTIÈRE U N EXAMEN RAPIDE DE L'ÉQUATION (5), qui spécifie ce que mesure l'effet frontière de type McCallum, révèle pourquoi des interprétations diverses et parfois contradictoires de l'effet frontière ont été faites dans les travaux éco- nomiques publiés et dans le débat sur la politique économique en général. La valeur élevée obtenue correspond à un ratio complexe du commerce pondéré en fonction de la taille et de la distance. Ce chiffre peut être très trompeur parce qu'il ne s'agit pas simplement de l'interpréter dans l'optique de ce qui compte vraiment pour la politique économique : le niveau des flux commer- ciaux non pondérés et le bien-être. Supposons que l'Ontario réoriente une unité de commerce du Michigan vers la Colombie-Britannique. Supposons aussi que la taille économique du Michigan est quatre fois celle de la Colombie- Britannique, et que la distance entre les deux provinces canadiennes est dix fois la distance séparant l'Ontario du Michigan. Dans un modèle de gravité de type McCallum, l'unité de commerce entre la Colombie-Britannique et l'Ontario vaudrait 40 fois l'unité de commerce entre l'Ontario et le Michigan. Ce chiffre élevé n'a rien à voir avec ce qui importe vraiment : le bien-être. Nous examinons maintenant deux interprétations que l'on retrouve dans les travaux consacrés au « chiffre célèbre » de McCallum, à la lumière des études récentes sur cette question (notamment celle de Anderson et van Wincoop) et de l'analyse présentée dans la section précédente. L'EFFET RÉDUCTEUR DES FRONTIÈRES SUR LE COMMERCE INTERNATIONAL Dans bien des cas, les frontières nationales réduisent les volumes de commerce par un facteur de dix à vingt. C'EST LA TOUTE PREMIÈRE PHRASE d'une étude récente de Evans (2000) — une façon assez remarquable de débuter une publication. Cependant, cette interpré- tation étroite de l'effet frontière est sérieusement trompeuse. C'est l'une des contributions manifestes de Anderson et van Wincoop (2001); pour reprendre leurs mots : L'absence de fondement théorique des équations de gravité empiriques a deux conséquences importantes. Premièrement, les estimations sont faussées en raison de l'absence de certaines variables. Deuxièmement, et ce qui est peut-être plus important, on ne peut faire de tels calculs en statique comparative, même si cela est le but généralement visé en esti- mant des équations de gravité. Afin de pouvoir se livrer à un exercice de statique comparative, par exemple se demander quels seraient les effets de la suppression de certaines barrières commerciales, il nous faut résoudre le modèle d'équilibre général avant et après la suppression des barrières commerciales, (p. 1) 115 COULOMBE Le fait que le commerce interprovincial soit seize fois plus important que le commerce Canada-États-Unis, après avoir neutralisé les effets liés à l'échelle et à l'éloignement, ne signifie pas que l'abolition de la frontière entraînerait une multiplication par seize de nos échanges commerciaux avec ce pays. A titre d'exemple, comparativement à un monde sans frontières, la frontière pourrait multiplier le commerce interprovincial (pondéré) par un facteur de 8 et diviser le commerce international (pondéré) par un facteur de 2, résultant en un effet frontière estimatif de 16. Andersen et van Wincoop (2001) sont d'avis que la suppression des barrières commerciales entre le Canada et les États-Unis (pour un effet frontière de 16 en 1993) accroîtrait de 44 p. 100 les échanges commer- ciaux entre les deux pays. La magie du commerce pondéré en fonction de la distance et de la taille, de même que le biais imputable à l'omission de certaines variables, transforment un effet substantiel en un chiffre susceptible de faire la manchette. Une autre façon de mettre cela en perspective est d'examiner l'effet fron- tière estimé à partir du ratio du commerce inter-États au commerce internatio- nal (Anderson et van Wincoop, 2001; Brown, 2003; Brown et Andersen, 2002). Ces effets frontières de type McCallum sont environ dix fois moins éle- vés que ceux calculés à l'aide des données sur le commerce interprovincial, essentiellement en raison de la faible densité économique du Canada. L'EFFET EXPANSIONNISTE DES FRONTIÈRES SUR LE COMMERCE INTRANATIONAL Ainsi, le pouvoir d'expansion du commerce de la fédération canadienne est plus d'un ordre de grandeur supérieur à celui de l'Union européenne. (Helliwell, 1996, p. 508) L'ANALYSE QUI SOUS-TEND CETTE CITATION est basée sur une valeur de 20 pour l'effet frontière de type McCallum entre le Canada et les États-Unis (esti- mée à l'époque par Helliwell) et l'estimation de 1,6 obtenue par Frankel et Wei (1993) dans une comparaison du commerce entre les pays de l'UE et les autres pays. Les études récentes sur l'effet frontière montrent qu'il est trompeur d'associer la taille relative d'un effet frontière de type McCallum (comme pour le Canada et l'Union européenne dans la citation qui précède) au pouvoir rela- tif d'expansion du commerce d'un pays ou d'une union économique. Fait intéressant, la valeur de 1,6 pour l'Union européenne est exactement égale à l'effet frontière de type McCallum estimé récemment à partir du ratio du commerce inter-États au commerce international. Si nous poussons plus loin l'analyse de Helliwell, la capacité d'expansion du commerce de la fédéra- tion canadienne serait de plus d'un ordre de grandeur supérieure à celle de la fédération américaine. 116 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE Les études postérieures à 2000 sur l'effet frontière illustrent bien pourquoi il est dangereux et parfois trompeur de comparer les estimations obtenues pour deux pays tels que le Canada et les États-Unis. Les estimations de l'effet frontière de type McCallum sont très sensibles à la taille et à la densité des économies respectives. L'effet de la frontière sur le commerce pondéré (en fonction de la taille et de la distance) est beaucoup plus marqué pour un pays de petite taille économique et de faible densité que pour les États-Unis ou l'Union européenne. Pour exprimer les choses différemment, la valeur de l'effet frontière au Zimbabwe en 1988, telle que calculée par Helliwell (1998, tableaux 3 et 4), était de 232,5. Cela ne saurait être interprété comme une mesure de la capacité d'expansion du commerce des institutions de ce pays. ÉVOLUTION ESTIMATIVE DE L'EFFET FRONTIÈRE SUR LA PÉRIODE 1981-2000 L ES ESTIMATIONS DE L'EFFET FRONTIÈRE de type McCallum pour le Canada sont fondées sur les données détaillées du commerce entre provinces et entre provinces et États, lesquelles ne sont disponibles que pour la période 1988-1996 et, sur une base compatible, uniquement pour la période 1990-1996. Cet intervalle n'est pas suffisamment long pour permettre de tirer des conclusions fermes sur l'évolution temporelle de l'effet frontière. Mais étant donné que cette brève période coïncide avec la mise en place de l'ALE, la courte séquence d'estimations de l'effet frontière fait ressortir des conclusions qui comportent une dimension temporelle (Helliwell, 1998; Helliwell, Lee et Messinger, 1999); l'effet frontière a diminué après l'entrée en vigueur de l'ALE jusqu'à 1993-1994 et il a été stable par la suite. Dans cette section, nous tentons d'enrichir la dimension dynamique de l'effet frontière en exploitant au mieux l'information sur le commerce interpro- vincial et international des biens et services, pour le Canada et les dix provinces, que renferme la base de données agrégées de Statistique Canada sur le produit intérieur brut fondée sur les dépenses (PIBD). Cette information est jumelée aux estimations obtenues par Helliwell (1998) à l'aide de données détaillées afin de produire une estimation approximative de l'effet frontière pour la pé- riode 1981-2000. Cet exercice ne vise pas à calculer des valeurs de l'effet fron- tière rivalisant avec les estimations détaillées de Helliwell. Notre objectif est simplement de prolonger la dimension temporelle. L'idée d'utiliser des données agrégées pour produire des estimations ap- proximatives de l'effet frontière au Canada n'est pas nouvelle. A notre connais- sance, Helliwell (1998) a été le premier à le faire en vue d'estimer l'effet frontière dans le secteur des services. La même méthodologie est employée ci-dessous pour le secteur des services, dans la section intitulée L'effet frontière pour les services. 117 COULOMBE Dans la prochaine section, nous utilisons une approximation plus précise pour prolonger la dimension temporelle de l'effet frontière dans le secteur des biens. L'EFFET FRONTIÈRE POUR LES BIENS ET LA COURBE EN « L » L'HYPOTHÈSE DE BASE QUI SOUS-TEND NOTRE ESTIMATION de l'effet frontière avec des données agrégées est que l'effet frontière de type McCallum [exp(e) dans l'équation (5)] est proportionnel au ratio du commerce interprovincial au commerce international, TR, calculé à partir de la base de données agrégées. Bien entendu, cette hypothèse suppose certains postulats audacieux : les parts respectives du commerce canadien avec les États-Unis et avec les autres parte- naires commerciaux du Canada demeurent constantes; il n'y a pas de facteur de tendance dans les dimensions distance et taille de l'équation (5); enfin, les bases de données agrégées et détaillées renferment des renseignements compa- rables sur le commerce. L'estimation est exécutée en deux étapes. Premièrement, l'hypothèse de proportionnalité [entre les estimations de Helliwell (1998) et le ratio des échanges commerciaux tiré des données agrégées sur le commerce des biens] est estimée séparément par la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO) sans constante pour les onze observations transversales i (les dix provinces canadiennes et le Canada), à l'aide des neuf observations temporelles t de l'échantillon 1988-1996 : 118 Le terme d'erreur e i)t (i.i.d.) est censé capter les chocs stochastiques sur les dimensions taille et distance des estimations de l'effet frontière et des autres facteurs qui interviennent dans la correspondance entre les bases de données utilisées pour cet exercice. Le R 2 de la régression groupée (distincte, à onze ob- servations transversales) est de 0,84 2 . Les p; estimatifs sont les facteurs propor- tionnels et ils sont présentés au tableau 1 ci-dessous. Deuxièmement, les facteurs proportionnels estimatifs sont ensuite utilisés pour évaluer l'effet fron- tière à l'aide des données agrégées de l'échantillon 1981-2000. Les estimations de l'effet frontière de Helliwell (1998) pour les années 1988-1996 et les valeurs que nous avons calculées pour l'effet frontière à partir des données agrégées de la période 1981-2000 sont présentées séparément pour le Canada et pour les dix provinces à la figure 1. EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE FIGURE 1 EFFET FRONTIÈRE POUR LES BIENS, 1981-2000 119 COULOMBE FIGURE 1 (SUITE) EFFET FRONTIÈRE POUR LES BIENS, 1981-2000 120 EFFET FRONTIERE ET INTÉGRATION ECONOMIQUE NORD-AMERICAINE Note : Estimations par les MCO des p l de l'équation (6) pour les ratios de l'effet frontière estimé par Helliwell (1998) au ratio du commerce interprovincial au commerce international des biens dans l'échantillon 1988-1996. Toutes les va- leurs sont significatives au seuil de 1 p. 100. Les facteurs proportionnels présentés au tableau 1 vont de 9,1 pour l'Alberta à 55,7 pour l'Ontario. Ils saisissent l'effet des flux de commerce pon- dérés en fonction de la distance et de la taille économique. Le fait que tous les facteurs aient une valeur élevée est une indication de la taille économique relativement petite et de la faible densité de l'économie canadienne. A noter que le facteur proportionnel est beaucoup plus élevé (3,5 fois) pour l'Ontario que pour les neuf autres provinces, en moyenne. Cela peut paraître étonnant à la lumière de l'argument présenté plus tôt sur la topologie. L'Ontario étant une province centrale, la distance typique qui le sépare d'une autre province cana- dienne est plus petite que pour la Colombie-Britannique ou Terre-Neuve. Mais il ne faut pas oublier que l'Ontario est très rapproché de ses plus gros partenaires commerciaux, comme le Michigan, situés dans la région des Grands Lacs. La première chose à observer à la figure 1 est la correspondance générale entre les estimations de Helliwell et nos calculs visant la période restreinte de 1988 à 1996, couverte par les deux séries de données. La correspondance est très mauvaise seulement dans le cas de Terre-Neuve, de la Colombie- Britannique et de la petite province de l'Ile-du-Prince-Édouard. Pour ce qui est de Terre-Neuve et de la Colombie-Britannique, cette piètre correspondance peut s'expliquer par le fait que l'évolution des données agrégées sur le com- merce international ne saisit pas assez bien l'évolution des échanges de ces deux provinces avec les États-Unis. En effet, ces provinces se trouvent aux extrémités est et ouest du pays et elles sont naturellement plus portées à faire 121 TABLEAU 1 FACTEURS PROPORTIONNELS ESTIMATIFS Alberta Colombie-Britannique Manitoba Nouveau-Brunswick Terre-Neuve Nouvelle-Ecosse Ontario Ile-du-Prince-Edouard Québec Saskatchewan Canada 9,136889 17,43912 14,37406 15,32113 13,74871 26,12206 55,72116 10,98510 23,13872 14,04893 28,92855 COULOMBE du commerce avec le reste du monde qu'avec les autres provinces 3 . La corres- pondance entre les deux séries d'estimations de l'effet frontière est exception- nelle dans le cas du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan et elle n'est pas mauvaise pour les cinq autres provinces et l'ensemble du Canada. La seconde chose à remarquer à la figure 1 est le point clé de tout cet ex- ercice. De façon générale, l'effet frontière semble suivre une tendance décrois- sante sur l'ensemble de la période échantillonnée, soit 1981 à 2000. L'effet frontière pour les biens n'a pas attendu l'entrée en vigueur de l'ALE pour amorcer une tendance à la baisse. Les calculs montrent une tendance négative significative au cours de la période antérieure à l'ALE, soit 1981-1989 (en dépit du très bas degré de liberté de l'analyse économétrique) pour sept provinces et pour l'ensemble du Canada 4 . La tendance négative n'est pas significative au seuil de 5p. 100 pour la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick. La ten- dance est significative, mais positive, pour la Saskatchewan. Sur l'ensemble de la période échantillonnée, soit 1981-2000, la tendance négative n'est pas signi- ficative au seuil de 5p. 100 uniquement dans le cas de la Saskatchewan. La conclusion qui ressort de cet exercice est limpide. Il semble que le dé- clin général de l'effet frontière de type McCallum au Canada ne soit pas un phénomène que l'on puisse associer à l'avènement de l'ALE. Les données empi- riques — en prolongeant la période d'analyse à 1981-2000 à l'aide des flux de commerce agrégés — indiquent clairement que l'effet frontière a suivi une tendance décroissante durant toute la période 1981-2001, et durant la sous- période antérieure à 1989. Ce résultat est le mieux illustré par la courbe en « L », analysée et docu- mentée dans Coulombe (2003). À la figure 2, les parts du commerce interpro- vincial et du commerce international des biens au PIB [(X+Mj/PIB] pour le Canada, calculées à partir de la même base de données agrégées (PIBD), sont reproduites dans un diagramme de dispersion. La courbe qui en résulte est frap- pante et montre que la période 1981-2000 se divise nettement en deux tendances distinctes. De 1981 à 1991, la part du commerce interprovincial diminue tandis que celle du commerce international demeure constante. À compter de 1991, la part du commerce international augmente rapidement tandis que celle du commerce interprovincial demeure constante. Par conséquent, avant 1991, l'effet frontière calculé à l'aide des données agrégées diminue en raison de la baisse de la part du commerce interprovincial. Après 1991, il continue à fléchir parce que la part du commerce international augmente. L'avènement de l'ALE en 1989 ne semble pas modifier beaucoup la tendance. Le point de rupture dans l'évolution des profils de commerce se situe en 1991. 122 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE FIGURE 2 LA COURBE EN « L » : LE COMMERCE DES BIENS DU CANADA L'EFFET FRONTIÈRE POUR LES SERVICES L'EFFET FRONTIÈRE POUR LES SERVICES ne peut être calculé qu'indirectement à partir de la base de données agrégées PIBD, comme dans Helliwell (1998). Nous pouvons produire une estimation très approximative en invoquant des postulats très audacieux, par exemple que les flux du commerce interprovincial et du commerce international ont le même profil pour les services et les biens. Nous rajustons simplement l'effet frontière calculé pour les biens à partir de l'échantillon 1981-2000 en le multipliant par le ratio de deux ratios : le ratio du commerce interprovincial au commerce international des services au ratio du commerce interprovincial au commerce international des biens. C'est essentiel- lement ce qu'a fait Helliwell (1998). Les résultats de cet exercice sont présentés à la figure 3 pour le Canada et les dix provinces. Ils diffèrent nettement des résultats présentés dans les sec- tions précédentes, et cela à deux égards. Premièrement, TALE semble jouer un rôle important puisque la période 1989-1994 (ou 1995) est la seule où l'effet frontière pour les services semble suivre une tendance à la baisse claire et signi- ficative. Avant l'avènement de l'ALE, l'effet frontière était soit stable, soit en hausse (pour Terre-Neuve, la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick). Après 1994-1995, l'effet frontière semble stable. La théorie familière du rajustement 123 COULOMBE FIGURE 3 EFFET FRONTIÈRE POUR LES SERVICES dynamique après le choc (ALE) survenu en 1989 semble bien correspondre aux faits dans le cas des services. Deuxièmement, les estimations de l'effet frontière pour les services sont beaucoup plus élevées que celles obtenues pour les biens, comme dans Helliwell (1998). Cela découle simplement du fait que le ratio du commerce interprovincial au commerce international est beaucoup plus élevé pour les services que pour les biens. Ce point semble lié à la nature cœur/périphérie de l'économie canadienne, mais l'analyse de cette particularité 124 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE intéressante déborde largement la question de l'effet frontière et la portée de la présente étude. CONCLUSION ET COMMENTAIRES SUR LES POLITIQUES L E DÉBAT ENTOURANT LES EFFETS LIÉS À LA FRONTIÈRE, qui ne s'est pas apaisé depuis un siècle, a probablement évolué de façon fondamentale avec la dernière vague d'études publiées (Andersen et van Wincoop, 2001; Brown, 2003; Brown et Anderson, 2002), où l'on analyse les données nouvelles sur le commerce inter-Etats. Il devrait être clair maintenant que, pour un niveau donné de détournement de commerce causé par une frontière commune, l'effet frontière de type McCallum est environ dix fois plus important lorsqu'il est mesuré avec les données sur le commerce interprovincial canadien que lorsqu'il est mesuré avec les données sur le commerce inter-Etats aux États-Unis. Ce nouveau résultat revêt une importance capitale pour l'interprétation générale des effets liés à la frontière. Il indique clairement qu'il est à tout le moins ris- qué, et probablement trompeur, de tirer des conclusions au sujet du niveau des barrières commerciales ou de la capacité d'expansion du commerce d'un pays ou d'un bloc commercial en comparant le niveau des estimations de l'effet fron- tière sur une base transversale. Les estimations de l'effet frontière renferment de l'information qu'il est extrêmement difficile d'interpréter dans une perspective transversale. Cette contrainte devrait sérieusement limiter la recherche future dans ce domaine. Anderson et van Wincoop (2001) ont franchi une étape critique en ce qui a trait à l'information que renferment les estimations de l'effet frontière. En faisant une distinction entre les notions de résistance au commerce multilatéral et au commerce bilatéral, ils ont pu montrer que la frontière canado-américaine a un effet d'à peu près un ordre de grandeur (environ 10) plus grand sur les flux de commerce interprovincial pondérés que sur les flux de commerce inter-Etats pondérés, pour un niveau donné de détournement de commerce entre les deux pays. Toutefois, comme nous l'avons montré dans la présente étude, l'analyse que font ces auteurs du rôle de la taille économique serait plus révélatrice si elle incorporait les notions de distance et de densité. Ces deux notions sont les déterminants de la résistance multilatérale de Anderson et van Wincoop, mais ils jouent manifestement à l'encontre de la taille économique. À notre avis, le chiffre célèbre de McCallum est le résultat simultané de la petite taille et de la faible densité de l'économie canadienne. La petite taille importe en raison d'une faible densité. La structure spatiale (Brown, 2003) associée à une faible densité, la topologie (est-ouest) des échanges commerciaux, ainsi que la situa- tion relativement unique de l'économie canadienne devraient constituer un complément nécessaire de l'analyse de Anderson et van Wincoop dans un mo- dèle satisfaisant de gravité des échanges. Mais l'inclusion de tous ces facteurs 125 COULOMBE dans un modèle théorique est une tâche très complexe. Les économistes ne sont pas habitués à travailler avec la densité et la topologie. La gravité ne suffit pas. Nous devons envisager la relativité. Les résultats clés des travaux de recherche récents devraient clairement modifier l'orientation du débat sur l'importance de l'effet frontière, dans l'optique de la politique économique, pour deux raisons. Premièrement, en faisant l'hypothèse d'un détournement de commerce pur, une augmentation d'une unité de commerce pondéré (en fonction de la taille et de la distance) avec les États-Unis s'accompagne d'une diminution d'environ dix unités de commerce interprovincial pondéré, dans une équation de gravité de type McCallum. Cela découle de la taille relative, de la densité et de la topologie des deux économies. Cette arithmétique étonnante, dissimulée par la magie des flux de commerce pondérés par la distance et la taille, signifie que les estimations de l'effet de la frontière canado-américaine devraient être interprétées avec beaucoup de pru- dence. Les changements qui surviennent dans l'orientation des liens commer- ciaux peuvent provoquer des variations subites et importantes de la valeur de l'effet frontière estimé à l'aide des données sur le commerce provincial. Deuxièmement, il semble que la valeur élevée obtenue par McCallum ait fléchi depuis le début des années 80. Sur la base des flux agrégés du commerce provincial, la valeur résiduelle ne se situe plus dans les deux chiffres et est d'environ 8 pour l'ensemble du Canada. Par conséquent, ce qui reste de l'effet lié à la frontière canado-américaine en termes de résistance bilatérale est assez faible lorsque mesuré à l'aide des données sur le commerce international. Dans l'hypothèse d'un détournement de commerce pur et en regard de l'estimation de Anderson et van Wincoop de l'effet de la suppression des barrières commer- ciales entre le Canada et les États-Unis, une augmentation supplémentaire de 25 p. 100 (après 2001) des échanges transfrontières entre le Canada et les États-Unis pourrait fort bien ramener le chiffre de McCallum autour de l'unité. La résistance bilatérale qui existe est si faible qu'on pourrait essentiellement l'expliquer par le fait que le Canada et les États-Unis n'utilisent pas la même monnaie. Comme l'ont documenté Frankel et Rosé (2000), l'adoption d'une monnaie commune par les deux pays pourrait certes se traduire par une aug- mentation de 25 p. 100 des flux commerciaux (non pondérés)! L'incidence négative d'une monnaie distincte sur les flux commerciaux provient des coûts de transaction liés à la conversion des devises et à la variabilité du taux de change 5 . L'expérience de la Communauté européenne a montré que les taux de change flottants avaient une incidence négative sur les flux commerciaux (DeGrauwe, 1988). Deux points importants doivent être signalés afin de mieux éclairer l'analyse qui précède. Premièrement, il ne faudrait pas en conclure que les Canadiens sont désavantagés par la réorientation des liens commerciaux, d'un axe est-ouest à 126 EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE un axe nord-sud, et le fait qu'un modeste volume de commerce international vient remplacer un volume important de commerce interprovincial pondéré. Il importe de clarifier ce point car, dans l'optique du bien-être et de l'emploi, ce ne sont pas les flux de commerce pondérés qui comptent, mais plutôt les flux de commerce non pondérés. Les Canadiens pourraient bien être avantagés en remplaçant dix unités de commerce interprovincial pondéré par une unité de commerce international avec les États-unis. Deuxièmement, l'analyse qui précède est inspirée de l'approche habituel- lement employée dans le modèle de gravité théorique non standard, comme celui de Andersen et van Wincoop (2001), et repose sur l'hypothèse d'un dé- tournement pur du commerce et d'une économie de dotation. L'effet des fron- tières est limité à une réorientation des flux commerciaux. Cependant, cette hypothèse ne traduit manifestement pas l'évolution dynamique des flux inter- provinciaux et internationaux du commerce des biens des régions canadien- nes depuis 1980. Tel que démontré dans Coulombe (2003) et illustré simplement par la courbe en « L » présentée dans cette étude, les flux de com- merce interprovinciaux et internationaux semblent être davantage des com- pléments que des substituts. Par conséquent, une augmentation de 25 p. 100 du commerce international pourrait ne pas ramener le chiffre de McCallum à 1 parce qu'elle ne s'accompagnerait pas nécessairement d'une diminution corres- pondante du commerce interprovincial (non pondéré). Une explication simple du non-détournement observé serait que l'expansion des liens commerciaux nord-sud accroît le degré de spécialisation des économies régionales au Canada. Cela stimulerait probablement les échanges commerciaux entre ces régions. Alors que l'Ontario et le Québec exportent davantage de produits manufactu- rés aux États-Unis, ils pourraient importer davantage de produits primaires l'un de l'autre et des autres provinces. Cette évolution possible de la structure industrielle des régions suscitée par les échanges commerciaux va bien au-delà de l'économie de dotation stan- dard (approvisionnement fixe en biens différenciés) que supposent les modèles de gravité théoriques, comme celui de Anderson et van Wincoop (2001). Cette caractéristique est une contrainte naturelle à la capacité des modèles de gravité de saisir adéquatement l'évolution dynamique des changements qui surviennent dans les profils d'échanges régionaux en Amérique du Nord. Pour conclure, la série d'études sur l'effet de la frontière canado- américaine, amorcée par McCallum (1995) et poursuivie dans les travaux de Helliwell, a posé un redoutable défi à la profession économique. Ce domaine de la recherche a fait une contribution marquée à notre compréhension des méca- nismes des flux d'échanges régionaux. Il est très important pour la politique commerciale, et pour la politique économique en général, de comprendre pour- quoi et comment une barrière frontalière (par exemple le fait d'avoir une 127 COULOMBE monnaie distincte) a un effet beaucoup plus important sur une économie comme celle du Canada que sur l'économie américaine. Mais cela devrait dé- couler du bon sens puisque nous savons tous au Canada que les États-Unis ont une marge de manœuvre beaucoup plus grande (notamment lorsqu'il s'agit de hausser les barrières commerciales) que le Canada sur le plan de la politique commerciale. Et le débat n'est pas clos. En dépit des progrès notables de l'analyse théorique et empirique des données sur le commerce inter-États, des recherches supplémentaires s'imposent afin de mieux saisir l'effet perturbateur réel des barrières commerciales, en tenant pleinement compte de la distance et de la densité économique. 1 II peut être utile de rappeler que J.E. Andersen, qui a collaboré avec van Wincoop, est l'auteur de l'étude théorique sur l'effet frontière publiée en 1979 dans American Economie Review. W.P. Anderson, un autre chercheur qui s'est in- téressé à l'effet frontière, a collaboré avec W.M. Brown à l'étude de 2002 que nous citons. 2 Le coefficient de Durbin-Watson pour la régression groupée est de 1,66 et aucun processus autorégressif d'ordre un [AR(1)] distinct n'est significatif au seuil critique de 10 p. 100, ce qui signifie que la corrélation sérielle ne pose pas de problème dans ces régressions simples. 3 En 2000, les échanges avec les États-Unis représentaient seulement 56 p. 100 et 47 p. 100 du total des échanges internationaux de biens de la Colombie- Britannique et de Terre-Neuve, respectivement. Pour l'Ontario, la proportion at- teignait 83 p. 100. (Calculé à l'aide des Données sur le commerce en direct, www.strategis.gc.ca.) 4 Nous parlons dans le texte d'une tendance temporelle linéaire avec un terme constant estimé avec un processus AR(1) sur le logarithme de l'effet frontière cal- culé à la figure 1. Nous employons ici une approche économétrique très simple étant donné qu'en général, la tendance séculaire à la baisse de l'effet frontière ressort clai- rement de la figure 1. 5 Pour une analyse récente des avantages et des coûts de l'adoption du dollar amé- ricain au Canada, dans une perspective régionale, voir Beine et Coulombe (2003). REMERCIEMENTS L ^AUTEUR TIENT À REMERCIER John Helliwell et Richard Roy pour leurs commentaires utiles, ainsi que Patricia Buchanan, qui a fait la révision de la version anglaise. 128 NOTES EFFET FRONTIÈRE ET INTÉGRATION ÉCONOMIQUE NORD-AMERICAINE BIBLIOGRAPHIE Andersen, J.E. « A Theoretical Foundation for thé Gravity Equation », American Economie Review, vol. 69 (1979), p. 106-116. Andersen, J.E., et E. van Wincoop. Gravit^ with Gravitas: A Solution to thé Border Puzzle, Cambridge (Mass.), National Bureau of Economie Research, 2001, NBER Working Paper No. 8079. Beine, M., et S. Coulombe. «Régional Perspectives on Dollarization in Canada», Journal of Régional Science, vol. 43, n° 3 (2003), p. 541-570. Bergstrand, J.H. « The Gravity Equation in International Trade: Some Microeconomic Foundations and Empirical Evidence », Review of Economies and Statistics, vol. 67 (1985), p. 474-481. Brown, W.M. Overcoming Distance, Overcoming Borders: Comparing North American Régional Trade, Ottawa, Statistique Canada (Division de l'analyse micro- économique), 2003, 111F0027, n° 008. Brown, W.M., et W.P. Anderson. « Spatial Markets and thé Potential for Economie Intégration Between Canadian and U.S. Régions », Papers in Régional Science, vol. 81 (2002), p. 99-120. Coulombe, S. « Le commerce international, le commerce interprovincial et la crois- sance des provinces canadiennes », Ottawa, Industrie Canada, 2003, Document de travail n° 40. De Grauwe, P. « Exchange Rate Variability and thé Slowdown in Growth of Interna- tional Trade », 1988, p. 63-84, IMF Staff Papers No. 35. Evans, C.L. The Economie Significance of National Border Effects, Fédéral Reserve Bank of New York, 2000. Frankel, J.A., et A.K. Rosé. Estimating thé Effect of Currency Unions on Trade and Output. Cambridge (Mass.), National Bureau of Economie Research, 2000, NBER Working Paper No. 7857. Frankel, J.A., et S.-J. Wei. Trade Blocs and Currency Blocs, Cambridge (Mass.), National Bureau of Economie Research, 1993, NBER Working Paper No. 4335. Grossman, G. « Comment on Alan V. Deardorff: Déterminants of Bilatéral Trade: Does Gravity Work in a Neoclassical World? », dans The Regionalization of thé World Economy, publié sous la direction de J.A. Frankel, Chicago, University of Chicago Press, 1998, p. 29-31. Helliwell, J.F. « Do National Boundaries Matter for Quebec's Trade? » Revue canadienne d'économique, vol. 29 (1996), p. 507-522. . Ho m; 2) les préférences sont homothétiques et identiques; 3) les technologies sont identiques pour tous les pays; 4) les écono- mies sont parfaitement concurrentielles; 5) il n'y a pas de coûts de transport; 6) les biens s'échangent librement sur le plan international, mais non les facteurs; 7) les dotations sont suffisamment semblables pour engendrer une égalisation des prix des facteurs (EPF). Étant donné ces hypothèses, nous pouvons décrire ainsi la production du Pays 1 : où V est un vecteur de dotations en facteurs (m x 1), A est une matrice de constantes technologiques positives, et X est un vecteur de produits (n x 1). Cette identité montre que la production d'un pays, X, peut être décomposée en ses dotations en facteurs, V, à l'aide de la matrice des constantes technologiques, A. Si nous faisons entrer le commerce et simplifions à un monde qui ne com- porterait que deux pays, nous obtenons : 181 BEAULIEU ET JOY où T est un vecteur d'exportations nettes (n x 1), V* est le vecteur des dota- tions en facteurs du Pays 2 (m x 1), a est la part de la production mondiale totale du Pays 1, V est le vecteur des dotations en facteurs du Pays 1, V est le vecteur des dotations en facteurs à l'échelle mondiale (soit V + V* dans un monde à deux pays). Les facteurs employés dans la production des exportations sont le produit des exportations nettes et du coefficient technologique (AT), ce qui est égal au vecteur d'offre excédentaire de facteurs, V-aV^> d'un pays. L'équation (2) correspond au théorème HOV : un pays exporte (importe) les services de ses facteurs relativement abondants (rares). Nous voulons savoir ce qui arrive aux prix des facteurs, en moyenne, après la libéralisation des échanges. À l'exemple de Ethier (1984) et Balistreri (1997), posons p° = 0 parce que le côté droit de l'équation est un produit interne. En conséquence : Ce résultat signifie que les éléments du vecteur des changements des prix des facteurs (w 1 - w°) sont en corrélation positive avec les éléments correspon- dants de A(w) (p 1 -p 0 )'. En d'autres termes, des changements positifs impor- tants dans w t sont, en moyenne, associés à des niveaux élevés de a^ et à des changements positifs importants dans pj. Comme l'explique Ethier : « Les chan- gements dans les prix relatifs des produits de base ont tendance à s'accompagner d'augmentations des rendements des facteurs entrant le plus 182 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE intensivement dans les biens dont les prix ont augmenté le plus en termes rela- tifs et des facteurs qui entrent le moins intensivement dans les biens dont les prix relatifs ont chuté le plus ». (1984, p. 164) Dans le contexte de l'ALE, cela veut dire que si les prix des exportations canadiennes augmentent relativement aux prix des importations, les rende- ments sur les facteurs employés de façon relativement intense dans les exporta- tions augmenteront probablement pour le Canada en termes relatifs. Comme le souligne Balistreri (1997), on peut identifier le groupe de facteurs en examinant les signes des facteurs dans les exportations nettes à partir de l'équation (2), AT = V — aV^. Il est donc probable que le revenu des facteurs dont les services sont exportés augmentera tandis que celui des facteurs dont les services sont importés diminuera. Dans la prochaine section, nous tentons de voir si les pré- férences en matière de politique commerciale sont conformes à ce modèle. Dans la section suivante, nous tentons de déterminer si les résultats observés sur le marché du travail concordent avec les prédictions sur le contenu en fac- teurs et les préférences en matière de politique commerciale. L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE D ANS LA PREMIÈRE PARTIE DE L'ANALYSE EMPIRIQUE, nous examinons des données d'enquête individuelles afin de déterminer les clivages politiques pertinents à la politique commerciale au Canada. Cette section est largement inspirée des travaux de Beaulieu (1997, 2002b) et Balistreri (1997). Trois ques- tions fondamentales y sont explorées. Premièrement, l'industrie dans laquelle une personne travaille influe-t-elle sur les préférences en matière de politique commerciale? Deuxièmement, qui avait la probabilité la plus élevée d'appuyer l'ALE et, partant, quels groupes ont la plus grande probabilité d'appuyer une libéralisation supplémentaire du commerce? Troisièmement, le profil des clivages politiques entourant l'ALE est-il conforme aux prédictions du modèle HOV? Nous utilisons des données d'enquête provenant de l'EENC de 1988 parce que cette élection nous fournit une occasion exceptionnelle d'examiner l'économie politique de la législation en matière de commerce 5 . LE VOTE SUR L'ALE LES ÉVÉNEMENTS QUI ONT ENTOURÉ la signature de l'ALE et l'élection générale de 1988 au Canada sont déjà bien documentés 6 . La revue de ces événements présentée dans ce qui suit rappelle au lecteur que le scrutin de 1988 au Canada a essentiellement été un référendum sur le libre-échange. Le processus de ratification qui a précédé l'élection a lié l'ALE aux résul- tats de scrutin. Les gouvernements canadien et américain avaient entamé des négociations formelles le 26 septembre 1985. Après quelques échecs à la table 183 BEAULIEUETJOY de négociation, les deux parties sont parvenues à un accord de dernière heure et ont signé TALE le 3 octobre 1987. Cependant, avant que l'accord ne puisse devenir loi, les deux pays devaient le ratifier. Contrairement à ce qui s'est passé aux États-Unis, la ratification de l'accord a déclenché une vive lutte politique au Canada 7 . La mise en œuvre d'un accord international relève de la compé- tence fédérale et, par convention constitutionnelle, elle doit être déposée à la Chambre des communes. Alors que le débat sur l'ALE s'intensifiait, certains opposants à l'entente ont fait valoir que le gouvernement du Canada devrait laisser les gens trancher le débat dans le cadre d'une élection générale. John Turner, leader du Parti libéral, qui formait alors l'opposition officielle, a en fait donné des consignes pour que le Sénat, à majorité libérale, entrave l'adoption de la législation de mise en vigueur de l'ALE, et il a demandé au Premier minis- tre de laisser les Canadiens décider de la question! 8 Le gouvernement progressiste conservateur a alors déclenché une élection générale, fixée au 21 novembre 1988. Les leaders des deux partis d'opposition ont promis d'abroger l'ALE s'ils étaient élus, tandis que les leaders du Sénat ont convenu d'adopter l'accord sous forme de loi si le Parti conservateur obtenait la majorité des sièges à la chambre basse 9 . Le compte rendu historique-institutionnel de l'élection de 1988 donne certes à penser qu'elle a constitué une occasion pour les Canadiens de contri- buer directement et de façon significative à façonner la politique commer- ciale 10 . Cependant, certains observateurs jugent cette interprétation trop simpliste. Pammett arrive à la conclusion que l'ALE n'est qu'un facteur parmi d'autres qui ont joué durant l'élection de 1988, affirmant que son dénouement ressemblait à la plupart des élections canadiennes — une combinaison de déci- sions fondées sur des considérations à long terme plutôt qu'à court terme (1989, p. 122-125). Ces considérations sont souvent négatives et les électeurs choisissent le moindre de deux maux. Le Duc affirme que l'élection de 1988 était simplement cela — une élection — et non un référendum sur le libre- échange : « Les électeurs canadiens n'ont pas accordé un 'mandat' positif sur la question du libre-échange » (1991, p. 351). Les données d'enquête présentées au tableau 1 contredisent l'interprétation que fait Le Duc de l'élection de 1988. Contrairement à toutes les autres questions politiques qui se sont posées lors des élections tenues au Canada dans les années 70 et 80, l'électorat a massivement considéré que l'ALE représentait l'enjeu clé en 1988. De fait, l'ALE était perçu comme la première ou la seconde question en importance durant la campagne par 88 p. 100 des répondants, contre 5p. 100 seulement pour la question du lea- dership. En outre, seulement 5 p. 100 des répondants jugeaient que l'élection de 1988 ne concernait aucun enjeu particulier, ce qui représente une baisse par rapport au niveau de 22 à 30 p. 100 des répondants qui n'avaient pas identifié d'enjeu 184 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMERICAINE TABLEAU 1 LES QUESTIONS ÉLECTORALES LES PLUS IMPORTANTES, 1974-1988 1974 1979 Questions économiques L'économie en général Inflation, coût de la vie, contrôle des prix et des salaires Impôts Dépenses gouvernementales, déficit, budget Chômage, emploi Libre-échange Autres questions économiques Questions liées à la Confédération Questions liées aux ressources Questions sociales Logement, santé, assurance-maladie, pensions, etc. Autres questions Politique étrangère, défense Leaders, leadership Changement, partis politiques, bilans rétrospectifs Confiance, favoritisme, gouvernement majoritaire, groupements Toutes les autres questions Aucune, Aucune question importante, Ne sait pas 5 46 3 3 3 0 3 6 2 12 2 6 1 7 3 30 11 14 8 4 10 0 1 28 9 5 2 14 8 1 2 28 Nombre d'observations 2 445 2 668 1980 9 14 3 17 4 0 1 13 32 2 3 15 8 4 2 22 1786 1984 1988 17 2 3 12 36 0 3 5 2 11 3 8 14 4 4 25 3377 1 Note : Ce tableau est une adaptation du tableau 4.1 de Clarke, Jenson, Le Duc et Pammett (1991), p. Les pourcentages sont arrondis et ne totalisent pas 100 p. 100 parce que deux réponses ont été codées pour certains répondants. 2 0 4 7 2 88 0 8 9 14 1 5 1 1 3 5 202 70. aux élections précédentes. Il est inhabituel que même 50 p. 100 des répondants identifient un enjeu donné comme étant le plus important lors d'une élection générale. Cela place la campagne de 1988 dans une catégorie distincte des autres élections générales récentes au Canada 11 . Citer l'ALE comme l'enjeu le plus important est une condition nécessaire mais non suffisante pour que l'on puisse assimiler l'élection de 1988 à un réfé- rendum sur la question. Des électeurs pourraient avoir perçu l'ALE comme l'enjeu le plus important de l'élection, mais tout en n'étant pas motivés par de tels enjeux. Autrement dit, leur vote peut avoir été déterminé par l'affiliation à un parti, le candidat local ou des questions de leadership 12 . Cependant, les profils de vote étaient fortement associés aux positions prises sur l'ALE. 185 BEAULIEU ET JOY Environ 71p. 100 des partisans de l'ALE ont voté pour le Parti conservateur, tandis que 81p. 100 des opposants à l'accord ont voté pour l'un des deux partis opposés à l'ALE; les tendances du vote lors de l'élection fédérale de 1988 n'étaient donc pas statistiquement indépendantes des positions prises à l'égard de l'ALE 13 . Ces données corroborent l'affirmation voulant que les positions des Canadiens sur l'ALE étaient en corrélation étroite avec leur choix électoral. Les résultats montrant que la position d'un électeur sur l'ALE était en cor- rélation étroite avec son choix de parti dans l'isoloir incitent à penser qu'il est raisonnable de considérer l'élection générale de 1988 comme ayant été, de fait, un référendum sur l'ALE. Ces résultats appuient l'hypothèse selon laquelle les coalitions électorales s'articulaient autour des positions prises en matière de politique commerciale. Il est donc raisonnable de supposer que les électeurs étaient bien informés au sujet des conséquences de l'ALE et qu'ils avaient une incitation à voter en fonction de leurs intérêts. QUI A APPUYÉ L'ALE? COMME NOUS L'AVONS INDIQUÉ, l'Étude sur l'élection nationale au Canada de 1988 a servi à examiner les préférences de l'électorat canadien à l'égard de l'ALE. L'analyse porte sur les préférences directement observées, c'est-à-dire la 'position sur l'ALE' du répondant, exprimée lors de l'enquête qui a suivi l'élection. Le type de propriété des facteurs est défini par le capital humain intégré (main-d'œuvre qualifiée et non qualifiée), mesuré par la scolarité de la personne et le niveau de compétence que suppose la profession. Ces mesures sont utilisées parce que les données d'enquête ne fournissent pas d'autres mesures du capital humain. En outre, la propriété des facteurs est limitée aux aspects relatifs au capital humain principalement parce que la propriété du capital matériel et des terrains n'est pas saisie dans les données. L'analyse empirique englobe les facteurs de production et les industries, ainsi que les variables servant à neutraliser d'autres déterminants possibles des préférences révélées en matière de politique commerciale. Nous avons estimé le modèle empirique détaillé suivant : où support est une variable-indicateur du soutien accordé à l'accord (support =1), skillj est une variable-indicateur de la dotation en compétences, md; est une variable-indicateur de l'emploi dans l'industrie i, et X est une matrice renfermant d'autres variables pouvant influer sur la probabilité d'appuyer le libre-échange. Les paramètres fy sont les coefficients) pour les niveaux de compétence; a ; sont 186 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE les coefficients i pour l'industrie; y est un vecteur de coefficients pour les variables de contrôle. L'équation est estimée à l'aide d'un modèle logit de vraisemblance maximale. Ce modèle est détaillé dans la mesure où il englobe à la fois les fac- teurs de production et l'industrie d'emploi. L'analyse économétrique recourt à des variables de contrôle, X, pour d'autres déterminants potentiels des préférences en matière de politique com- merciale. Ces autres déterminants sont notamment la région, l'âge, l'adhésion à un syndicat et l'affiliation à un parti. Bien que les effets régionaux puissent traduire la concentration régionale des industries, il peut y avoir des raisons historiques et institutionnelles pour expliquer des effets régionaux indépen- dants de l'industrie 14 . Dans la mesure où les syndicats procurent des rentes à leurs membres, ces derniers s'opposeront probablement à une concurrence accrue et, par conséquent, ne seront pas favorables à l'ALE. L'Accord de libre-échange Canada-États-Unis laissait entrevoir une tran- sition en profondeur du marché du travail. Devant la probabilité accrue de subir un déplacement professionnel, les personnes ayant des coûts d'adaptation plus élevés avaient donc une moins grande probabilité d'appuyer l'ALE. Les personnes ayant des coûts d'adaptation relativement élevés sont habituelle- ment plus âgées et mariées (si le déplacement professionnel s'accompagne d'un changement de résidence). Cependant, l'accord commercial touchait les tra- vailleurs âgés hors de la population active plus directement dans leur consom- mation que par un effet de répartition des ressources. Ainsi, on aurait pu s'attendre à ce que les électeurs à la retraite (de plus de 65 ans) favorisent de prime abord l'ALE puisqu'ils seraient touchés davantage dans leur consomma- tion que par l'effet de redistribution des ressources engendré par le commerce. Un déterminant potentiellement important des préférences en matière de politique commerciale est le fait de posséder une maison. Les prix des maisons dans les localités où se concentre l'emploi des industries fortement protégées par des droits tarifaires peuvent baisser s'il y a réduction ou suppression de ces droits tarifaires. Les propriétaires de maisons peuvent s'opposer à la libéralisa- tion des échanges commerciaux en raison de cet effet, indépendamment du type de facteur ou de l'industrie où ils travaillent. Tel qu'indiqué précédem- ment, les effets liés à la propriété d'une maison peuvent compenser et masquer le soutien prévu de la libéralisation du commerce parmi les électeurs à la re- traite. Malheureusement, il n'y a aucune information sur la propriété d'une résidence dans les données de l'EENC. Scheve et Slaughter (2001) constatent que la propriété d'une maison influe sur les préférences en matière de politique commerciale aux États-Unis. L'affiliation à un parti peut aussi avoir déterminé la position prise sur l'ALE. Cet accord était étroitement associé au gouvernement progressiste- conservateur et à sa campagne de réélection en 1988. L'affiliation à ce parti 187 BEAULIEU ET JOY devrait hausser la probabilité d'être en faveur de l'ALE. À noter qu'il serait erroné d'inclure l'affiliation présente à un parti du côté droit de l'équation, parce que le soutien d'un parti en 1988 constitue une variable endogène. Par conséquent, nous avons utilisé le parti auquel une personne a accordé son vote à l'élection générale antérieure (1984) pour mesurer l'affiliation à un parti afin de supprimer les problèmes d'endogénéité liés à une mesure contemporaine de cette variable. L'utilisation de l'affiliation à un parti en 1984 réduit la taille de l'échantillon aux seules personnes qui étaient politiquement actives tant en 1984 qu'en 1988. Cependant, nous cherchons principalement à savoir si les facteurs ou les industries influent sur les positions prises en matière de politique commerciale et si les travailleurs qualifiés et non qualifiés ont appuyé l'ALE. Les résultats présentés dans ce qui suit sur les préférences en matière de politi- que commerciale selon les facteurs et les industries ne sont pas influencés de façon significative lorsque nous incluons une variable représentant l'affiliation à un parti, ou que nous réduisons la taille de l'échantillon afin d'inclure dans l'équation l'affiliation à un parti en 1984. Les résultats de l'estimation de l'équation (6) sont présentés au tableau 2. Une conclusion importante, qui vaut pour les différentes spécifications du mo- dèle détaillé, est que la dotation en compétences aide à déterminer les positions prises sur l'ALE. Autrement dit, le type de propriété des facteurs est un détermi- nant important et statistiquement significatif des préférences en matière de politique commerciale, même lorsque l'industrie d'emploi figure dans le modèle. Le signe des coefficients estimés ne varie pas entre les différentes mesures du capital humain et les différentes spécifications du modèle. Le tableau 2 montre des résultats qualitativement semblables pour les professions hautement quali- fiées et les professions peu qualifiées, quelle que soit la façon dont les compé- tences sont définies. À noter que lorsque les compétences sont définies en fonction de la profession, le coefficient statistique x 2 ne permet pas de rejeter l'hypothèse nulle, soit que les estimations du coefficient des compétences ne sont pas statistiquement significatives (voir l'avant-dernière ligne du tableau 2 pour le modèle 2). À noter que, même dans ce modèle, le coefficient estimatif des professions hautement qualifiées est positif et statistiquement significatif. L'absence de signification statistique de l'hypothèse conjointe, selon laquelle la profession influe sur la probabilité d'appuyer l'ALE, peut traduire un problème de colinéarité plus sérieux avec les variables représentant l'industrie lorsque les compétences sont définies en fonction de la profession plutôt qu'en fonction du niveau de scolarité. Peu de variables nominales représentant des industries sont statistique- ment significatives dans le modèle détaillé. En outre, ces variables ne sont conjointement significatives dans aucun des deux modèles présentés au tableau 2. J88 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE TABLEAU 2 MODÈLE DÉTAILLÉ DE SOUTIEN À L'ALE 3 MODÈLE l MODÈLE 2 COEFFICIENT ERREUR-TYPE COEFFICIENT ERREUR-TYPE Modèle factoriel ' c Secondaire complété École technique/collège Université Profession semi-spécialisée Profession hautement spécialisée Industrie Forêt, pèche Exploitation minière Construction Fabrication d'aliments Textiles Bois, meubles, papier Produits chimiques, caoutchouc Argile, métaux Fabrication de machines et de matériel Transport, services publics Commerce de détail Services Fonction publique Âge 18-29 ans 30-49 ans 50-64 ans Région Atlantique Québec Ontario Membre d'un syndicat Adhésion à un parti Constante 0,149 0,482*** 0,592*** -0,014 . -0,611 0,122 -0,543 -0,706 0,253 -0,743 0,334 -0,001 -0,447* -0,081 -0,236 0,132 -0,195 0,087 0,070 -0,210 0,191 -0,220 -0,258** 1,540*** -0,884*** 0,156 0,185 0,175 0,470 0,526 0,272 0,465 0,503 0,449 0,812 0,406 0,425 0,271 0,245 0,222 0,382 0,218 0,186 0,201 0,174 0,159 0,150 0,124 0,116 0,246 0,254 0,333* -0,056 -0,528 0,162 -0,454 -0,659 0,282 -0,640 0,288 0,014 -0,323 0,013 -0,016 0,294 -0,024 0,234 0,111 -0,264 0,173 -0,217 -0,267** 1,520*** -1,078*** 0,189 0,191 0,481 0,533 0,274 0,477 0,518 0,448 0,799 0,409 0,433 0,294 0,270 0,219 0,390 0,212 0,180 0,201 0,172 0,159 0,150 0,124 0,115 0,292 189 BEAULIEUETJOY TABLEAU 2 (SUITE) MODÈLE DÉTAILLÉ DE SOUTIEN À L'ALE a MODÈLE l MODÈLE 2 Nombre d'observations Logarithme du rapport de vraisemblance Khi carré Pseudo R 2 Signification conjointe des facteurs (khi carré) Signification conjointe des industries (khi carré) 1463 -893,03 237,60*** 0,12 13,66*** 13,76 1463 -898,40 226,86*** 0,11 3,06 9,58 Notes : a Catégories omises : Agriculture, 65 ans et plus, Ouest, Non syndiqué, A voté pour un parti autre que le PC (PC est l'acronyme du Parti progressiste-conservateur, le parti au pouvoir à l'époque). b Lorsque la compétence est définie en fonction de la scolarité, la catégorie omise est Scolarité inférieure à secondaire complété; les trois autres catégories sont : Secondaire complété, Ecole technique ou collège, et Université. La catégorie Université englobe les personnes qui ont fait certaines études universitaires, celles qui détiennent un baccalauréat ou une maîtrise et celles qui ont fréquenté une école professionnelle ou qui ont obtenu un doctorat. c La catégorie omise lorsque les facteurs sont définis en fonction de la profession est Professions peu spécialisées. Les professions peu spécialisées englobent le personnel de bureau et de vente non spécialisé, les travailleurs manuels non spécialisés et les ouvriers agricoles. Les professions semi-spécialisées sont celles des semi-professionnels, des techniciens, des gestionnaires intermé- diaires, des superviseurs, des contremaîtres, des commis semi-spécialisés et des travailleurs ma- nuels semi-spécialisés. Les professions hautement spécialisées sont celles des professionnels travaillant pour leur compte, des gestionnaires de niveau supérieur, du personnel de bureau et de vente spécialisé, des artisans et des agriculteurs spécialisés (à l'exclusion des ouvriers agricoles). * Indique que le résultat est significatif au seuil de 10p. 100. ** Indique que le résultat est significatif au seuil de 5 p. 100. *** Indique que le résultat est significatif au seuil de 1 p. 100. C'est ce qui ressort des valeurs de la statistique % z pour la signification conjointe des variables représentant l'industrie à la dernière ligne du tableau 2. Le résultat indiquant que l'industrie d'emploi ne détermine pas les préférences en matière de politique commerciale est conforme à celui obtenu par Thompson (1993, 1994), qui a observé que les nouvelles au sujet de l'ALE n'avaient que peu d'effet signifi- catif sur les prix des actions dans les diverses industries. Ces résultats révèlent que les facteurs de production sont des détermi- nants importants des préférences en matière de politique commerciale et ils corroborent dans une certaine mesure le corollaire de la séparation facteur- industrie du théorème de Stolper-Samuelson. Beaulieu (2002b) explore cette question en empruntant différentes approches et arrive à la conclusion que les données appuient le corollaire de la séparation facteur-industrie. Cela signifie que la main-d'œuvre est mobile entre les industries. Contrairement aux don- nées présentées dans Magee (1980) et Irwin (1994, 1996) et aux arguments de Hiscox (2002), les facteurs de production ressortent comme un déterminant 190 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE important des préférences individuelles à l'égard de l'ALE. Cela concorde avec les données plus récentes sur la politique commerciale à long terme et/ou les preuves qui ressortent des données microéconomiques. Le résultat obtenu ici pour les Canadiens au niveau individuel est conforme aux données sur les posi- tions des groupes de pression canadiens examinées par Pyne (2000), aux don- nées provenant des sondages d'opinions aux Etats-Unis examinées par Scheve et Slaughter (2001), aux profils de vote au Congrès américain étudiés par Beaulieu (2002a) et aux positions des groupes de pression aux États-Unis examinées par Beaulieu et Magee (2004). Ce résultat cadre aussi avec les données présentées dans Balistreri (1997), qui indiquent que les préférences des Canadiens à l'égard de l'ALE traduisent des proportions de facteurs compatibles avec les prédictions du modèle HOV. Il est aussi appuyé par une étude internationale récente de micro-données d'enquêtes provenant de 24 pays développés ou en développement (dont le Canada) 15 . Un autre résultat important qui ressort du tableau 2 est la preuve convaincante que les travailleurs qualifiés avaient une probabilité plus élevée d'appuyer l'ALE que les travailleurs non qualifiés. Cette constatation vaut pour différentes définitions des compétences et différentes spécifications du modèle, bien qu'elle soit plus robuste lorsque les compétences sont définies en fonction du niveau de scolarité atteint. Le résultat montrant que les Canadiens qualifiés avaient une plus grande probabilité d'appuyer l'ALE que les Canadiens non qualifiés ressort aussi d'études récentes sur les préférences des Canadiens en matière de politique commerciale et se vérifie pour des questions plus génériques touchant à la politique commerciale. Mendelsohn, Wolfe et Parkin (2002) et Mendelsohn et Wolfe (2001) présentent des données montrant que les Cana- diens qualifiés ont une probabilité plus élevée que les Canadiens non qualifiés d'appuyer de façon générale la libéralisation du commerce. Beaulieu, Benarroch et Gaisford (2004b) examinent des données d'enquête provenant de 24 pays dans le cadre de l'International Social Survey Program (ISSP) de 1995 et arri- vent à la conclusion que, dans la plupart des pays de l'échantillon, dont le Canada, les travailleurs qualifiés ont une probabilité plus élevée que les tra- vailleurs non qualifiés d'appuyer la libéralisation du commerce en réponse à une question générique sur la politique commerciale. Bien que le résultat montrant que l'industrie d'emploi n'est pas un déter- minant important de la politique commerciale corrobore le corollaire de sépara- tion facteur-industrie du théorème de Stolper-Samuelson, le fait que les travailleurs qualifiés au Canada soient en faveur du libre-échange avec les Etats-Unis semble aller à l'encontre de cette logique. Puisque les travailleurs qualifiés aux Etats-Unis ont une plus grande probabilité d'appuyer le libre- échange, comme l'ont constaté Scheve et Slaughter (2001) et Beaulieu (2002a), le soutien à l'ALE au Canada n'est pas compatible avec le modèle HOS. 191 BEAULIEU ET JOY Cependant, lorsque les modèles du commerce englobent des économies d'échelle et une concurrence imparfaite en plus d'un avantage comparatif, il est possible de prévoir des gains pour les travailleurs qualifiés des deux pays. À titre d'exemple, Dinopoulos, Syropoulos et Xu (1999) élaborent un modèle de concurrence monopolistique à deux pays, avec des préférences quasi homothé- tiques et une production non homothétique, dans lequel les travailleurs quali- fiés des deux pays profitent des échanges commerciaux. Beaulieu, Benarroch et Gaisford (2004a) étendent le modèle HOS afin d'endogéniser la décision d'acquérir des compétences et ils arrivent au même résultat : les travailleurs qualifiés tant des pays où il y a pénurie de compétences que des pays où il y a abondance de compétences peuvent profiter d'une libéralisation des échanges. Beaulieu, Benarroch et Gaisford (2004b) développent un modèle simple avec libéralisation du commerce intra-industrie dans un secteur à coefficient élevé de compétences en concurrence monopolistique (le secteur manufacturier) et un secteur à coefficient élevé de main-d'œuvre (le secteur primaire) et ils montrent que les travailleurs qualifiés tant des pays où il y a abondance de compétences que des pays où les compétences sont rares appuient la libéralisa- tion du commerce. La question se résume maintenant à savoir si l'appui à l'ALE est conforme au modèle HOV. Les résultats de l'estimation d'une version modifiée de l'équation (6) qui exclut l'industrie d'emploi mais inclut 21 professions sont présentés au tableau 3. Les coefficients des variables nominales représentant les professions indiquent quelles professions étaient plus (moins) susceptibles d'appuyer l'ALE. Les autres variables de contrôle sont identiques à celles du tableau 2. Des variables nominales représentant le niveau de scolarité atteint sont incluses dans la première colonne mais exclues de la seconde. Nous nous intéressons principalement aux coefficients des variables représentant les pro- fessions et constatons que les profils des deux colonnes se ressemblent. Les cinq catégories professionnelles qui ont appuyé le plus l'ALE sont les suivantes : 1) scientifiques et ingénieurs, 2) métiers et opérateurs de matériel, 3) ventes; 4) foresterie et abattage; 5) gestion. Les catégories qui ont le moins appuyé l'ALE sont les suivantes : 1) professions religieuses; 2) manutention de maté- riel; 3) exploitation des mines et carrières; 4) services; 5) travail de bureau. Comment ce profil se compare-t-il à l'effet de l'ALE prédit par la mesure re- lative de l'offre de facteurs au Canada et aux États-Unis? Le tableau 4 compare les coefficients des professions tirés du tableau 3 à l'effet probable sur les professions, tel que mesuré par Balistreri (1997). Les résultats sont partagés. Le modèle HOV prédit que quatre des cinq professions les plus en faveur de l'ALE vont vraisem- blablement bénéficier des retombées positives de cet accord commercial. Cepen- dant, le modèle HOV prédit des retombées négatives pour le groupe profes- sionnel qui a manifesté le plus grand appui, celui des scientifiques et ingénieurs. 192 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE TABLEAU 3 QUI A APPUYÉ L' ALE : LE MODÈLE HOV Scolarité Secondaire complété Postsecondaire partiel Diplôme universitaire Profession (facteurs HOV) Gestion et administration Sciences naturelles, génie et mathématiques Sciences sociales Religion Enseignement Médecine et santé Arts, littérature et loisirs Travail de bureau Ventes Services Agriculture, horticulture et élevage Pêche, chasse et piégeage Exploitation forestière et abattage Exploitation de mines et de carrières Transformation Usinage Fabrication, montage et réparation de produits Métiers de la construction Exploitation de matériel de transport Manutention de matériel Exploitation d'autres machines et embarcations Âge 18-29 ans 30-49 ans 50-64 ans Région Atlantique Québec Ontario COEFFICIENT ESTIMATIF 0,127 0,279* 0,486*** 0,551** 0,964*** 0,381 -0,454 0,253 0,323 0,420 0,085 0,596*** 0,046 0,453* 0,357 0,565 -0,149 0,226 0,522 0,251 0,488* 0,396 -0,307 0,741** -0,103 0,175 0,185 -0,317** 0,233* -0,182 ERREUR- TYPE 0,130 0,152 0,153 0,219 0,315 0,323 0,961 0,270 0,267 0,367 0,221 0,236 0,248 0,259 0,634 0,607 0,516 0,330 0,391 0,264 0,265 0,297 0,480 0,370 0,177 0,151 0,162 0,143 0,126 0,119 COEFFICIENT ESTIMATIF 0,678*** 1,149*** 0,622** -0,177 0,498* 0,462* 0,555 0,093 0,619*** 0,010 0,426* 0,242 0,444 -0,188 0,142 0,436 0,190 0,443* 0,302 -0,431 0,673* 0,028 0,293** 0,226 -0,353** 0,221* -0,173 ERREUR- TYPE 0,216 0,311 0,316 0,944 0,260 0,261 0,364 0,218 0,234 0,247 0,258 0,634 0,605 0,513 0,328 0,389 0,263 0,263 0,295 0,478 0,370 0,172 0,146 0,162 0,142 0,126 0,118 193 BEAULIEUETJOY Notes : Les catégories omises sont : Aucune scolarité, Agriculture, 65 ans et plus, Ouest, Non syndiqué, A voté pour un parti autre que le PC (PC est l'acronyme du Parti progressiste-conservateur, le parti au pouvoir à l'époque). * Indique que le résultat est significatif au seuil de 10 p. 100. ** Indique que le résultat est significatif au seuil de 5 p. 100. *** Indique que le résultat est significatif au seuil de 1 p. 100. Le modèle prédit également que trois des cinq professions les moins en faveur de l'ALE seraient touchées négativement par cet accord. Encore une fois, ce- pendant, le modèle HOV prédit un effet positif pour le groupe professionnel le moins en faveur de l'accord, celui des professions religieuses. Balistreri (1997) emprunte une approche légèrement différente. Plutôt que d'inclure des variables nominales pour les professions, il utilise une variable nominale qui indique le sens de l'effet probable de l'ALE. Il constate que cette variable est statistique- ment significative et qu'elle porte le bon signe. En d'autres termes, les personnes pratiquant une profession susceptible d'être avantagée par l'ALE (sur la base du modèle HOV) avaient, en moyenne, une plus grande probabilité d'appuyer l'accord commercial. Nous avons constaté que les clivages sur la politique commerciale cana- dienne se forment en fonction des facteurs et non des industries. Nous avons aussi constaté que les travailleurs qualifiés avaient une probabilité plus élevée d'appuyer l'ALE que les travailleurs non qualifiés. Enfin, le profil de soutien de l'accord commercial entre les professions est à peu près conforme aux prédic- tions du modèle HOV. La prochaine question à élucider est de savoir si les résultats observés sur le marché du travail sont compatibles avec le profil des préférences et/ou le modèle HOV. 194 TABLEAU 3 (SUITE) QUI A APPUYÉ L'ALE : LE MODÈLE HOV Membre d'un syndicat A voté pour le PC en 1984 Constante Nombre d'observations Log. du rapport de vraisemblance Khi carré Pseudo R 2 COEFFICIENT ERREUR- ESTIMATIF TYPE -0,234** 0,103 1,466*** 0,093 -1,341*** 0,228 2270 -1 385,9 373,9*** 0,12 COEFFICIENT ERREUR- ESTIMATIF TYPE -0,245** 0,102 1,466*** 0,092 -1,240*** 0,220 2276 -1 394,48 365,2*** 0,12 TABLEAU 4 COMPARAISON DU CONTENU EN FACTEURS HOV ET ÉCART DANS LES PRÉFÉRENCES PARMI LES PROFESSIONS PROFESSION Gestion et administration Sciences naturelles, génie et mathématiques Sciences sociales Religion Enseignement Médecine et santé Arts, littérature et loisirs Travail de bureau Ventes Services Agriculture, horticulture et élevage Pêche, chasse et piégeage Exploitation forestière et abattage Exploitation de mines et de carrières Transformation Usinage Fabrication, montage et réparation de produits Métiers de la construction Exploitation de matériel de transport Manutention de matériel Exploitation d'autres machines et embarcations Ensemble des professions EMPLOI AU CANADA (MILLIERS) 1545 457 218 32 528 628 233 2090 1 192 1642 459 40 46 56 341 183 930 660 450 254 151 12135 EMPLOI AUX ÉTATS-UNIS (MILLIERS) 12451 4600 1440 271 5687 4993 1542 25084 11240 19864 1007 61 148 237 8885 2007 6520 5334 3987 3724 884 119966 1_S(VW/V) (X 100) 14,92 -3,93 28,57 11,07 -10,55 15,94 28,45 -22,11 2,05 -23,01 70,00 76,29 60,39 50,86 -154,11 -12,40 24,76 14,70 7,40 -47,09 35,62 PROBABILITÉ (W'-W°) + - + + - + + - + - + + + + - - + + + - + COEFFICIENTS DE LA RÉGRESSION DES PRÉFÉRENCES 0,551 0,964 0,381 -0,454 0,253 0,323 0,420 0,085 0,596 0,046 0,453 0,357 0,565 -0,149 0,226 0,522 0,251 0,488 0,396 -0,307 0,741 Source : Les quatre premières colonnes sont tirées du tableau 1 de Balistreri, 1997, p. 10. BEAULIEUETJOY LES EFFETS DE L'ALE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL L ES RÉSULTATS PRÉSENTÉS CI-DESSUS démontent de façon manifeste que les travailleurs qualifiés étaient plus susceptibles d'appuyer l'ALE que les travail- leurs non qualifiés. Une telle conclusion peut sembler étonnante si le Canada connaît (comme on le présume) une pénurie relative de main-d'œuvre qualifiée par rapport aux Etats-Unis. Ces résultats peuvent donc ne pas sembler plausibles. Cependant, les prédictions du modèle HOV concordent jusqu'à un certain point avec le profil observé. Les préférences en matière de politique commerciale sont- elles compatibles avec les effets de l'ALE sur le marché du travail? Cette section de l'étude puise dans les travaux de Beaulieu (2000), qui a utilisé des données au niveau de l'industrie pour examiner les effets de l'ALE sur l'emploi et les gains dans le secteur manufacturier au Canada. L'ALE devait provoquer une rationalisation de la production dans les industries manufactu- rières canadiennes et entraîner une réaffectation de la main-d'œuvre des entre- prises à coût élevé vers les entreprises à faible coût. On prévoyait une spécialisation et la création d'échanges commerciaux, avec une expansion cor- respondante des industries jouissant d'un avantage comparatif sur les États- Unis et une contraction des industries ayant un désavantage comparatif. Gaston et Trefler (1997) montrent que l'emploi a diminué dans toutes les industries manufacturières entre 1989 et 1993, et que les réductions tarifaires de l'ALE sont à l'origine de seulement 15 p. 100 du déclin observé de l'emploi. Toutefois, ces auteurs ne tiennent pas compte des conséquences de l'accord commercial sur le plan de la répartition du revenu. Beaulieu (2000) constate que l'ALE a contribué à un déclin de l'emploi manufacturier au Canada et que les travailleurs moins qualifiés ont été plus durement touchés que les travailleurs qualifiés. Il importe de souligner que, dans la section précédente, nous avons exa- miné les opinions canadiennes au sujet d'une politique commerciale particu- lière, l'ALE. Comme l'indique le tableau 5, l'ALE a réduit les barrières tarifaires dans les industries manufacturières à faible coefficient de compétences au Canada. Le ratio des travailleurs non affectés à la production aux travailleurs de la production était de 0,28 dans les industries protégées par des droits tarifaires élevés, et de 0,48 dans les industries à faibles droits tarifaires, au Canada avant l'entrée en vigueur de l'ALE 16 . Par conséquent, la conclusion selon laquelle les travailleurs qualifiés ont appuyé l'accord est conforme aux prédictions habituelles du modèle HOS en ce qui a trait aux réductions tarifaires de l'ALE 17 . En d'autres termes, l'ALE a abaissé ou supprimé les droits tarifaires dans les indus- tries où le coefficient de compétences était relativement faible. 196 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE La figure 1 montre que les gains réels des travailleurs non affectés à la production ont augmenté, tandis que ceux des travailleurs de la production ont stagné ou diminué légèrement entre 1983 et 1989. Cela signifie que l'ALE a été ratifié au cours d'une longue période de déclin des gains réels des travailleurs de la production par rapport aux autres travailleurs. Entre 1990 et 1992, cette tendance s'est renversée et les gains des travailleurs de la production ont aug- menté plus rapidement que ceux des autres travailleurs. Mais ce retournement de la tendance a été de courte durée et, entre 1992 et 1996, les gains des tra- vailleurs non affectés à la production ont augmenté plus rapidement que ceux des travailleurs de la production. Pour ce qui est de l'emploi, le nombre d'emplois liés à la production a augmenté tandis que le nombre d'emplois non liés à la production a stagné ou diminué entre 1983 et 1989. Tel que mention- né précédemment, l'emploi manufacturier a fléchi après 1989, mais la baisse a été plus rapide parmi les travailleurs de la production entre 1989 et 1992. Beaulieu (2000) fait une analyse économétrique de données au niveau de l'industrie et constate que l'ALE a eu un impact plus marqué sur l'emploi lié à la production que sur l'emploi non lié à la production. Cependant, il constate que l'ALE n'a pas eu d'effet sur les gains réels dans le secteur manufacturier. Nous voulons savoir comment l'ALE a touché le marché du travail et si l'effet observé est conforme aux préférences en matière de politique commer- ciale examinées dans la section précédente. Nous avons utilisé des données au niveau individuel provenant de l'Enquête sur les finances des consommateurs (EFC) pour analyser la façon dont les gains ont été touchés parmi les groupes professionnels énumérés précédemment. Nous avons estimé des régressions standard de type Mincer des salaires pour 1981, 1988, 1991 et 1996. La variable dépendante est le logarithme naturel des gains réels, tandis que les variables présentes du côté droit de l'équation sont le sexe, la province, la scolarité, l'état matrimonial et l'âge. Des variables nominales pour les professions sont incluses et les coefficients de ces variables sont interprétés comme la prime versée pour une profession donnée. Les résultats d'estimation de cette régression standard des salaires présentés au tableau 6 correspondent aux coefficients des variables nominales représentant les professions. Les autres résultats de la régression ne sont pas reproduits dans le tableau afin d'économiser l'espace — et parce que nous nous intéressons avant tout à la façon dont différentes professions s'en sont tirées durant la période qui a suivi l'ALE. 197 TABLEAU 5 STRUCTURES TARIFAIRES DU CANADA ET DES ÉTATS-UNIS ET MARCHÉ DE L'EMPLOI MANUFACTURIER AU CANADA VARIATION TAUX TARIFAIRES, 1987 INDUSTRIE Industries ayant les droits tarifaires les plus élevés Vêtement Produits du tabac Cuir Meubles et accessoires Textiles Caoutchouc et plastique s Ensemble des industries ayant les droits tarifaires les plus élevés Industries à droits tarifaires moyens Métaux ouvrés Autre fabrication Appareils électriques Produits chimiques Machines Aliments et boissons Papier Ensemble des industries à droits tarifaires moyens CANADA 17,2 16,0 12,0 11,0 9,9 8,9 12,5 6,8 6,2 6,1 5,6 4,7 4,2 4,0 5,1 ETATS-UNIS 10,7 10,1 7,9 3,0 7,3 8,4 7,9 3,2 3,5 3,7 2,2 2,5 3,5 0,9 2,7 DES TAUX TARIFAIRES (POINTS DE POURCENTAGE), 1987-1990 CANADA -3,4 -3,2 -8,1 -2,8 -2,0 -1,9 -3,6 -1,7 -1,4 -1,7 -2,0 -2,2 -0,9 -1,6 -1,6 ETATS-UNIS -2,1 -2,0 -6,8 -2,8 -1,5 -1,8 -2,8 -1,0 -2,1 -1,2 -0,4 -1,1 -0,7 -0,8 -1,1 RATIO DE L'EMPLOI NON LIÉ À LA PRODUCTION PART DE L'EMPLOI À L'EMPLOI LIÉ MANUFACTURIER À LA PRODUCTION 3 TOTAL b 0,15 0,79 0,14 0,14 0,23 0,26 0,28 0,17 0,26 0,48 0,84 0,31 0,42 0,32 0,44 0,06 0,00 0,01 0,03 0,03 0,04 0,17 0,09 0,04 0,08 0,05 0,05 0,12 0,06 0,39 TABLEAU 5 (SUITE) STRUCTURES TARIFAIRES DU CANADA ET DES ÉTATS-UNIS ET MARCHÉ DE L'EMPLOI MANUFACTURIER AU CANADA INDUSTRIE Industries ayant les droits tarifaires les plus bas Métaux primaires Minéraux non métalliques Bois d 'œuvre Matériel de transport Imprimerie et édition Produits pétroliers Ensemble des industries ayant les droits tarifaires les plus bas Ensemble du secteur manufacturier TAUX TARIFAIRES, 1987 CANADA ÉTATS-UNIS 4,0 2,2 3,4 2,9 2,7 1,4 2,3 0,5 1,4 0,5 0,5 0,4 2,4 1,3 6,7 3,9 VARIATION DES TAUX TARIFAIRES (POINTS DE POURCENTAGE) , 1987-1990 CANADA ÉTATS-UNIS -0,9 -0,6 -1,3 -0,9 -0,6 -0,5 -0,6 -0,2 -0,6 -0,1 -0,1 -0,4 -0,7 -0,5 -1,9 -1,4 RATIO DE L'EMPLOI NON LIÉ À LA PRODUCTION À L'EMPLOI LIÉ À LA PRODUCTION 8 0,30 0,25 0,16 0,28 0,62 1,30 0,48 0,32 PART DE L'EMPLOI MANUFACTURIER TOTAL b 0,05 0,03 0,06 0,12 0,07 0,01 0,35 1,00 Notes : La source des données tarifaires est Magun Rao, Lodh, Lavallée et Pierce, 1988. a Le ratio de l'emploi non lié à la production à l'emploi lié à la production par secteur correspond à 1989. b La part de l'emploi manufacturie r représenté par l'emploi total de l'industrie correspond à 1989. ÉVOLUTION DE L'EMPLOI LIÉ ET NON LIÉ À LA PRODUCTION ET GAINS ANNUELS MOYENS RÉELS* DANS LE SECTEUR MANUFACTURIER, 1983 -1996 Note : * L'indice des prix à la consommation (1987= 100) a servi au calcul des gains réels. FIGURE 1 TABLEAU 6 SITUATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL, PRÉFÉRENCES ET EFFETS HOV PROBABLES 1988- 1981- PROFESSION Gestion et administration Sciences naturelles, génie et mathématiques Sciences sociales Enseignement Médecine et santé Arts, littérature et loisirs Travail de bureau Ventes Services Agriculture, horticulture et élevage Pêche, chasse et piégeage Exploitation forestière et abattage Exploitation de mines et de carrières Transformation Usinage Fabrication, montage et réparation de produits Métiers de la construction Exploitation d'autres machines et embarcations Manutention de matériel Autres métiers, exploitation de matériel 1981 2,05 2,08 1,79 2,06 1,98 1,77 1,89 1,71 1,67 0,70 1,25 1,83 2,05 1,88 1,94 1,86 1,94 1,84 1,90 1,99 1988 1,83 1,90 1,72 1,89 1,83 1,69 1,76 1,59 1,57 0,69 1,41 1,76 2,00 1,79 1,83 1,74 1,80 1,70 1,74 1,88 1991 1,91 1,99 1,77 1,93 1,93 1,71 1,81 1,65 1,63 0,85 1,34 1,84 2,13 1,85 1,85 1,79 1,87 1,78 1,79 1,93 1997 1,80 1,80 1,66 1,80 1,73 1,63 1,67 1,57 1,46 0,96 1,50 1,62 2,00 1,71 1,74 1,66 1,64 1,62 1,62 1,75 1997 -0,03 -0,10 -0,06 -0,09 -0,10 -0,06 -0,10 -0,01 -0,11 0,27 0,09 -0,14 0,01 -0,08 -0,09 -0,09 -0,16 -0,07 -0,12 -0,12 1997 -0,25 -0,28 -0,13 -0,26 -0,25 -0,14 -0,23 -0,14 -0,21 0,26 0,25 -0,22 -0,05 -0,17 -0,20 -0,21 -0,29 -0,21 -0,29 -0,23 1991 1997 -0,12 -0,19 -0,11 -0,13 -0,20 -0,08 -0,14 -0,08 -0,17 0,12 0,16 -0,22 -0,13 -0,14 -0,12 -0,13 -0,23 -0,16 -0,18 -0,18 SOUTIEN 0,55 0,96 0,38 0,25 0,32 0,42 0,08 0,60 0,05 0,45 0,36 0,57 -0,15 0,23 0,52 0,25 0,49 0,40 -0,31 0,74 PROBABILITÉ ( W i ,_ W °) + - + - + + - + - + + + + - - + + + - + Note : Les quatre premières colonnes renferment les coefficients estimatifs des variables nominales des professions, obtenus à l'aide d'une régression standard du logarithme des salaires englobant l'âge, le sexe, la province, la scolarité et l'état matrimonial, en plus des variables nominales des professions. BEAULIEUETJOY Le tableau 6 fait voir les estimations des coefficients des professions pour les années 1981, 1988, 1991 et 1996. Il montre les changements dans les esti- mations des coefficients sur l'ensemble de la période et, à la colonne 8 (Support), les coefficients estimatifs de la régression des préférences (provenant du ta- bleau 4) et les prédictions du modèle HOV (provenant aussi du tableau 4). Il y a une modification par rapport au tableau précédent : les données (d'enquête) de l'EENC englobent 22 catégories professionnelles, contre 20 catégories pour les données de l'EFC. Les catégories 'Religion' et 'Autres professions non clas- sées ailleurs (NCA)' ont été supprimées parce qu'elles ne figurent pas dans l'EFC. Cette modification ne devrait pas changer globalement les résultats puisque les deux catégories sont relativement petites. Les quatre premières colonnes du tableau 6 montrent les estimations des rendements des professions obtenues par régression. Encore une fois, les ren- dements estimatifs des professions sont présentés de manière à isoler la fraction de la rémunération totale imputable à la profession. Si le théorème HOV et les spécifications des régressions prédisaient parfaitement les changements dans les rendements relatifs, il devrait y avoir une correspondance étroite entre le signe et l'importance du vecteur de l'offre excédentaire, et le signe et l'importance relative des changements dans les rendements des professions. Le tableau 6 indique que les catégories professionnelles qui font les contri- butions les plus importantes aux prévisions salariales sont les sciences et le génie, l'enseignement, la gestion et l'administration, et l'exploitation de mines et de carrières. Les contributions les plus faibles proviennent des professions liées à l'agriculture, ainsi qu'à la pêche, à la chasse et au piégeage. Les profes- sions associées aux services, aux ventes et aux sciences sociales viennent en- suite parmi celles qui affichent les rendements les plus faibles. Nous nous intéressons principalement à l'évolution des primes des diverses professions et, plus particulièrement, à la comparaison des résultats antérieurs et postérieurs à l'ALE. Les augmentations de primes les plus importantes sont relevées dans les professions liées à l'agriculture, et celles liées à la pêche, à la chasse et au pié- geage. Le modèle HOV prédisait que ces professions profiteraient de l'ALE et qu'elles avaient une probabilité plus grande d'être favorables à cet accord. Les baisses de primes les plus importantes sont observées dans les professions liées aux métiers de la construction, à l'exploitation forestière et à l'abattage, à la manutention de matériel, à l'exploitation d'autres machines et embarcations, aux services, au travail de bureau, à la médecine et à la santé, ainsi qu'aux sciences naturelles et au génie. Ces profils observés sur le marché du travail sont-ils conformes aux prédictions du modèle HOV en ce qui a trait à l'ALE et aux préférences, examinées ci-dessus? Les résultats sont partagés. Pour ce qui est du groupe de professions montrant la baisse de prime la plus importante, celui de l'exploitation forestière et de l'abattage, on prévoyait qu'il profiterait de 202 L'ECONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMERICAINE l'ALE et ce groupe a généralement appuyé l'accord. De même, la prime liée aux métiers de la construction a diminué, mais ces professions ont généralement appuyé l'accord et on s'attendait à ce qu'ils en bénéficient. Par contre, les pro- fessions liées à la manutention de matériel, aux services et au travail de bureau ont vu leurs primes salariales diminuer; le modèle HOV prédisait que ces pro- fessions seraient défavorisées par l'ALE et elles figuraient parmi celles qui ont le moins appuyé l'accord. L'analyse du modèle HOV prédisait que les professions liées aux sciences naturelles et au génie seraient touchées négativement par l'ALE et celles-ci ont vu, leurs primes salariales diminuer; néanmoins, ces pro- fessions faisaient partie de celles qui ont le plus appuyé l'accord commercial. Les résultats comparant la situation du marché du travail aux préférences en matière de politique commerciale et aux prédictions du modèle HOV ne permettent pas d'affirmer clairement que ces préférences traduisent la situation observée sur le marché du travail. Cependant, il ressort clairement que les tra- vailleurs non qualifiés étaient les plus opposés à l'ALE et qu'ils en ont subi les contrecoups sur le marché du travail. Ces conclusions sont compatibles avec la nature des réductions tarifaires qui abaissent la protection dans les industries à faible coefficient de compétences. Nous tournons maintenant notre attention vers les données sur les fermetures d'usines. RESTRUCTURATION DANS LE SECTEUR MANUFACTURIER K EITH HEAD ET JOHN RIES ont fait des contributions importantes en tentant de déterminer si les prédictions théoriques au sujet de la rationalisation s'observent sur le plan empirique, et de préciser ce qui constituerait un modèle approprié 18 . Lors d'une précédente conférence sur les liens en Amérique du Nord, ils ont présenté un aperçu des résultats les plus récents sur la question 19 . Leur étude évalue l'impact du libre-échange sur trois aspects de la performance manufacturière du Canada : 1) la création de commerce, le détournement de courants commerciaux et la dépendance accrue à l'égard d'un partenaire com- mercial, 2) la répartition des ressources entre les industries manufacturières et la spécialisation accrue au sein de l'économie, 3) la mesure dans laquelle le libre-échange favorise la productivité grâce à un meilleur accès aux marchés étrangers, en permettant aux entreprises d'exploiter des économies d'échelle au niveau de l'usine et de profiter d'une concurrence accrue. Une des conséquences prévisibles de l'ALE était la fermeture de petites usines inefficientes dans les industries manufacturières au Canada. Les parti- sans de l'ALE ont fait valoir que les fermetures d'usines s'inscrivaient dans un processus de rationalisation qui apporterait des bénéfices importants au Canada. Les opposants à l'ALE convenaient que des usines fermeraient, mais en affir- mant que ce serait des usines appartenant à des filiales étrangères au Canada, 203 BEAULIEU ET JOY ce qui ferait du même coup disparaître des milliers d'emplois. L'impact de l'ALE sur les fermetures d'usines au Canada demeure mal compris et aucune donnée sur les fermetures d'usines n'est disponible auprès de Statistique Canada. La présente section de l'étude prolonge et étend la portée des travaux antérieurs de Beaulieu (2001) en examinant l'effet de l'ALE sur les fermetures d'usines et en analysant un ensemble original de données puisées dans des articles de jour- naux traitant des fermetures d'usines entre 1982 et 1997 20 . Beaulieu (2001) montre que l'information sur les fermetures d'usines en Ontario provenant d'articles parus dans les médias est conforme aux renseignements publiés par le gouvernement de l'Ontario sur les fermetures d'usines. Par conséquent, nous examinons les raisons à l'origine des fermetures d'usines et leur répartition entre les provinces et les industries en tentant de déceler un lien entre les données sur les fermetures d'usines, les données du marché du travail et les données sur les préférences personnelles examinées ci-dessus. LIBRE-ÉCHANGE ET FERMETURES D'USINES AU CANADA LES FERMETURES D'USINES sont habituellement imputées à la recherche inces- sante de l'efficience, à un changement dans la structure globale du secteur manufacturier ou encore à un recul de l'économie 21 . Ces raisons s'inscrivent dans une perspective macroéconomique. Souvent, le grand public ne se préoc- cupe pas des aspects macroéconomiques lorsqu'une usine ferme ses portes. Les employés et la collectivité veulent généralement connaître la raison ou la justi- fication à l'origine de la décision de fermer l'usine. Cet intérêt amène inévita- blement les médias à répondre au besoin d'information du public en faisant enquête sur les fermetures d'usines. Le public reçoit donc un compte rendu essentiellement microéconomique des raisons pour lesquelles une entreprise décide de fermer une usine. Les motifs à l'origine des fermetures d'usines qui sont rapportés dans les médias peuvent être classés en neuf catégories, définies à partir de l'ensemble des fermetures d'usines relatées dans les principaux journaux au Canada entre 1982 et 1997. Ces raisons sont souvent tirées des déclarations faites par les gestionnaires de ces usines ou d'autres sources. Le tableau 7 énumère ces neuf catégories et donne une brève explication du contexte dans lequel elles sont habituellement choisies : 1) les mauvaises conditions du marché, 2) une conso- lidation, 3) les coûts, 4) un déménagement, 5) le libre-échange, 6) des problèmes de relations de travail, 7) la conjoncture macroéconomique, 8) la désuétude et 9) une autre raison. 204 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE La figure 2 fait voir le nombre d'usines fermées pour chacune des raisons mentionnées dans les comptes rendus des médias. La première raison pour laquelle on ferme une usine est la consolidation ou la rationalisation de la production. Les mauvaises conditions du marché représentent la seconde cause la plus souvent citée pour expliquer une fermeture d'usine. La consolidation et la rationalisation des usines durant la période qui a suivi la mise en œuvre de l'ALE peuvent être interprétées comme une indication du fait que le libre- échange fonctionne selon le modèle élaboré par Cox et Harris. Cela serait la preuve que le libre-échange force des entreprises établies au Canada à alléger 205 TABLEAU 7 RAISONS CITÉES POUR EXPLIQUER LES FERMETURES D'USINES Mauvaises conditions du marché Consolidation Coûts Déménagement Libre-échange Problèmes de relations de travail Conjoncture macro- économique Désuétude Autre La diminution de la demande est la raison mentionnée pour la fermeture de l'usine; l'usine a été fermée en raison d'une baisse à long terme du prix du produit qu'elle fabriquait; le marché sur lequel l'usine écoule son produit connaît un problème de production excédentaire. Cependant, cette capa- cité excédentaire ne s'observe pas nécessairement au niveau du marché; elle peut exister parmi les usines d'une même entreprise qui fabriquent le même produit. L'usine a été fermée et la production a été absorbée par une autre usine, ou une intensification de la concurrence a été citée comme raison de la ferme- ture de l'usine. Effort de réduction des coûts en raison du mauvais rendement de l'entreprise; l'usine a récemment enregistré une hausse significative de ses coûts d'exploitation et elle a été fermée pour cette raison. L'entreprise a invoqué une raison économique pour se réinstaller ailleurs. Ces « raisons économiques» englobent une gamme étendue de motifs particuliers. Les coûts de main-d'œuvre moins élevés sont souvent cités comme raison d'un déménagement. Une autre raison souvent invoquée est que l'entreprise a décidé de se rapprocher de son marché principal. La fermeture de l'usine a été imputée dans les médias soit à l'ALE soit à l'ALENA. L'entreprise et ses travailleurs n'ont pu s'entendre sur les conditions d'un nouveau contrat. Dans un certain nombre de cas, les travailleurs ont indiqué qu'ils préféraient voir l'usine fermer plutôt que d'accepter les conditions du contrat offert par l'entreprise. L'usine a été incapable de recruter le nombre requis de travailleurs qualifiés pour assurer sa production. La fermeture de l'usine a été imputée à l'économie dans son ensemble plutôt qu'à un aspect particulier de l'usine, de l'entreprise ou du marché. L'usine avait un piètre rendement comparativement aux autres usines produisant le même produit, ou elle est devenue désuète en raison d'un changement technologique majeur ou de son âge. Diverses raisons n'entrant pas dans l'une des huit catégories précédentes. BEAULIEUETJOY FIGURE 2 RAISONS DES FERMETURES D'USINES RAPPORTÉES DANS LES MÉDIAS leurs opérations pour devenir plus efficientes. On a observé de nombreux cas où la direction d'une entreprise a affirmé qu'elle procédait à une consolidation des opérations parce que trois ou quatre de ses usines n'étaient exploitées qu'à environ 50 p. 100 de leur capacité. Etant donné les coûts fixes d'exploitation de chaque usine, il est plus efficient, sous l'angle de la répartition des ressources, d'avoir trois usines fonctionnant à 100 p. 100 de leur capacité que cinq usines exploitées à seulement 50 p. 100 de leur capacité. Il est possible que la protection tarifaire ait permis à ces entreprises d'opérer avec une capacité excédentaire, mais la suppression des droits tarifaires peut avoir rendu cette pratique insoutenable. Une autre interprétation du constat selon lequel les fermetures d'usines sont pour la plupart attribuées à une consolidation est que le processus de rationalisation s'inscrit dans une tendance plus généralisée au sein des pays industrialisés et qu'elle a peu à voir avec l'entrée en vigueur de l'ALE. Une façon de déterminer quelle est l'interprétation exacte est d'examiner le nombre de fermetures d'usines dans chaque industrie et dans une perspective temporelle. Nous comparons le nombre de fermetures d'usines dans chaque industrie pour trois sous-groupes : les industries à protection tarifaire élevée, moyenne et faible, durant la période qui a précédé et celle qui a suivi la mise en oeuvre de l'ALE. Cela permet d'appliquer une méthode d'expérience contrôlée 206 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE à l'analyse du rôle joué par l'ALE dans les fermetures d'usines. Cela nous aide aussi à départager l'effet de l'ALE de celui des facteurs macroéconomiques qui ont influé sur le comportement des entreprises au début des années 90. La figure 3 montre le nombre de fermetures d'usines rapportées dans les médias entre 1982 et 1997 par industrie. Une part importante des fermetures d'usines est survenue dans le secteur de l'alimentation. Les industries alimen- taires représentent environ 18 p. 100 de l'ensemble des fermetures d'usines. Les industries du transport, du matériel électrique et des produits chimiques ont aussi connu un plus grand nombre de fermetures d'usines que les autres industries. Le tableau 8 fait voir le nombre de fermetures d'usines au Canada dans les industries à droits tarifaires élevés, moyens et faibles au cours de deux périodes : 1982-1988 et 1989-1995. Il montre également les changements dans les taux tarifaires ratifiés aux termes de l'ALE ainsi que le changement en pourcentage dans le nombre d'établissements durant ces deux périodes 22 . Les industries à droits tarifaires élevés peuvent être considérées comme le groupe traité, tandis que les industries à faibles droits tarifaires forment le groupe de contrôle. Le profil des fermetures d'usines est-il différent pour ces deux groupes? FIGURE 3 NOMBRE DE FERMETURES D'USINES AU CANADA, PAR INDUSTRIE, 1982-1997 207 TABLEAU 8 CHANGEMENTS TARIFAIRES, FERMETURES D'USINES ET NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS PAR INDUSTRIE, 1982-1995 CHANGEMENTS TARIFAIRES (POINTS DE POURCENTAGE) CODE CTI INDUSTRIE Industries à droits tarifaires élevés 24 Vêtement 1 8 Textiles primaires 17 Cuir 26 Meubles et accessoires 12 Tabac Ensemble des industries à droits tarifaires élevés Industries à droits tarifaires modérés 1 5 Caoutchouc 19 Textiles 1 6 Plastiques 27 Papier et produits connexes 33 Matériel électrique 30 Métaux ouvrés 37 Produits chimiques CANADA 13,0 10,3 9,9 9,8 8,6 10,3 6,7 6,6 5,6 5,6 5,4 5,0 5,0 ÉTATS-UNIS 7,1 5,7 6,3 1,6 12,4 6,6 2,6 5,5 2,6 2,0 3,3 1,9 3,2 FERMETURES D'USINES' 1982-1988 4 1 1 0 1 7 (5 %) 2 2 1 10 16 8 15 1989-1995 17 7 7 21 5 57 (10%) 5 8 9 36 55 29 52 NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS Z (POURCENTAGE) 1983-1988 19 _2 -8 17 -24 0 25 18 24 7 32 15 16 . 1989-1995 -36 -19 -35 -28 -16 -27 4 -16 1 -8 -13 -15 -13 TABLEAU 8 (SUITE) CHANGEMENTS TARIFAIRES, FERMETURES D'USINES ET NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS PAR INDUSTRIE, 1982-1995 CHANGEMENTS TARIFAIRES (POINTS DE POURCENTAGE) CODE CTI 3l 35 39 11 10 INDUSTRIE Machines Minéraux non métalliques Autre fabrication Boissons Aliments Ensemble des industries à droits tarifaires modérés CANADA 4,9 4,8 4,7 4,1 3,7 4,4 ÉTATS-UNIS 2,4 2,0 2,7 2,6 2,8 2,5 FERMETURES D'USINES l 1982-1988 7 6 1 3 26 97 (69 %) 1989-1995 22 19 17 18 105 375 (64 %) NOMBRE D'ÉTABLISSEMENTS 2 (POURCENTAGE) 1983-1988 33 5 22 -2 4 16 1989-1995 -14 -9 -21 -18 -12 -11 Industries à faibles droits tarifaires 29 32 25 28 36 Ensemble des Métaux primaires Matériel de transport Bois Imprimerie et édition Pétrole raffiné et charbon industries à faibles droits tarifaires Ensemble du secteur manufacturier 3,1 3,0 2,6 1,5 0,6 2,2 5,8 2,5 0,7 1,5 0,3 0,6 1,1 3,4 6 18 7 2 3 36 (27 %) 140 Notes : 1 Les chiffres entre parenthèses correspondent au pourcentage de fermetures par rapport au nombre total d'é 2 Keith Head et John Ries ont gracieusement fourni les données sur le nombre d'établissements par industrie 33 57 43 15 9 157(27%) 589 17 24 5 9 n.d. 14 14 -21 -16 -15 -15 n.d. -17 -17 tablissements manufacturiers . BEAULIEUETJOY Le nombre de fermetures d'usines a augmenté après 1988 dans les deux groupes. Cependant, il a augmenté proportionnellement plus dans le groupe des industries à droits tarifaires élevés que dans les industries où s'appliquaient de faibles droits tarifaires. Cela ressort de la comparaison du changement dans la part des fermetures au sein du secteur manufacturier entre les industries à droits tarifaires élevés et les industries à faibles droits tarifaires, avant et après l'ALE. La part des industries à droits tarifaires élevés est passée de 5p. 100 du nombre total de fermetures dans le secteur manufacturier avant l'ALE à 10p. 100 après la conclusion de l'accord. Par contre, les fermetures dans les industries à faibles droits tarifaires sont demeurées à peu près au même niveau, passant de 26 p. 100 du total des fermetures d'usines dans le secteur manufacturier avant l'ALE à 27 p. 100 par la suite. Cette différence donne à penser que l'ALE a joué un rôle dans les fermetures d'usines au Canada. Ce profil de fermetures d'usines est conforme à l'évolution des résultats observés sur le marché du travail, décrite précédemment. Les fermetures d'usines sont survenues dans les industries à protection tarifaire élevée. Ce sont des industries à faible coefficient de compétence. En outre, les travailleurs peu qualifiés avaient une plus grande probabilité de s'opposer à l'ALE. CONCLUSION D ANS CETTE ÉTUDE, nous avons examiné l'économie politique de la politique commerciale du Canada et établi des liens entre les préférences observées en matière de politique commerciale, d'une part, et l'évolution du marché du travail et les données sur la rationalisation du secteur manufacturier, d'autre part. L'étude contribue à notre compréhension des enjeux politiques de l'intégration économique et de l'interdépendance entre les considérations poli- tiques et les répercussions économiques. Elle fournit des renseignements utiles pour l'évaluation du modèle économique qui sous-tend la libéralisation du commerce et aide à éclairer les politiques publiques visant à faciliter l'adaptation à l'intégration économique. Elle identifie aussi les clivages politi- ques qui risquent de se former dans le débat sur la poursuite de l'intégration économique en Amérique du Nord. Nous constatons que les divisions suscitées par la politique commerciale suivent les lignes de démarcation des facteurs et non celles qui distinguent les industries. Cela signifie que les travailleurs sont mobiles entre les industries. Nous constatons aussi que les travailleurs qualifiés avaient une probabilité plus grande d'appuyer l'ALE que les travailleurs non qualifiés. Cette constatation a aussi été faite dans des études plus récentes sur les préférences des Canadiens à l'égard de la politique commerciale. Le fait que les travailleurs qualifiés tant aux États-Unis qu'au Canada aient été en faveur de la libéralisation du commerce 210 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE est toutefois incompatible avec le modèle du commerce de Heckscher-Ohlin- Samuelson — mais non avec les versions étendues de ce modèle qui englobent une concurrence imparfaite et des économies d'échelle. Enfin, le profil d'appui à l'accord parmi les professions cadre plus ou moins bien avec les prédictions du modèle HOV. L'étude aborde ensuite l'importante question de savoir si les préférences en matière de politique commerciale traduisent les répercussions économiques de l'accord de libre-échange. Afin d'établir un lien plus direct entre les préfé- rences en matière de politique commerciale et les conséquences économiques de la libéralisation du commerce, nous montrons que les clivages observés dans les préférences en matière de politique commerciale traduisent au moins en partie les pressions auxquelles sont soumis les travailleurs sur le marché du travail au Canada. Une comparaison formelle des préférences en matière de politique commerciale et des résultats observés sur le marché du travail pour diverses professions, dans un cadre HOV, ne fait pas ressortir de lien étroit. Ce- pendant, le modèle HOV est notoirement inefficace dans les études empiriques. Notre étude montre néanmoins que les travailleurs moins qualifiés ont été défavorisés sur le marché du travail suite à l'ALE, ce qui est compatible avec les préférences en matière de politique commerciale observées dans les données de l'EENC. De plus, les fermetures d'usines ont eu lieu de façon disproportionnée dans les industries à droits tarifaires élevés, c'est-à-dire les industries à faible coefficient de compétence. La contraction du marché du travail et les fermetures d'usines ont eu des répercussions défavorables sur les travailleurs non qualifiés pendant que l'économie canadienne s'adaptait à l'ALE. Cela est conforme aux préférences observées en matière de politique commerciale. L'étude incite à penser que les préoccupations à l'égard d'une libéralisa- tion continue des échanges commerciaux et l'opposition politique à une telle orientation seront vraisemblablement façonnées par les conséquences écono- miques de la politique commerciale qui sera adoptée. Cependant, les électeurs ne se comportent pas comme si leurs préférences étaient liées à une industrie particulière. Les gens sont mobiles entre les industries. Par conséquent, les politiques d'adaptation devraient privilégier l'acquisition de compétences par les particuliers au lieu de cibler des industries en particulier. NOTES 1 Voir Hazledine (1990), qui renferme un aperçu et une critique des divers modèles d'équilibre général calculables (MEGC) pour examiner les effets de bien-être de la libéralisation du commerce en Amérique du Nord. 2 Le titre complet est « The Case of thé Missing Trade and Other Mysteries » et la référence se trouve dans la Bibliographie. 211 BEAULIEU ET JOY 3 Leamer et Levinsohn, 1995. 4 Bhagwati, Panagariya et Srinivasan (1998, ch. 7) présentent un excellent résumé de la documentation sur la mobilité des facteurs et sont à l'origine de l'expression « spécificité de tous les facteurs ». 5 Voir l'appendice sur les données pour plus de détails. 6 Johnston, Biais, Brady et Crête (1992) et Clarke, Jenson, Le Duc et Pammett (1991) fournissent d'excellents comptes rendus de l'élection de 1988. Ils utilisent des données de l'Étude sur l'élection nationale de 1988 au Canada (les mêmes que celles employées ici) pour analyser la dynamique de la campagne de 1988 et pré- senter un aperçu historique de la politique commerciale et de la politique en géné- ral au Canada. 7 II faut comparer cela au peu d'intérêt qu'a soulevé au Canada l'inclusion du Mexique dans l'accord (ALENA), et la vive lutte politique qu'a suscitée aux États-Unis l'inclusion de ce pays dans un marché nord-américain intégré. Beaulieu (2002a) examine les profils de vote au Congrès sur les lois de mise en œuvre de l'ALE, de l'ALENA et du GATT. 8 Voir Johnston et coll. (1992) et Pammett (1989). 9 II faut se rappeler qu'avant l'élection de 1993, les trois principaux partis politiques fédéraux au Canada étaient le Parti progressiste-conservateur, le Parti libéral et le Parti néo-démocrate. 10 Clarke et Kornberg (1992, p. 39) affirment que, même dans le contexte historique décrit ci-dessus, il n'était pas évident au début de l'élection que la question de l'ALE dominerait la campagne. Les Conservateurs avaient d'abord prévu faire campagne sur leurs réalisations. Ce n'est qu'au fil de la campagne que les partis adverses ont fait de l'ALE le sujet de l'heure; cela corrobore l'opinion selon la- quelle les partis politiques ont chauffé l'électorat ou contrôlé l'ordre du jour. 11 Selon les données de l'EENC utilisées dans la présente étude, 64p. 100 des ré- pondants ont affirmé que l'ALE était l'enjeu le plus important, tandis que 12 p. 100 étaient d'avis qu'il n'y avait aucun enjeu important. Ces chiffres ne sont pas directement comparables à ceux du tableau 1, qui fait état des deux enjeux les plus importants alors que les données de la présente étude ne portent que sur l'enjeu le plus important. Néanmoins, ils confirment la notion selon laquelle les électeurs considéraient massivement l'ALE comme étant la question la plus im- portante qui influerait sur leur choix lors du scrutin. 12 Ce point est souligné dans Clarke et coll. (1991, p. 146-147). 13 Voir Beaulieu (1997) pour plus de détails. L'auteur souligne que le coefficient % 2 de Pearson rejette l'hypothèse nulle de l'indépendance statistique entre les profils de vote et les positions sur l'ALE. Ces résultats sont fondés sur des données pro- venant de l'EENC, décrites dans l'appendice sur les données. 14 Harris (1985) constate que les industries perdantes et gagnantes sont concentrées en Ontario et au Québec. 15 Voir Mayda et Rodrik, 2001. 16 Le ratio des travailleurs non affectés à la production aux travailleurs de la produc- tion fournit une bonne approximation du ratio des travailleurs qualifiés aux tra- vailleurs non qualifiés. Voir Beaulieu, 2000, tableau 1, p. 544. 212 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMERICAINE 17 Robertson (2000) observe un résultat semblable en examinant l'énigme présumée d'un écart salarial croissant entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés au Mexique après la signature de l'ALENA. Il constate que lorsque l'examen porte sur le changement dans la protection que suppose l'ALENA — plutôt que sur le contenu en facteurs des échanges commerciaux — l'énigme disparaît. 18 Voir Head et Ries, 1999. 19 Voir Head et Ries, 2001. 20 Voir l'appendice sur les données pour plus de détails. 21 Voir Perucci et Targ (1988) pour un exemple de cette explication. 22 Head et Ries ont fourni les données sur l'évolution du nombre d'établissements par industrie. REMERCIEMENTS L A PRÉSENTE ÉTUDE A BÉNÉFICIÉ DES COMMENTAIRES faits sur une ébauche antérieure par Rick Harris et les participants à la Conférence sur les liens nord-américains, organisée par Développement des ressources humaines Canada et Industrie Canada, à Montréal, du 20 au 22 novembre 2002. L'étude a aussi bénéficié des commentaires de Andréa Laroiya, Laura Jolies, Glenn Maclntyre, Andrew Royal, Hanako Saito, Natalia Sershun, Sinead Sinnott, Kostyantyn Stepankevych, Melissa Tan, Maria Tinajero, Mahmood Zarrabi et Lipin Zhang. Nous sommes seuls responsables de toute erreur qui subsisterait. BIBLIOGRAPHIE Balistreri, Edward. « The Performance of thé Heckscher-Ohlin-Vanek Model in Predicting Endogenous Policy Forces at thé Individual Level », Revue canadienne d'économique, vol. 30, ri' 1 (février 1997), p. 1-18. 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The Rôle of Industrial Organization in General Equilibrium », Revue canadienne d'économique, vol. 23, n° 4 (novembre 1990). 214 BEAULIEU ET JOY L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTEGRATION NORD-AMERICAINE Head, Keith, et John Ries. « Rationalization Effects of Tariff Réductions », Journal of International Economies, vol. 47, n° 2, (avril 1999), p. 295-320. . « Le libre-échange et la performance économique du Canada : Quelles théories s'appuient sur les faits? », document présenté à la conférence intitulée Les liens en Amérique du Nord : Occasions et défis pour le Canada, parrainée par Industrie Canada et le Centre d'étude des niveaux de vie, Calgary, 20-22 juin 2001; paru dans Les liens en Amérique du Nord : Occasions et défis pour le Canada, Documents de recherche d'Industrie Canada, publié sous la direction de Richard G. Harris, Calgary, University of Calgary Press, 2003, p. 207-236. Hiscox, Michael J. 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APPENDICE SUR LES DONNÉES LES DONNÉES SUR LES PRÉFÉRENCES L ) ÉTUDE SUR LES ÉLECTIONS NATIONALES au Canada renferme des données socioéconomiques et des renseignements sur le comportement des élec- teurs et les attitudes politiques des Canadiens recueillis lors d'enquêtes admi- nistrées avant et après l'élection de 1988. Dans la présente analyse, la propriété des facteurs est fondée sur le niveau de compétence. Deux mesures différentes des compétences sont utilisées : l'une fondée sur le niveau de scolarité le plus élevé atteint et l'autre fondée sur le niveau de compétence que suppose la profession. 216 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMERICAINE La variable représentant la scolarité dans les données brutes de l'EENC est une variable discrète qui englobe 11 catégories. Certaines catégories renferment très peu d'observations. Ainsi, seulement quatre répondants ont affirmé n'avoir 'aucune formation scolaire'. Par conséquent, nous avons regroupé ces données en quatre catégories de scolarité : études secondaires, secondaire complété, études techniques ou collégiales et études universitaires. Une autre raison pour agréger les données sur la scolarité en quatre catégories est que ces catégories de scolarité sont assimilées à différents facteurs de production : main-d'œuvre non qualifiée, main-d'œuvre peu qualifiée, main-d'œuvre moyennement quali- fiée et main-d'œuvre hautement qualifiée. Les personnes qui n'ont fait que des études secondaires partielles évoluent sur un marché de la main-d'œuvre non qualifiée, comme c'est le cas de certains travailleurs qui ont fait des études universitaires partielles. Puisque l'agrégation est quelque peu arbitraire, il est important de voir si cette agrégation influe sur les résultats. Cette question est explorée en détail dans Beaulieu (2002b). Les résultats de l'agrégation en qua- tre catégories de scolarité sont demeurés robustes pour toutes les spécifications des variables nominales représentant la scolarité. Les facteurs sont aussi mesurés en fonction du type de profession. Il y a trois facteurs de production liés à trois types de professions — hautement quali- fiées, moyennement qualifiées et peu qualifiées. Cette classification repose sur les caractéristiques socioéconomiques et les niveaux de compétence des professions élaborés par Pineo, Porter et McRoberts (1985). La définition des professions hautement qualifiées correspond aux emplois suivants : professionnels travail- lant pour leur propre compte, professionnels salariés, gestionnaires de niveau supérieur, travailleurs de bureau et vendeurs qualifiés, artisans qualifiés et agri- culteurs (à l'exclusion des employés de ferme). Les professions moyennement qualifiées sont les suivantes : employés semi-professionnels, techniciens, ges- tionnaires intermédiaires, superviseurs, contremaîtres, commis semi-qualifiés et travailleurs manuels semi-qualifiés. Les professions peu qualifiées sont celles du personnel de bureau et de vente non qualifié, des travailleurs manuels non qualifiés et des employés de ferme. Cette classification des professions nous permet de différencier les travailleurs qualifiés et non qualifiés et de les traiter comme des facteurs de production différents, comme dans l'approche où les facteurs sont définis en fonction des niveaux de scolarité. DONNÉES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL L'ENQUÊTE SUR LES FINANCES DES CONSOMMATEURS (EFC) est un supplément à l'Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada. L'EFC est disponible sur une base annuelle de 1981 à 1996 (sauf 1983). Avant 1981, les fichiers de micro-données accessibles au public n'englobent pas tous les travail- leurs et ne sont disponibles qu'aux deux ans. L'EFC est agrégée au niveau annuel, 217 BEAULIEUETJOY tandis que l'EPA se présente sur une base mensuelle. L'enquête consiste en micro-données qui englobent des variables telles que la région géographique, le revenu, les caractéristiques familiales, l'état matrimonial, l'âge, la scolarité, le statut d'immigrant, la langue, la situation au regard du marché du travail, la catégorie de travailleur, la classification professionnelle, le nombre de semaines travaillées, le chômage, les caractéristiques de l'emploi actuel et de l'emploi précédent. Selon l'année, le nombre de répondants à l'enquête varie approxi- mativement de 67 000 à 95 000 personnes. Même si l'EFC renferme diverses mesures du revenu, la seule qui a été re- tenue aux fins de la présente étude est celle des 'salaires et traitements'; elle fait état de la valeur du revenu en salaires et traitements pour l'année de référence. À partir de ces observations, une variable représentant le salaire horaire est calculée en divisant la variable 'traitements et salaires' par le produit du 'nombre d'heures habituellement travaillées par semaine' et du nombre de 'semaines travaillées'. En outre, dans les deux ensembles de données, les 'traitements et salaires' ont été défiâtes à l'aide de l'indice des prix à la consommation (IPC) afin de créer une variable représentant le salaire horaire réel (exprimée en dol- lars de 1986) l . LES DONNÉES SUR LES FERMETURES D'USINES LES DONNÉES SUR LES FERMETURES D'USINES ONT ÉTÉ RECUEILLIES grâce à une compilation des deux principaux index des journaux, le Canadian Business & Current Affairs (CECA) et Canadian Newsdisc. Ces deux sources englobent les principaux journaux publiés au Canada et d'autres publications 2 . Le but visé était de trouver un index couvrant des publications représentatives de divers endroits au Canada. Dans ces deux index, presque toutes les grandes villes canadiennes sont représentées par au moins un journal. Cependant, il n'y a pas de journaux pour le Nord, la Saskatchewan ou les régions situées à l'extérieur des grandes villes. En outre, la seule province maritime représentée est la Nouvelle- Ecosse. Dans la mesure où les fermetures d'usines dans les régions omises ne sont pas relatées dans les grands quotidiens des villes couvertes, les données sur les fermetures d'usines sous-estiment le nombre réel de fermetures. Mais cela ne semble pas constituer un problème sérieux puisque l'étude porte principale- ment sur les usines de plus grande taille (celles comptant plus de 50 travail- leurs) des industries manufacturières, et les grandes usines attirent davantage l'attention des médias. Tous les résultats de recherche pertinents aux fermetures d'usines ont été répertoriés, dépouillés et enregistrés s'ils étaient conformes à nos critères et n'étaient pas déjà pris en compte. Les articles pertinents traitaient de fermetures d'usines définitives au Canada. Les recherches ont fait ressortir 3 909 articles dans ces index, dont 878 ont été répertoriés dans notre base de données parce 218 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMERICAINE qu'ils étaient pertinents. Nous avons rejeté 3031 articles de journaux pour différentes raisons. Premièrement, la majorité des articles écartés reprenaient des nouvelles sur des fermetures d'usines figurant déjà dans notre base de don- nées. Deuxièmement, dans de nombreux cas, il s'agissait d'articles d'intérêt général sur les fermetures d'usines ou traitant du problème général des fermetures d'usines. Puisque ces articles ne faisaient pas état de fermetures d'usines parti- culières, ils n'ont pas été répertoriés dans la base de données. Certaines obser- vations ont été écartées parce que l'article traitait de la fermeture d'une usine située à l'extérieur du Canada. D'autres ont été écartées parce que l'usine n'appartenait pas à une industrie manufacturière. Ainsi, si l'observation portait sur la fermeture d'un magasin d'alimentation, elle était rejetée. Nous avons appliqué cette procédure parce que l'étude ne porte que sur le secteur manufac- turier, où le libre-échange entraîne des changements plus radicaux. Enfin, quelques observations ressorties du dépouillement de ces index ne traitaient pas de fermetures d'usines manufacturières. NOTES 1 Statistique Canada, Indice des prix à la consommation, matrice Cansim 2450, série E305030 (1986 = 100). 2 L'index CECA englobe huit grands quotidiens de langue anglaise : le Calgary Herald, le Montréal Gazette, The Financial Post, The Toronto Star, The Globe & Mail, The Vancouver Sun, The Halifax Chronicle Herald et le Winnipeg Free Press. Commentaire Richard G. Harris Université Simon Fraser J 'AI PRIS PLAISIR À PARCOURIR CETTE ÉTUDE. Elle représente une synthèse utile des théories du commerce international et de l'économie politique appliquées à certaines données intéressantes, en ayant recours à des méthodes élaborées. Le propos revêt une importance considérable dans le débat plus 219 BEAULIEU ET JOY vaste que suscite la mondialisation au Canada — qui est en faveur de la libéra- lisation des échanges et pourquoi? Dans un monde de choix rationnel et de maximisation du revenu, les particuliers appuieront le libre-échange s'il hausse leur revenu réel. La théorie économique n'offre pas de réponse simple à la ques- tion qui précède. Celle-ci dépend de la structure de l'économie et du profil de libéralisation. Dans la présente étude, deux questions intéressantes sont explo- rées à l'aide de données sur l'élection fédérale de 1988. Premièrement, qu'est-ce qui a motivé les électeurs à appuyer (ou non) le libre-échange Canada-États-Unis? En particulier, l'industrie d'emploi ou les compétences d'une personne expliquent-elles mieux le comportement de l'électorat? Les résultats révèlent jusqu'à un certain point la mesure dans la- quelle les électeurs pouvaient prédire l'incidence de l'Accord de libre-échange (ALE) en adoptant une vision du commerce et des marchés des facteurs inspi- rée du modèle Heckscher-Ohlin (HO) ou une vision des effets du commerce dans la perspective de certaines industries particulières. Ce qui est un peu étonnant en regard de la documentation existante, Beaulieu et Joy constatent que l'industrie d'emploi ne permet pas de bien prédire le comportement des électeurs tandis que le niveau de compétence le permet. Comme la théorie de HO exige la mobilité des facteurs entre industries, cette observation est conforme au modèle où les électeurs rationnels adoptent une vision à long terme en évaluant leur propre position sur la question de la libéralisation des échanges commerciaux et, ainsi, peuvent prédire correctement leurs revenus futurs après que tous les ajustements au libre-échange se soient produits. La seconde partie de l'étude examine les conséquences de l'ALE. À la lu- mière du premier exercice, cela peut revenir à se demander si les électeurs ont eu ou non raison. La difficulté qui surgit ici est de neutraliser les facteurs autres que l'incidence de la libéralisation du commerce sur l'économie. Le Canada a connu une macro-récession importante au début des années 90, tandis que les salaires des travailleurs non qualifiés ont stagné dans l'ensemble des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En utilisant un cadre de régression des salaires de type Mincer, les auteurs vérifient si les prédictions du modèle de HO quant au comportement des électeurs sont compatibles avec les changements observés dans les salaires après la mise en place de l'ALE. Leurs résultats sont assez partagés et, dans certains cas, diamé- tralement opposés à ceux du modèle Heckscher-Ohlin-Vanek (HOV). Enfin, les auteurs examinent les données sur l'impact de l'ALE en termes de fermetures d'usines. Ils constatent que les industries où la protection tarifaire était élevée ont enregistré des taux plus élevés de fermetures d'usines par rapport aux in- dustries qui ne bénéficiaient que d'une faible protection tarifaire. Bien que l'étude fasse une contribution intéressante à la documentation sur l'économie politique de la politique commerciale, les résultats obtenus ne 220 L'ÉCONOMIE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE semblent pas suffisamment robustes pour justifier des conclusions claires. Un problème courant est que même de légères modifications au modèle de HO produisent des prédictions sensiblement différentes. Ainsi, le fait d'introduire des économies d'échelle peut renverser de nombreuses prédictions au niveau de l'industrie. Une interprétation basée sur le modèle de HO est que la main- d'œuvre qualifiée est abondante au Canada et mobile entre les industries. Le libre-échange contribuerait donc à hausser le rendement réel sur ce facteur relativement abondant. Cependant, il est aussi possible que le libre-échange suscite avant tout une vague d'ajustements structurels et de mise à niveau technologique depuis longtemps attendue dans l'industrie canadienne. Même s'ils sont relativement immobiles, les travailleurs qualifiés pourraient avoir ap- puyé le libre-échange parce que l'alternative était pire — le statu quo reposant sur de vieux produits et une technologie dépassée. Les auteurs affirment que leur analyse est compatible avec le soutien régional à TALE, avant comme après la conclusion de l'accord. Mais il est loin d'être clair qu'il en soit ainsi. L'Ouest a appuyé ouvertement le libre-échange, mais il est aujourd'hui assez évident que l'accroissement des exportations aux États-Unis est survenu prin- cipalement au Canada central. Même si les industries à coefficient élevé de main-d'œuvre non qualifiée étaient fortement protégées et situées au Canada central, il est tout aussi vrai que les industries à coefficient élevé de compé- tence se trouvaient au Canada central. L'appui au libre-échange dans l'Ouest pourrait avoir été motivé en partie par la conviction que l'ALE se traduirait par un meilleur régime de règlement des différends commerciaux et, éventuelle- ment, une baisse du protectionnisme sur les marchés d'importation des produits de base aux États-Unis. Cependant, cette chaîne de causalité est passablement différente de celle qui semble ressortir de l'étude, à savoir que la mobilité de la main-d'œuvre est le principal lien entre les différents secteurs de l'économie canadienne. Même si les marchés du travail régionaux au Canada étaient par- faitement segmentés, il ne serait pas difficile de rationaliser les résultats de l'étude dans un tel contexte. En examinant la possibilité d'une intégration économique encore plus poussée en Amérique du Nord, on peut se demander si la mobilité des facteurs entre industries et régions a de l'importance. Étant donné que la plus grande partie du commerce canado-américain a déjà été libéralisé, la prochaine étape sur la voie de l'intégration sera probablement une initiative vers la formation d'une union douanière comportant une plus grande mobilité transfrontière formelle des investissements, des entreprises et de la main-d'œuvre quali- fiée. Sur le plan analytique, nous pouvons envisager cela comme une réduction des coûts du commerce tant des facteurs que des biens. Cela accroîtrait les volumes d'échanges et l'intégration des entreprises. Mais ce qui pourrait arriver à certaines industries dans l'éventualité d'une telle intégration est loin d'être clair 221 BEAULIEU ET JOY — contrairement au cas de TALE. La raison en est simplement que le change- ment technologique et la réorganisation des entreprises se produisent à un rythme tel que les conséquences de l'intégration économique au niveau de l'entreprise et du secteur deviennent de plus en plus difficiles à prédire. Dans ces circonstances, les électeurs — en particulier les travailleurs qui appartiennent à la génération vieillissante du boom des naissances — seront très prudents face à des changements qui pourraient avoir des effets imprévisibles sur leur revenu et leur emploi. Si cette évaluation est juste, l'hypothèse selon laquelle l'industrie d'emploi a de l'importance pourrait s'avérer un meilleur prédicteur du compor- tement futur des électeurs qu'en 1988. 222 Partie III Adaptation des entreprises et des travailleurs à l'intégration économique Canada-Etats-Unis This page intentionally left blank Ross Finnie Université Queen's et Statistique Canada Quitter le Canada et y revenir : ce que révèlent les données longitudinales INTRODUCTION C OMME À CERTAINES AUTRES PÉRIODES de l'histoire du pays, on accorde aujourd'hui un intérêt considérable à l'émigration des Canadiens vers d'autres pays. Combien quittent le pays au cours d'une année donnée? Quelles sont leurs caractéristiques? Combien reviennent - et qui sont-ils 7 . Quand reviennent-ils? Quelles sont les tendances de la migration en longue période? Ces questions attirent l'attention non seulement pour des raisons théoriques, mais à cause de leurs répercussions sur certaines questions de politique impor- tantes. La question de l'exode des cerveaux a donné lieu à beaucoup de débats, notamment dans l'optique de ses conséquences pour la politique fiscale cana- dienne, ce qu'elle pourrait nous enseigner sur la performance économique du Canada par rapport à ses principaux concurrents, et ce qu'elle laisse entrevoir au sujet de nos grands programmes sociaux — qui pourraient faire du Canada un meilleur endroit où vivre ou, au contraire, pousser les taux d'impôt à des niveaux tels que les meilleurs éléments seront tentés de quitter, etc. 1 . Cepen- dant, les travaux de recherche antérieurs ont achoppé sur l'absence de bases de données générales de grande envergure, qui conviennent mieux à l'étude de la question de l'émigration des Canadiens et de leur retour éventuel au pays. La présente étude vise donc à exploiter les atouts uniques de la Banque de don- nées administratives longitudinales (DAL) de Statistique Canada, qui est éla- borée à partir des dossiers fiscaux des particuliers, afin de jeter un nouvel éclai- rage sur l'étendue et la nature des flux migratoires des Canadiens vers d'autres pays et des profils de retour au cours de la période 1982-1999. 225 5 FINNIE Après une description des données, des modèles et des variables em- ployées, les résultats empiriques sont présentés dans deux sections. La première porte sur les profils d'émigration des Canadiens. Elle débute par quelques figures simples qui résument les taux globaux de départ au fil du temps; suivent les résultats d'estimations issus d'un modèle visant essentiellement à répondre à la question suivante : « Qui quitte le pays? ». Dans le modèle, la probabilité qu'une personne quitte le Canada au cours d'une année donnée est spécifiée comme une fonction logit de certaines carac- téristiques démographiques individuelles (âge, type de famille, langue), de la situation économique (niveau de revenu, bénéficiaire de prestations d'assurance-chômage/emploi [A-C/E]) et d'attributs géographiques (province, taille de la région de résidence). Le modèle englobe aussi le taux de chômage provincial en tant qu'indicateur des conditions économiques qui prévalent, ainsi qu'une série de variables annuelles visant à saisir les tendances temporelles — qui suscitent tant de débats. Des modèles distincts sont estimés pour les hommes et pour les femmes. Dans une variante du modèle, une série de termes a été ajoutée pour per- mettre que puisse diverger la relation entre la probabilité d'un départ et le ni- veau de revenu d'une personne dans les années 80 et dans les années 90. Cette spécification sert à vérifier l'hypothèse selon laquelle le taux de départ aurait augmenté parmi les personnes qui se trouvent au sommet de l'échelle des reve- nus par rapport à celles qui sont au bas de l'échelle — comme on devrait s'y attendre s'il y a eu aggravation du phénomène de l'exode des cerveaux. Après la présentation des données sur les taux annuels d'émigration du Canada durant les deux dernières décennies, une analyse semblable est appli- quée aux taux de retour des personnes ayant quitté antérieurement. À la connaissance de l'auteur, c'est la première étude consacrée au phénomène du retour (couvrant l'ensemble de la population, sur une longue période, etc.). Encore une fois, le manque d'information sur cet aspect est principalement attribuable aux besoins connexes de données : des données permettant de sui- vre certaines personnes sur une longue période afin de pouvoir identifier celles qui quittent le pays et — ce qui peut être le défi le plus redoutable — celles qui reviennent au pays, parfois après une absence prolongée. En outre, puisque l'émigration est un événement plutôt rare, l'échantillon doit aussi être très grand afin de saisir un nombre suffisant de personnes quittant le pays et de les suivre au cours des années subséquentes. Enfin, les données doivent être suffi- samment détaillées pour permettre un examen utile et intéressant des caracté- ristiques des personnes qui partent et de celles qui reviennent. La base de données DAL répond à ces exigences et permet d'estimer, à l'aide d'un modèle de risque, la probabilité que des personnes identifiées comme ayant quitté le Canada y reviendront. À cette fin, un modèle logit 226 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR discret est employé dans l'étude. La variable dépendante est l'éventualité qu'une personne repérée comme ayant quitté le pays reviendra au Canada au cours d'une année donnée. Les variables explicatives sont notamment celles mentionnées précédemment dans le contexte des modèles de sortie, y compris une série de variables pour chaque année civile servant à capter les tendances temporelles. Le modèle inclut également des variables nominales correspon- dant au nombre d'années écoulées depuis qu'une personne a quitté le pays (une, deux, trois ...), afin de saisir les effets de durée pertinents : en mainte- nant les autres facteurs constants, quelle est la probabilité d'un retour à mesure qu'augmenté le temps passé à l'extérieur du pays? La spécification de ces effets de durée sans l'imposition d'une forme fonctionnelle s'avère importante parce que les termes représentant la durée prennent éventuellement une forme un peu singulière — bien que cela ne soit pas si étonnant si l'on tient compte du processus dynamique à l'œuvre ici. La dernière partie de l'étude résume et examine les principales constata- tions et trace certaines pistes pour la recherche future. DONNÉES ET MODÈLES LA BANQUE DE DONNÉES ADMINISTRATIVES LONGITUDINALES L A BANQUE DE DONNÉES ADMINISTRATIVES LONGITUDINALES est un échantillon représentatif de 20 p. 100 de l'ensemble des déclarants canadiens (et des conjoints non déclarants identifiés par les déclarants) sélectionné à partir des dossiers fiscaux de Revenu Canada (maintenant l'Agence du revenu du Canada) à l'aide d'un générateur de nombres aléatoires utilisant les numéros d'assurance sociale (NAS). La DAL est donc représentative et suffisamment vaste (elle regroupe ap- proximativement quatre millions de personnes annuellement) pour satisfaire à deux exigences clés sur le plan des données. Mais elle respecte aussi le critère longitudinal critique puisqu'elle permet de suivre certaines personnes dans le temps grâce à l'identificateur que constitue le NAS. Les personnes sortent de la DAL si elles deviennent des non-déclarants; les principales raisons pour les- quelles elles deviennent non déclarantes est qu'elles ont un faible revenu et, par conséquent, ne sont pas tenues de produire une déclaration (et choisissent de ne pas le faire — voir ci-dessous), qu'elles sont décédées ou, ce qui est plus pertinent aux fins de la présente étude, qu'elles ont quitté le pays. De nouveaux déclarants (les jeunes, les immigrants, etc.) viennent automatiquement recons- tituer la base de données afin de respecter le ratio général de 20 p. 100. Enfin, la DAL englobe une gamme suffisamment étendue de variables pour permettre une analyse intéressante de la façon dont varient les départs et les retours au pays selon la situation et les caractéristiques personnelles des gens, 227 FINNIE en jumelant annuellement les personnes au sein de l'unité familiale appropriée afin d'obtenir des renseignements individuels et familiaux sur le revenu, les impôts et les caractéristiques démographiques de base, y compris le lieu de résidence, dans un cadre dynamique. La première année de la DAL est 1982; l'année où ce projet a débuté, le fichier renfermait des données jusqu'à 1999, ce qui a défini la période visée par l'analyse. La DAL assure une très bonne couverture de la population adulte parce que, comparativement à d'autres pays (comme les Etats-Unis), le taux de décla- rants au Canada est très élevé : les Canadiens à revenu élevé sont tenus de déclarer leurs revenus, tandis que les personnes à faible revenu sont incitées à produire une déclaration afin de récupérer les retenues d'impôt sur le revenu et les autres déductions à la source faites durant l'année et de toucher divers cré- dits d'impôt. On estime que l'univers des déclarations de revenus annuelles à partir duquel la DAL est construite couvre plus de 95 p. 100 de la population adulte cible (selon les estimations officielles de la population), ce qui se com- pare très favorablement à d'autres bases de données produites à partir d'enquêtes, rivalisant même avec le recensement (ou le surpassant) à cet égard. En outre, puisque la plupart des particuliers produisent annuellement une déclaration de revenu, l'attrition au sein de la DAL est très faible et celle-ci demeure représentative sur une base longitudinale et transversale. Elle se com- pare donc aux bases de données longitudinales construites à partir d'enquêtes qui, habituellement, ont plus de difficulté à suivre les personnes, notamment celles qui déménagent, ce qui peut causer de sérieux problèmes d'échantillon- nage dans le contexte d'une étude de la mobilité comme celle-ci. Bref, la DAL assure une bonne représentativité, dans une perspective tant transversale que longitudinale 2 . Les particuliers ont été retenus aux fins de l'analyse s'ils étaient citoyens canadiens (afin d'écarter les immigrants qui ne font essentiellement que passer au pays) et âgés de plus de 18 ans, et s'il n'y avait aucune donnée manquante pour les variables comprise dans l'analyse (ce qui a donné lieu à un très petit nombre de radiations). Une personne pouvait figurer dans l'analyse pour cer- taines années mais non pour d'autres, selon son inclusion dans la DAL et les années pour lesquelles elle respectait les critères de sélection de l'échantillon. SPÉCIFICATION DU MODÈLE DE DÉPART DEUX MODÈLES LOGIT DIFFÉRENTS ONT ÉTÉ EMPLOYÉS, l'un pour les départs, l'autre pour les retours. Dans le premier modèle, la variable endogène est l'éventualité qu'une personne quitte le pays, d'une année à l'autre, pour toute paire d'années. Plus précisément, une personne est définie comme ayant quitté le Canada au cours d'une année si l'on observe qu'elle résidait au Canada à la fin de l'année t, mais qu'elle a par la suite déclaré son départ du pays ou que 228 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR l'on a par ailleurs observé qu'elle avait quitté le pays (voir ci-dessous), au cours de l'année t+1. Chaque paire d'années qui respecte les critères de sélection de l'échantillon énumérés ci-dessus constitue une observation aux fins de l'estimation du modèle. Les variables explicatives visent à saisir les divers coûts et avantages de l'émigration, ou d'autres influences connexes, et elles sont entrées aux valeurs de la première année (l'année précédant le déménagement) pour chaque paire d'années formant une observation; elle sont ainsi prédéterminées pour tout départ. Le modèle a une spécification empirique ad hoc parce qu'il réduit les pro- cessus dynamiques en cause à ce qui se produit d'une année à l'autre, à tout point dans le temps. Cette approche a été employée parce que, notamment, la spécification d'un modèle de risque approprié nécessiterait l'inclusion des per- sonnes au moment où elles présentent un risque de déménagement — quelle que soit la définition donnée à ce phénomène (à partir de l'âge de 18 ans) — ce qui limiterait grandement l'analyse. Le modèle est aussi essentiellement descriptif parce qu'il ne comporte pas de cadre approprié de maximisation de l'utilité, par exemple en spécifiant les flux de revenu que pourrait espérer toucher une personne au Canada et à l'étranger et en supposant qu'elle choisirait le plus élevé. Il n'y a pas assez d'information dans la base de données DAL pour étayer une telle approche; néanmoins, dans des études futures, on pourrait tenter d'employer des variables de substitution pour les mesures pertinentes afin de commencer à mieux saisir ces processus. En définitive, le modèle employé est largement intuitif, il fait un bon usage des données disponibles, il devrait raisonnablement identifier les relations exis- tant entre l'émigration et les variables explicatives retenues et, enfin, il devrait parvenir à préciser les tendances temporelles qui attirent tant d'attention dans les écrits techniques et dans le débat public. Bref, le modèle logit simple utilisé ici devrait permettre d'exploiter de façon satisfaisante les données disponibles afin d'améliorer notre compréhension du phénomène de l'émigration. LE MODÈLE DE RETOUR À L'OPPOSÉ, LE MODÈLE DE RETOUR REPRÉSENTE une spécification appropriée du risque. Il ressemble au modèle de sortie, mais sous forme inversée, où la variable dépendante est la probabilité du retour au Canada d'une année à l'autre. Mais il en diffère dans la mesure où les personnes sont suivies à compter de l'année où l'on constate leur départ du pays, d'une façon précise, année après année; le modèle renferme aussi un ensemble de variables nominales représentant le nombre d'années durant lesquelles la personne a été absente du pays afin de saisir les effets de durée. Ce genre de modèle de risque (ou de du- rée) a été employé par Huff-Stevens (1994, 1999) pour analyser la dynamique 229 FINNIE de la pauvreté, par Gunderson et Melino (1990) pour modéliser la durée des grèves, par Ham et Rae (1987) pour analyser la durée du chômage, ainsi que par Finnie et Gray (2002) avec des données de la DAL pour étudier la dynamique des gains et, de façon similaire, par Finnie et Sweetman (2003) pour étudier la dynamique des faibles revenus. La fonction de vraisemblance du modèle de risque est équivalente à la fonction de vraisemblance du modèle logit (Keifer, 1990). Une caractéristique singulière de ce modèle est qu'il permet de suivre une personne pendant qu'elle se trouve à l'extérieur du pays et qu'elle ne figure donc pas dans l'échantillon. La personne est observée à nouveau si et quand elle revient au pays — l'événement qui nous intéresse. Les caractéristiques individuelles de ces personnes au moment de leur départ figurent parmi les variables explicatives du modèle. Nous sommes ainsi en mesure d'observer les taux de retour en fonction de ces caractéristiques — qui, à bien des égards, sont les plus pertinentes pour comprendre le phénomène du retour dans une optique canadienne. On peut ainsi voir comment les taux de retour varient en fonction de l'âge au départ, de la province d'où la personne a quitté le pays, du niveau de revenu dans l'année précédant le départ, et ainsi de suite 3 . LES VARIABLES DÉPENDANTES : DÉPART ET RETOUR LE DÉPART EST DÉFINI DE TROIS FAÇONS et le retour, de deux façons. La défini- tion « A » du départ correspond au cas où la personne mentionne son départ sur sa déclaration de revenu, coupant ainsi clairement ses liens avec le pays. Dans la définition « B », on ajoute à ces départs déclarés les personnes qui ont produit une déclaration de non-résidence au Canada (aux fins de l'impôt). La définition « C » est plus étendue et englobe les personnes pour lesquelles on observe une adresse postale à l'étranger même si elles sont toujours associées à une province aux fins de l'impôt et n'ont pas indiqué leur départ du pays sur leur déclaration de revenu. Aucune définition n'est parfaite — en fait, il est assez difficile de conce- voir une définition appropriée même au niveau conceptuel; en somme, que veut dire quitter le Canada? Heureusement, la plupart des observations sont robustes pour les trois définitions — sauf, à vrai dire, pour les niveaux généraux et certaines des tendances temporelles de base. Plutôt que de tenter de trouver quelle définition convient le mieux, l'approche suivie ici est de présenter les résultats pour les trois définitions afin de donner un tableau plus complet des profils et des tendances de l'émigration. La définition « A » du retour est l'inverse de la première définition du dé- part : elle dépend du retour d'une personne au pays et de la mention de ce fait sur sa déclaration de revenu. La définition « B » est plus large et inclut les personnes ayant une adresse au Canada et à qui une province canadienne a été attribuée 230 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR aux fins de l'impôt. Dans chaque cas, la personne doit correspondre à une défi- nition du départ afin de présenter un risque de retour. La combinaison de ces diverses définitions produit six catégories de départ et de retour — en multi- pliant les trois catégories de départ et les deux catégories de retour. Des modèles ont été estimés pour chacune de ces combinaisons, mais l'analyse porte princi- palement sur les combinaisons AA et CB, c'est-à-dire les définitions les plus étroites et les plus larges de part et d'autre. Les coefficients des variables de tendance (annuelles) sont néanmoins présentés pour les six combinaisons. LES VARIABLES EXPLICATIVES LES VARIABLES EXPLICATIVES ENGLOBENT l'âge, la situation familiale, la province/ région, un indicateur pour la langue de la minorité (anglais au Québec, français hors Québec — ce qui signifie que la variable représentant la province/région correspond au groupe linguistique majoritaire dans chaque cas), la taille de la localité de résidence, le taux de chômage provincial, le revenu gagné sur le marché durant la dernière année entière passée au Canada et une variable indiquant si la personne a reçu des prestations d'A-C/E cette année-là. Au moins une variable importante ne figure pas sur cette liste : le niveau de scolarité. La raison de cette omission est qu'il n'y a pas de mesure équiva- lente dans la DAL. Cela est déplorable, notamment dans une étude qui s'intéresse à la question de l'exode des cerveaux. Cependant, il y a un indica- teur du revenu et celui-ci doit être substitué à l'indicateur absent pour tenir compte de l'aptitude intellectuelle 4 . LE DÉPART TAUX DE DÉPART SIMPLES L A FIGURE 1 MONTRE LES TAUX ANNUELS DE DÉPART du Canada correspondant aux trois définitions — i) départ déclaré; ii) départ déclaré ou le fait de devenir non-résident; iii) l'une ou l'autre de ces situations ou le fait de démé- nager à une adresse étrangère — pour l'ensemble des particuliers et pour les hommes et les femmes séparément 3 . Dans l'ensemble, les taux sont très bas, variant entre 0,04 p. 100 (c'est-à-dire moins d'un demi d'un dixième de 1 p. 100) et 0,14 p. 100 (un peu plus d'un dixième de 1 p. 100). En termes absolus, cela représente 14 900 départs en 1982 et 24 825 départs en 1999 pour la définition A, 16 375 départs en 1983 et 26 425 départs en 1998 pour la définition B, et 20 075 départs en 1983 et 26 725 départs en 1998 pour la définition C 6 . 231 FINNIE FIGURE 1 TAUX DE DÉPART 232 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR Ces taux et ces chiffres absolus correspondent globalement aux autres estimations publiées pour les années où des chiffres étaient disponibles, telles que recensées dans Finnie (2001). Cependant, les données de la DAL représentent des séries annuelles couvrant une longue période sur la base de définition (s) cohérente (s) du départ que l'on ne retrouve pas ailleurs. Les taux de départ ont naturellement tendance à être les moins élevés pour la définition la plus étroite (A) et augmentent à mesure que la portée de la définition s'élargit (B, C). Les départs déclarés (définition A) augmentent légèrement entre le début et la fin de la période, passant d'environ 0,10 p. 100 en 1982 à 0,12 p. 100 en 1999 — une hausse d'environ 20 p. 100. Par contre, la définition la plus large (C) montre un léger déclin, passant d'environ 0,14p. 100 en 1983 à environ 0,13 p. 100 en 1998. Les taux et les tendances correspondant à la définition B se situent entre les deux autres, mais les défini- tions B et C convergent à partir de 1990 environ, ce qui pourrait être attribuable à un resserrement du traitement des personnes produisant une déclaration de revenu quant à la province et à la résidence 7 . Les taux de départ suivent d'assez près le cycle économique, mais la concordance n'est pas parfaite. Le repli substantiel des taux observé entre le milieu et la fin des années 80 correspond à une période de forte expansion de l'économie canadienne; les taux ont touché un plancher en 1987, tandis que l'économie a continué de croître en 1988 avant de commencer à ralentir à la fin de 1989. Les taux ont subséquemment augmenté jusqu'au début des an- nées 90, lorsque l'économie a connu une récession persistante qui a duré jus- qu'en 1997, après quoi les taux ont fléchi, ce qui correspond à la période où l'économie canadienne a de nouveau enregistré une forte croissance. Dans l'ensemble, donc, les taux de départ sont généralement très bas, ils ont tendance à évoluer en sens opposé à la conjoncture économique et ils ont été légèrement plus — ou moins — élevés au cours des années récentes qu'au début de la période, selon la définition employée. Ce qui présente peut-être un intérêt particulier est le retournement, vers la fin de la décennie, de la tendance durable à la hausse qui caractérisait la première partie des années 90. Les données montrent que la hausse initiale reposait dans une large mesure sur des facteurs cycliques, ce qui explique qu'elle se soit inversée au moment où l'économie a redémarré, plutôt que d'afficher une hausse séculaire constante qui aurait continué de priver le pays d'une nombre de plus en plus grand de ses travailleurs les plus doués. Cela dit, les taux étaient clairement plus élevés à la fin des années 90 qu'à la fin des années 80, bien qu'on ne puisse prédire quel niveau ils atteindront si l'économie maintient son dynamisme — plus, ou moins, élevé qu'auparavant. Il y a manifestement des effets cycliques et de tendance à l'œuvre et il est proba- blement trop tôt pour dire exactement quelle est l'importance de chacun. 233 FINNIE Ces profils sont assez similaires pour les hommes et les femmes mais, dans l'ensemble les taux sont légèrement plus élevés pour les hommes. LES MODÈLES DE DÉPART LES RÉSULTATS OBTENUS POUR LES MODÈLES DE DÉPART sont présentés aux tableaux la, Ib et le, qui correspondent aux trois définitions du départ em- ployées. Ces résultats sont présentés en termes de probabilités issues des modè- les. En d'autres termes, les estimations du modèle ont d'abord été utilisées pour estimer une valeur de référence de la probabilité de départ, en fixant à zéro chaque variable de catégorie, correspondant ainsi aux catégories omises pour chaque ensemble, et en fixant la seule variable continue — le taux de chômage — à sa valeur moyenne (8,7 p. 100). Puis, chaque variable de catégorie a été « activée » à tour de rôle et les coefficients estimés ont été utilisés pour calculer une nouvelle prévision de probabilité. Ce sont les chiffres apparaissant dans les tableaux. (Les variables correspondant aux catégories omises sont ombragées; par construction, elles ont toutes la même probabilité de référence.) La signifi- cation statistique des coefficients estimatifs est aussi présentée de la façon habituelle (aux seuils de confiance de 0,05 et de 0,0l) 8 . Les résultats sont qualitativement très semblables pour les trois séries de modèles, sauf pour les effets associés aux années. En maintenant constants les autres facteurs, les taux de départ du pays sont assez faibles parmi les personnes plus jeunes (18 à 24 ans), puis ils aug- mentent (dans le groupe d'âge des 25-34 ans) pour diminuer par la suite. Cela semble conforme au modèle du cycle viager où les coûts et les avantages, tant économiques que psychologiques, d'un déménagement joueraient en faveur d'un départ tôt dans la vie mais, selon toute apparence, seulement après avoir terminé ses études et entrepris une carrière. On pourrait penser que les effets liés à la situation familiale traduisent un ensemble similaire de coûts et d'avantages, mais les résultats ne sont pas tout à fait conformes à ce que l'on aurait pu prévoir. Les couples ayant des enfants mon- trent généralement une plus grande probabilité de quitter le pays, suivis des per- sonnes seules et, enfin, des couples sans enfant. Ces résultats diffèrent de ceux observés pour la mobilité interprovinciale, où le fait d'être marié et d'avoir des enfants est associé à un taux de mobilité inférieur et non supérieur 9 . De toute évidence, il y a une différence entre quitter le pays et changer de province à cet égard; les gens semblent moins disposés à prendre une telle initiative lorsqu'ils vivent seuls. Le groupe monoparental est l'un de ceux qui affichent les taux de départ les plus élevés, mais il pourrait comprendre des personnes non identi- fiées comme mariées dans les données de la DAL qui vont retrouver un conjoint à l'étranger 10 . 234 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR TABLEAU la MODÈLES DE DÉPART : PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART A HOMMES I II NIVEAU DE BASE Âge 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et + Situation familiale Couple avec enfant(s) Couple sans enfant Sans conjoint, avec enfant(s) Sans conjoint, sans enfant Province/Région Ontario Atlantique Colombie-Britannique Nord et autres Prairies Québec Langue de la minorité Anglais au Québec Français hors Québec Langue de la majorité Pop. de la zone de résidence 0-15000 15000-100000 100 000 et + Taux de chômage de la province 8,7 9,7 Assurance-chômage Aucune Partielle 0,125** 0,098** 0,197** 0,125 0,089** 0,062** 0,033** 0,125 0,037** 0,159** 0,102** 0,125 0,065** 0,150** 0,144* 0,122 0,039** 0,640** 0,138 0,125 0,066** 0,078** 0,125 0,125 0,125 0,125 0,074** 0,135** 0,105** 0,211** 0,135 0,095** 0,067** 0,035** 0,135 0,040** 0,170** 0,110** 0,135 0,070** 0,161** 0,154* 0,131 0,042** 0,687** 0,148 0,135 0,071** 0,084** 0,135 0,135 0,134 0,135 0,079** FEMMES I II 0,173** 0,196** 0,285** 0,173 0,125** 0,078** 0,041** 0,173 0,060** 0,166** 0,162* 0,173 0,094** 0,216** 0,249** 0,169 0,051** 0,885** 0,178 0,173 0,095** 0,104** 0,173 0,173 0,172 0,173 0,136** 0,165** 0,187** 0,272** 0,165 0,119** 0,074** 0,039** 0,165 0,058** 0,159** 0,155* 0,165 0,090** 0,206** 0,237** 0,162 0,048** 0,845** 0,170 0,165 0,091** 0,099** 0,165 0,165 0,164 0,165 0,130** 235 FINNIE MODÈLES DE DÉPART : PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART A HOMMES FEMMES I II I II NIVEAU DE BASE 0,125' 0,135 ' 0,173" 0,165' Revenu sur le marché < 10 000 10 000-30 000 30 000-60 000 60000-100000 100 000 et + Interaction du revenu sur < 10 000 10 000-30 000 30 000-60 000 60000-100000 100 000 et + Année civile 1983 1984 0,121 0,128 0,125 0,296** 0,761** 0,137 0,144* 0,135 0,303 *" 0,78l* 11 0,111** 0,136** 0,173 0,281** 0,472** le marché et de la variable nominale de la période postérieure 0,126 0,125* 0,135 " 0,145* 0,143 1985 1986 1987 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 0,125 0,132 0,098** 0,090** 0,054** 0,070** 0,079** 0,077** 0,098** 0,114* 0,116* 0,137* 0,144** 0,168** 0,181** 0,172** 0,169** 0,135 0,141 0,105** 0,096** 0,058** 0,075** 0,084** 0,083** 0,098** 0,115** 0,116** 0,137 0,144 0,168** 0,181** 0,172** 0,169** 0,173 0,168 0,135** 0,136** 0,089** 0,115** 0,111** 0,115** 0,128** 0,161 0,158* 0,171 0,176 0,217** 0,240** 0,223** 0,223** 0,100** 0,126** 0,165 0,231** 0,301** à 1990 0,180* 0,174 0,165 0,202** 0,277** 0,165 0,160 0,129** 0,130** 0,085** 0,110** 0,106** 0,109** 0,125** 0,158 0,155 0,168 0,172 0,213** 0,235** 0,218** 0,218** Notes : * Indique une valeur significative au seuil de 5 p. 100. ** Indique une valeur significative au seuil de 1 p. 100. Les lignes ombragées représentent les catégories associées aux probabilités de référence. 236 TABLEAU la (SUITE) QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR TABLEAU lb MODÈLES DE DÉPART : PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART B HOMMES I II NIVEAU DE BASE Âge 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et + Situation familiale Couple avec enfant (s) Couple sans enfant Sans conjoint, avec enfant (s) Sans conjoint, sans enfant Province/Région Ontario Atlantique Colombie-Britannique Nord et autres Prairies Québec Langue de la minorité Anglais au Québec Français hors Québec Langue de la majorité Pop. de la zone de résidence 0-15000 15000-100000 100 000 et + Taux de chômage de la province 8,7 9,7 Assurance-chômage Aucune Partielle "0,158** 0,130** 0,246** 0,158 0,120** 0,082** 0,043** 0,158 0,053** 0,194** 0,130** 0,158 0,098** 0,184** 0,978** 0,154* 0,053** 0,713** 0,279 0,158 0,087** 0,099** 0,158 0,158 0,157 0,158 0,083** 0,166** 0,135** 0,258** 0,166 0,125** 0,086** 0,045** 0,166 0,056** 0,203** 0,136** 0,166 0,103** . 0,194** 1,023** 0,161 0,056** 0,749** 0,292 0,166 0,091** 0,104** 0,166 0,166 0,165 0,166 0,087** FEMMES I II 0,199** 0,206 0,315** 0,199 0,148** 0,091** 0,048** 0,199 0,071** 0,185** 0,192 0,199 0,119** 0,245** 1,953** 0,194 0,061** 0,910** 0,387 0,199 0,106** 0,115** 0,199 0,199 0,198 0,199 0,151** 0,191** 0,198 0,302** 0,191 0,142** 0,088** 0,046** 0,191 0,068** 0,178** 0,184 0,191 0,115** 0,235** 1,869** 0,186 0,059** 0,874** 0,372 0,191 0,102** 0,110** 0,191 0,191 0,190 0,191 0,145** 237 2 4 1 4 6 7 7 7 5 HOMMES FEMMES I II I II NIVEAU DE BASE 0,158** 0,166** 0,199** 0,191** Revenu sur le marché < 10 000 0,149** 0,160 0,142** 0,130** 10000-30000 0,154 0,166 0,164** 0,154** 30000-60000 0,158 0,166 0,199 0,191 60000-100000 0,348** 0,344** 0,302** 0,267** 100000et+ 0,757** 0,700** 0,459** 0,299** Interaction du revenu sur le marché et de la variable nominale de la période postérieure à 1990 < 10 000 0,162 0,204* 10000-30000 0,160 0,196 30000-60000 0,166 0,191 60000-100000 0,183* 0,215 100 000 et + 0,201** 0,314** Année civile 1983 0,158 0,166 0,199 0,191 1984 0,157 0,164 0,184* 0,177* 1985 0,131** 0,137** 0,159** 0,153** 1986 0,121** 0,126** 0,158** 0,152** 1987 0,088** 0,092** 0,119** 0,114** 1988 0,122** 0,127** 0,159** 0,152** 1989 0,120** 0,125** 0,144** 0,139** 1990 0,117** 0,123** 0,152** 0,146** 1991 0,135** 0,133** 0,173** 0,170** 1992 0,159 0,158 0,196 0,193 1993 0,159 0,158 0,197 0,194 1994 0,161 0,159 0,190 0,187 1995 0,167 0,166 0,195 0,192 1996 0,192** 0,190** 0,232** 0,228** 1997 0,200** 0,198** 0,252** 0,248** 1998 0,190** 0,187** 0,237** 0,233** 1999 0,172* 0,170 0,211 0,208* Notes : * Indique une valeur significative au seuil de 5 p. 100. ** Indique une valeur significative au seuil de 1 p. 100. Les lignes ombragées représentent les catégories associées aux probabilités de référence. 238 FINNIE TABLEAU lb (SUITE) MODÈLES DE DÉPART : PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART B QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR TABLEAU le MODÈLES DE DÉPART : PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART C HOMMES I II NIVEAU DE BASE Âge 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et + Situation familiale Couple avec enfant(s) Couple sans enfant Sans conjoint, avec enfant (s) Sans conjoint, sans enfant Province/Région Ontario Atlantique Colombie-Britannique Nord et autres Prairies Québec Langue de la minorité Anglais au Québec Français hors Québec Langue de la majorité Pop. de la zone de résidence 0-15 000 15000-100000 100 000 et + Taux de chômage de la province 8,7 9,7 Assurance-chômage Aucune Partielle 0,194** 0,202* 0,310** 0,194 0,145** 0,095** 0,051** 0,194 0,068** 0,238** 0,145** 0,194 0,143** 0,219** 0,745** 0,188* 0,071** 0,787** 0,335 0,194 0,118** 0,129** 0,194 0,194 0,193 0,194 0,094 ** 0,180** 0,186 0,287** 0,180 0,134** 0,089** 0,047** 0,180 0,064** 0,222** 0,136** 0,180 0,134** 0,204** 0,688** 0,175 0,066** 0,735** 0,310 0,180 0,110** 0,120** 0,180 0,180 0,179 0,180 0,088 ** FEMMES I II 0,243** 0,270** 0,381** 0,243 0,176** 0,106** 0,056** 0,243 0,089** 0,223** 0,224** 0,243 0,170** 0,291** 1,181** 0,234* 0,080** 1,049** 0,412 0,243 0,139** 0,151** 0,243 0,243 . 0,240 0,243 0,193 ** 0,253** 0,281** 0,397** 0,253 0,183** 0,111** 0,059** 0,253 0,093** 0,233** 0,234** 0,253 0,178** 0,303** 1,226** 0,244* 0,083** 1,095** 0,429 0,253 0,145** 0,158** 0,253 0,253* 0,250 0,253 0,201 ** 239 T MODÈLES DE DÉPART :PROBABILITÉS PRÉDITES, DÉFINITION DU DÉPART C HOMMES NIVEAU DE BASE Revenu sur le marché < 10 000 10000-30000 30 000-60 000 60000-100000 100 000 et + I 0,194** 0,162** 0,178** 0,194 0,406** 0,896** II 0,180** 0,139** 0,163** 0,180 0,321** 0,640** FEMMES I 0,243** 0,171** 0,194** 0,243 0,387** 0,578** Interaction du revenu sur le marché et de la variable nominale de la période postérieure < 10 000 10 000-30 000 30 000-60 000 60000-100000 100 000 et + Année civile 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 0,194 0,192 0,157** 0,145** 0,125** 0,147** 0,136** 0,124** 0,131** 0,163** 0,165** 0,165** 0,172** 0,199 0,204 0,195 0,175* Notes : * Indique une valeur significative au seui ** Indique une valeur significative au seui Les lignes ombragées représentent les catéj 0,209** 0,187 0,180 0,241** 0,277** 0,180 0,179 0,146** 0,135** 0,116** 0,137** 0,127** 0,115** 0,123** 0,154** 0,156** 0,156** 0,162** 0,188 0,192 0,183 0,164* 1 de 5 p. 100. 1 de 1 p. 100. ,'ories associées 0,243 0,214** 0,190** 0,184** 0,152** 0,191** 0,165** 0,157** 0,153** 0,202** 0,205** 0,194** 0,203** 0,238 0,258* 0,243 0,211** II 0,253** 0,183** 0,203** 0,253 0,354** 0,370* à 1990 0,242 0,252 0,253 0,303* 0,476** 0,253 0,223** 0,198** 0,192** 0,158** 0,199** 0,172** 0,164** 0,153** 0,202** 0,205** 0,194** 0,204** 0,239 0,258 0,243 0,211 ** aux probabilités de référence. 240 FINNIE 4 2 9 7 9 8 2 3 5 ABLEAU 1C (SYTTD QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR La probabilité de quitter le pays varie considérablement selon la province. Les personnes qui vivent dans la région de l'Atlantique ont une probabilité beaucoup moins élevée de quitter le pays que la plupart des autres; celles qui vivent en Colombie-Britannique et dans le Nord ont la probabilité la plus éle- vée de quitter le pays, tandis que les personnes vivant en Ontario et dans les Prairies (y compris l'Alberta) occupent une position médiane. Ce qu'il y a de plus remarquable, toutefois, ce sont les taux extrêmement faibles observés pour les résidents du Québec — où les probabilités présentées reflètent la majorité francophone de cette province, tandis que l'indicateur de la minorité linguistique révèle que les anglophones ont un taux de départ beaucoup plus élevé que les francophones. Par contre, les francophones hors Québec ne montrent pas de taux de départ statistiquement différents de ceux des autres personnes de la province/région où ils vivent. Les personnes qui vivent dans les plus grandes villes ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité deux fois plus élevée de quitter le pays que celles vivant dans les petites villes, les villages et les ré- gions rurales, ce qui n'a rien d'étonnant. Le taux de chômage provincial ne semble pas statistiquement significatif, mais étant donné la présence de séries de variables à la fois pour l'année civile et pour la province/région — les deux dimensions sur lesquelles cette mesure varie — cette observation ne saurait surprendre. Les variables représentant le revenu gagné sur le marché sont particuliè- rement intéressantes; elles indiquent que plus le revenu d'une personne est élevé, plus grande est la probabilité qu'elle quitte le pays, notamment aux ni- veaux de revenu les plus élevés (60 000 à 100 000 dollars et 100 000 dollars et plus) 11 . Cette tendance est particulièrement prononcée chez les hommes. Dans la mesure où le niveau de revenu reflète l'exode des cerveaux, les taux de dé- part sont manifestement plus élevés parmi les travailleurs les plus talentueux. Cela dit, leur nombre demeure modeste, parce que relativement peu de gens gagnent de tels revenus et que la grande majorité des personnes qui quittent le pays appartiennent aux catégories de revenu inférieures 12 . Les personnes qui reçoivent des prestations d'assurance-chômage/emploi au cours d'une année ont une probabilité inférieure de quitter le pays. Cela pourrait traduire une faible employabilité (à l'étranger comme au Canada), une dépendance à l'égard de ce programme de soutien du revenu, et un manque d'argent pour défrayer un déménagement, ou encore une combinaison de ces facteurs et/ou d'autres. Les tendances temporelles brutes des taux de départ sont décrites dans ce qui précède. Qu'arrivé-t-il à ces tendances lorsqu'on tient compte des facteurs représentés par les variables de nos modèles? Ces tendances sont saisies par les variables saisissant l'année civile. Les probabilités prédites dans ce cas sont présentées dans les tableaux et illustrées, pour les trois définitions du départ, 241 FINNIE à la figure 2. En fait, les tendances brutes et rajustées sont très similaires. Les taux de départ ont diminué sensiblement durant la plus grande partie des années 80, mais les taux ont commencé à augmenter après avoir touché un plancher en 1987; cette tendance s'est maintenue jusqu'en 1997, après quoi l'on observe FIGURE 2 EFFETS LIÉS À L'ANNÉE CIVILE POUR LES MODÈLES DE DÉPART 242 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR à nouveau une baisse. Il semble donc qu'il y ait ici aussi d'importants effets cycliques et peut-être une certaine tendance séculaire à la hausse, mais il est difficile de se prononcer à ce stade sur l'importance éventuelle de cet effet de tendance ou sur sa durée. Enfin, le modèle II (voir les tableaux la, Ib et le) englobe l'interaction des variables de revenu avec une variable nominale représentant les années 90. Si un plus grand nombre de personnes à revenu plus élevé avaient une probabi- lité relativement plus grande de quitter le pays au cours des dernières années, cela se traduirait par des coefficients positifs pour la variable représentant les interactions avec les revenus plus élevés par rapport aux revenus moins élevés. Les résultats laissent penser qu'il y a eu un resserrement progressif de la relation entre le niveau de revenu et le fait de quitter le pays, mais l'effet n'est pas signi- ficatif dans toutes les spécifications, et les valeurs ne sont pas très élevées. LE RETOUR TAUX DE RISQUE EMPIRIQUES L A FIGURE 3 MONTRE LES TAUX DE RISQUE EMPIRIQUES liés au retour au Canada de personnes dont on avait préalablement observé le départ au cours de la période étudiée. Les six combinaisons possibles de définitions de départ et de retour sont consignées (AA, AB, ... CB). En termes généraux, les profils sont assez robustes, sauf pour le groupe des femmes, lorsqu'on utilise la se- conde définition (B), plus étendue, du retour (retour déclaré ou observation d'une province canadienne aux fins de l'impôt ou d'une adresse au Canada après avoir quitté le pays selon l'une ou l'autre des trois définitions du départ). Sauf cette exception, une personne a une plus grande probabilité de reve- nir au pays après avoir été absente pendant deux ans au lieu d'un an; mais par la suite, le taux de retour diminue, montrant une forme classique à pente néga- tive pour la plupart des risques empiriques. En prenant les définitions plus res- trictives, soit AA (départ et retour déclarés), à titre illustratif, les taux sont de 3,27, 4,28, 3,50, 2,37 et 1,80 p. 100 pour les cinq premières années. Ces chiffres supposent des taux de survie (les personnes se trouvant encore hors du pays) de 96,7, 92,6, 89,3, 87,2 et 85,5 p. 100. Ainsi, après cinq ans, 14,5 p. 100 des per- sonnes qui avaient quitté le pays y sont revenues. Cependant, ces taux sont des moyennes sur l'ensemble de la période étudiée et ne tiennent compte d'aucun des facteurs entrant dans les modèles. Tournons maintenant notre attention vers les modèles de retour afin d'examiner ce processus. 243 FINNIE 244 FIGURE 3 TAUX DE RETOUR EMPIRIQUES QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR LES MODÈLES DE RETOUR LES RÉSULTATS OBTENUS POUR LES MODÈLES DE RETOUR sont reproduits au tableau 2. Afin d'économiser de l'espace, seuls les résultats pour les combinaisons départ-retour AA et CB sont présentés; les résultats pour les quatre autres com- binaisons sont assez similaires pour l'ensemble des variables, sauf les effets liés à l'année, comme nous le verrons plus loin. Il importe de se rappeler que ces résul- tats concernent les personnes déjà identifiées comme ayant quitté le pays, ce qui signifie qu'il s'agit de personnes mobiles. En gardant ce fait à l'esprit, il est plus facile d'interpréter certains des résultats. Ainsi, l'âge montre un profil intéressant. Les personnes âgées de 65 ans et plus sont, de loin, les moins susceptibles de quitter le pays, mais il est moins facile de faire des généralisations à partir des profils des autres groupes d'âge pour différentes séries de résultats. Dans l'ensemble, les personnes plus jeunes ont plus de chance de revenir, mais cette tendance n'est pas uniforme et, peut- être, moins prononcée qu'on aurait pu le penser. Aucune tendance claire ne ressort dans le cas de la situation familiale, sauf que les personnes seules ont les plus hauts taux de retour. Il se peut que ces personnes soient plus disposées et aptes à prendre des initiatives risquées, quitte à revenir si les choses ne s'arrangent pas, que les personnes qui ont un conjoint et un ou des enfants. Aucun profil marqué ne ressort généralement pour ce qui est de la pro- vince ou de la région, sauf que les Québécois francophones figurent générale- ment parmi les personnes ayant la probabilité de retour la plus élevée — outre d'avoir des taux de départ très bas. À l'opposé, les anglophones du Québec ont une probabilité passablement moindre de revenir que leurs compatriotes fran- cophones, affichant les taux de retour les plus faibles dans tous les groupes linguistiques provinciaux. La taille de la localité de résidence n'a pas une très grande importance. On peut dire la même chose du fait de recevoir, ou non, des prestations d'A-C/E dans l'année précédant le départ. Par contre, la tendance associée au niveau de revenu de la personne avant son départ du Canada présente beaucoup plus d'intérêt. Etant donné que les personnes à revenu élevé (60 000 à 100 000 dollars) avaient une probabilité de quitter plusieurs fois supérieure à celle des personnes ayant un revenu modeste, leurs taux de retour sont aussi significativement plus élevés, du moins dans le cas des hommes. Les différences ne sont pas aussi prononcées que pour les départs, mais elles viennent tout de même confirmer que les personnes gagnant un revenu supérieur sont généralement plus mobiles — c'est-à-dire qu'elles ont une plus grande probabilité de revenir et de quitter. Les essais'effectués pour déceler des changements dans la relation entre le niveau de revenu et la proba- bilité d'un retour dans les années 90 par rapport aux années 80, comme ceux 245 FINNIE effectués pour les modèles de départ, n'ont fait ressortir aucune tendance évi- dente à cet égard. TABLEAU 2 PROBABILITÉS PRÉDITES D'UN RETOUR TYPE DE DÉPART TYPE DE RETOUR NIVEAU DE BASE Âge 18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et + Situation familiale Couple avec enfant (s) Couple sans enfant Sans conjoint, avec enfant (s) Sans conjoint, sans enfant Province/Région Ontario Atlantique Colombie-Britannique Nord et autres Prairies Québec Langue de la minorité Anglais au Québec Français hors Québec Langue de la majorité Pop. de la zone de résidence 0-14000 15 000-99 000 100 000 et -f Assurance-chômage Aucune Partielle A A 2,95** 4,13** 3,78** 2,95 2,89 3,09 1,95** 2,95 3,32 2,54** 3,16 2,95 3,45 3,34* 3,66 4,11** 4,15** 2,09** 4,51** 2,95 3,26* 3,27 2,95 2,95 3,08 HOMMES C B 2,04** 2,47** 2,47** 2,04 1,92 1,99 1,42** 2,04 1,87 1,83** 2,03 2,04 2,29 2,30** 1,72 2,68** 2,56** 1,61** 2,17 2,04 2,22* 2,18 2,04 2,04 2,29* A A 3,64** 5,22** 4,44** 3,64 3,49 3,71 2,51** 3,64 4,21 3,41 4,51** 3,64 4,01 4,01 4,16 4,93** 5,04** 2 29** 4,95 3,64 4,08* 3,83 3,64 3,64 3,85 FEMMES C B 4,64** 3,63** 3,97** 4,64 3,35** 2,31** 1,65** . 4,64 2,88** 3,57** 3,48** 4,64 4,01* 3,97** 3,81 4,98* 4,82 3,73** 4,27 4,64 4,55 4,84 4,64 4,64 5,39** Revenu sur le marché durant l'année ayant précédé le départ < 10 000 10 000-30 000 30000-60000 60000-100000 100 000 et + 1,85** 2,00** 2,95 4,03** 4,14** 1,55** 1,63** 2,04 2,84** 3,36** 2,61** 2,99** 3,64 4,38 3,31 3,71** 3,68** 4,64 5,46 3,78 246 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR TABLEAU 2 (SUITE) PROBABILITÉS PRÉDITES D'UN RETOUR HOMMES FEMMES TYPE DE DÉPART A C A C TYPE DE RETOUR A B A B NIVEAU DE BASE 2,95** 2,04** 3,64** 4,64** Interaction du revenu sur le marché et de la variable nominale pour la période postérieure à 1990 < 10 000 3,02 2,00 4,60** 5,81** 10000-30000 3,94** 2,43* 3,90 5,84** 30000-60000 2,95 2,04 3,64 4,64 60000-100000 2,95 1,97 3,15 4,13 100 000 et + 2,89 1,78 4,48 5,20 Durée lan 2,95 2,04 3,64 4,64 2 ans 4,29** 3,19** 4,77** 3,59** 3 ans 3,66** 2,56** 3,69 2,49** 4 ans 2,53* 2,39** 2,48** 1,79** 5 ans 2,01** 2,05 1,89** 1,36** 6 ans 1,65** 1,61** 1,72** 0,97** 7 ans 1,36** 1,15** 1,14** 0,74** Sans 1,02** 0,79** 0,87** 0,62** 9 ans 0,85** 0,55** 0,72** 0,53** Plus de 9 ans 0,50** 0,43** 0,46** 0,32** Année civile 1984 2,95 2,04 3,64 4,64 1985 3,10 2,34 2,43* 5,10 1986 3,54 6,04** 2,98 10,10** 1987 2,56 1,97 2,10** 4,87 1988 3,56 2,21 2,39** 5,67 1989 2,44 , 1,55 2,62* 5,24 1990 2,27 1,50* 1,99** 4,39 1991 2,27 1,69 2,09** 5,40 1992 1,92** 5,24** 1,25** 4,72 1993 2,19 1,87 2,29** 20,08** 1994 2,61 2,08 2,18** 11,14** 1995 2,52 2,17 2,39** 15,51** 1996 2,32 2,10 2,39** 15,01** 1997 2,60 2,25 2,51* 9,49** 1998 2,60 3,10** 3,11 13,00** 1999 2,99 3,77** 3,28 13,43** Notes : * Indique une valeur significative au seuil de 5 p. 100. ** Indique une valeur significative au seuil de 1 p. 100. Les lignes ombragées représentent les catégories associées aux probabilités de référence. 247 FINNIE Les coefficients de durée sont reproduits à la figure 4 pour les trois résul- tats correspondant à la définition du retour A (retour déclaré), c'est-à-dire pour chacune des définitions du départ. Ces résultats révèlent la même tendance générale que celle qui ressortait des taux bruts : une augmentation la seconde année par rapport à la première, suivie d'une baisse. Ici, la durée a été prolon- gée sur une plus longue période et on peut voir que la baisse se poursuit sans montrer de signe de stabilisation. Les taux de survie correspondant à ces taux, qui représentent les effets liés à la durée appliqués à la personne de référence (où toutes les variables de catégorie sont ramenées à 0), sont de 85,5 p. 100 après cinq ans et de 81,1 p. 100 après dix ans. Ainsi, la plupart des personnes qui quittent le pays demeurent à l'étranger, même si un petit nombre continue de revenir au pays avec le passage du temps. Les modèles de retour incluent aussi des variables pour l'année civile; celles- ci sont reproduites pour les modèles de retour A (figure 5) 13 . Il y a un peu de turbulence dans les observations, mais les tendances générales sont dignes d'in- térêt. Ce qui est le plus important, les taux ont fléchi jusqu'en 1992, puis ils ont augmenté durant le reste de la décennie. Pour la définition la plus étroite (AA), les taux de retour sont passés d'un plancher de 1,93 en 1992 à 3,08 en 1999 en poursuivant leur tendance haussière par la suite. Pour les autres défini- tions du départ (B, C) et la même définition du retour (A), les graphiques révèlent une pente encore plus prononcée. Ainsi, bien que les taux de départ du pays aient généralement augmenté durant les années 90 (jusqu'au renversement de la tendance vers la fin de la décennie), les taux de retour ont aussi augmenté. De façon générale, ces ten- dances révèlent une population plus mobile, probablement sous l'effet d'un marché du travail qui se mondialise, de modalités institutionnelles plus souples, de la suppression des obstacles juridiques et d'autres facteurs facilitant les mou- vements de main-d'œuvre dans les deux directions. Auparavant, nous avions des données uniquement pour les personnes quittant le pays, sans savoir qui y revenait. Les données dont nous disposons offrent un tableau plus complet de la situation et la correspondance approximative entre les tendances des départs et des retours est un résultat à la fois important et intéressant. Qui plus est, si les taux de retour annuels ont à peu près doublé au cours de la dernière décennie (comme le laissent penser les effets liés à l'année civile) et continuent peut-être d'augmenter, cela signifierait des taux de retour glo- baux très différents puisque les probabilités se sont accumulées au cours des périodes plus récentes comparativement aux périodes antérieures. Si, dans le passé, les taux globaux oscillaient autour de 15 p. 100 après cinq ans (tel que noté précédemment), ils seraient beaucoup plus élevés avec les taux croissants qui semblent se confirmer pour les années plus récentes. 248 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR FIGURE 4 EFFETS DE DURÉE POUR LES MODÈLES DE RETOUR 249 FINNIE FIGURE 5 EFFETS LIÉS À L'ANNÉE CIVILE POUR LES MODÈLES DE RETOUR 250 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR CONCLUSION L A PRÉSENTE ÉTUDE FOURNIT DE NOUVELLES DONNÉES EMPIRIQUES sur les taux auxquels les Canadiens quittent le pays et y reviennent. Les princi- paux résultats peuvent se résumer ainsi : • Globalement, environ 0,1 p. 100 — c'est-à-dire environ un dixième de 1 p. 100 — de la population adulte quitte le pays au cours d'une année. • Les taux de départ bruts ont essentiellement suivi le cycle économique : ils ont diminué durant les années 80, puis ils ont augmenté vers la fin de la décennie et durant la plus grande partie des années 90, pour enfin retomber lorsque l'économie canadienne a pris de la vigueur dans les dernières années de la décennie. • Les taux de départ baissent avec l'âge (sauf chez les plus jeunes), ils sont plus élevés chez les personnes vivant dans les grandes villes, les couples ayant des enfants et les personnes seules, par rapport aux couples sans enfant; ils sont moins élevés chez les Québécois franco- phones et beaucoup plus élevés parmi les personnes à revenu élevé, ce qui appuierait jusqu'à un certain point l'hypothèse de l'exode des cerveaux. • Seule une petite minorité de gens qui ont quitté reviennent éven- tuellement au pays; les taux de risque estimatifs indiquent qu'environ 14 à 15 p. 100 des personnes qui ont quitté reviennent après cinq ans et environ 19p. 100 après dix ans. • Cela dit, à partir de 1992, on observe une importante tendance à la hausse des taux de retour qui se poursuit jusqu'à la dernière observa- tion disponible, soit 1999; les valeurs indiquent que les taux de re- tour ont à peu près doublé au cours des dernières années. • De façon générale, les autres variables explicatives ne sont pas très significatives dans les modèles de retour, mais il importe de noter que les taux de retour (comme les taux de départ) sont sensiblement plus élevés pour les personnes à revenu élevé. Ainsi, de puissants facteurs cycliques mais aussi d'importantes tendances de fond agissent sur les taux de départ et de retour. Il semble y avoir une ten- dance générale à la hausse des départs, mais les replis observés au cours des dernières années et les baisses enregistrées durant la plus grande partie des années 80 incitent à penser que le nombre de départs ne continuera pas néces- sairement d'augmenter dans l'avenir, en particulier si la bonne performance de 251 FINNIE l'économie canadienne persiste. En outre, même si les taux de retour ont histo- riquement été assez bas, les fortes hausses observées tout au long des années 90 indiquent que la mobilité est un phénomène qui joue de plus en plus dans les deux sens. Le Canada attire non seulement un grand nombre d'immigrants d'autres pays, mais aussi un nombre croissant de ses propres expatriés, y com- pris un nombre disproportionné de personnes à revenu élevé. Bref, les données appuient la notion selon laquelle le Canada est intégré au marché du travail mondial et, même si une fraction — néanmoins impor- tante — de sa population quitte à chaque année, la tendance ne semble pas correspondre à une spirale ascendante irréversible. En outre, de plus en plus d'expatriés reviennent au pays. Certes, il y a beaucoup de choses que l'on pourrait — et devrait — faire en vue d'atténuer certains aspects de ces flux d'émigration, notamment parmi les meilleurs éléments, comme il est évoqué dans Finnie (2001) et d'autres études publiées dans le présent ouvrage. Il faut espérer que les résultats présen- tés ici contribueront au débat qui se poursuivra sur ces questions. NOTES 1 Voir Finnie (2001) pour une revue des données empiriques récentes et une ana- lyse des questions de politique connexes. Cette revue englobe AMC (1999), Conférence Board du Canada (1999), DeVoretz (1999), DeVoretz et Laryea (1998), Emery (1999), Frank et Bélair (1999, 2000), Globerman (1999), Helliwell (1999, 2000), Hoefer, Norris et Ruddick (2000), IRPP (1998, 1999), Iqbal (1999), McKendry et coll. (1996), Mintz (2001), Schwanen (2000), Simpson (2000), Wagner (2000) et Zhao, Drew et Murray (2000). 2 Atkinson, Bourguignon et Morrison (1992) et OCDE (1996) traitent de la cou- verture habituellement meilleure et de l'attrition plus faible des bases de données administratives par rapport aux bases de données provenant d'enquêtes. Voir Finnie (1998) pour des données sur l'attrition dans la DAL et la relation entre cette at- trition et l'évolution de la migration sur certains intervalles de temps. 3 Les taux de retour doivent être rajustés pour tenir compte du fait que les personnes qui décèdent alors qu'elles se trouvent à l'extérieur du pays ne risquent plus d'y revenir et devraient être exclues de l'échantillon à ce moment. Cela est fait en appliquant les taux de mortalité par âge et en purgeant les dossiers des particuliers au moment où ils sont présumés être décédés par suite de cette opération probabi- liste. En réalité, ce traitement ne modifie pas les principaux résultats du modèle. 4 La notion de cerveau n'est pas toujours bien définie dans le débat sur l'exode des cerveaux. À titre d'exemple, elle englobe parfois les entrepreneurs — peu importe qu'ils aient/soient un cerveau. L'indicateur du revenu inclus dans les modèles de- vrait normalement mieux saisir ces définitions liées au revenu qu'une mesure de la scolarité, mais il serait clairement préférable de disposer des deux types de mesure. 252 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR 5 Dans chaque cas, le fait d'être à risque est rajusté de façon appropriée. En deux mots, si une personne a déjà été identifiée parmi celles qui ont quitté selon l'un des cri- tères de la définition pertinente, elle ne devrait plus être à risque de quitter. 6 Les définitions B et C ne comportent pas de départ pour 1982, parce qu'elles sont basées sur un changement de province ou d'adresse aux fins de l'impôt, d'une an- née à l'année suivante, ce qui requiert que la personne ait d'abord été observée comme résidant au Canada. Puisque les données débutent en 1982, la première sortie ne peut être observée qu'en 1983. De même, selon les définitions B et C, un départ est identifié comme étant survenu au cours de l'année précédant un chan- gement observé de province ou de statut de résidence aux fins de l'impôt, parce que durant l'année où la personne quitte effectivement, elle est identifiée comme résidant dans une province canadienne aux fins de l'impôt. C'est pourquoi il n'y a pas de départ en 1999 pour les définitions B et C. 7 La différence entre les définitions B et C correspond aux personnes ayant une adresse canadienne mais résidant à l'étranger. Pour les années récentes, il est plus probable que les personnes ayant une adresse à l'étranger se voient attribuer le statut de résident à l'étranger et vice versa, ce qui entraîne forcément une conver- gence des définitions. 8 Les résultats complets du modèle logit peuvent être obtenus de l'auteur. 9 Finnie (à paraître). 10 Bien que les particuliers soient censés indiquer leur état matrimonial sur leur déclaration de revenu et que la DAL tente de regrouper en couple les conjoints de fait (notamment par un rapprochement des adresses), si une personne ne déclare pas être mariée et que le rapprochement n'est pas fait, elle peut être identifiée par erreur comme étant non mariée — dans ce cas comme parent unique (dont le conjoint se trouve hors du pays). 11 La variable du revenu gagné sur le marché saisit les traitements et salaires, le revenu net tiré d'un travail autonome ou d'une profession, les dividendes et inté- rêts, ainsi que toutes les autres sources privées (non gouvernementales) de revenu sauf les gains en capital (omis en partie à cause des modifications apportées aux règles fiscales au cours de certaines années). 12 Voir Finnie, 2001. 13 Les modèles B font ressortir certains résultats inattendus qui pourraient être liés à la façon dont l'Agence du revenu du Canada traite les personnes qui produisent une déclaration de revenu indiquant une adresse canadienne sans avoir déclaré leur retour au pays. Cela pourrait expliquer pourquoi les coefficients de durée pré- sentent aussi une forme légèrement différente pour la définition du retour B — à tout le moins pour les femmes. 253 FINNIE REMERCIEMENTS C ETTE ÉTUDE A ÉTÉ RENDUE POSSIBLE grâce au soutien financier d'Industrie Canada. L'auteur voudrait aussi témoigner sa reconnaissance à Eric Olsen, qui a fait l'analyse des données, à la Division des données régionales et adminis- tratives de Statistique Canada, qui lui a permis de consulter la base de données DAL et certaines séries de fichiers de référence connexes, au Conseil de re- cherches en sciences humaines, dont la subvention de recherche a joué un rôle clé aux premières étapes des travaux de l'auteur sur la base de données DAL, à Scott Murray, qui a participé et fourni son soutien à ce projet et à d'autres travaux connexes, à Jennifer Hunt, Richard Roy et d'autres participants à l'atelier sur les liens en Amérique du Nord, tenu à Montréal en novembre 2002, pour leurs commentaires, ainsi qu'à Joanne Fleming qui a minutieuse- ment révisé le texte de l'étude. BIBLIOGRAPHIE AMC. Investing in Health Futures: No Time Like thé Présent, rapport produit pour la 132 e conférence annuelle de l'Association médicale canadienne, Ottawa, 1999, 39 p. Atkinson, A.B., F. 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Commentaire Jennifer Hunt Université McGill J 'AI BEAUCOUP APPRIS À LA LECTURE DE CETTE ÉTUDE. Ross Finnie dispose d'un magnifique ensemble de données : il est rare que l'on dispose de données convenant aussi bien à l'étude de l'émigration et je n'ai jamais vu un ensemble de données qui permettait aussi d'étudier la migration de retour potentielle. Par conséquent, ces données fournissent une rare occasion dont l'importance et l'intérêt sont évidents. Le Canada craint de voir ralentir sa croissance en raison d'un exode de cerveaux vers les États-Unis tandis que, paradoxalement, nom- breux sont ceux aux États-Unis qui craignent l'arrivée de ces cerveaux. La présente étude nous fournit des indices clés sur qui émigré du Canada, pour combien de temps et pourquoi. Cette étude comporte deux aspects. L'un a trait aux caractéristiques des personnes qui entrent au Canada et qui en sortent, tandis que l'autre a trait aux déterminants de la variation temporelle des sorties (et des retours) migra- toires. Les données conviennent mieux à l'analyse du premier aspect, bien que, dans leur forme actuelle, elles aient l'inconvénient de ne pas préciser le pays de destination. Il serait intéressant de savoir, au besoin en consultant une autre source, quelle proportion des émigrants vont aux Etats-Unis. Cependant, on peut aussi en apprendre beaucoup sur le second aspect. Finnie examine le rôle 256 QUITTER LE CANADA ET Y REVENIR du cycle économique au Canada, en faisant observer que les Canadiens sem- blent plus incités à partir lorsque l'économie canadienne se porte mal. Bien que cela semble évident à première vue, une réflexion théorique plus approfondie et de meilleures preuves empiriques seraient probablement utiles. A titre d'exemple, si les États-Unis étaient la principale destination des émigrants et si le cycle économique de ce pays était parfaitement synchronisé avec celui du Canada, on pourrait s'attendre à ce que moins de Canadiens émigrent lors des ralentissements économiques. Cela serait vrai si, habituellement, les émigrants trouvaient d'abord un emploi, pour ensuite déménager, puisqu'à un niveau donné de chômage, une personne a plus de chance de trouver un emploi au pays — où se trouvent ses contacts — qu'à l'étranger. L'observation faite dans quelques études d'une baisse de la migration interne lorsque le taux de chô- mage national augmente donne du poids à cette possibilité (voir, par exemple, Decressin, 1994). Si, en effet, les Canadiens sont davantage portés à émigrer lorsque l'économie va moins bien, il est étrange que le taux de chômage provincial ne soit pas une variable significative dans les régressions sur l'émigration et que les variables nominales représentant les années saisissent le profil cyclique. Je serais intéressée à voir différentes spécifications afin d'explorer plus à fond cet aspect. Je voudrais aussi voir si le coefficient de la variable du chômage est significatif lorsque les variables nominales représentant les années sont écartées ou lorsque l'information sur l'assurance-emploi au niveau individuel est ignorée. Le taux de chômage dans la région de recensement aux États-Unis ou dans l'État le plus rapproché de la résidence d'un particulier pourrait être inclus, de même que le taux de chômage provincial au Canada, ou encore le ratio de ces deux taux, pour rendre compte de la notion évoquée ci-dessus, à l'effet que c'est l'écart entre la source et la destination qui importe. De l'information sur les salaires dans la province d'origine pourrait aussi être incluse. L'étude permet de faire des comparaisons intéressantes avec ma propre étude de la migration entre l'Allemagne de l'Est et l'Allemagne de l'Ouest de- puis la transition (Burda et Hunt, 2001; Hunt, 2002). Finnie peut mesurer la migration de retour mieux que je ne l'ai fait avec mon échantillon restreint, mais il semble néanmoins que la migration de retour soit plus élevée dans le cas de l'Allemagne. Les hypothèses au sujet des raisons qui pourraient expliquer cette différence pourraient servir de thème à des travaux de recherche utiles dans l'avenir. Je constate que les personnes récemment mises à pied ou qui ont récemment complété leur éducation collégiale ont une probabilité particuliè- rement élevée de déménager, ce qui constitue autant de pistes supplémentaires à explorer dans les données canadiennes. Je constate aussi que les personnes vivant près de la frontière ont plutôt tendance à se déplacer quotidiennement qu'à déménager, ce qui laisse penser qu'il pourrait être utile de neutraliser le 257 FINNIE carré de l'éloignement de la frontière américaine dans les régressions sur l'émigration : les personnes vivant très près de la frontière pourraient se dépla- cer quotidiennement plutôt que de déménager, mais celles qui en sont très éloignées peuvent être moins bien informées sur les possibilités qui s'offrent à l'étranger. Il serait aussi très intéressant de mettre cette variable en interaction avec des données sur le chômage et les salaires. J'ai aussi trouvé quelques preu- ves démontrant que la situation d'emploi du conjoint est un facteur pertinent dans la décision de déménager, de sorte que si les données canadiennes le per- mettent, cet aspect pourrait aussi être exploré. Enfin, j'observe que les jeunes sont beaucoup plus sensibles que les personnes plus âgées aux écarts de rému- nération, tandis que l'inverse est vrai pour les écarts de chômage, ce qui pour- rait indiquer que de nombreux déterminants de l'émigration devraient être mis en interaction avec l'âge. Voici certains autres aspects qui pourraient être utilement abordés dans l'étude : l'importance de l'entrée plus facile aux États-Unis après la conclusion de l'accord de libre-échange, le rôle des non-citoyens dans l'émigration, la comparaison des déterminants de l'émigration et des déterminants de la migra- tion interprovinciale et, enfin, l'étude conjointe des données sur les départs et les retours. BIBLIOGRAPHIE Burda, Michael, et Jennifer Hunt. « From Reunification to Economie Intégration: Produc- tivity and thé Labor Market in Eastern Germany », Brookings Papers on Economie Activity, vol. 1 (2001), p. 1-72. Decressin, Joerg. « International Migration in West Germany and Implications for East-West Salary Convergence », Weltwirtschafûiches Archiv (1994), p. 231-257. Hunt, Jennifer. « Why Do People Still Live in East Germany? », Université de Montréal, document de travail, 2002. 258 Richard P. Chaykowski et George A. Slotsve Université Queen's Université Northern Illinois Innovation et réaction sur le plan des relations industrielles et des pratiques en milieu de travail à l'intégration économique accrue du Canada / et des Etats-Unis INTRODUCTION E N AMÉRIQUE DU NORD, l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) et l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont sensiblement accru la mesure dans laquelle les entreprises canadiennes sont exposées à la concurrence provenant (principalement) des Etats-Unis. Un aspect préoccupant de la capacité concurrentielle globale de l'économie cana- dienne est la croissance de la productivité et, au niveau de l'entreprise, cette préoccupation est centrée sur la productivité de la main-d'œuvre. II n'est donc pas étonnant que la transformation des systèmes de production ait coïncidé, dans les deux pays, avec de profonds changements dans les systèmes de travail et les pratiques en milieu de travail. Parmi les systèmes de travail émergents, il y a l'innovation ou les progrès dans les relations industrielles, et les pratiques de gestion des ressources humaines qui représentent un changement significatif par rapport à celles qui se sont développées à la faveur du modèle industriel do- minant durant la plus grande partie de la seconde moitié du 20 e siècle. Il y a de plus en plus d'indications montrant que certaines de ces innova- tions, notamment les équipes de résolution de problèmes, les groupes de travail autogérés, les cercles de qualité, les stratégies de gestion de la qualité totale, etc., sont associées à une productivité supérieure 1 . Dans certains cas, les entre- prises ont adopté ces innovations axées sur le milieu de travail en grappes de pratiques appelées « pratiques de travail à haut rendement » (PTHR). Sous la 259 6 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE pression accrue de la concurrence, ces pratiques ont été adoptées parallèlement à des investissements en formation et à des effectifs plus qualifiés en vue d'atteindre une plus grande productivité au sein des entreprises. Pourtant, nous en savons étonnamment peu sur la mesure dans laquelle les entreprises adoptent ces pratiques au terme d'une décision d'affaires stratégique identifiable en vue d'améliorer leur productivité ou leur compétitivité. Plus précisément, nous ne savons pas si les entreprises adoptent des pratiques inno- vatrices en milieu de travail (ou accroissent leur investissement en formation) lorsqu'elles doivent faire face à une concurrence montante sur le plan national ou international. Comme solution de rechange, les gestionnaires peuvent adop- ter ces pratiques de travail dans la foulée de changements survenus dans les méthodes du génie des systèmes de production qui rendent inefficientes les formes traditionnelles d'organisation du travail. Même s'il est probable que l'adoption observée de pratiques innovatrices dans les entreprises découle de décisions stratégiques visant à modifier la technologie organisationnelle ou constitue une réaction aux changements survenus dans la technologie indus- trielle, nous disposons de peu de données empiriques systématiques sur les fac- teurs qui façonnent la diffusion et l'adoption de ces pratiques de travail à haut rendement. Un autre aspect de la vulnérabilité accrue des entreprises canadiennes à la concurrence internationale, notamment en provenance des États-Unis, est la mobilité de la main-d'œuvre. Des données récentes indiquent qu'il y a eu une augmentation de la mobilité internationale de la main-d'œuvre hautement qualifiée 2 . Cela a soulevé certaines préoccupations compte tenu de l'effet mar- ginal élevé (pour l'économie) de la perte de travailleurs hautement qualifiés (en particulier avec l'avènement de l'économie du savoir) et de la perte possible de l'investissement public fait dans la main-d'œuvre qualifiée. La préoccupation au Canada s'est portée sur les niveaux de migration vers les États-Unis, no- tamment à la lumière de certaines données montrant une augmentation de l'émigration permanente et temporaire vers ce pays et une perte nette de tra- vailleurs dans les professions axées sur la connaissance. L'intégration économique dans le cadre de l'ALENA a gonflé les flux de capitaux et intensifié la concurrence sur les marchés des produits — elle pour- rait aussi avoir intensifié la concurrence sur le marché du travail pour les per- sonnes plus qualifiées. Cela pourrait influer, par exemple, sur les régimes de rémunération ou la nature des conditions d'emploi offertes aux employés. Cette tendance pourrait découler des effets suscités par le changement technologique du côté de la demande, ou pourrait traduire une tentative de la part des travail- leurs pour s'approprier des rentes, une stratégie rendue possible par le régime de mobilité mis en place aux termes de l'ALENA. 260 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES Cependant, les modalités d'emploi et les pratiques de travail qui consti- tuent le système de travail d'une entreprise pourraient aussi être un facteur influant sur les décisions des travailleurs de changer d'entreprise ou d'industrie ou de migrer au-delà des frontières. Bien qu'elles puissent créer des contextes (conditions) de travail souhaitables en soi, elles pourraient influer de façon plus générale sur les perspectives futures de formation ou les niveaux de rémunéra- tion. Ce dernier aspect est particulièrement important dans les industries inno- vatrices ou en croissance rapide. Devant cette réalité et le volume croissant d'études montrant un lien entre les relations industrielles et les pratiques de travail innovatrices, d'une part, et la productivité, de l'autre, nous examinons deux questions d'ordre général dans cette étude. La première et principale question est celle de l'impact de la concurrence étrangère accrue sur l'adoption des PTHR dans les entreprises canadiennes, sous l'angle des relations indus- trielles et des pratiques de gestion des ressources humaines au niveau de l'entreprise. La seconde question, de nature plus exploratoire, a trait à la façon dont la concurrence accrue et ses effets sur l'adoption des PTHR pourraient influer sur la mobilité de la main-d'œuvre entre les deux pays. Dans la deuxième section, nous présentons d'abord des données contex- tuelles sur la façon dont les relations industrielles et les pratiques de travail innovatrices ont évolué au cours des deux dernières décennies au Canada et aux Etats-Unis, en soulignant leurs principaux points de similitude ou de diver- gence. Ce faisant, nous examinons comment la libéralisation des échanges commerciaux entre les deux pays a influé sur le déroulement et la pratique des relations industrielles au Canada. Nous nous intéressons plus particulièrement aux pratiques innovatrices en matière de relations industrielles et de gestion des ressources humaines — les méthodes et les modalités touchant aux rela- tions industrielles, à la rémunération et au travail qui sont associées aux systè- mes de travail à haut rendement (STHR). Comme nous en concluons de notre évaluation de l'abondante documen- tation de recherche sur l'adoption des PTHR et de leurs effets sur la productivi- té, aucune tentative n'a été faite jusqu'à maintenant pour modéliser plus formellement le processus d'adoption et l'incidence des PTHR sur la producti- vité des entreprises. Étant donné que notre analyse vise principalement à dé- terminer si le recours à des méthodes innovatrices ou aux meilleures pratiques dans les relations industrielles et l'organisation du travail dans les entreprises canadiennes est associé à la concurrence internationale que doivent affronter les entreprises, nous présentons un modèle formel de l'adoption des PTHR dans un contexte de libre-échange et nous en déduisons quelques hypothèses fon- damentales au sujet des effets des changements de certaines variables clés sur l'adoption des PTHR, y compris le changement technologique axé sur les 261 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE compétences et les changements dans les prix des divers facteurs qui entrent dans la production. Ce modèle nous permet d'élargir l'analyse pour tenter de voir si, dans un contexte de libéralisation accrue des échanges, il y aurait des liens entre la mobilité de la main-d'œuvre, d'un côté, et l'organisation de la production et les caractéristiques des systèmes d'emploi (par exemple les modalités de travail, les attributs des postes, les dispositions relatives à l'emploi comme la rémunéra- tion), de l'autre. Les données provenant d'études (empiriques) sur la mobilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis, notamment parmi les employés plus qualifiés, dans le contexte de l'ALENA sont assez limitées. Par conséquent, ce segment de l'analyse revêt une certaine importance pour l'élaboration de stratégies de recherche destinées à éclairer les questions de mobilité de la main-d'œuvre et à cerner les lacunes dans nos connaissances et dans les données aux fins de la recherche future. Nous procédons ensuite à un examen empirique de la relation entre la propriété étrangère et le degré de concurrence provenant des entreprises de propriété américaine, et l'utilisation de méthodes de relations industrielles et de pratiques de travail considérées nouvelles ou innovatrices, ou qui favorisent autrement une productivité plus élevée 3 , dans les domaines du changement organisationnel 4 , de l'organisation du travail 5 , de la participation des employés 6 , de la rémunération flexible 7 et de l'étendue de la formation (structurée et sur le tas). Dans ce segment de notre analyse, nous utilisons des données de VEnquête sur le lieu de travail et les employés (ELTE) de Statistique Canada. Nous présen- tons d'abord une description de l'adoption de ces pratiques dans les établisse- ments canadiens. Notre analyse principale repose sur un cadre de régression visant à déterminer si le degré de concurrence et les stratégies d'entreprise influent sur le recours à ces pratiques, en neutralisant les effets d'une variété de caractéristiques au niveau des établissements qui pourraient agir sur l'intensité d'utilisation de certaines pratiques de travail. Nous concluons l'étude en examinant certaines grandes conclusions et conséquences découlant de l'analyse. Nous envisageons aussi plusieurs aspects des relations industrielles et des pratiques de travail qui nécessiteraient un examen plus approfondi, y compris l'élaboration d'une meilleure taxonomie des pratiques de travail à haut rendement, le rapport entre la nature des pratiques de travail d'une organisation et la composition de ses compétences, le lien pos- sible entre la nature des pratiques de travail employées dans une organisation et la mobilité des travailleurs, la relation entre d'autres stratégies d'affaires (direc- tion de qualité) et l'utilisation d'autres pratiques de travail, le rapport entre les caractéristiques du contexte institutionnel (cadres juridique et politique) et la présence et la composition des pratiques de travail des entreprises. Enfin, nous proposons des pistes de recherche future sur ces questions. 262 INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES ADOPTION DANS L'ENTREPRISE ET EFFETS DES PRATIQUES DE TRAVAIL INNOVATRICES ET À HAUT RENDEMENT AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS L )UN DES CHANGEMENTS LES PLUS SIGNIFICATIFS survenus sur les marchés du travail au Canada au cours des dernières décennies a été la transforma- tion des structures et des modalités institutionnelles, notamment au niveau de l'entreprise ou du lieu de travail 8 . À l'ère industrielle, l'efficience a habituelle- ment été associée à une grande échelle, à la normalisation de la qualité des produits et à la standardisation des systèmes de production 9 . Même s'il y a eu changement technologique, celui-ci a généralement été de nature incrémentale et axé sur des améliorations techniques aux procédés de production visant à accroître la productivité, le plus souvent à la marge. Il n'est donc pas étonnant que les entreprises aient développé des marchés du travail internes axés sur des règles; les travailleurs devaient être embauchés aux niveaux inférieurs de l'organisation (points d'entrée) et gravir ensuite les échelons après avoir reçu une formation (souvent au sein de l'entreprise), acquis de l'expérience et démontré leurs capacités à la haute direction de l'organisation. Ces caractéristiques ont elles-mêmes défini les systèmes et les règles de travail, les contrats d'emploi, le contenu de la négociation collective et la contribution relative des intrants travail à la productivité. Les responsabilités clairement définies des divers postes, les systèmes de rémunération normalisés, les structures organisationnelles hiérarchiques ainsi que les rapports patronaux- syndicaux sans lien de dépendance où la participation des employés se trouve réduite au minimum caractérisent ces régimes de travail. Ce modèle de produc- tion a aussi été associé au niveau relativement élevé de sécurité d'emploi (mis à part les effets du cycle économique) et les contrats d'emploi à long terme 10 . Dans les années 70, un certain nombre de facteurs se sont conjugués pour transformer ce système de production de masse, jusqu'alors dominant. Bien que la combinaison des facteurs à l'œuvre, leur importance relative et leur inci- dence dans le temps aient varié entre pays, les principaux facteurs englobent les progrès importants de la techno-ingénierie, la concurrence accrue sur les plans interne (dans la foulée de la déréglementation) et externe (sous l'effet du libre- échange et de la mondialisation) et l'évolution fondamentale de la demande des consommateurs en faveur de produits plus spécialisés et, souvent, de plus grande qualité. Les répercussions de ces tendances sur le plan des relations industrielles et de la gestion des ressources humaines ont été très importantes parce que ces facteurs ont fondamentalement transformé les organisations, les 263 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE relations d'emploi, les systèmes de travail et divers aspects des marchés du tra- vail 11 : les organisations et leurs effectifs sont en général de plus petite taille; les effectifs nécessitent souvent des travailleurs plus qualifiés dont les services sont utilisés avec une plus grande flexibilité; dans certains cas, nous avons assisté à l'émergence d'un noyau d'employés permanents à temps plein assisté à la péri- phérie par des travailleurs non standards (dont des travailleurs à temps partiel ou à contrat); enfin, les modalités de travail sont radicalement modifiées. Ces changements sont survenus dans tous les secteurs et à l'échelle internationale, notamment dans les pays industrialisés. Deux aspects importants de cette évolution ont trait aux relations indus- trielles et à la gestion des ressources humaines. Premièrement, on reconnaît de plus en plus l'importance stratégique, pour les entreprises, de la technologie organisationnelle en tant qu'élément distinct de la technologie de production. Tel qu'indiqué précédemment, le modèle de production de l'ère industrielle, dominé par les progrès de la techno-ingénierie, a essentiellement déterminé l'organisation et les méthodes de travail. À notre époque, la gestion a cherché à élaborer et à exploiter des formes novatrices d'organisation du travail indépen- damment des exigences nouvelles des systèmes de travail découlant des tech- nologies de production émergentes. Deuxièmement, la motivation à concevoir et à mettre en œuvre des pratiques de travail innovatrices découle d'un désir de marquer des gains sur le plan de l'efficience opérationnelle (productivité) 12 . Ces éléments ont appuyé et fait ressortir ce que l'on a appelé les « pratiques de travail à haut rendement » ou « système de travail à haut rendement ». Bien qu'il n'y ait pas unanimité sur le choix d'un ensemble de pratiques organisationnelles qui, collectivement, constituerait un système de travail à haut rendement, diverses catégories de pratiques en milieu de travail se retrou- vent généralement sous cette rubrique, y compris les systèmes de travail flexible (organisation souple du travail, rotation des postes, polyvalence et équipes), la participation des employés et les communications, l'accent mis sur le perfec- tionnement des compétences et la formation, et les systèmes de rémunération variable (pour le Canada, voir Betcherman, McMullen, Leckie et Caron, 1994; et Betcherman et Chaykowski, 1996). Nous nous intéressons ici à deux aspects clés de l'adoption des PTHR : ces pratiques ont-elles une incidence sur la pro- ductivité des entreprises? La mise en œuvre de ces pratiques, individuellement ou en grappes, a-t-elle de l'importance pour leur efficacité? Le nombre d'études publiées sur ces deux questions ne cesse d'augmenter. Tant la méthodologie d'examen que le choix des pratiques en milieu de travail 264 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES étudiées ont tendance à varier considérablement d'une étude à l'autre 13 . Les examens empiriques de ces deux questions et les revues récentes de la docu- mentation montrent généralement que l'adoption des PTHR a un effet positif sur la productivité, mais il semble que cet effet se manifeste lorsque ces pratiques sont adoptées en groupes que l'on peut supposer complémentaires et en harmonie avec les pratiques de gestion en place dans l'organisation (voir Gunderson, 2002; Becker et Huselid, 1998; Ouest, 1997; Becker et Gerhart, 1996; Ichniowski, Kochan, Levine, Oison and Strauss, 1996; Ehrenberg, 1990) l4 . Un élément clé absent de la recherche sur la décision d'adopter des prati- ques de travail innovatrices ou sur le lien entre l'adoption de pratiques de tra- vail axées sur un STHR et la productivité, est un cadre conceptuel formel d'examen des mécanismes sous-jacents par lesquels l'adoption de ces pratiques agit sur la productivité. Ainsi, les études empiriques sur les décisions des orga- nisations ayant trait à l'adoption de ces pratiques ont tendance à les assimiler à des décisions d'investissement dans des technologies de production ou des innovations (Ichniowski et Shaw, 1995). Dans un tel cadre, la décision d'adop- ter une pratique est fonction du rendement net attendu. Ce genre de modèle décisionnel est conforme à notre description des innovations en milieu de tra- vail comme « technologie organisationnelle ». Les études consacrées aux effets des pratiques de travail à haut rendement sur la performance des entreprises ont tendance à débuter, implicitement ou explicitement, par la spécification d'une fonction de production, même si un modèle n'est pas formellement élaboré dans la plupart des cas (voir Black et Lynch, 2001, 1996; Freeman et Kleiner, 2000). Le cas échéant, les pratiques en milieu de travail sont considérées comme un intrant et modélisées à peu près de la même façon que les autres facteurs de production, comme la main-d'œuvre et le capital. Puis, on examine comment ces PTHR influent sur la performance, celle-ci étant habituellement mesurée en termes de productivité ou de rentabi- lité. Les premières études avaient tendance à considérer que les PTHR accrois- saient la productivité des facteurs employés par une entreprise. Les études plus récentes ont scruté la relation entre les PTHR et la rentabilité (ou une autre mesure globale de la performance de l'entreprise), puisqu'il est possible que la productivité augmente sans gain de rentabilité (si la mise en place des PTHR engendre des coûts plus élevés). Dans la section qui suit, nous nous inspirons de travaux antérieurs dont l'approche reposait sur une fonction de production où l'on modélisait formellement l'adoption des PTHR dans un contexte de libre-échange et où l'on faisait des prédictions fondamentales au sujet des effets des changements observés dans les variables clés sur l'adoption des PTHR. 265 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE ADOPTION DE PRATIQUES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT, CONCURRENCE ET MOBILITÉ DES TRAVAILLEURS CONCURRENCE ENTRE LES ENTREPRISES ET PRATIQUES EN MILIEU DE TRAVAIL N OTRE OBJECTIF PREMIER EST DE DÉTERMINER si la concurrence influe ou non sur l'utilisation des pratiques de travail à haut rendement dans les entreprises. On estime généralement que la libéralisation du commerce (mon- dialisation) a accru l'interdépendance des économies nationales au cours des deux dernières décennies. En particulier, on considère que l'ALE et l'ALENA ont renforcé l'interdépendance entre le Canada et les États-Unis. Par consé- quent, les entreprises exposées à une concurrence croissante recherchent de nouvelles sources d'avantage comparatif. Parmi les stratégies traditionnelles possibles, il y a une hausse de la productivité ou une réduction des coûts (uni- taires) par l'adoption de technologies de production de pointe ou la recherche d'avantages absolus au niveau de l'accès à des intrants d'importance capitale (comme les ressources naturelles), ou encore, le recours à la technologie pour différencier les produits (au niveau de la qualité ou de la conception, par exem- ple). Une autre stratégie (complémentaire) est de tenter d'améliorer la productivi- té ou la qualité en adoptant certaines pratiques en milieu de travail et méthodes organisationnelles associées à des systèmes de travail à haut rendement. Quel est l'effet d'une plus grande libéralisation des échanges sur l'émergence de pratiques de pointe en matière de travail et de ressources hu- maines? Le cadre fondamental d'examen du rapport entre la concurrence ac- crue et le recours à des pratiques de travail à haut rendement est illustré à la figure 1. Dans ce modèle, la réaction des entreprises à une plus grande concur- rence (par exemple au niveau des prix ou de la qualité) est de tenter de hausser la productivité. L'approche traditionnelle pour y parvenir est de consacrer des efforts à la mise au point d'innovations et d'éléments d'efficience dans les tech- nologies de production (sentiers A2 et B2); les innovations au niveau des tech- nologies de production peuvent aussi amener l'entreprise à élaborer de nouvelles formes de pratiques de travail (sentier C). Mais les pratiques de tra- vail innovatrices peuvent elles-mêmes avoir un effet sur la productivité de l'entreprise (sentiers Al et Bl), auquel cas l'entreprise poursuivra l'adoption de ces pratiques de travail à haut rendement en tant que stratégie de gestion dis- tincte mais vraisemblablement complémentaire 15 . Dans ce qui suit, nous élabo- rons un modèle plus formel du processus par lequel les PTHR influent sur la productivité d'une entreprise. 266 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES FIGURE 1 CONCURRENCE, PRODUCTIVITÉ ET LIENS AVEC LES PRATIQUES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT MODÈLE DE FONCTION DE PRODUCTION ET DE MAXIMISATION DES BÉNÉFICES DE L'ENTREPRISE AVEC L'ADOPTION DE PTHR EN SITUATION DE CONCURRENCE NOUS SUPPOSONS QU'IL Y A DEUX PAYS (Canada et États-Unis) qui signent les accords commerciaux favorisant une libéralisation des échanges et, partant, une plus grande concurrence bilatérale. Nous supposons aussi que les deux pays qui visent une intégration économique accrue ont intégré leurs marchés des capitaux et ont accès à des technologies semblables. Par conséquent, les entre- prises soumises à une concurrence accrue adopteront autant de PTHR qu'il leur est profitable de le faire. On peut considérer les PTHR comme étant en- châssées dans la fonction de production au sens où elles peuvent influer sur les intrants ou sur la technologie de production. Il faut donc envisager une fonc- tion de production permettant de paramétrer les pratiques de travail ou, plus 267 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE précisément, l'ensemble des pratiques qui caractérisent un système de travail à haut rendement : • Des PTHR qui accroissent la flexibilité du travail ou des emplois (comme la rotation des postes, la polyvalence et la conception souple des postes) pourraient permettre à l'entreprise d'opérer plus facilement une substitution entre le capital (K) et le travail (L) ou entre différents types de main-d'œuvre (qualifiée et non qualifiée). En retour, cela in- fluera sur les élasticités de la demande de travail. • Un investissement élevé en formation ou un investissement en forma- tion qui accroît les compétences haussera la productivité du travail, L. • Les systèmes de rémunération flexible (par exemple une rémunération incitative ou la participation aux bénéfices) devraient engendrer des stimulants en milieu de travail qui feront augmenter l'effort fourni par les travailleurs et, partant, leur productivité. • Les relations industrielles (RI) et les systèmes de gestion des ressources humaines (RH) privilégiant la participation des employés (partage de l'information, équipes de résolution de problèmes, comités conjoints, groupes de travail autogérés et programmes de participation des em- ployés, par exemple) pourraient améliorer l'efficience de trois façons : a) Premièrement, ils pourraient hausser directement la productivité du capital. Cet effet découle d'une meilleure utilisation d'un stock et d'un type donnés de capital, K (notamment par des améliora- tions au niveau de l'entretien ou des procédés). b) Deuxièmement, ils peuvent faciliter une utilisation plus efficiente du capital, par exemple en permettant à l'entreprise de conjuguer K, L ou différents types de L de façon plus efficace 16 , haussant du même coup la productivité. c) Troisièmement, ils peuvent favoriser une utilisation plus efficiente de L grâce à une meilleure organisation du travail ou en renfor- çant le moral des employés, haussant ainsi la productivité de L. Nous débutons en supposant que l'entreprise cherche à maximiser ses bé- néfices dans le contexte d'une technologie de production, où le procédé de production est modélisé en deux étapes. À la première étape, l'entreprise conjugue des PTHR à d'autres facteurs (par exemple la main-d'œuvre qualifiée, la main-d'œuvre non qualifiée et le capital) pour produire des unités effectives de ces intrants-facteurs. La solution du problème qui se pose à la première étape produit des fonctions de demande des facteurs pour la main-d'œuvre qualifiée, la main-d'œuvre non qualifiée, le capital et les PTHR. Le coût total unitaire de 268 S e [ = fi(t>,S)] désigne les unités effectives de main-d'œuvre qualifiée, où b représente les intrants PTHR comme la formation de pointe ou la polyvalence, qui haussent la productivité de la main-d'œuvre qualifiée; V e [= f 2 (tf,U)] dési- gne les unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée, où a représente les intrants PTHR comme la participation des employés ou les régimes de rémuné- ration variable qui haussent la productivité de la main-d'œuvre non qualifiée; K e [=f 3 (c,K)] désigne les unités effectives de capital, où c représente les in- trants PTHR qui haussent la productivité du capital grâce à une utilisation plus efficiente de ce facteur. Nous employons l'expression « unités effectives » pour faire la distinction entre un intrant de base (la main-d'œuvre qualifiée, S) du processus technique de production et un intrant productif final (S e ) obtenu en combinant un intrant brut et des intrants PTHR. Suivant Johnson et Stafford (1999), le paramètre (3 (où 0 < |3 < 1) représente le changement technologique axé sur les compéten- ces, le paramètre A, le changement technologique neutre par rapport aux fac- teurs, et y ( y < 1 ), les rendements d'échelle 19 . La fonction de bénéfices correspond à : 269 où u> s e , u>" , et u> e désignent les prix des intrants effectifs (coût unitaire) pour la main-d'œuvre qualifiée, la main-d'œuvre non qualifiée et le capital, respecti- vement, et où p désigne le prix de la production. Les fonctions conditionnelles de demande des facteurs effectifs sont obte- nues en maximisant les bénéfices [équation (2)] compte tenu de la fonction de INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES production de chacun de ces intrants-facteurs effectifs est leur prix respectif à la seconde étape. À la seconde étape, l'entreprise produit un extrant en combinant des uni- tés effectives de main-d'œuvre qualifiée, de main-d'œuvre non qualifiée et de capital de manière à maximiser ses bénéfices. La solution du problème à la seconde étape engendre un niveau de production qui maximise les bénéfices et une fonction de demande de facteurs exprimée en termes d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée, de main-d'œuvre non qualifiée et de capital. Nous débutons en spécifiant le problème de la seconde étape (maximisa- tion des bénéfices) en supposant que l'entreprise a une fonction de production (généralisée) à élasticité de substitution constante (CES) 17 , correspondant à 18 : Les fonctions de demande des facteurs effectifs sont obtenues en substi- tuant la solution de la fonction d'offre [équation (5)] dans les fonctions condi- tionnelles de demande des facteurs effectifs [équations (3a)-(3c)], ce qui donne : Afin d'obtenir la fonction de bénéfices, nous substituons les fonctions de demande des facteurs effectifs [équations (6a)-(6c)j dans l'équation (2). Cela donne : 270 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE production [équation (1)]. Les fonctions conditionnelles de demande des fac- teurs effectifs sont : où, pour, simplifier les expressions, nous avons défini : En substituant les fonctions conditionnelles de demande des facteurs ef- fectifs [équations (3a)-(3c)] dans la fonction de production [équation (1)], nous obtenons la fonction d'offre suivante 20 : Dans l'équation (7), b désigne les intrants PTHR définis précédemment, S la main-d'œuvre qualifiée, c . Les fonctions condi- tionnelles de demande des facteurs pour a, U, c et K sont définies de façon similaire aux fonctions conditionnelles de demande des facteurs pour b et S. Autrement dit : 272 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES OU Afin d'obtenir les solutions finales au problème de maximisation, nous substituons les équations (9c), (10e) et (Ile) dans les équations (3) à (6) 21 . Avec ce modèle, nous pouvons entreprendre des analyses en statique comparative des effets des changements dans le prix de la main-d'œuvre quali- fiée et dans le prix de la mise en œuvre des pratiques de travail à haut rende- ment, ainsi que des effets et du changement technologique axé sur les compétences sur la demande de main-d'œuvre et de capital. Ces analyses sont présentées à l'appendice A. Voici les prédictions théoriques fondamentales qui en découlent : 1. Une hausse du prix des PTHR qui accroissent la main-d'œuvre quali- fiée réduit la demande de PTHR (par rapport à la demande de S et aux intrants PTHR qui accroissent soit la main-d'œuvre non qualifiée soit le capital) 22 . De plus, s'il y a hausse du prix des intrants PTHR qui accroissent la main-d'œuvre qualifiée, il y a diminution de la demande d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée (par rapport aux unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée et de capital). 2. Une hausse du prix de la main-d'œuvre qualifiée fait augmenter la demande d'intrants PTHR qui accroissent la main-d'œuvre qualifiée dans le processus de production par rapport à l'intrant main-d'œuvre brut lui-même, tout en réduisant la demande de main-d'œuvre quali- fiée par rapport à la main-d'œuvre non qualifiée ou au capital 23 . De plus, si le prix de l'intrant main-d'œuvre qualifiée augmente, il y a di- minution de la demande d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée (par rapport aux unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée et de capital). 3. S'il y a changement technologique en faveur de l'utilisation d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée (les unités de main-d'œuvre pro- duites par l'emploi de main-d'œuvre qualifiée en combinaison avec des PTHR) : • La demande d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée aug- mente (par rapport à la demande d'unités effectives de main- d'œuvre non qualifiée et de capital). • La demande d'unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée diminue par rapport à la demande d'unités effectives de capital. 273 ES CHAYKOWSKI ET SLOTSVE • La demande de l'entreprise pour les intrants PTHR qui accroissent la main-d'œuvre qualifiée augmente par rapport à la demande pour les intrants PTHR qui accroissent la main-d'œuvre non qua- lifiée et par rapport à ceux qui accroissent le capital. • La demande de main-d'œuvre qualifiée brute augmente par rap- port à la demande de main-d'œuvre non qualifiée ou de capital; de même, la demande de main-d'œuvre non qualifiée diminue par rapport à la demande de capital. 4. S'il y a changement technologique en faveur de l'utilisation d'intrants PTHR, la demande d'intrants PTHR qui accroissent la main-d'œuvre qualifiée augmente par rapport à la demande d'intrants de main- d'œuvre qualifiée bruts dans la production d'unités effectives de main- d'œuvre qualifiée. CONSÉQUENCES DE LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES OU DE LA MONDIALISATION NOUS ENVISAGEONS MAINTENANT DEUX ENTREPRISES situées dans des pays différents 24 . Supposons que 1 désigne le Canada et 2 les États-Unis. Nous fai- sons les hypothèses suivantes : premièrement, les deux types de main-d'œuvre sont parfaitement mobiles entre les pays; deuxièmement, les entreprises ont accès à un marché du capital intégré; troisièmement, les facteurs S, U et K sont entièrement employés. Par conséquent, après la mondialisation, les entreprises font face aux mêmes prix mondiaux pour les facteurs P 2 , le résultat de ce déplacement (au niveau agrégé entre les deux pays) est semblable à une diminution de p. En conséquence, d'un point de vue canadien, nous nous attendons à ce que : • La demande d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée diminue par rapport à la demande d'unités effectives de main-d'œuvre non quali- fiée et à la demande d'unités effectives de capital. • La demande de PTHR utilisées dans la production d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée diminue par rapport à la demande de main- d'œuvre qualifiée (brute). • La demande de PTHR (b) utilisées dans la production d'unités effectives de main-d'œuvre qualifiée diminue par rapport à la demande de PTHR utilisées dans la production d'unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée (a) et à la demande de PTHR utilisées dans la production d'unités effectives de capital (c). • La demande d'unités (brutes) de main-d'œuvre qualifiée diminue par rapport à la demande d'unités (brutes) de main-d'œuvre non qualifiée et à la demande de capital. • La demande d'unités effectives de main-d'œuvre non qualifiée aug- mente par rapport à la demande d'unités effectives de capital. • La demande d'unités (brutes) de main-d'œuvre non qualifiée aug- mente par rapport à la demande d'unités (brutes) de capital. CONSÉQUENCES DU MODÈLE SUR LE PLAN DE LA MOBILITÉ SUPPOSONS QU'AVANT LE LIBRE-ÉCHANGE (MONDIALISATION), la rémunéra- tion de la main-d'œuvre qualifiée était moins élevée et celle de la main- d'œuvre non qualifiée, plus élevée au Canada qu'aux États-Unis (c'est-à-dire que . Dans ces conditions ini- tiales, nous nous attendons à ce que les travailleurs qualifiés émigrent du Canada (puisqu'ils touchent un salaire plus élevé aux États-Unis) et que les travailleurs non qualifiés immigrent au Canada (puisqu'ils touchent un salaire plus élevé au Canada). Cependant, les travailleurs pourraient avoir des préférences à l'égard des diverses PTHR; en d'autres termes, ils accordent de l'importance au type CHAYKOWSKI ET SLOTSVE d'organisation du travail, aux régimes de rémunération ou aux pratiques de formation qu'ils retrouvent dans un milieu de travail. Autres grappes de PTHR Nous faisons l'hypothèse que les travailleurs choisissent parmi les grappes de PTHR offertes de manière à maximiser leur utilité. Une grappe de PTHR consiste en une offre salariale et un ensemble de PTHR. Nous désignons la grappe de PTHR offerte aux travailleurs qualifiés comme étant ( 25 p. 100 mais < = 50 p. 100 3 si hpwp > 50 p. 100 mais < = 75 p. 100 4 si hpwp > 75 p. 100 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE À l'aide du modèle théorique, nous prévoyons que le nombre de pratiques adoptées par un établissement sera déterminé en solutionnant un problème de maximisation des bénéfices où les bénéfices sont fonction du niveau de concur- rence (provenant d'entreprises de propriété locale, canadienne, américaine, et étrangère autre qu'américaine), du niveau des prix, de la performance sur le plan de la productivité par rapport aux concurrents, de l'emplacement géographique, de l'industrie, de la stratégie commerciale (nouveaux marchés géographiques, produit amélioré, performance améliorée), de l'adoption d'un procédé ou d'un produit nouveau ou amélioré, de la composition des professions dans l'établissement, de la présence d'une unité des ressources humaines et, enfin, de la proportion des employés visés par une convention collective. Le cadre d'estimation adopté est un modèle simple de régression de forme réduite, de type : N^ = /[Q, Ri, H,, IND,-, OCQ, B,, Revamp,, e t ]. Nij est égal au nombre de pratiques de travail adoptées par le i e établisse- ment (ou le quintile où se classe l'établissement) pour la f catégorie ou dimen- sion des pratiques en milieu de travail. Les variables clés employées dans l'analyse sont comprises dans le vecteur Q qui englobe les caractéristiques rela- tives à la concurrence (y compris le pourcentage d'avoirs détenus par des inté- rêts étrangers). Parmi les autres variables de contrôle, il y a les suivantes : R h un vecteur de variables régionales; H ( , un vecteur de variables de contrôle pour les rela- tions industrielles (présence d'une unité de gestion des ressources humaines, proportion des employés visés par une convention collective) ; IND,, un vecteur de variables de contrôle pour l'industrie; OCQ, un vecteur de variables de contrôle occupationnelles (y compris la proportion de la main-d'œuvre em- ployée à temps plein) ; B/, un vecteur de variables de contrôle pour la stratégie d'entreprise (y compris l'adoption d'un procédé ou d'un produit nouveau ou amélioré); et Revamp^ les recettes d'exploitation par employé. Enfin, e t est un terme d'erreur. La définition complète de chaque variable est présentée au tableau 3. Etant donné que la variable de contrôle est ordonnée et que le terme d'erreur dans l'équation précédente a une distribution normale, nous avons estimé l'équation à l'aide d'une régression probit ordonnée. Nous décrivons ici nos attentes en ce qui a trait au signe des principales variables explicatives, dont le niveau de concurrence, le prix relatif, la productivité et la rentabilité. 282 INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES 283 TABLEAU 3 DÉFINITION DES VARIABLES VARIABLE f assets cmp dom cmp int lev loc lev can lev usa lev oth prc lev prf39_a P rf39_c FMining Manu Const TSW CUtil RComm Fins REstate BService EducHC ICulture DÉFINITION Pourcentage des avoirs détenus à l'étranger Concurrence avec des entreprises de propriété nationale (0 = non; 1 = local ou Canada; 2 = local et Canada) Concurrence avec des entreprises internationales (0 = non; 1 = E.-U. ou reste du monde; 2 = E.-U. et reste du monde) Niveau de concurrence, propriété locale (1 = sans objet; 2 = pas important; 3 = peu important; 4 = important; 5 = très important; 6 = crucial) Niveau de concurrence, propriété canadienne (1 = sans objet; 2 = pas important; 3 = peu important; 4 = important; 5 = très important; 6 = crucial) Niveau de concurrence, propriété américaine (1 = sans objet; 2 = pas important; 3 = peu important; 4 = important; 5 = très important; 6 = crucial) Niveau de concurrence, propriété dans le reste du monde (1 = sans objet; 2 = pas important; 3 = peu important; 4 = important; 5 = très important; 6 = crucial) Niveau de prix par rapport à la concurrence (1 = plus élevé; 2 = semblable; 3 = moins élevé) Productivité par rapport aux principaux concurrents (1 = bien moins bonne; 2 = moins bonne; 3 = semblable; 4 = meilleure; 5 = bien meilleure) Rentabilité par rapport aux principaux concurrents (1 = bien moins bonne; 2 = moins bonne; 3 = semblable; 4 = meilleure; 5 = bien meilleure) = 1 si Exploitation forestière ou Extraction minière; 0 dans les autres cas = 1 si Fabrication; 0 dans les autres cas (catégorie omise) = 1 si Construction; 0 dans les autres cas = 1 si Transports/Entreposage/Commerce de gros; 0 dans les autres cas = 1 si Communications/Services publics; 0 dans les autres cas = 1 si Commerce de détail/Services commerciaux; 0 dans les autres cas = 1 si Finances/ Assurances ; 0 dans les autres cas = 1 si Services immobiliers; 0 dans les autres cas = 1 si Services aux entreprises; 0 dans les autres cas = 1 si Education/Soins de santé; 0 dans les autres cas = 1 si Information/Culture; 0 dans les autres cas CHAYKOWSKI ET SLOTSVE Nous prévoyons que l'importance des variables représentant la concur- rence variera selon l'espace géographique où se manifeste la concurrence. Au niveau local, les établissements concurrents font face au même contexte insti- tutionnel, juridique et réglementaire. Cependant, à mesure que la portée géo- graphique de la concurrence s'étend, il y a une plus grande variation des cadres institutionnels, juridiques et réglementaires parmi les établissements concur- rents. Nous faisons l'hypothèse que, plus la dispersion géographique des 284 TABLEAU 3 (SUITE) DÉFINITION DES VARIABLES VARIABLE Atlantic Québec Ontario Prairies Alberta BC pft pmnpr pslad ptcun hrunit cba prop revamp new prd impv prd new_prc impv_prc techres mktinfo strtgy4 strtgyô strtgy!5 DÉFINITION = 1 si Atlantique; 0 dans les autres cas = 1 si Québec; 0 dans les autres cas = 1 si Ontario; 0 dans les autres cas (catégorie omise) = 1 si Prairies; 0 dans les autres cas = 1 si Alberta; 0 dans les autres cas = 1 si Colombie-Britannique; 0 dans les autres cas Proportion de la main-d'œuvre employée à temps plein Proportion de la main-d'œuvre dans des postes de gestionnaires ou de professionnels (catégorie omise) Proportion de la main-d'œuvre dans des postes de vente ou d'administration Proportion de la main-d'œuvre dans des postes techniques ou de production = 1 si unité de ressources humaines; 0 dans les autres cas Proportion des employés couverts par une convention collective Recettes d'exploitation par employé = 1 si nouveau produit lancé; 0 dans les autres cas = 1 si produit amélioré lancé; 0 dans les autres cas = 1 si nouveau procédé adopté; 0 dans les autres cas — 1 si procédé amélioré adopté; 0 dans les autres cas = 1 si résistance interne au changement technique; 0 dans les autres cas = 1 si utilise information gouvernementale sur les marchés; 0 dans les autres cas Stratégie d'entreprise axée sur de nouveaux marchés géographiques (1 = sans objet; 2 = pas importante; 3 = peu importante; 4 = importante; 5 = très importante; 6 = cruciale) Stratégie d'entreprise axée sur des produits améliorés (1 = sans objet; 2 = pas importante; 3 = peu importante; 4 = importante; 5 — très importante; 6 = cruciale) Stratégie d'entreprise axée sur l'amélioration des mesures de performance (1 = sans objet; 2 = pas importante; 3 = peu importante; 4 = importante; 5 = très importante; 6 = cruciale) INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES concurrents est grande, plus les établissements seront incités à exploiter les écarts dans les coûts d'adoption des PTHR parce que les établissements peuvent tirer parti des variations observées dans le cadre institutionnel, juridique et réglementaire. En outre, nous prévoyons que plus est vive la concurrence à laquelle est exposée une entreprise, plus forte sera l'incitation à innover et à exploiter les écarts existants dans le cadre institutionnel, juridique et réglemen- taire. L'exception ici est le niveau local, où les établissements concurrents font face au même cadre institutionnel, juridique et réglementaire et n'ont ainsi que peu ou pas de marge de manœuvre pour rivaliser sur la base d'une variation du coût de mise en place des PTHR. Nous incluons certaines variables pour saisir le niveau de concurrence auquel font face les établissements (provenant no- tamment d'entreprises locales, canadiennes, américaines et du reste du monde); les variables employées dans l'analyse sont énumérées au tableau 3. Même si le modèle théorique correspond aux conditions de concurrence parfaite (et prédit donc un équilibre caractérisé par un seul prix mondial pour la production d'un établissement), le degré réel de concurrence peut varier sensiblement en raison, par exemple, de contraintes institutionnelles, permet- tant au moins une certaine variation des prix entre établissements. Nous pré- voyons que plus est élevé le prix qu'un établissement peut demander (par rapport à ses concurrents), plus grand est le nombre de PTHR que cet établis- sement sera en mesure d'offrir. Sur le plan empirique, l'effet de la productivité d'un établissement par rap- port à celle de ses concurrents est ambigu. D'un côté, plus un établissement est productif (par rapport à ses rivaux), moins il subira de pression pour adopter des PTHR comme moyen d'améliorer sa productivité. De l'autre, une cause possible de la productivité relative plus élevée d'un établissement est qu'il ait déjà adopté certaines PTHR. Nous incluons donc cette variable mais sans formuler d'attentes préalables. Enfin, l'effet de la rentabilité d'un établissement (par rapport à celle de ses concurrents) est aussi ambigu. Dans le modèle théorique, les établissements choisis- sent le niveau et la composition optimaux de PTHR de manière à maximiser leurs bénéfices, mais les établissements situés au Canada et aux États-Unis (ou dans les différentes provinces) se trouvent dans des contextes institutionnels et réglemen- taires différents, ce qui entraîne une variation du coût de mise en place des PTHR. Ainsi, la question de savoir si les bénéfices (par rapport aux concurrents) sont liés positivement ou négativement au nombre de PTHR est de nature empirique. 285 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE LES DONNÉES ET L'ÉCHANTILLON L'ANALYSE EMPIRIQUE UTILISE des données provenant de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés (ELTE) de Statistique Canada, qui est une base de don- nées pairée employeur-employé constituée à partir d'une enquête nationale auprès des établissements et de leurs employés. Même si les données permettent d'identifier individuellement les employés et les caractéristiques des établisse- ments où ils travaillent, nous nous intéressons à la partie de l'enquête qui concerne l'employeur ou l'établissement pour 1999. L'enquête renferme des renseignements détaillés sur les caractéristiques de la main-d'œuvre, les prati- ques de gestion des ressources humaines et les changements survenus (au ni- veau de l'organisation des postes et du travail, de la formation et des systèmes de rémunération, notamment), les pratiques de relations industrielles et la négociation collective dans les établissements syndiqués et, enfin, l'évolution des pratiques organisationnelles et de la technologie. Nous limitons notre analyse aux entreprises, du secteur privé et du secteur public (y compris ce qu'on appelle le secteur quasi-public) et aux entreprises en concurrence. L'analyse est centrée sur les pratiques de travail et les pratiques organisationnelles à haut rendement, de sorte que nous avons raffiné davantage l'échantillon de l'enquête auprès des établissements en excluant de l'analyse les établissements à but non lucratif, les établissements de 10 employés ou moins (parce que les variables relatives à l'organisation du travail — les programmes de suggestions des employés, la conception souple des postes, le partage de l'information, les équipes de résolution de problèmes, les comités patronaux- syndicaux et les groupes de travail autogérés — ne sont définies que pour les entreprises de plus de 10 employés) et les entreprises qui n'avaient aucun concurrent ou qui n'avaient pas été récemment en concurrence 30 . L'échantillon utilisable (non pondéré) pour notre analyse comptait 3 174 observations. En outre, les données renferment de l'information sur les caractéristiques de chaque établissement : industrie; région; effectif; proportion des employés visés par une convention collective; niveau de concurrence auquel est exposé l'établissement en provenance d'entreprises de propriété locale, canadienne, américaine ou du reste du monde; niveau des prix; performance sur le plan de la productivité et de la rentabilité par rapport aux concurrents; information sur les stratégies commerciales (nouveaux marchés géographiques, produit amélio- ré, mesures améliorées de la performance) et présence d'une unité de gestion des ressources humaines. 286 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES ANALYSE EMPIRIQUE ET RÉSULTATS L'ENQUÊTE SUR LE LIEU DE TRAVAIL ET LES EMPLOYÉS de Statistique Canada fournit des données détaillées sur l'incidence d'un large éventail de pratiques innovatrices à haut rendement. En utilisant les données de l'enquête menée auprès des établissements dans le cadre de l'ELTE, nous avons calculé l'incidence d'une série de pratiques de travail pour l'année 1999, regroupées sous les rubriques suivantes : méthodes de rémunération (figure 2), participa- tion des employés (figure 3), changement organisationnel (figure 4), organisa- tion du travail (figure 5) et formation (figurée). Les données appuient les conclusions tirées des enquêtes antérieures (voir le tableau 1) selon lesquelles une proportion notable des établissements canadiens aurait adopté de telles pratiques de travail (même si ce n'est pas encore la majorité) et que l'incidence de ces pratiques varie considérablement. Des statistiques sommaires sur les caractéristiques des établissements in- terrogés sont présentées au tableau 4. La proportion des avoirs détenus par des intérêts étrangers est, en moyenne, faible (6,2p. 100). Dans l'ensemble des établissements, la proportion de la main-d'œuvre employée à temps plein at- teint 75,7 p. 100 , tandis que 44,4 p. 100 des employés sont des travailleurs de la production ou des techniciens. Environ 17p. 100 des établissements appar- tiennent au secteur manufacturier, 16p. 100 à celui des transports, de l'entreposage et du commerce de gros et 26 p. 100 au secteur des services. Pour chaque catégorie de pratiques en milieu de travail (par exemple le changement organisationnel, l'organisation du travail, la participation des employés, la ré- munération flexible et l'étendue de la formation) et pour l'indice agrégé des pratiques de travail à haut rendement, nous avons calculé la proportion des établissements qui montraient individuellement un certain nombre de prati- ques appartenant à une catégorie (tableau 4, volet C). La catégorie qui fait voir la proportion la plus élevée d'établissements n'ayant adopté aucune pratique est celle du changement organisationnel (51 p. 100); les quatre autres catégories montrent des pourcentages variant entre 39 et 44 p. 100 (des établissements qui n'avaient adopté aucune de ces pratiques). Le profil d'intensité d'utilisation parmi les catégories est assez similaire et, dans une proportion élevée, les établissements comptent au moins une pratique dans chaque catégorie tandis qu'un pourcentage un plus faible des établissements en comptent deux; relativement peu d'établissements comptent trois pratiques ou plus au sein d'une catégorie (là où cela est possible). Les corrélations les plus élevées (voir le tableau 5) entre les indices d'intensité d'utilisation des prati- ques de travail sont observées entre la participation des employés et le change- ment organisationnel et l'organisation du travail, respectivement, et entre la formation et la participation des employés. 287 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE FIGURE 2 POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS AYANT ADOPTÉ DES MÉTHODES DE RÉMUNÉRATION FLEXIBLE, 1999 Source : Calculs des auteurs à l'aide de données de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés, de Statistique Canada. FIGURE 3 POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS AYANT ADOPTÉ DES MÉTHODES AXÉES SUR LA PARTICIPATION DES EMPLOYÉS, 1999 Source : Calculs des auteurs à l'aide de données de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés, de Statistique Canada. 288 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES FIGURE 4 POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS AYANT PROCÉDÉ À UN CHANGEMENT ORGANISATIONNEL, 199 9 Source : Calculs des auteurs à l'aide de données de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés, de Statistique Canada. FIGURE 5 POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS AYANT ADOPTÉ DES MÉTHODES D'ORGANISATION DU TRAVAIL INNOVATRICES, 1999 Source : Calculs des auteurs à l'aide de données de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés, de Statistique Canada. 289 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE Les résultats de régression sont présentés au tableau 6 pour chacune des cinq dimensions des pratiques de travail et pour l'indice agrégé 31 . Dans ce qui suit, nous résumons les principaux résultats. Bien que les variables spécifiques qui expliquent l'intensité d'utilisation diffèrent selon les diverses dimensions des pratiques de travail, on observe certaines régularités intéressantes. 290 TABLEAU 4 STATISTIQUES DESCRIPTIVES VOLET A AVOIRS ÉTRANGERS ET RECETTES D'EXPLOITATION VARIABLE MOYENNE Pourcentage des avoirs détenus à l'étranger 6,22 Recettes d'exploitation par employé 152 633 VOLET B VARIABLES EXPLICATIVES POURCENTAGE MOYEN VARIABLE POUR TOUS LES ÉTABLISSEMENTS Pourcentage d'employés à temps plein 75,70 Pourcentage de gestionnaires et de professionnels 22,49 Pourcentage de postes de vente et d'administration 33,12 Pourcentage de postes techniques et de production 44,37 Pourcentage des employés visés par une conv. coll. 12,20 Exploitation forestière et Extraction minière 1,58 Fabrication 16,54 Construction 5,75 Transports, Entreposage et Commerce de gros 15,68 Communications et Services publics 1,62 Commerce de détail et Services commerciaux 32,45 Finances et Assurances 8,01 Services immobiliers 1,52 Services aux entreprises 12,67 Éducation et Soins de santé 1,88 Information et Culture 2,30 Atlantique 6,42 Québec 21,64 Ontario 40,18 Prairies 6,34 Alberta 11,59 Colombie-Britannique 12,71 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES 291 TABLEAU 4 (SUITE) STATISTIQUES DESCRIPTIVES VOLET C PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS DE LA VARIABLE FRÉQUENCE CATÉGORIE Changement organisationnel 0 70531 ' 50,84 1 28 652 20,65 2 24209 17,45 3 12048 8,68 4 3 149 2,27 5 140 0,10 Organisation du travail 0 55478 39,99 1 29744 21,44 2 25 052 18,06 3 11801 8,51 4 6 177 4,45 5 9 701 6,99 6 775 0,56 Participation des employés 0 58532 42,19 1 36 201 26,09 2 32082 23,13 3 11914 8,59 Rémunération flexible 0 53803 38,78 1 37746 27,21 2 27612 19,90 3 15011 10,82 4 4557 3,29 Étendue de la formation 0 61 057 44,01 1 43 254 31,18 2 34419 24,81 Pratiques de travail à haut rendement 1 66846 48,18 2 49424 35,63 3 21 544 15,53 4 915 0,66 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE FIGURE 6 POURCENTAGE DES ÉTABLISSEMENTS AYANT FAIT DES INVESTISSEMENTS EN FORMATION SUPÉRIEURS À LA MOYENNE, 1999 Source : Calculs des auteurs à l'aide de données de l'Enquête sur le lieu de travail et les employés, de Statistique Canada. 292 TABLEAU 5 MATRICE DE CORRÉLATION POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT CHANGEMENT ORGANI- ORGANISATION PARTICIPATION RÉMUNÉRATION HPWPl SATIONNEL DU TRAVAIL DES EMPLOYÉS FLEXIBLE FORMATION Hpwpl 1,0000 Changement organisationnel 0,5696 1,0000 Organisation du travail 0,6855 0,5019 1,0000 Participation des employés 0,7109 0,3599 0,5170 1,0000 Rémunération flexible 0,4032 0,1004 0,1995 0,1601 1,0000 Formation 0,6193 0,2213 0,2552 . 0,3472 0,1107 1,0000 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES TABLEAU 6 RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES DÉPENDANTES VARIABLES INDÉPENDANTES % de l'actif détenu à l'étranger Concurrence locale Concurr., Canada Concurr., É.-U. Concurr., RdM Prix relatifs Productiv. relative Rentabilité relative Foresterie, mines Construction Transp., gros, entr. Comm., serv. publ. Détail, serv. com. Finances^ assuran. Serv. immobiliers Serv. aux entrepr. Education, santé Hpwpl 0,0003 (0,002) -0,0829* (0,032) 0,0454 (0,044) 0,0152 (0,044) 0,0248 (0,051) -0,2136 (0,137) 0,0118 (0,088) -0,0034 (0,092) 0,5506** (0,309) 0,3736 (0,318) 0,4125 (0,253) 0,4150* (0,198) 0,5799* (0,225) 0,5451 (0,363) 0,5286 (0,348) 0,2688 (0,230) 0,2780 (0,344) Chang. organisât. -0,0009 (0,002) -0,0938* (0,038) 0,1132* (0,039) -0,0425 (0,040) 0,0338 (0,042) -0,1745 (0,152) -0,0828 (0,079) -0,0868 (0,101) 0,7315* (0,302) 0,2256 (0,323) 0,1447 (0,221) 0,4665* (0,216) 0,1235 (0,192) 0,4206 (0,288) 0,2352 (0,245) 0,2828 (0,221) -0,1447 (0,342) Organisât, du travail -0,0024 (0,001) -0,0639** (0,033) 0,0777* (0,031) -0,0216 (0,039) 0,0142 (0,043) -0,1246 (0,109) 0,0043 (0,077) -0,0567 (0,065) 0,3448 (0,240) -0,0719 (0,295) -0,0392 (0,179) -0,0835 (0,219) 0,1639 (0,198) 0,0586 (0,323) -0,0947 (0,281) 0,2038 (0,246) -0,2188 (0,496) Participât, des empl. 0,0005 (0,002) -0,0346 (0,034) 0,0750* (0,032) 0,0028 (0,040) -0,0175 (0,046) -0,1261 (0,109) -0,1292** (0,073) 0,0424 (0,064) 0,2050 (0,196) -0,0671 (0,286) -0,0460 (0,187) -0,0636 (0,239) 0,1628 (0,242) -0,0009 (0,355) -0,1625 (0,372) 0,1243 (0,270) 0,0709 (0,428) Rémun. flexible 0,0045* (0,001) -0,0558 (0,036) 0,0960* (0,039) 0,0086 (0,046) -0,0429 (0,043) -0,2994* (0,113) 0,1237 (0,085) -0,0560 (0,086) -0,1321 (0,229) 0,2362 (0,255) -0,1106 . (0,193) -0,0857 (0,176) 0,0262 (0,203) -0,0047 (0,302) 0,1004 (0,296) 0,0391 (0,244) -0,6124 (0,488) Formation 0,0010 (0,002) -0,0401 (0,037) -0,0340 (0,037) 0,0693** (0,041) -0,0372 (0,041) -0,0913 (0,139) 0,0452 (0,078) 0,0152 (0,088) 0,6284** (0,338) 0,4122 (0,271) 0,4492* (0,200) 0,4933* (0,232) 0,6105* (0,216) 0,5456** (0,303) 0,4424 (0,307) 0,3156 (0,211) 0,7461** (0,425) j 293 TABLEAU 6 (SUITE) RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES DÉPENDANTES VARIABLES INDÉPENDANTES Inform., culture Atlantique Québec Prairies Alberta C n .-D. Prop. temps plein Prop. ventes, adm. Prop. tech., prod. Unité ress. hum. Prop. conv. coll. Recettes exp./empl. Nouveau produit Produit amélioré Nouveau procédé Procédé amélioré Résist. chang. techn. Hpwpl 0,6955* (0,272) -0,4192** (0,232) -0,2666** (0,161) 0,0601 (0,268) 0,1550 (0,294) 0,0974 (0,236) 0,0431 (0,292) 0,1087 (0,402) -0,2331 (0,321) 0,1257 (0,191) 0,6221* (0,180) -6,40e-8 (l,62e-7) 0,1485 (0,146) -0,0621 (0,150) 0,4185* (0,185) 0,6366* (0,173) 0,1637 (0,171) Chang. organisât. 0,7141* (0,240) -0,3728** (0,194) -0,2918 (0,183) -0,2550 (0,215) -0,1507 (0,222) 0,4304* (0,207) -0,5050** (0,303) 0,4176 (0,353) 0,6246* (0,306) 0,1609 (0,168) -0,3710 (0,234) l,13e-7 (2,03e-7) 0,2921** (0,161) -0,0533 (0,151) 0,4327* (0,194) 0,4214* (0,199) 0,1755 (0,148) Organisât, du travail -0,0765 (0,197) -0,5078* (0,196) -0,3962* (0,153) -0,5297* (0,211) 0,0143 (0,235) -0,0344 (0,193) 0,0447 (0,315) 0,0732 (0,455) 0,2213 (0,341) -0,1359 (0,190) 0,0158 (0,201) -3,5e-7** (l,93e-7) 0,0823 (0,141) 0,1434 (0,152) 0,3624* (0,166) 0,3969* (0,171) -0,0005 (0,171) Participât. des empl. 0,0160 (0,181) -0,3112** (0,188) -0,3695* (0,145) -0,2645 (0,209) 0,0834 (0,238) 0,0342 (0,165) -0,2383 (0,282) -0,1719 (0,380) -0,3175 (0,309) 0,0477 (0,196) 0,8794* (0,188) -l,51e-7 (2,09e-7) 0,1185 (0,147) 0,0231 (0,150) 0,1517 (0,165) 0,5691* (0,139) -0,0729 (0,177) Rémun. flexible 0,5984* (0,254) 0,1629 (0,205) -0,1535 (0,186) 0,2786 (0,253) 0,6064* (0,266) -0,0163 (0,191) 0,3189 (0,344) -0,0040 (0,421) -0,5894** (0,301) 0,4027* (0,162) -0,2991 (0,198) 2,41e-7 (l,61e-7) -0,0391 (0,128) 0,0535 (0,189) -0,0932 (0,246) 0,1827 (0,219) 0,3834* (0,171) Formation 0,6212* (0,292) 0,1679 (0,208) 0,1849 (0,198) 0,3509 (0,287) 0,4495** (0,254) -0,0279 (0,208) 0,2308 (0,306) 0,0970 (0,474) -0,3081 (0,382) 0,2887 (0,204) 0,6552* (0,193) l,48e-8 (l,40e-7) -0,1123 (0,179) 0,0269 (0,199) 0,3289 (0,209) 0,2700 (0,192) -0,1734 (0,171) 294 chaykowskiet slotsve INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES TABLEAU 6 (SUITE) RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES DÉPENDANTES VARIABLES INDÉPENDANTES Hpwpl Inform. sur marché 0,1284 Stratégie 4 Stratégie 6 Stratégie 15 eut 1 cut_2 cut_3 cut_4 eut 5 eut 6 N Log-L Pseudo-R 2 (0,242) 0,1072* (0,043) 0,2551* (0,073) 0,0407 (0,062) 2,0214 3,3989 5,2051 120374 -99 747 0,2021 Chang. Organisât, organisât. du travail 0,3653** (0,186) 0,0786* (0,036) 0,2208* (0,076) 0,0254 (0,082) 1,1358 1,8049 2,5973 3,4937 4,6982 120374 -126625 0,1503 0,2533 (0,215) 0,0447 (0,051) 0,2164* (0,065) 0,0872 (0,067) 1,2175 1,8477 2,4990 2,8808 3,2331 4,5244 120374 -168 249 0,1014 Notes : Les erreurs types initiales figurent entre parenthèses. * (**) signifie que la valeur est statistiquement différente de 95 p. 100 (90 p. 100). Participât, des empl. 0,1365 (0,278) 0,0814** (0,042) 0,1619* (0,069) -0,0163 (0,073) 0,2714 1,0699 2,0855 120374 -134 692 0,1066 Rémun. flexible 0,3226 (0,240) 0,0293 (0,051) 0,1346** (0,072) 0,0336 (0,076) 0,0109 0,8708 1,7051 2,5473 120374 -153 449 0,0949 Formation 0,0822 (0,213) 0,0542 (0,050) 0,2183* (0,071) -0,0856 (0,070) 1,4482 2,3493 120374 -116 141 0,0954 de zéro pour un intervalle de confiance La province La province où l'établissement est exploité influe généralement sur l'intensité d'utilisation. Les établissements situés dans les provinces de l'Atlantique ont une plus faible intensité d'utilisation des pratiques liées au changement organi- sationnel, à l'organisation du travail et à la participation des employés, tandis que ceux situés au Québec montrent une plus faible intensité d'utilisation des pratiques liées à l'organisation du travail et à la participation des employés. Par contre, les établissements situés en Colombie-Britannique ont une intensité d'utilisation plus élevée des pratiques liées au changement organisationnel, tandis que ceux de PAlberta montrent une plus grande intensité d'utilisation des pratiques liées à la rémunération flexible et à la formation. 295 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE L'industrie L'industrie à laquelle appartient un établissement n'est significative que pour les pratiques liées au changement organisationnel (lien positif pour l'exploitation forestière et minière, les communications et services publics, et l'information et la culture), pour les pratiques liées à la rémunération flexible (lien positif avec l'information et la culture) et pour la formation (lien positif avec l'exploitation forestière et minière, les transports, l'entreposage et le com- merce de gros, les communications et services publics, le commerce de détail et les services commerciaux, les finances et assurances, l'éducation et les soins de santé et, enfin, l'information et la culture). La syndicalisation La proportion des employés de l'établissement qui sont visés par une conven- tion collective a un lien positif avec l'intensité d'utilisation des pratiques axées tant sur la participation des employés que sur la formation. Ces résultats concordent avec l'accent généralement mis par les syndicats sur la représenta- tion et les investissements en formation en milieu de travail. Les stratégies d'entreprise Certaines formes de stratégies d'entreprise sont pertinentes pour quatre des cinq dimensions des pratiques de travail. Dans le cas du changement organisa- tionnel, l'intensité d'utilisation est positivement liée à une stratégie d'entreprise axée sur de nouveaux marchés géographiques. Cependant, la stratégie d'entreprise la plus importante est celle qui vise l'amélioration d'un produit. Cette stratégie est associée à une intensité d'utilisation plus élevée pour les dimensions suivantes : changement organisationnel, organisation du travail, rémunération flexible et formation. Prix relatif et performance sur les plans de la productivité et de la rentabilité Les variables représentant le prix relatif et la performance ont de l'importance pour deux dimensions. Premièrement, la performance sur le plan de la produc- tivité par rapport aux concurrents est associée négativement à l'intensité d'utilisation des pratiques axées sur la participation des employés. Deuxième- ment, plus le prix relatif d'une entreprise est élevé par rapport à celui de ses concurrentes, plus l'intensité d'utilisation des formules de rémunération flexible est élevée. 296 INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES La concurrence Le niveau de concurrence a de l'importance pour l'intensité d'utilisation des pratiques axées sur chacune des cinq dimensions, mais à des degrés divers : • Premièrement, le niveau de concurrence locale que doit affronter un établissement est associé négativement à l'intensité d'utilisation des pratiques axées tant sur le changement organisationnel que sur l'organisation du travail. Cela donne à penser que les établissements exposés à la concurrence locale sont moins enclins à entreprendre les changements plus fondamentaux au niveau de la structure de l'organisation propres aux innovations visant ces deux dimensions. • Deuxièmement, le niveau de concurrence au Canada est associé posi- tivement à l'intensité d'utilisation des pratiques axées sur le change- ment organisationnel, l'organisation du travail, la participation des employés et la rémunération flexible. Étant donné que la plupart des entreprises sont en concurrence au niveau national au moins à un cer- tain degré, ces résultats indiquent qu'elles procèdent à des innova- tions qui rejoignent l'ensemble des pratiques visant les structures organisationnelles, les ressources humaines et les relations industrielles, à l'exception étonnante de la formation. • Troisièmement, le niveau de concurrence en provenance des États- Unis est positivement associé à l'intensité d'utilisation des pratiques axées sur la formation. Il faut se rappeler que cette dimension saisit l'intensité de la formation dispensée dans un établissement par rap- port aux autres établissements; ce résultat donne à penser que les établissements qui ont une intensité de formation supérieure à la moyenne sont exposés à une concurrence plus intense en provenance des États-Unis. Ces résultats ressortent également de la régression effectuée pour l'indice agrégé de l'intensité globale d'utilisation des pratiques de travail à haut rende- ment et des pratiques connexes (voir le tableau 6). Chacune des variables re- présentant l'industrie, la province et le degré de syndicalisation influe sur l'intensité d'utilisation de ces pratiques. Les stratégies d'entreprise visant à étendre les marchés ou à améliorer les produits sont associées avec une intensi- té d'utilisation généralement moins élevée; enfin, l'importance de la concur- rence locale est négativement associée à l'intensité d'utilisation. 297 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE CONCLUSIONS ET PISTES DE RECHERCHE FUTURES U N ASPECT FONDAMENTAL DE LA TRANSFORMATION des systèmes de pro- duction et des organisations a été l'intensification de l'innovation et de l'expérimentation portant sur les pratiques de travail, de gestion des ressources humaines et de relations industrielles. Il y a aussi eu une évolution au niveau de la gestion, où les pratiques innovatrices sont perçues comme une forme de technologie organisationnelle qui permet d'accroître la productivité et, partant, la rentabilité. Dans ce contexte, la décision d'adopter ces pratiques de travail devient une décision d'entreprise stratégique. Même si une grande variété de pratiques innovatrices touchant aux res- sources humaines et aux relations industrielles ont fait leur apparition, on dis- tingue des ensembles de pratiques considérées comme favorables à la productivité de l'organisation qui, prises globalement comme un système, sont appelées « pratiques de travail à haut rendement ». Des données d'enquête provenant du Canada et des États-Unis indiquent que, même si les formes plus traditionnelles de pratiques de travail ont tendance à prédominer dans de nombreux secteurs de l'économie, le recours à des pratiques innovatrices de- vrait vraisemblablement augmenter, et une importante minorité d'établisse- ments utilisent une ou plusieurs de ces pratiques. Les preuves empiriques s'accumulent par ailleurs sur les effets positifs potentiels de ces pratiques au niveau de la productivité de l'entreprise. Nous avons étendu l'analyse antérieure en élaborant un modèle formel de l'adoption de PTHR dans un contexte de libre-échange. Le modèle suppose que les PTHR plus coûteuses freineront la demande relative pour ces pratiques, tandis qu'une hausse du coût de la main-d'œuvre qualifiée stimulera la de- mande pour les PTHR qui accroissent l'efficience de la main-d'œuvre qualifiée, atténuant ainsi l'effet des coûts de main-d'œuvre croissants. Cela incite à pen- ser que les facteurs institutionnels propres à un pays qui influent sur le coût d'adoption de ces pratiques (comme l'information, l'apprentissage des meilleures pratiques, etc.) auront une incidence directe sur le degré d'innovation en mi- lieu de travail. Le modèle prédit aussi que le changement technologique favorable à l'utilisation des PTHR haussera la demande relative pour les PTHR qui accrois- sent l'utilisation de la main-d'œuvre qualifiée. Ce résultat souligne en outre l'importance des liens existant entre les technologies de production et les tech- nologies organisationnelles. Le modèle prédit que le changement technologique axé sur l'utilisation d'unités de main-d'œuvre produites par l'emploi de main-d'œuvre qualifiée en combinaison avec des PTHR haussera la demande tant des intrants en main- d'œuvre qualifiée que des PTHR qui accroissent leur efficience au niveau de la production. En pratique, ce type de changement technologique est probablement 298 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES associé à des technologies industrielles de pointe ou à'avant-garde parmi les concurrents canadiens. Cela incite à penser que les entreprises canadiennes qui appliquent des technologies de production de pointe adopteront éventuelle- ment certaines catégories de pratiques de travail à haut rendement pour de- meurer concurrentielles. Le modèle prédit que les différences observées dans l'utilisation des PTHR pourraient influer sur la migration des travailleurs qualifiés et non qualifiés. Cela découle du fait que les pays comme le Canada et les Etats-Unis possèdent des caractéristiques institutionnelles différentes qui engendrent différents avan- tages comparatifs dans la prestation de divers groupes de PTHR et du fait que les travailleurs ont des préférences différentes à l'égard des pratiques organisa- tionnelles qui encadrent leur travail. Les résultats empiriques font ressortir la grande variété des pratiques in- novatrices et à haut rendement en usage dans les établissements canadiens. Même si une minorité d'entreprises utilisent plus d'une pratique, les données montrent des niveaux d'utilisation importants. Mais pour savoir si le niveau d'utilisation est en hausse ou non, il faudra procéder à une analyse longitudi- nale sur une plus longue période, ce que l'ELTE vise à faciliter. Les résultats indiquent également que l'intensité d'utilisation des cinq types de pratiques (changement organisationnel, organisation du travail, participa- tion des employés, rémunération flexible et étendue de la formation) parmi les établissements varie selon la province, l'industrie et le degré de syndicalisation, comme on pouvait s'y attendre. Fait intéressant, les stratégies actives que l'on retrouve habituellement dans les entreprises concurrentielles, comme l'amélioration des produits ou l'expansion géographique de leurs marchés, sont associées à une intensité plus élevée d'utilisation dans quatre dimensions : changement organisationnel, organisation du travail, rémunération flexible et formation. Le niveau de concurrence auquel est exposé un établissement a aussi de l'importance. Si une concurrence accrue au niveau local est associée à un effort d'innovation moindre sur le plan du changement organisationnel et celui de l'organisation du travail, le fait d'être en concurrence sur le marché canadien est associé à une plus grande intensité d'utilisation dans toutes les dimensions, sauf la formation. Un résultat clé est que la concurrence venant des États-Unis est liée à un effort de formation accru. C'est là un aspect poten- tiellement important pour la recherche future. Cette piste de recherche pourrait avoir diverses ramifications. Une possibi- lité théorique serait d'étendre le modèle pour y introduire formellement des considérations relatives aux échanges commerciaux afin d'examiner les réper- cussions de la mondialisation. Du côté des applications empiriques, nous propo- sons les cinq pistes de recherche suivantes. 299 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE Premièrement, même si un certain nombre de pratiques liées aux ressour- ces humaines sont jugées à haut rendement, il n'existe pas actuellement de définition cohérente des PTHR dans la documentation. Des recherches sup- plémentaires sont requises afin de préciser quelles pratiques devraient être considérées comme étant à haut rendement. Ainsi, quels groupes de pratiques constituent un système de PTHR? Différents types de systèmes de PTHR peu- vent-ils être identifiés? Enfin, certaines pratiques contribuent-elles davantage à la performance des organisations que d'autres? Deuxièmement, même si l'on s'attend généralement à observer un lien entre les PTHR et la composition des compétences au sein de l'effectif (des établissements), il importe d'explorer davantage les causes à l'origine de ce lien. À titre d'exemple, certaines PTHR pourraient être associées à l'embauche de travailleurs qualifiés, tandis que d'autres pourraient être associées à l'embauche de travailleurs non qualifiés. Il serait utile de savoir quelles caractéristiques des travailleurs diffèrent systématiquement entre des entreprises qui possèdent des systèmes différents ou des combinaisons différentes de PTHR. Pour examiner cette question, il faudrait disposer de renseignements du côté des travailleurs (compétences ou caractéristiques) et du côté des entreprises (PTHR), c'est-à- dire d'un ensemble de données transversales sur les employeurs et les employés. Cependant, un problème que pourraient soulever les données de l'ELTE est qu'on a interrogé un maximum de 12 employés par entreprise; cela pourrait ne pas constituer un échantillon suffisant pour décrire en détail la composition des compétences de l'effectif de chaque entreprise. D'autres types de variables se- raient peut-être utiles pour saisir la composition des compétences de la main- d'œuvre des établissements. Troisièmement, nous devons mieux comprendre la relation qui peut exis- ter entre les types de systèmes de travail adoptés par les entreprises (comme les PTHR) et l'influence qu'elle peut avoir sur la mobilité. Nous nous attendons à ce que la mobilité des travailleurs entre les entreprises soit liée aux caractéristi- ques des travailleurs, d'un côté, et aux diverses PTHR offertes par les entreprises, de l'autre. Le cas échéant, un ensemble de données longitudinales sur les em- ployeurs et les employés serait requis pour suivre les travailleurs d'une entre- prise à l'autre. Cependant, la nature de la mobilité à court terme pourrait être très différente de la mobilité à long terme en raison des fluctuations qui sur- viennent du côté de la demande. Cela fait ressortir la nécessité d'analyser à la fois des panels (échantillons permanents) à court terme et à plus long terme. À l'heure actuelle, les données de l'ELTE pourraient servir à examiner la mobilité à court terme. Toutefois, en envisageant les questions qui se posent à plus long terme, il serait utile, notamment, que l'ELTE renferme des renseignements plus détaillés sur les raisons pour lesquelles les travailleurs ont quitté leur der- nier emploi. Si une personne a quitté son dernier emploi pour rechercher de 300 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES « meilleures perspectives de carrière », il y aurait lieu de connaître la nature de ces perspectives de carrière (de meilleures possibilités de formation, de meilleures PTHR offertes par l'employeur ou de meilleures conditions de travail). Il serait aussi intéressant d'examiner les décisions des travailleurs en ma- tière de migration entre des entreprises situées au Canada et aux États-Unis. Idéalement, cela nécessiterait une base de données longitudinales employeurs- employés renfermant des renseignements recueillis auprès des employeurs et des employés des deux pays. Quatrièmement, il serait utile d'examiner attentivement les liens entre les stratégies commerciales des entreprises et les systèmes de travail. L'utilisation de PTHR devrait être un élément de la stratégie globale des entreprises. Par conséquent, il y aurait lieu d'explorer la relation entre les divers aspects de la stratégie d'entreprise et l'utilisation de certaines pratiques de gestion des res- sources humaines ou des relations industrielles (comme les régimes de rémuné- ration flexible, les investissements en capital humain, etc.). Parmi les dimensions stratégiques pertinentes, il y a le fait que l'entreprise cherche à être un producteur à rémunération élevée ou faible, la présence d'un lien possible entre l'adoption de méthodes ou systèmes de production et une stratégie tech- nologique particulière, ou encore la possibilité qu'une stratégie de ressources humaines particulière attire des travailleurs qualifiés. Enfin, des recherches supplémentaires sont requises afin d'améliorer notre compréhension de la façon dont les contextes institutionnels, juridiques et réglementaires peuvent influer sur la mise en œuvre et la composition des PTHR dans les entreprises. Certains aspects du contexte institutionnel in- fluent-ils sur le type de PTHR adopté, ou sur l'intensité d'utilisation de ces pratiques? Le contexte institutionnel influe-t-il sur la diffusion des pratiques efficaces de gestion des ressources humaines? Les données de l'ELTE ne per- mettent qu'une analyse limitée de ces questions parce que nous ne nous atten- dons pas à une grande variation entre les cadres institutionnels et, notamment, juridiques et réglementaires au Canada. Dans ce cas, l'analyse des données de l'ELTE devrait être complétée par l'analyse de données portant sur d'autres pays (les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, par exemple). NOTES 1 La plupart des données issues de la recherche empirique portent sur les États- Unis; voir les synthèses de Becker et Huselid (1998), Guest (1997) et Ichniowski et coll. (1996). Pour des données récentes, voir Black et Lynch (2001), Cappelli et Neumark (2001) et Huselid (1995). 2 Voir Zhao (2000) et Zhao, Drew et Murrav (2000). 301 CHAYKOWSKI ET SLÛTSVE 3 Les pratiques innovatrices sont considérées comme non traditionnelles ou innova- trices du point de vue de la vaste documentation sur les relations industrielles, et elles sont souvent, mais non toujours, associées à des systèmes de travail à haut rendement. 4 Y compris l'intégration organisationnelle, le recours à des travailleurs temporaires, le recours à des travailleurs à temps partiel, la réingénierie et la réduction du nombre de paliers de gestion. 5 Y compris les horaires flexibles, la rotation des postes et la polyvalence, la gestion de la qualité totale, la conception souple des postes, les équipes de résolution de problèmes et les groupes de travail autogérés. 6 Y compris les programmes de suggestions, le partage de l'information et les comi- tés patronaux-syndicaux. 7 Par exemple, les mesures incitatives individuelles, le partage des gains, le partage des bénéfices et la rémunération au mérite. 8 Voir, par exemple, Verma et Chaykowski (1999) et Betcherman et coll. (1994). 9 Voir, par exemple, l'analyse de Cappelli, Bassi, Katz, Knoke, Osterman et Useem, 1997. 10 Doeringer et Piore (1971) présentent une description classique des marchés du travail internes, tandis que Piore et Sabel (1984) offrent une évaluation des pres- sions qui s'exercent en vue de transformer le système de production de masse. 11 Pour un examen et une analyse de cette évolution, voir Katz et Darbishire (2000), Betcherman et Lowe (1997), Cappelli et coll. (1997) et Bélanger, Edwards et Haiven (1994). Voir Verma et Chaykowski (1999) et Cappelli et coll. (1997) pour une éva- luation des modèles émergents d'emploi et de milieu de travail, et Applebaum, Bailey, Berg et Kalleberg (2000) et Applebaum et Batt (1994) sur la question de la transformation des systèmes production. 12 Pour des données récentes et une analyse de l'incidence des PTHR, voir Betcherman (1999) et Osterman (1994, 2000). 13 Voir, par exemple, Addison, Siebert, Wagner et Wei (2000), Bartel (1994), Bhargava (1994), Black et Lynch (2001), Ichniowski, Shaw et Prennushi (1997), Huselid (1995), Kruse (1993), Lanoie, Raymond et Shearer (1996), MacDuffie (1995), Shepard, Clifton et Kruse (1996), Cooke (1994) et Conte et Kruse (1991). 14 Gunderson (2002) présente un examen exhaustif des études empiriques sur les effets d'un large éventail de pratiques de travail adoptées par les entreprises. 15 Dans ce qui suit, nous nous préoccupons exclusivement des pratiques organisa- tionnelles innovatrices que l'on pourrait raisonnablement classer comme pratiques de travail à haut rendement (PTHR). 16 C'est-à-dire sans égard à la substituabilité du travail et du capital. 17 La fonction de production CES est définie pour 0 ^ p < 1. En supposant que y = 1, l'élasticité de substitution est donnée par a = 1 / 1 - p. Dans ce cas, à mesure que p —» 1, a —» oo et la fonction de production est linéaire (il y a substituabilité par- faite des intrants); à mesure que p —» —co, a —» 0, ce qui donne une fonction de production de type Leontief (aucune substituabilité des intrants) ; enfin, à mesure que p —» 0, a —» 1, ce qui donne une fonction de production Cobb-Douglas. Lorsque - < p < 1, alors 0 < C T < co, et la fonction de production est caractérisée par une substituabilité imparfaite des intrants. 302 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES 18 Afin d'établir une distinction entre les entreprises, nous pourrions utiliser l'indice i pour toutes les variables. Nous supprimons ces indices jusqu'à une étape ultérieure dans l'étude. 19 La fonction de production affiche des rendements d'échelle constants lorsque y = 1 et des rendements d'échelle décroissants lorsque y < 1. 20 La fonction d'offre et la fonction de bénéfices ne sont définies que pour y < 1. 2.1 Nous avons supposé un horizon à long terme dans lequel a, b, c, S, 17 et K sont variables. Alternativement, à moyen terme, a, b, c, S et U sont variables et K est fixe; en d'autres termes, nous définissons le moyen terme comme étant une pé- riode de temps durant laquelle au moins un facteur est fixe (K) mais où les PTHR sont variables. À court terme, S et U sont variables et a, b, c et K sont fixes; en d'autres termes, nous définissons le court terme comme étant une période de temps durant laquelle non seulement le capital, mais aussi les PTHR, sont fixes. 22 Plus précisément, une augmentation de w b réduit la demande de b par rapport à la demande de S; à mesure que w b augmente, la demande de l'entreprise pour les in- trants PTHR b diminue par rapport à la demande pour les intrants PTHR a; à me- sure que — . où X; désigne le bien i (i = 1,2), 0 ^ r < 1, et le paramètre ^ (^ < 1) traduit les goûts des consommateurs (modificateur de la demande). INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES La contrainte budgétaire à l'échelle de l'économie est rendue par : Par souci de commodité, nous définissons la demande marshallienne rela- tive comme étant : Un déplacement des goûts des consommateurs vers 1 (augmentation de £,) entraîne une augmentation de la demande du bien 1 par rapport à la demande du bien 2. Autrement dit, en différenciant l'équation (35) par rapport à £,, nous obtenons : A l'équilibre, la demande de chaque bien est égale à l'offre de chaque bien. Autrement dit, X, = Y,. 315 où pi désigne le prix du bien z et I désigne le revenu. En maximisant l'équation (31) sous la contrainte de l'équation (32), nous obtenons des fonctions de demande marshallienne : CHAYKOWSKI ET SLOTSVE APPENDICE C TABLEAU Cl STATISTIQUES SOMMAIRES SUR LES VARIABLES DE LA CONCURRENCE (POURCENTAGE) 0 1 2 DEGRÉ DE CONCURRENCE Sans objet Pas important Peu important Important Très important Crucial PRIX PAR RAPPORT À LA CONCURRENCE PERFORMANCE PAR RAPPORT À LA CONCURRENCE Bien moins bonne Moins bonne Semblable Meilleure Bien meilleure UNITÉ NOUVEAU DE RH PRODUIT Non 92,98 51,02 Oui 7,02 48,98 IMPORTANCE DE LA STRATÉGIE Sans objet Pas importante Peu importante Importante Très importante Cruciale CONCURRENCE À L'ÉCHELLE NATIONALE 2,12 41,12 56,76 CONCURRENCE À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE 53,21 24,70 22,09 LOCAL CANADA ÉTATS-UNIS RoM 10,44 34,92 5,23 1,95 10,10 8,90 23,57 19,89 29,23 22,63 21,43 11,70 57,45 73,67 4,08 5,57 5,18 4,57 12,01 5,05 13,11 5,97 8,18 5,16 PLUS ÉLEVÉ SEMBLABLE MOINS ÉLEVÉ 13,81 PRODUCTIVITÉ 0,66 5,24 39,25 35,78 19,07 PRODUIT NOUVEAU AMÉLIORÉ PROCÉDÉ 44,17 60,22 55,83 39,78 NOUVEAUX MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES 29,64 11,94 11,56 26,86 15,67 4,33 72,05 14,14 RENTABILITÉ 0,76 15,15 43,47 28,88 11,75 INFORM. PROCÉDÉ RÉSISTANCE GOUV. SUR AMÉLIORÉ AUCHANG. LES MARCHÉS 52,89 85,24 94,99 47,11 14,76 5,01 MEILLEUR MEILLEURE PRODUIT PERFORMANCE 4,49 .5,16 1,21 2,58 4,20 9,10 29,01 42,78 41,04 31,75 20,05 8,64 316 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES TABLEAU C2 STATISTIQUES SOMMAIRES SUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL (POURCENTAGE) DISPONIBILITÉ Non Oui DISPONIBILITÉ Non Oui DISPONIBILITÉ Non Oui DISPONIBILITÉ Non Oui INCITATION PARTAGE DES PART AG E DES RÉMUNÉRATION INDIVIDUELLE GAINS BÉNÉFICES AU MÉRITE 52,63 47,37 PROGRAMME DE SUGGESTIONS DES EMPLOYÉS 68,59 31,41 82,97 17,03 PARTAGE DE INFORMATION 51,71 48,29 PLUS DE MAIN- PLUS DE MAIN- PLUS GRANDE D'ŒUVRE D'ŒUVRE À INTÉGRATION TEMPORAIRE TEMPS PARTIEL 73,72 93,19 26,28 6,81 ADOPTION RECOURS DES ACCRU À LA HORAIRES ROTATION FLEXIBLES DES POSTES 77,77 73,27 22,23 26,73 85,86 14,14 82,29 69,49 17,71 30,51 COMITÉ PATRONAL-OUVRIER 81,59 18,41 RÉDUCTION DES PALIERS RÉINGÉNIERIE DE GESTION 62,53 93,50 37,47 6,50 APPLICATION DE LA ÉQUIPES DE GESTION DE CONCEPTION RÉSOLUTION ÉQUIPES DE LA QUALITÉ SOUPLE DE TRAVAIL TOTALE DES POSTES PROBLÈMES AUTOGÉRÉES 76,55 68, 23,45 31, ÉTENDUE DE LA FORMATION STRUCTURÉE Inf. à la moyenne Sup. à la moyenne 62,35 37,65 14 75,02 90,04 86 24,98 9,96 ÉTENDUE DE LA FORMATION EN COURS D'EMPLOI 56,85 43,15 317 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE TABLEAU C3 MATRICE DE CORRÉLATION DES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIEES A DES SYSTEMES DE TRAVAIL A HAUT RENDEMENT Orgchg Orgchgl OrgchgS Orgchgé Orgchg? OrgchglO Orgchg Orgcghl OrgchgS Orgchgô Orgchg? OrgchglO 1,0000 0,7444 1,0000 0,4289 0,1064 1,0000 0,6122 0,3065 0,2679 1,0000 0,7735 0,4724 0,1526 0,2480 1,0000 0,3714 0,1119 0,0495 0,0472 0,1847 1,0000 Wrkorg Orgchg9 Orgchgl 1 Orgchg 12 Wrk_org2 Wrk_org4 Wrk_org6 Wrkorg Orgchg9 Orgchgl 1 Orgchgl2 Wrk_org2 Wrk org4 Wrk orge 1,0000 0,6251 1,0000 0,6751 0,3188 1,0000 0,6281 0,2537 0,4499 1,0000 0,6813 0,3358 0,2862 0,2093 1,0000 0,6532 0,2736 0,2515 0,2757 0,3659 1,0000 0,4432 0,1147 0,1453 0,1108 0,2739 0,2413 1,0000 Empin Wrk_orgl Wrk_org3 Wrk_org5 Empin Wrk_orgl Wrk_org3 Wrk_org5 1,0000 0,7470 1,0000 0,8081 0,4033 1,0000 0,6389 0,2062 0,3090 1,0000 Fcomp Incen Gains Proft Merit Fcomp Incen Gains Proft Merit 1,0000 0,7285 1,0000 0,6565 0,2833 1,0000 0,5475 0,1808 0,2418 1,0000 0,6958 0,3380 0,3013 0,1329 1,0000 Trning Fmltrn_el Ojttrn el Trning Fmltrn el Ojttrn el 1,0000 0,8194 1,0000 0,8280 0,3569 1,0000 318 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES TABLEAU C4 RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES INDÉPENDANTES Hpwpl f assets cmp dom cmp_int prc lev prf39_a prf39_c FMining Const TSW CUtil RComm Fins REstate BService EducHC ICulture 0,0009 (0,002) 0,1794** (0,098) 0,1174 (0,094) -0,2138** (0,109) 0,0041 (0,076) 0,0056 (0,093) 0,5162 (0,377) 0,2913 (0,301) 0,3647 (0,242) 0,3944** (0,199) 0,4994* (0,189) 0,5469** (0,307) 0,5669** (0,307) 0,2224 (0,216) 0,2823 (0,343) 0,6500* (0,248) VARIABLES DÉPENDANTES Orgchg Wrkorg Empin -0,0008 (0,002) 0,3053* (0,116) 0,1565** (0,091) -0,1883 (0,140) -0,0980 (0,079) -0,0568 (0,069) 0,7198* (0,293) 0,1871 (0,275) 0,1471 (0,209) 0,5083* (0,198) 0,0602 (0,187) 0,4988** (0,293) 0,3627 (0,242) 0,2527 (0,182) -0,0266 (0,322) 0,7057* (0,241) -0,0024 (0,002) 0,1533 (0,114) 0,1086 (0,099) -0,1304 (0,115) -0,0065 (0,067) -0,0375 (0,068) 0,3504 (0,243) -0,0981 (0,285) -0,0430 (0,166) -0,0634 (0,229) 0,1211 (0,172) 0,1029 (0,254) -0,0284 (0,288) 0,1889 (0,217) -0,1515 (0,544) -0,0599 (0,206) 0,0010 (0,002) 0,2995* (0,116) 0,0005 (0,094) -0,1245 (0,126) -0,1287 (0,093) 0,0482 (0,076) 0,1662 (0,230) -0,1383 (0,276) -0,0751 (0,182) -0,0714 (0,242) 0,1041 (0,260) 0,0225 (0,306) -0,1285 (0,313) 0,0966 (0,261) 0,0702 (0,475) -0,0003 (0,215) Fcomp 0,0053* (0,001) 0,2585* (0,109) -0,0981 (0,100) -0,2839* (0,118) 0,1243 (0,090) -0,0593 (0,077) -0,1932 (0,246) 0,1217 (0,229) -0,1694 (0,189) -0,1082 (0,182) -0,1061 (0,191) -0,0051 (0,287) 0,0918 (0,301) -0,0271 (0,255) -0,7109 (0,489) 0,5681* (0,256) Trning 0,0008 (0,002) -0,0192 (0,107) 0,0889 (0,087) -0,0913 (0,147) 0,0427 (0,087) 0,0122 (0,097) 0,6005** (0,307) 0,3594 (0,267) 0,4289* (0,215) 0,4686* (0,213) 0,5953* (0,220) 0,4965 (0,300) 0,4526 (0,279) 0,2815 (0,221) 0,7467 (0,584) 0,5914* (0,281) 319 TABLEAU C4 (SUITE) RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES INDÉPENDANTES Hpwpl Atlantique Québec Prairies Alberta C.-B. pft pslad ptcun hrunit cba_prop revamp new_prd impv prd new_prc impv prc techres mktinfo 0,3939** (0,222) -0,2488 (0,157) 0,0915 (0,254) 0,1883 (0,273) 0,1215 (0,223) 0,0628 (0,302) 0,1204 (0,426) -0,2205 (0,333) 0,2562 (0,185) 0,6009* (0,225) -6,74e-8 (l,65e-7) 0,1780 (0,150) -0,058 (0,167) 0,3672* (0,176) 0,6155* (0,183) 0,1197 (0,153) 0,1546 (0,263) VARIABLES DÉPENDANTES Orgchg Wrkorg Empin 0,2986** (0,181) -0,2458 (0,167) -0,2046 (0,199) -0,1028 (0,214) 0,4783* (0,180) -0,4940* (0,238) 0,3416 (0,384) 0,6045 (0,310) 0,2750** (0,153) -0,3728 (0,247) l,31e-7 (l,80e-7) 0,3630* (0,140) -0,0617 (0,167) 0,3689* (0,180) 0,3737* (0,177) 0,1025 (0,138) 0,4078* (0,170) -0,4763* (0,190) -0,3788* (0,143) -0,5016* (0,214) 0,0367** (0,222) -0,0083 (0,191) 0,0670 (0,334) 0,0518 (0,456) 0,2178 (0,374) -0,0739 (0,174) 0,0159 (0,175) -3,27e-7 (2,21e-7) 0,1347 (0,127) 0,1157 (0,153) 0,3304 (0,169) 0,3707* (0,158) -0,0419 (0,151) 0,2812 (0,218) -0,2871 (0,198) -0,3609* (0,166) -0,2489 (0,240) 0,1019 (0,247) 0,0328 (0,192) -0,2208 (0,316) -0,1524 (0,407) -0,2957 (0,327) 0,1617 (0,192) 0,8741* (0,193) -l,57e-7 (l,89e-7) 0,1422 (0,135) 0,0254 (0,141) 0,1225 (0,156) 0,5558* (0,154) -0,1038 (0,162) 0,1424 (0,271) Fcomp 0,1457 (0,222) -0,2108 (0,190) 0,2604 (0,262) 0,5761* (0,251) -0,0362 (0,227) 0,3376 (0,333) 0,0663 (0,451) -0,5600** (0,325) 0,5517* (0,175) -0,2951 (0,192) 2,40e-7 (l,58e-7) -0,0031 (0,146) 0,0304 (0,187) -0,0845 (0,210) 0,1724 (0,232) 0,3406** (0,196) 0,3301 (0,209) Trning 0,1401 (0,196) 0,1817 (0,186) 0,3606 (0,247) 0,4585* (0,210) -0,0296 (0,198) 0,2068 (0,314) 0,1039 (0,477) -0,2847 (0,376) 0,3536* (0,159) 0,6267* (0,219) -5,73e-9 (l,53e-7) -0,1167 (0,138) 0,0234 (0,174) 0,3041 (0,202) 0,2665 (0,216) -0,1774 (0,181) 0,0765 (0,242) 320 chaykowskiet slotsve INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES TABLEAU C4 (SUITE) RÉSULTATS PROBIT ORDONNÉS POUR LES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES ET DE TRAVAIL ASSOCIÉES À DES SYSTÈMES DE TRAVAIL À HAUT RENDEMENT VARIABLES VARIABLES DÉPENDANTES INDEPENDANTES Hpwpl strtgy4 strtgyô strtgylS cut_l eut 2 cut_3 eut 4 eut 5 cut_6 N Log-L PseudoR 2 0,1078* (0,040) 0,2500* (0,076) 0,0304 (0,065) 2,4100 3,7878 5,6028 120374 -99917 0,2007 Orgchg 0,0774** (0,041) 0,2074* (0,068) 0,0086 (0,083) 1,6268 2,2930 3,0894 3,9967 5,1676 120374 -126559 0,1507 Wrkorg 0,0450 (0,040) 0,2102* (0,066) 0,0739 (0,066) 1,4928 2,1198 2,7696 3,1524 3,5069 4,8027 120374 -168525 0,1000 Notes : Les erreurs types initiales figurent entre parenthèses. * (**) signifie que la valeur est statistiquement différente de 95p. 100 (90 p. 100). Empin 0,0832** (0,042) 0,1622* (0,057) -0,0184 (0,075) 0,6841 1,4841 2,5023 120374 -134 442 0,1082 Fcotnp 0,0415 (0,045) 0,1491** (0,076) 0,0304 (0,072) 0,3866 1,2387 2,0616 2,9006 120374 -154 194 0,0905 zéro pour un intervalle de Trning 0,0482 (0,044) 0,2208* (0,066) -0,0897 (0,067) 1,5678 2,4645 120374 -116549 0,0922 confiance de 321 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE Commentaire Peter Kuhn Université de la Californie C ETTE ÉTUDE ABORDE DEUX QUESTIONS. Premièrement, quelle est l'incidence probable d'une concurrence étrangère accrue sûr l'adoption de « pratiques de travail à haut rendement » (PTHR) dans les entreprises cana- diennes? Deuxièmement, quels sont les effets probables tant des PTHR que de l'intégration économique sur la mobilité de la main-d'œuvre entre le Canada et les États-Unis? Afin d'examiner ces deux questions, l'étude fait appel à deux méthodes. L'une est un modèle théorique formel de l'adoption des PTHR. En partie, ce modèle vise à faire ressortir des effets possibles de l'intégration éco- nomique que nous n'aurions pas décelés autrement. La seconde méthode consiste en un examen empirique de l'incidence des PTHR dans un échantillon récent d'entreprises canadiennes. Dans mon commentaire, j'aborderai d'abord les sections théoriques et em- piriques de l'étude de Chaykowski et Slotsve. Je présenterai ensuite certaines données de référence pertinentes à leur étude en émettant des hypothèses sur les raisons fondamentales qui sous-tendent les tendances examinées dans l'étude : Pourquoi observe-t-on une tendance aussi forte vers l'adoption des PTHR (y compris un plus grand recours à la rémunération au rendement et une inégalité accrue des salaires) et vers l'intégration économique dans de nombreux pays, dont le Canada et les États-Unis? THÉORIE LE MODÈLE D'ADOPTION DES PTHR utilisé par Chaykowski et Slotsve nous invite à imaginer une entreprise représentative qui doit s'accommoder du prix en vigueur. Cette entreprise est établie soit dans un pays où l'écart salarial entre la main-d'œuvre qualifiée et la main-d'œuvre non qualifiée est important (États-Unis) ou faible (Canada). L'intégration économique des deux pays est modélisée sous la forme d'une augmentation de l'écart salarial entre les travail- leurs qualifiés et non qualifiés au Canada et d'une baisse (probablement beau- coup plus limitée) de l'écart salarial aux États-Unis. Le mécanisme précis par lequel l'intégration économique engendre ces changements au niveau des salaires 322 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES n'est pas modélisé, mais cette approche semble représenter une façon plausible d'amorcer une réflexion sur ces questions 1 . Au sein de l'entreprise représentative, trois types de PTHR sont modéli- sés, chacune correspondant à un facteur de production « brut » : le capital, la main-d'œuvre qualifiée et la main-d'œuvre non qualifiée. En outre, les PTHR sont modélisées d'une façon qui pourrait paraître étrange à des chercheurs en relations industrielles : les PTHR de chaque type sont « achetées » à un prix fixe par unité, puis conjuguées à un facteur brut pour produire plus d'unités « effectives » de ce facteur. Manifestement, cette procédure repose sur l'utilisation d'une technique de modélisation familière aux économistes. Mais il serait utile que les auteurs expliquent la façon dont leurs « PTHR » qui « ac- croissent le capital », qui « accroissent la main-d'œuvre qualifiée » et qui « ac- croissent la main-d'œuvre non qualifiée » correspondent aux catégories plus familières de PTHR (par exemple la production en équipe, la rémunération au rendement, la participation des employés, etc.) employées par les chercheurs dans le domaine des relations industrielles ainsi que par les auteurs eux-mêmes dans leurs travaux empiriques. De façon connexe, comment devrions-nous envisager les 'prix' de ces PTHR? Ainsi, devrions-nous envisager, disons, un régime de primes comme étant une PTHR à coefficient élevé de main-d'œuvre qualifiée qui permet à l'entreprise d'obtenir un plus grand effort de travail de la part de ses travailleurs qualifiés? Le cas échéant, quel serait le 'prix' de ce ré- gime de primes? Ce prix est-il mesurable et de quoi dépend-il? On peut poser des questions similaires pour les autres types de PTHR; en général, il serait utile d'avoir de plus de détails sur ce qui constitue plus précisément la contrepartie réelle des constructions théoriques des auteurs. A la lumière des commentaires qui précèdent, nous nous demandons si une approche reposant sur la théorie des rapports mandant-mandataire ou sur la théorie économique du personnel serait plus utile que l'approche actuelle, qui fait davantage appel à la théorie économique traditionnelle de l'entreprise. [Pour d'excellents exemples récents de l'application de l'approche mandant- mandataire aux questions de rémunération qui se posent dans le monde réel, voir les analyses de Carmichael et MacLeod consacrées à la polyvalence (1993) et à la rémunération incitative (2000) ]. Une approche fondée sur la théorie des rapports mandant-mandataire modéliserait explicitement les questions de risque moral, de conception des postes, de production par équipe et d'engagement de l'entreprise, qui ont toutes un rôle important à jouer dans l'élaboration des systèmes actuels de PTHR. Ces réserves mises à part, que propose le modèle de Chaykowski et Slotsve au sujet des effets probables de l'intégration économique sur l'adoption des PTHR au Canada? Par hypothèse, l'intégration économique rend la main- d'œuvre qualifiée plus coûteuse au Canada. En conséquence, les entreprises 323 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE utiliseront moins d'unités de main-d'œuvre qualifiée (mesurées tant en unités brutes qu'en unités effectives, bien que la notion pertinente sur le plan empirique soit probablement celle des unités brutes). Par contre, les auteurs soutiennent aussi que l'utilisation de PTHR à coefficient élevé de main-d'œuvre qualifiée (b dans la notation des auteurs) devrait augmenter au Canada par rapport à l'utilisation de certains autres intrants (dont le nombre de travailleurs qualifiés en poste). Bref, ils affirment que, si les salaires des travailleurs qualifiés aug- mentent au Canada en raison de l'intégration économique avec les États-Unis, la réaction des entreprises canadiennes qui veulent maximiser leurs bénéfices sera d'employer moins de travailleurs qualifiés, mais aussi d'appliquer plus de PTHR à ces travailleurs. L'application de cet 'onguent' coûteux de PTHR aux travailleurs qualifiés permettra d'extraire des unités de travail plus effectives de ce groupe. Cela est possible. Mais il se peut aussi que la plus grande rareté de la main-d'œuvre qualifiée au Canada rende ces travailleurs plus réticents devant les tentatives des entreprises pour obtenir d'eux un plus grand effort par des régimes d'incitation liés à des PTHR. Encore une fois, nous pensons qu'un modèle reposant sur la théorie des rapports mandant-mandataire permettrait d'aborder plus efficacement les questions fondamentales qui se posent ici. Enfin, quelles sont les répercussions de l'intégration économique sur le plan de la mobilité de la main-d'œuvre dans le modèle des auteurs. 7 Première- ment, ils affirment qu'avant l'intégration, les travailleurs qualifiés étaient inci- tés à quitter le Canada (parce que leur rémunération y était inférieure), tandis que les travailleurs non qualifiés étaient incités à quitter les Etats-Unis (bien qu'il ne soit pas évident qu'ils auraient été admis au Canada). Cela est assuré- ment vrai si les travailleurs n'accordent aucune importance aux PTHR. Ce- pendant, si (comme les auteurs l'affirment eux-mêmes) les PTHR entrent, positivement ou négativement, dans les fonctions d'utilité des travailleurs, il n'en sera pas nécessairement ainsi. Les travailleurs qualifiés peuvent être heu- reux de demeurer au Canada en dépit des salaires inférieurs qui y prévalent si le rythme de travail est plus détendu. C'est là un point utile dans le contexte de l'émigration Canada-États-Unis qui n'est pas souvent mentionné; peut-être aiderait-il à expliquer la mauvaise performance du Canada sur le plan de la productivité au cours des dernières décennies. Supposons néanmoins que les travailleurs qualifiés canadiens aient une incitation nette à émigrer avant l'intégration économique. Comment l'intégration influera-t-elle sur cette incitation? L'intégration (qui, soulignons- le, pourrait elle-même être constituée de l'émigration antérieure) réduira l'incitation qu'ont les travailleurs qualifiés à émigrer du Canada parce qu'elle haussera leur rémunération. Toutefois, selon le modèle des auteurs, l'intégration pourrait accroître les PTHR au Canada. Si cela réduit l'utilité des travailleurs (disons, en intensifiant le rythme de travail), il y aura alors un effet 324 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES contraire qui rendra moins attrayant le fait de demeurer au Canada. La boucle de rétroaction positive qui en résulte laisse entrevoir la possibilité d'une situa- tion instable, alors que l'émigration antérieure accroît l'importance des facteurs qui favorisent la poursuite du mouvement d'émigration. Cependant, lorsque les travailleurs accordent de l'importance aux PTHR, la façon appropriée de mo- déliser les entreprises n'est pas de les assimiler à des preneurs de prix (comme dans le présent modèle), mais à des preneurs d'utilité (comme dans les travaux publiés sur les écarts compensatoires; voir, par exemple, Rosen, 1974). Si les entreprises sont modélisées de cette façon, je soupçonne que cette possibilité intrigante disparaîtra. ANALYSE EMPIRIQUE DANS LEUR ANALYSE EMPIRIQUE, les auteurs utilisent une enquête récente de Statistique Canada, l'Enquête sur le lieu de travail et les employés (ELTE), afin d'examiner l'incidence des PTHR dans un échantillon d'entreprises canadiennes. Dans le contexte de l'analyse théorique qui précède, les auteurs sont notam- ment intéressés par le lien entre les mesures de la concurrence étrangère à laquelle est exposée l'entreprise et le recours à des PTHR. Certes, c'est là une question intéressante qui touche à au moins trois notions intuitives distinctes mais interdépendantes. Premièrement, il se pourrait que le 'choc' de la concur- rence étrangère oblige les entreprises canadiennes à tirer davantage parti de leur effectif — une intensification de l'effort peut résulter d'une exposition à une plus grande concurrence. Deuxièmement, la concurrence étrangère peut susciter l'adoption de techniques de gestion des ressources humaines corres- pondant aux meilleures pratiques qui, autrement, se diffuseraient plus lente- ment. Dans cette seconde vision, les PTHR représentent une innovation technologique qui hausse la production sans nécessairement accroître l'effort. Troisièmement, il se pourrait simplement que les entreprises canadiennes qui ont adopté des pratiques de travail innovatrices soient les seules à choisir de rivaliser sur les marchés d'exportation ou à pouvoir le faire. Dans cette dernière vision, les PTHR sont la 'cause' de la concurrence étrangère et non l'inverse. Un lien transversal positif entre la concurrence étrangère (ou même na- tionale) et les PTHR concorde avec les trois hypothèses énoncées précédem- ment. Un point important à signaler, toutefois, est que cela n'est pas implicite dans le modèle théorique des auteurs. Dans ce modèle, l'intégration économique agit par l'intermédiaire de la convergence internationale des salaires relatifs des travailleurs qualifiés et non qualifiés. Normalement, le fait que ces travailleurs soient mobiles entre les industries d'un pays incite à penser que les prix de ces facteurs sont établis au niveau de l'ensemble de l'économie et non au niveau de l'industrie ou de l'entreprise. Pour que le mécanisme décrit par les auteurs in- flue sur les écarts observés entre les entreprises canadiennes dans l'utilisation 325 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE des PTHR, les marchés du travail devraient être fortement segmentés d'une industrie à l'autre au pays, tout en étant individuellement assez sensibles à l'intégration canado-américaine. Cela semble peu probable. Ainsi, même si l'analyse empirique des auteurs m'intéresse au plus haut point, je ne la consi- dère pas comme étant directement pertinente à leur modèle théorique. Pour la plus grande part, l'analyse empirique des auteurs est assez simple; par conséquent, je ne commenterai pas en détail la méthodologie. Cependant, soulignons que leurs résultats sont à la fois intéressants et inattendus : en géné- ral, les PTHR sont associées à une plus grande concurrence sur les marchés de produits. Mais c'est la concurrence interne, et non étrangère, qui est principa- lement associée aux PTHR. Cela n'est pas nécessairement étonnant parce que la plus grande partie de la concurrence à laquelle sont exposées les entreprises nationales provient d'autres entreprises évoluant sur le marché national; les concurrents internationaux sont importants mais ils ne constituent pas la prin- cipale cause de préoccupation de la plupart des entreprises canadiennes. Le seul élément des PTHR qui est associé à une plus grande concurrence étran- gère est la formation. Je conclurai cette section par une observation au sujet des méthodes et une autre au sujet de l'interprétation des résultats. Les principales régressions des auteurs sur l'incidence des PTHR (présentées dans le tableau 6) renferment des variables de contrôle pour la productivité de l'entreprise (Rel. Prod'y : la productivité relative comparée à celle des principaux concurrents). L'examen que font les auteurs de cette variable révèle qu'ils considèrent qu'elle est de nature endogène — il est probable que les PTHR sont adoptées en vue d'accroître la productivité de l'entreprise. Le cas échéant, la logique qui sous- tend le maintien de la productivité à un niveau constant dans l'analyse visant à déterminer quelles entreprises adoptent des PTHR est, au mieux, douteuse. Aussi, je voudrais savoir dans quelle mesure les principaux résultats obtenus par les auteurs changeraient si cette variable était retranchée de la régression. En ce qui a trait à l'interprétation, il serait tentant pour certains d'interpréter les résultats des auteurs comme s'ils signifiaient que la concur- rence étrangère incite les entreprises à offrir plus de formation à leurs travail- leurs. Ce n'est pas le cas. Il se pourrait simplement que seules les entreprises ayant une main-d'œuvre bien formée choisissent de livrer concurrence sur les marchés d'exportation. En tentant de départager ces deux hypothèses, les au- teurs feraient bien d'envisager diverses approches déjà appliquées dans l'abondante documentation récente sur le lien entre la propension des entreprises à exporter et leur productivité : la concurrence sur les marchés d'exportation force-t-elle les entreprises à devenir plus productives, ou est-ce que seules les entreprises productives choisissent-elles d'exporter? Des exemples utiles de ces 326 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES écrits récents sont ceux de Bernard et Jensen (1999) et de Hallward-Driemeier, larossi et Sokoloff (2002). QU'EST-CE QUI DÉTERMINE TOUT CELA? DANS L'ÉTUDE ET AU COURS DE L'ATELIER CONNEXE, les auteurs ont examiné les rapports entre les changements au niveau de l'organisation du travail, de la politique de rémunération, de l'inégalité salariale, des liens internationaux des marchés des produits et du travail, ainsi que l'intensification de l'effort de tra- vail. Tous ces éléments semblent évoluer de façon concertée et beaucoup de changements se renforcent mutuellement. Mais qu'y a-t-il derrière ce proces- sus? En partie pour pousser plus loin l'analyse présentée dans l'étude et en par- tie pour tenter de synthétiser certaines idées émanant de l'atelier, j'émets dans ce qui suit quelques hypothèses sur la cause sous-jacente possible. Production d'information et production de biens II est aujourd'hui largement accepté que les nations avancées comme le Canada et les États-Unis entrent dans l'économie de l'information, où l'essentiel du PIB est engendré non par la production de biens matériels ou de services person- nels 2 , mais par la production d'information. Nous avons fondamentalement l'impression que la technologie de production de l'information diffère de celle des biens, ce qui pourrait expliquer plusieurs des tendances relevées précé- demment. La caractéristique distinctive de la production d'information est tout sim- plement que, dans bien des cas, le coût marginal de la fourniture d'un élément donné d'information à un client supplémentaire est si faible que la production d'une entreprise ou d'un travailleur représente essentiellement un bien public. Élaborer un logiciel pour calculer l'impôt sur le revenu est coûteux. Mais une fois le logiciel produit, il ne coûte presque rien de le distribuer à un client sup- plémentaire sur cédérom ou Internet. À l'opposé, même s'il peut y avoir des économies d'échelle dans la production des chaussures ou d'une coupe de che- veux, le coût requis pour fournir des souliers ou une coupe de cheveux à un client supplémentaire est comparativement beaucoup plus élevé. Afin d'illustrer certaines des conséquences de la production des biens par rapport à la production de l'information pour les entreprises et les travailleurs, prenons l'exemple simple suivant d'une entreprise qui fabrique des chaussures. En faisant abstraction des coûts non liés au travail, le travailleur A dans cette entreprise produit des chaussures pour une valeur de 15 dollars l'heure, tandis que le travailleur B produit des chaussures pour une valeur de 30 dollars l'heure. Manifestement, l'entreprise pourra se permettre de payer le travailleur A jusqu'à 15 dollars l'heure, et le travailleur B jusqu'à 30 dollars l'heure. Un écart de 327 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE productivité de 100 p. 100 entre les deux travailleurs se traduit par un écart de 100p. 100 dans les recettes qu'engendrent ces travailleurs pour l'entreprise et par un écart de salaire d'au plus 100 p. 100 entre les deux travailleurs. Imaginons maintenant une entreprise qui produit un logiciel spécialisé en fiscalité distribué sur cédérom ou Internet. Dans cette entreprise, le travail- leur A peut développer le deuxième meilleur logiciel sur le marché. Le travail- leur B peut développer un logiciel qui, sous certains aspects fondamentaux, est 15p. 100 meilleur que celui développé par le travailleur A; cependant, cela en ferait le meilleur logiciel sur le marché. Parce que le logiciel peut être reproduit essentiellement sans frais, il est possible de servir tous les clients sur le marché, lesquels exigeront le meilleur logiciel (par contre, nous ne pouvons tous recou- rir aux services du même coiffeur ou du même cordonnier). Ainsi, en em- ployant le travailleur B, une entreprise peut engendrer des millions de dollars en recettes. Par contre, le travailleur A n'engendre aucune recette parce que le marché est desservi en totalité par une autre entreprise offrant un meilleur logiciel. Puisque la production (d'information) du travailleur est un bien public, un petit écart de productivité entre les travailleurs (15p. 100 dans notre exem- ple) peut se traduire par des différences astronomiques dans les recettes de l'entreprise. L'entreprise peut donc se permettre de verser au travailleur B des millions de dollars de plus qu'au travailleur A, même si B n'est que marginale- ment mieux en mesure de développer un logiciel que A. Le phénomène des 'biens publics' et de la rémunération élevée des 'superstars' qui desservent des marchés extrêmement vastes s'observe déjà depuis quelque temps dans les arts, les médias et les sports. Des modèles formels du phénomène sont déjà bien élaborés et connus (Rosen, 1981; Shapiro et Varian, 1999). Ce qui est nouveau est l'importance croissante de ce phénomène dans l'économie à mesure que de l'information facile à reproduire devient le principal bien que nous produisons. En tenant pour acquis que la production d'information est de plus en plus importante, je décris, dans la section suivante, certaines des consé- quences probables de cette tendance. Conséquences de la production d'information Une des conséquences évidentes de la technologie de production d'information est une amélioration générale de l'efficience économique. Comme l'a signalé Sherwin Rosen, avant que la musique ne puisse être enregistrée ou transmise sur les ondes, seules quelques personnes vivant dans les plus grandes villes avaient la possibilité d'entendre le meilleur chanteur d'opéra au monde. Au- jourd'hui, cela est à la portée de tous. Nous avons fondamentalement l'impression que nous sommes tous avantagés lorsque les biens d'information que la personne moyenne peut consommer représentent ce qu'il y a de mieux au monde. 328 INNOVATION ET RÉACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES Certaines autres répercussions de la production d'information ont déjà été notées. L'une est l'inégalité croissante des salaires, en particulier au sommet de la distribution des salaires : de modestes écarts de productivité peuvent se tra- duire par des écarts de rémunération beaucoup plus importants qu'auparavant. Une autre est le sentiment que les entreprises sont devenues plus 'concurren- tielles' : même en présence de différences importantes au niveau de la qualité des produits, deux fabricants de chaussures peuvent facilement coexister dans une ville parce que chacun ne peut servir qu'un nombre limité de clients. Par contre, les marchés du logiciel ont tendance à démontrer une concurrence de type 'tout au vainqueur'; ainsi, la rétribution marginale pour être le meilleur dans une industrie est devenue beaucoup plus importante, tandis que le second prix est devenu moins désirable. De façon similaire, on pourrait s'attendre à observer une tendance à l'intensification de l'effort : en gros, sur les marchés de type 'tout au vainqueur', il est préférable d'être le meilleur dans son industrie ou sa profession une seule fois que d'être seulement bon durant toute sa vie. Alors, pourquoi ne pas 'tout donner' afin d'obtenir ses 15 minutes de célébrité, pour ensuite ralentir la cadence? Les statistiques montrant qu'une fraction croissante des hommes et des femmes aux États-Unis travaillent de très longues heures par semaine et que l'augmentation du nombre d'heures travaillées est fortement concentrée parmi les travailleurs hautement qualifiés et rémunérés — dont le salaire réel augmente aussi rapidement (Kuhn et Lozano, 2002) — corroborent cette notion. La rhétorique que l'on entend dans les milieux d'affaires au sujet de l'importance accrue de T'excellence' et d'être le meilleur dans l'industrie pourrait avoir une signification réelle : elle pourrait traduire la dure réalité de la concurrence dans un monde où le principal produit que l'on offre est un bien public reproductible à un coût négligeable. Une dernière conséquence de la production d'information qui est tout particulièrement pertinente pour cette conférence est que, lorsqu'on produit de l'information, la taille du marché et l'accès au marché ont encore plus d'importance. C'est là une simple conséquence des économies d'échelle extrêmes qui caractérisent la production d'information : en ayant accès au marché amé- ricain, une entreprise canadienne de logiciels peut multiplier ses recettes par dix en contrepartie d'une hausse de coûts négligeable. Le fait que les biens que nous vendons sont, de plus en plus, des biens d'information comportant d'énormes économies d'échelle explique peut-être pourquoi la pression vers l'intégration des marchés a augmenté de façon aussi spectaculaire dans le monde ces dernières décennies. Bien entendu, comme Anderson et Helliwell l'ont affirmé au cours de l'atelier, l'accès au marché signifie beaucoup plus qu'une réduction des barrières au commerce. Pour les entreprises canadiennes qui desservent le marché améri- cain, l'accès au marché signifie comprendre les besoins et les désirs de la clientèle 329 CHAYKOWSKI ET SLOTSVE américaine potentielle aussi bien, voire mieux, que les entreprises américaines. Ce genre de compréhension est favorisé par la familiarité avec la culture améri- caine (culture d'affaires et culture populaire) et par de fréquents voyages et échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Même s'il est peu probable que cette notion soit bien accueillie par les nationalistes canadiens, le fait d'encourager de tels échanges est une initiative à laquelle les gouvernements canadiens devraient accorder plus d'importance afin de remporter le pari de la compétitivité dans un monde dominé par l'information. Sommaire Le passage de la production de biens à la production d'information pourrait avoir de profondes répercussions sur la structure des marchés tant des produits que du travail. Parmi celles-ci, il y a une inégalité croissante des salaires (du moins au sommet de la distribution des salaires), l'impression que les marchés de produits témoignent d'une compétitivité accrue, l'intensification de l'effort parmi les travailleurs hautement qualifiés et les pressions croissantes en vue d'une intégration internationale des marchés de produits. Si ce déplacement vers la production d'information est aussi important que je le soupçonne, il comporte au moins deux grandes conséquences pour le Canada sur le plan des politiques. L'une, déjà notée, est l'importance beaucoup plus grande que revêt l'accès aux marchés mondiaux (et la compréhension de ces marchés) comme élément clé d'une prospérité continue. Une autre pourrait être la nécessité de reconnaître que les marchés de type 'tout au vainqueur' qui pourraient caracté- riser la production d'information peuvent engendrer des rentes extrêmement élevées pour un petit nombre de personnes hautement qualifiées : les Cana- diens qui parviennent à desservir un marché mondial avec l'information de- mandée pourraient connaître beaucoup de succès et même créer des emplois convoités pour d'autres personnes en cours de route. En tant que société, les Canadiens doivent décider comment ils réagiront à cette tendance. Le pen- chant national pour l'égalité milite en faveur de l'imposition de ces gains excep- tionnels. Par contre, l'application d'une lourde fiscalité à ces gains risquerait de décourager ce genre de réussite au départ, ou même de favoriser une émigration des producteurs d'information, qui chercheront à se rapprocher de leur princi- pal marché et, ainsi, seront mieux en mesure d'en comprendre les besoins. Un certain arbitrage entre ces objectifs devra donc être fait. 330 INNOVATION ET REACTION SUR LE PLAN DES RELATIONS INDUSTRIELLES NOTES 1 À noter que ces changements hypothétiques des salaires ne peuvent pas être engendrés par une réduction des barrières au commerce dans la version actuelle du modèle parce qu'il n'y a qu'un seul bien de consommation; par contre, ils pourraient être engendrés par une mobilité accrue de la main-d'œuvre entre les deux pays. 2 Les services dispensés en personne, comme les coupes de cheveux et les massages, doivent être produits individuellement pour chaque client. BIBLIOGRAPHIE Bernard, A., et J.B. Jensen. Exporting and Productivity, mai 1999, NBER Working Paper No. 7135. Carmichael, L., et W.B. MacLeod. « Multiskilling and thé Japanese Firm », Economie Journal, vol. 103, n" 416 (janvier 1993), p. 142460. . « Worker Coopération and thé Ratchet Effect », Journal of Labor Economies, vol. 18 (janvier 2000), p. 1-19. Hallward-Driemeier, M., G. larossi, et K. Sokoloff. Exports and Manufacturing Productivity in East Asia: A Comparative Analysis with Firm-Level Data, avril 2002, NBER Working Paper No. 8894. Kuhn, P., et F. Lozano. « The Expanding Workweek: Understanding thé Increase in Long Work Hours among U.S. Men », Université de la Californie à Santa Barbara, novembre 2002. Document non publié. Rosen, S. « Hedonic Priées and Implicit Markets: Product Differentiation in Pure Compétition », journal ofPolitical Economy (janvier/février 1974), p. 34-55. . « The Economies of Superstars », American Economie Review (décembre 1981). Shapiro, C., et H. Varian. Information Rules: A Stratégie Guide to thé Network Economy, Boston, Harvard Business School Press, 1999. 331 This page intentionally left blank Panel II Evaluation de la portée des liens économiques / actuels entre le Canada et les Etats-Unis et de leurs coûts et avantages Accord de libre-échange et transformation économique Glen Hodgson Exportation et Développement Canada INTRODUCTION 1 D ANS LE CONTEXTE D'UNE ÉVALUATION de l'incidence économique de l'Accord de libre-échange (ALE) et de l'Accord de libre-échange nord- américain (ALENA), la présente étude aborde quatre questions : 1) le nouveau modèle du commerce qui fait son apparition dans le monde, 2) la transforma- tion économique survenue au Canada (ainsi qu'aux Etats-Unis et au Mexique) depuis la conclusion de l'ALE avec les États-Unis, 3) une 'expérience imagi- naire' de ce qu'aurait pu être la performance économique du Canada et du monde en l'absence de l'ALE et de l'ALENA, et 4) dans quelle direction s'oriente le commerce nord-américain? LE NOUVEAU MODÈLE DU COMMERCE - LES CHAÎNES D'APPROVISIONNEMENT MONDIALES LE PROCESSUS DE MONDIALISATION a provoqué des changements considérables dans le paysage économique international. La libéralisation des échanges, au 333 HODGSON, JACKSON ET MYERS niveau tant régional que multilatéral, favorise une plus grande spécialisation de la production par le biais d'un recours accru et systématique à des sources d'approvisionnement à l'étranger — ce que nous appelons le système de pro- duction de la chaîne d'approvisionnement mondiale. Les produits que nous utilisons aujourd'hui sont habituellement le fruit d'investissements et d'activités de production se déroulant dans de nombreux pays, seul l'endroit où se fait l'intégration finale étant indiqué explicitement sur l'emballage. L'Accord de libre-échange conclu entre le Canada et les États-Unis a joué un rôle clé dans le processus de mondialisation. Cet accord n'était pas le pre- mier grand accord de libre-échange régional, et l'on peut dire qu'il concernait autant l'accès au marché et le règlement des différends que l'abaissement des droits tarifaires entre le Canada et les États-Unis puisque la plupart des biens manufacturés traversaient déjà librement la frontière entre les deux pays. Néanmoins, l'ALE engageait les États-Unis et ses institutions politiques sur la voie d'une libéralisation du commerce et, partant, il a contribué à mettre en place les conditions propices à une expansion du libre-échange au niveau ré- gional (par le biais de l'ALENA) et à une libéralisation des échanges multilaté- raux grâce à la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'ALE et l'ALENA ont aussi constitué une source de motivation supplémen- taire pour d'autres pays et régions qui souhaitaient adopter des politiques plus ouvertes en matière de commerce et d'investissement. Avant la mise en place de l'ALE en 1989, les échanges commerciaux du Canada étaient le reflet d'une stratégie fondamentalement différente en ma- tière de politique commerciale, qui avait donné lieu à une économie manufac- turière de 'succursales' au Canada. Cette économie de succursales était essentiellement le fruit de la politique commerciale adoptée au début du ving- tième siècle pour accorder la préférence aux biens manufacturés au Canada sur les biens importés, en vue de développer la base industrielle du pays. Une des pierres angulaires de cette politique était un système de droits tarifaires qui haussait le coût des produits finis importés, les rendant moins concurrentiels sur le marché canadien. Cependant, la conséquence involontaire de cette poli- tique de protection tarifaire élevée a été de stimuler l'investissement étranger direct dans des succursales manufacturières au Canada en vue de contourner les barrières tarifaires et de desservir le marché canadien limité. Les répercussions de cette approche protectionniste ont été nombreuses et, pour la plupart, négatives. Au milieu des années 60, près de 60 p. 100 de la base manufacturière du Canada appartenait à des intérêts étrangers et était relativement inefficiente. Comme les succursales étaient conçues pour desservir un marché national de moins de 25 millions de consommateurs, elles avaient rarement une échelle optimale. Les activités de recherche-développement (R-D) et les taux de croissance de la productivité au Canada étaient sérieusement en deçà des tendances internationales. Les exportations canadiennes demeuraient 334 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS principalement axées sur les ressources, tandis que les importations avaient généralement un coefficient élevé de capitalisation. L'expansion internationale des entreprises canadiennes était aussi très limitée parce que peu d'entre elles possédaient la masse critique nécessaire pour affronter le marché mondial sur les plans du capital, des compétences et des produits ou services. Enfin, le compte courant de la balance extérieure du Canada affichait un déficit chroni- que, imputable en partie aux sorties nettes de dividendes, de remises et de bé- néfices liés aux investissements faits par des étrangers au Canada. La conclusion de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) au cours de la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale et la libéralisa- tion graduelle des échanges au niveau multilatéral ont progressivement abaissé le mur tarifaire canadien, mais la structure économique héritée du passé n'a évolué que lentement. TRANSFORMATION ÉCONOMIQUE DU CANADA sous L'EFFET DE L'ALE DEVANT LE MESSAGE CLAIR ÉMANANT DE L'ALE et les initiatives à l'appui d'une libéralisation du commerce bilatéral, les entreprises canadiennes ont été de plus en plus en mesure d'étendre leurs chaînes d'approvisionnement à l'échelle mondiale, collaborant avec des partenaires étrangers afin d'optimiser leur position concurrentielle sur les marchés internationaux. Cette rationalisa- tion et cette spécialisation visent à réaliser des bénéfices accrus en mettant l'accent sur les éléments où l'on excelle; derrière ce changement se profile une combinaison de productivité accrue, de coûts moins élevés et de contrôle de la qualité. Dans un régime commercial plus ouvert, l'investissement des entreprises canadiennes à l'étranger et l'investissement étranger direct (IED) entrant au Canada sont complémentaires plutôt que de se substituer au commerce interna- tional. Ce sont des instruments fondamentaux servant à établir une chaîne d'approvisionnement à l'échelle mondiale. Dans quelle mesure les choses ont-elles changé après l'avènement de l'ALE et de l'ALENA? Quelques données nous aident à brosser un tableau. Au Canada, les échanges totaux (importations et exportations) dépassent au- jourd'hui 80 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) alors que la proportion était de 52 p. 100 en 1990. Cela signifie que l'économie canadienne est plus ouverte qu'il y a une décennie dans une proportion dépassant 50 p. 100, les avantages sur le plan de l'efficience découlant d'une expansion du commerce se propa- geant à l'ensemble de l'économie. La part des exportations canadiennes qui va aux Etats-Unis a augmenté aux environs de 85 p. 100 alors qu'elle était de 75 p. 100 au milieu des années 80. Une autre observation est la part décrois- sante du contenu canadien dans les exportations. Celle-ci avait reculé à envi- ron 63 p. 100 en 2002 contre 71 p. 100 en 1989. Tout cela témoigne d'une 335 HODGSON, JACKSON ET MYERS transformation et, en fait, d'une intégration économique croissante en Amérique du Nord. Les entreprises canadiennes comptent aussi de plus en plus sur PIED (dans les deux directions) pour accélérer cette transformation. Comme le montre la figure 1, la création de chaînes d'approvisionnement mondiales, où toutes les parties s'intègrent logiquement, a incité les entreprises canadiennes à investir à l'étranger des sommes sans précédent dans les années 90, tout comme elle a incité les étrangers à faire des investissements record au Canada. Les Etats-Unis détiennent une part majoritaire de l'IED canadien entrant et sortant, bien que celle-ci soit inférieure aux parts très élevées observées dans les échanges com- merciaux avec ce pays. Tandis que les flux d'IED ont diminué globalement depuis 2000 à cause d'une plus grande incertitude et du ralentissement de l'économie mondiale, ils devraient afficher à nouveau une modeste croissance en 2004, lorsque la reprise sera plus fermement engagée un peu partout dans le monde. En outre, après avoir compté fortement sur des entrées d'investissement étranger direct depuis près d'un siècle, le Canada s'est retrouvé à la fin des années 90 dans la position d'un investisseur extérieur net (voir la figure 2). L'IED entrant — l'orientation traditionnelle du Canada — stimule les niveaux d'investissement intérieur, crée des emplois et engendre des échanges avec le reste du monde. L'IED entrant hausse également les bénéfices des entreprises étrangères qui investissent au pays, en laissant entrevoir la perspective d'un rapatriement de ces bénéfices à une date ultérieure. Les avantages de l'IED FIGURE 1 FLUX D'INVESTISSEMENT ÉTRANGER DIRECT DU CANADA (MOYENNE MOBILE SUR QUATRE TRIMESTRES) 336 Sources : Service de recherche économique d'EDC et Statistique Canada. ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS sortant pour le Canada ne sont pas aussi bien compris, mais ils pourraient néanmoins être très importants. L'IED sortant engendre des investissements et des emplois dans l'économie étrangère de même que des bénéfices pour l'entreprise canadienne concernée et, ce qui est le plus important, il hausse les flux d'exportation du Canada loin dans l'avenir. L'effet conjugué d'un plus grand IED entrant et sortant du Canada et des chaînes d'approvisionnement qui en résultent rend les entreprises canadiennes plus efficientes et mieux en mesure de soutenir la concurrence sur les marchés internationaux. Le fait de devenir un pays investisseur net à l'étranger et de toucher des gains sous la forme de revenus d'investissement représente un avantage supplémentaire. Des changements sont aussi survenus dans les échanges commerciaux des États-Unis et du Mexique sous l'effet de l'ALE et de l'ALENA. Le commerce des Etats-Unis a augmenté légèrement, passant de 20 p. 100 du PIB en 1990 à 24 p. 100 en 2001. La part des importations américaines provenant du Canada a tout de même reculé de 1 p. 100 durant les années 90 pour s'établir à 18,5 p. 100, tandis que la part des exportations canadiennes allant aux États- Unis a reculé à 64 p. 100 après avoir augmenté initialement après la conclusion de l'ALE. Ces résultats semblent contraires à l'intuition, mais ils traduisent le fait qu'en termes nominaux, le commerce des Etats-Unis est près de trois fois plus important que le commerce du Canada. Les vrais bénéficiaires de l'expansion des échanges commerciaux des États-Unis, stimulés par la philosophie du libre-échange à l'origine de l'ALE et FIGURE 2 RATIO DU STOCK D'IED SORTANT AU STOCK D'IED ENTRANT DU CANADA Sources : Service de recherche économique d'EDC et Statistique Canada. 337 HODGSON, JACKSON ET MYERS de l'ALENA et axés sur la création de chaînes d'approvisionnement mondiales, ont été les pays en développement — le Mexique et la Chine plus particulière- ment — qui ont été en mesure d'accroître leur potentiel économique grâce aux échanges commerciaux. En pourcentage du PIB, le commerce du Mexique est passé de 32 à 58 p. 100 au cours des années 90, tandis que le ratio commerce/PIB de la Chine a, de façon similaire, progressé de 27 à 49 p. 100. Leur part conju- guée du marché des importations aux États-Unis a progressé de 1 à 4 p. 100 durant la décennie. Au cours de cette période, le Mexique a réussi à se trans- former d'un pays de crise en un pays capable d'intéresser les investisseurs étran- gers, tandis que la Chine a pu maintenir des taux de croissance dans la fourchette de 7 à 8 p. 100, notamment en supplantant les États-Unis comme première destination de l'investissement étranger direct. Ainsi, la vision élargie de l'ALE et de l'ALENA se situe à l'échelle mondiale : ces accords ont favorisé la transition vers une économie mondiale plus ouverte, efficiente et productive, contribuant à un déplacement vers le haut de la courbe de croissance mondiale potentielle qui profite notamment à des pays en développement — contraire- ment à ce que des critiques de la mondialisation voudraient nous faire croire. QUE SERAIT'IL ARRIVÉ EN L'ABSENCE DE L'ALE ET DE L'ALENA? PUISQU'IL N'Y A PAS DE CAS HYPOTHÉTIQUE pouvant servir de point de repère pour évaluer l'incidence de l'ALE, nous procédons dans ce qui suit à une 'expérience fictive' simple pour montrer ce qu'aurait pu être la performance économique du Canada et de l'économie mondiale en l'absence de l'ALE et de l'ALENA. Voici les hypothèses sous-jacentes : 1) le bloc soviétique s'écroule toujours sous le poids de sa propre inefficience, 2) l'intégration et l'expansion de l'Union européenne se poursuivent, 3) l'OMC est créée et 4) les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis suivent le sentier de croissance observé avant la conclusion de l'ALE. Il y a une question fondamentale à laquelle on ne peut répondre : les États-Unis auraient-ils manifesté un engagement similaire envers la libéralisation du commerce, ou les sentiments protectionnistes bilatéraux auraient-ils pris de l'ampleur lors du ralentissement économique du début des années 90? Dans le contexte des hypothèsse qui précèdent et en faisant quelques calculs simples, on constate que les échanges commerciaux du Canada auraient augmenté à environ 63 p. 100 du PIB en 2001, au lieu de 81 p. 100. Le commerce des États-Unis aurait aussi augmenté légèrement, tandis que la croissance de l'IED mondial — un élément clé pour permettre aux marchés en développement de profiter des avantages de la mondialisation — aurait été plus lente tout au long des années 90. L'économie canadienne n'aurait pas profité des avantages dynamiques de l'ALE et de l'ALENA, ce qui signifie que les entreprises canadiennes auraient créé moins de chaînes d'approvisionnement 338 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS mondiales, que la croissance aurait été plus lente et que le dollar canadien aurait subi des pressions à la baisse. La conclusion qui se dégage de cette expérience simple est que la richesse nationale au Canada serait aujourd'hui moins élevée. En l'absence de PALE, nous ressemblerions probablement davantage à l'Australie, qui n'a pas profité d'une plus grande intégration économique avec un important partenaire commercial. Cela signifie aussi que nous aurions compté davantage sur l'exportation de produits de base, une monnaie plus fragile et des perspectives de croissance plus inégales. Évidemment, cette projection est plutôt simpliste et d'autres ont procédé à des exercices de modélisation et à des analyses économiques beaucoup plus détaillés; mais sur la base des hypothèses réalistes énoncées ci-dessus, il est difficile de concevoir un scénario sans l'ALE où les perspectives économiques du Canada seraient sensiblement meilleures. QUEL EST L'AVENIR DU COMMERCE NORD-AMÉRICAIN? QUE LAISSE ENTREVOIR L'AVENIR dans l'optique de l'intégration économique du Canada au sein de l'Amérique du Nord? Maintenir ouverte la frontière avec les États-Unis est devenu une priorité de tous les instants au lendemain du 11 septembre 2001 et, à vrai dire, cela devra demeurer une priorité si nous voulons préserver les avantages découlant de l'ALE et de PALENA. Ce dernier accord offre un potentiel d'expansion dans certains domaines, par exemple une plus grande libéralisation des services financiers et de l'investissement. La portée même de PALENA pourrait être élargie en ouvrant les frontières à des pays d'Amérique latine dans une zone de libre-échange des Amériques, un dossier qui fait actuellement l'objet de pourparlers. Le Canada et le Mexique ont chacun exploité de nouvelles possibilités de libre-échange bilatéral dans la zone des Amériques et le jour approche rapidement où ces initiatives individuelles devraient être fusionnées dans un tout cohérent et mieux intégré. A ce moment, il faudra peut-être affronter des défis nouveaux et encore plus grands — comme la sécurité commune et une mobilité accrue (et plus équitable) de la main-d'œuvre dans l'hémisphère américain. Le Canada aura le choix entre laisser les choses survenir ou jouer un rôle actif afin de définir les paramètres de ce projet — une approche dynamique nous permettrait au moins de tenter d'en influencer l'aboutissement. CONCLUSION LE CANADA A PROFITÉ DE L'ALE grâce à une accélération de sa transformation économique vers le modèle du commerce international caractérisé par les chaînes d'approvisionnement mondiales, l'investissement étranger direct intervenant comme facteur complémentaire — et non substitut — d'une expansion des 339 HODGSON, JACKSON ET MYERS échanges commerciaux. Ces avantages se sont aussi manifestés à l'échelle planétaire par une augmentation du potentiel de croissance de l'économie mondiale par suite de l'ouverture de l'économie américaine, du renforcement de l'engagement des États-Unis envers le libre-échange et de la création de nouvelles perspectives commerciales pour d'autres économies, notamment parmi les pays en développement. Le défi qui se pose aux Canadiens sur le plan des politiques est de savoir comment se positionner pour façonner l'avenir des échanges commerciaux en Amérique du Nord et ainsi influencer leur destinée. NOTE 1 Les vues exprimées dans ce texte sont celles de l'auteur et ne traduisent pas nécessai- rement celles d'Exportation et Développement Canada. Pourquoi le 'grand projet' est une mauvaise idée Andrew Jackson Congrès du travail du Canada A U COURS DES DERNIERS MOIS, les mêmes personnes qui avaient défendu la cause de l'ALE et de l'ALENA ont préconisé le 'grand projet' d'une inté- gration économique encore plus poussée avec les États-Unis. Ce que Tom D'Aquino du Conseil canadien des chefs d'entreprises, l'ancien premier ministre Mulroney et Wendy Dobson de l'Institut C.D. Howe ont à l'esprit est un vaste 'marché stratégique' dans lequel le Canada offrirait aux États-Unis un périmètre de sécurité nord-américain renforcé (y compris une coordination étroite des politiques en matière d'immigration et de défense) et un accès encore plus grand aux ressources énergétiques canadiennes. En retour, nous serions censés obtenir (encore une fois!) un accès garanti au marché américain. Ce 'grand projet' vise à démanteler les mesures commerciales et frontalières prises par les États-Unis en négociant la création d'une union douanière. Comme l'a noté le Comité de la Chambre des communes dans un récent rap- port sur les relations nord-américaines, une union douanière comporte un tarif extérieur commun et des mesures frontalières qui supposent une perte 340 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS d'autonomie nationale en matière de politique d'investissement et de com- merce international. À titre d'exemple, l'Union européenne défend une posi- tion unifiée à l'OMC. Si la forme précise de tout accord nord-américain éventuel est difficile à prédire, notamment en raison d'un manque d'intérêt manifeste à Washington, il est clair que les entreprises canadiennes sont prêtes à céder le contrôle sur plusieurs leviers stratégiques en retour du Saint-Graal de la politique commerciale canadienne — 'la protection contre le protection- nisme américain'. Le 'grand projet' est une mauvaise idée pour bien des raisons, dont la moindre n'est pas la menace explicite qu'il représente pour l'expression de va- leurs canadiennes distinctives en matière de défense et d'affaires internationales et sur les questions touchant à l'immigration et aux réfugiés. C'est aussi une très mauvaise idée dans l'optique de ses répercussions sur les politiques écono- miques et sociales. Plus précisément, le 'grand projet' remet en cause notre ca- pacité indispensable de façonner le développement industriel; de contrôler notre secteur énergétique et de progresser vers une économie plus respectueuse de l'environnement; de percevoir des impôts au niveau nécessaire pour main- tenir un modèle social canadien distinct; et de limiter les effets des ententes en matière de commerce international et d'investissement sur nos politiques socia- les et culturelles. Les Canadiens se font régulièrement dire que le 'libre-échange' a été un immense succès parce qu'il a stimulé nos exportations vers les États-Unis. En vérité, la presque totalité de la croissance de nos exportations est attribuable à l'expansion du marché américain durant les années 90, au faible niveau du dollar canadien, à l'explosion des exportations énergétiques et à la vigueur historique du secteur de l'automobile. De toute évidence, les accords commerciaux ne sont pas parvenus à produire ce que l'on attendait d'eux : refermer l'écart de productivité manufacturière persistant entre le Canada et les États-Unis. Entre 1992 et 2000, la production manufacturière par heure travaillée n'a augmenté que de 16 p. 100 au Canada comparativement à 43 p. 100 aux États-Unis, et l'écart est allé en s'accroissant à mesure que la décennie progressait. Cela com- porte un prix élevé en termes de perte de croissance salariale et de perspective de prospérité future. Ironiquement, l'écart de productivité élevé et croissant est sans cesse dé- crié par les mêmes personnes qui faisaient valoir que le libre-échange donnerait une impulsion majeure à l'efficience industrielle. Mais l'ALENA a peu fait pour résoudre le problème structurel sous-jacent : un secteur industriel encore trop largement orienté vers la production de ressources brute s et de biens industriels de base (45 p. 100 des exportations) et beaucoup trop faible dans la production de biens finis de haut de gamme. Certes, nous possédons quelques secteurs dy- namiques qui ne sont pas axés sur les ressources, par exemple l'automobile, l'acier et le matériel de télécommunication. Mais moins d'un sixième de la 341 HODGSON, JACKSON ET MYERS production manufacturière du Canada porte sur des machines et du matériel, ce qui est largement inférieur à la moitié du niveau observé aux États-Unis; c'est cet écart fondamental qui explique le faible taux de croissance de la pro- ductivité au Canada. Le Canada fait aussi bien ou même mieux que les États- Unis dans le secteur des ressources et les industries de l'acier et de l'automobile, mais les gains de productivité les plus importants sont survenus dans les indus- tries de biens d'investissement de pointe où nous restons très faibles. Un des problèmes soulevés par le 'grand projet' est qu'il détourne l'attention du véritable problème, soit l'échec collectif des entreprises cana- diennes à innover et investir de façon adéquate dans la R-D, les compétences des travailleurs et des usines et équipements nouveaux. Pire, une nouvelle en- tente commerciale limiterait presque certainement notre capacité d'appliquer des politiques industrielles nationales pour faciliter l'émergence d'industries 'à coefficient élevé de savoir'. Pourrions-nous conserver notre droit (malheureu- sement inutilisé pour l'essentiel) de scruter à la loupe les prises de contrôle étrangères de chefs de file de l'industrie canadienne? (Voudrions-nous vrai- ment voir Nortel ou Bombardier passer aux mains d'intérêts étrangers, étant donné que les contribuables canadiens y ont englouti des sommes considérables en subventions à la R-D afin d'aider ces entreprises à renforcer notre assise in- novatrice?) Le Canada et les États-Unis pourraient-ils exprimer un point de vue unifié à l'OMC lors des négociations sur les règles qui encadreront les sub- ventions industrielles dans l'avenir? Notre intérêt réside dans le renforcement de la capacité des secteurs où nous n'avons pas historiquement disposé d'un avan- tage, tandis que les États-Unis veulent contrer les menaces à leur domination dans les secteurs de pointe. En ce qui a trait à la politique industrielle, une approche beaucoup plus sensée serait de conserver et d'accroître notre marge de manœuvre en vertu des règles actuelles de l'OMC, tout en explorant les possibilités qui s'offrent pour une coopération nord-américaine accrue dans les quelques secteurs hautement intégrés où nous avons des intérêts communs. À titre d'exemple, nous pouvons penser à des politiques commerciales communes en vue d'accroître le contenu nord-américain et l'emploi dans les secteurs de l'automobile, de l'acier, de l'aérospatiale et du bois d'œuvre. Les partisans du 'grand projet' favorisent une intégration continentale plus poussée en matière énergétique même si, en vertu de l'ALENA, le Canada a renoncé à la plupart des mécanismes de contrôle, par exemple la différenciation des prix à l'exportation et les contrôles quantitatifs à l'exportation. Les Canadiens devraient se préoccuper vivement de l'expansion rapide de leurs exportations de gaz naturel et des niveaux élevés d'exportation de pétrole compte tenu de l'épuisement rapide des ressources conventionnelles les moins coûteuses et les plus accessibles et de la perspective d'une augmentation des prix réels à mesure que les États-Unis épuiseront rapidement leurs propres ressources. Même s'il est 342 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS loin d'être clair que nous souhaiterions retourner à un régime de réglementa- tion semblable à celui de l'ère Trudeau, il est certes raisonnable de faire usage de notre droit en vertu des règles de l'OMC pour nous assurer que les exporta- tions de ressources non renouvelables ne nuisent pas à notre capacité de ré- pondre aux besoins futurs des Canadiens. Plutôt qu'une intégration accrue dans le secteur pétrolier et gazier et la mise en valeur conjointe des ressources de l'Arctique dont l'écologie est fragile, nous devrions rétablir la réglementation des exportations à des fins de conservation par l'entremise de l'Office national de l'énergie. Et une intégration poussée des réseaux d'électricité est incidem- ment une très mauvaise idée. De nos jours, l'énergie hydroélectrique peu coû- teuse permet à la plupart des Canadiens de bénéficier de prix moins élevés que ceux que doivent payer les consommateurs et les industries aux États-Unis. Dans la foulée des fiascos d'Enron et de la déréglementation de l'énergie en Californie, l'argument en faveur de la propriété publique et de la réglementa- tion des services d'électricité est beaucoup plus convaincant que la thèse de la déréglementation des marchés à l'échelle continentale. En outre, une intégration plus poussée dans le secteur énergétique com- promettrait notre capacité de mettre en place une économie plus durable et de faire face au redoutable défi du réchauffement de la planète. La ratification du Protocole de Kyoto et les objectifs fixés pour la première étape de la mise en œuvre de ce traité ont soulevé une vague de critiques en provenance de l'Alberta et de la plupart des intervenants de l'industrie pétrolière et gazière, sous prétexte que les droits envisagés sur les émissions de carbone compromet- traient le développement des sables bitumineux et des ressources des régions pionnières. Le secteur primaire du pétrole et du gaz est un important produc- teur d'émissions de gaz à effet de serre, et l'intensité en carbone des projets de mise en valeur de ressources non conventionnelles qui domineront l'avenir de cette industrie est très élevée. Initialement, le Protocole de Kyoto n'aura qu'un impact très restreint. Mais le fait demeure qu'il y a, à long terme, une contra- diction fondamentale entre des marchés de l'énergie entièrement intégrés à l'échelle continentale et le développement rapide du secteur primaire de l'énergie d'un côté, et de l'autre, les mesures de conservation de l'énergie, la mise en valeur plus lente des ressources et la promotion des 'industries vertes' et des solutions douces en matière énergétique. Nous devrions conserver le contrôle sur notre avenir énergétique. Sur la question de préserver le modèle social canadien, les partisans du 'grand projet' préfèrent parler d'un arrangement purement économique. Cela n'étonne guère parce que la grande majorité des Canadiens demeurent résolu- ment engagés à maintenir une société plus égalitaire et plus sécuritaire que celle que l'on retrouve au sud de la frontière. Mais on ne peut parler d'une entente purement économique. Au lendemain de la conclusion de PALE, les milieux 343 HODGSON, JACKSON ET MYERS d'affaires ont commencé à se plaindre avec insistance du fait que le modèle ca- nadien constituait un obstacle à la compétitivité. La société canadienne est passablement plus égalitaire que la société amé- ricaine en raison d'un niveau plus élevé de programmes sociaux et de services publics financés à même les impôts, et d'un seuil plus élevé en matière de droits et de normes du travail. L'écart de 15 p. 100 dans le revenu par habitant entre les États-Unis et le Canada ne profite qu'au tiers supérieur environ de la répar- tition des revenus aux États-Unis. Les taux de pauvreté au Canada (selon la définition couramment employée de moins de la moitié du revenu médian) sont beaucoup plus bas que ceux des États-Unis (10 p. 100 contre 17 p. 100), tandis que l'écart minimum entre les déciles supérieur et inférieur de la réparti- tion du revenu familial après impôt est de 4 pour 1 au Canada comparative- ment à 6,5 pour 1 aux États-Unis. Le taux de syndicalisation dans le secteur privé au Canada est plus du double de celui des États-Unis. À de nombreux égards, le modèle plus social-démocrate du Canada cons- titue un facteur positif sur le plan économique. Il permet d'avoir une popula- tion active hautement qualifiée et des mesures de protection sociale accessibles qui offrent un meilleur rapport coût-efficacité (les soins de santé étant ici l'exemple marquant). Mais les mêmes organisations qui font la promotion du 'grand projet' ont systématiquement exercé des pressions en faveur d'une réduc- tion des impôts sur le revenu que versent les sociétés et les personnes à revenu élevé au même niveau qu'aux États-Unis, sans parler d'une plus grande privati- sation de la prestation des services sociaux. L'argument des 'baisses d'impôts à des fins de compétitivité' a manifestement eu un impact sur les politiques pu- bliques. Après l'élimination du déficit fédéral, obtenue au prix de coupes sévères dans les programmes sociaux entre le début et le milieu des années 90, la part du lion de l'excédent fédéral croissant a servi aux réductions d'impôt du ministre Paul Martin. En proportion du PIB, les impôts fédéraux ont diminué d'environ deux points de pourcentage depuis 1997, nonobstant l'appui non équivoque exprimé systématiquement par la plupart des Canadiens en faveur du réinvestis- sement de ces excédents dans les programmes sociaux et les services publics. Les sondages d'opinion publique montrent que seules les personnes les plus fortu- nées ont fortement appuyé l'initiative de réduction des impôts, notamment parce que le modèle américain des impôts limités et de la prestation limitée de services sociaux les aurait avantagés. Sur le plan culturel, il n'y a que l'élite du monde des affaires qui compare régulièrement son niveau de revenu après im- pôt à celui des Américains. L'argument économique des 'baisses d'impôts à des fins de compétitivité' a été grandement exagéré. Mais il a de la crédibilité en raison de la menace d'une fuite de l'investissement et de l'emploi vers les États-Unis. Étendre l'intégration économique étroite du secteur des biens aux nombreux volets du secteur des ser- vices qui n'ont pas encore été beaucoup touchés par l'ALENA provoquerait des 344 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS mouvements transfrontières de professionnels et de gestionnaires beaucoup plus importants, ce qui renforcerait à coup sûr les pressions concurrentielles à la baisse sur l'assiette fiscale. Le modèle social canadien a été mis à l'épreuve mais n'a pas été com- promis par l'ALENA. Il ne disparaîtrait pas automatiquement sous l'effet d'une intégration économique plus poussée. Mais l'effet égalisateur des im- pôts progressifs serait réduit encore davantage et de fortes pressions s'exerceraient contre une hausse des niveaux généraux d'imposition visant à financer des programmes sociaux et des services publics de meilleure qualité. Le modèle social canadien serait aussi directement menacé par une union douanière, laquelle suppose l'expression d'une politique commune (lire 'améri- caine') dans les négociations sur l'investissement et le commerce international. La position officielle actuellement défendue par le gouvernement canadien est que les services sociaux et les services publics ne devraient pas être 'sur la table' lors des négociations de l'OMC sur les services, et que notre capacité de main- tenir un système de prestation sans but lucratif des services publics devrait être préservée. Comme l'affirme le rapport de la Commission Romanow, il existe déjà des menaces évidentes dans le contexte de l'ALENA. Si une province pri- vatisait ses services hospitaliers ou de soins à domicile, par exemple, il serait difficile à un gouvernement subséquent de revenir à une prestation sans but lucratif sans devoir dédommager les intérêts commerciaux présents sur le mar- ché des soins de santé aux Etats-Unis, lesquels occupent une place de plus en plus grande dans le système de santé du Canada. Il est dans l'intérêt du Canada de défendre des mesures visant à 'soustraire' les services sociaux et la culture des négociations de l'OMC afin de conserver une marge de manœuvre et de prévenir une présence commerciale américaine. Mais les États-Unis préconisent une libéralisation accrue dans ces deux domaines à l'OMC. Les conséquences directes d'une politique commerciale commune sur le plan de la souveraineté dans les 'secteurs non économiques' constituent une bombe à retardement dis- simulée dans le 'grand projet' d'une union douanière. Pour conclure, sur un large éventail de fronts politiques, le 'grand projet' constitue une mauvaise idée qui réduirait l'espace nécessaire pour défendre des valeurs et des intérêts canadiens distinctifs. Cela ne veut pas dire que le sta- tu quo de l'ALENA est idéal. Sur certains aspects, nous devrions tenter de ren- verser les contraintes imposées par l'ALENA, par exemple les dispositions du chapitre 11 en matière d'investissement qui menacent la réglementation gou- vernementale légitime et l'engagement unilatéral à n'imposer aucune contrainte aux exportations d'énergie. Sur d'autres aspects, le Canada pourrait vouloir approfondir la relation en concluant de nouveaux arrangements. La simplification de tout un ensemble de procédures frontalières est évidemment souhaitable. Et les accords commerciaux sectoriels peuvent donner de bons résultats dans des secteurs étroitement intégrés. Le remplacement des accords 345 HODGSON, JACKSON ET MYERS parallèles largement symboliques de l'ALENA par des mesures plus efficaces visant à imposer un seuil plus élevé en matière de droits du travail et de normes environnementales devrait aussi figurer à l'ordre du jour. Les pressions qui s'exercent en vue d'une harmonisation fiscale dans un contexte où le capital et les sociétés transnationales sont mobiles devraient être contrées au moyen d'un accord explicite visant à instituer un niveau d'imposition minimal en Amérique du Nord. L'avenir de l'Amérique du Nord s'ouvre à nous, mais il ne devrait pas s'orienter vers un renforcement du modèle économique et social néo-libéral qui est au cœur du 'grand projet'. Les Canadiens n'ont aucunement l'intention d'abandonner leur modèle social distinctif, mais ils ont toutes les raisons de douter que les 'marchés libres' pavent la voie vers la prospérité. Ils veulent des ententes efficaces pour gérer les liens économiques et des mesures destinées à mettre fin à la concurrence destructive qui ne sert que les intérêts des sociétés transnationales. Enfin, ils souhaitent préserver leur souveraineté dans les sec- teurs où elle revêt le plus d'importance. Asymétrie du marché d'exportation et politiques canadiennes Jayson Myers Manufacturiers et exportateurs du Canada V OICI UN RÉSUMÉ DES COMMENTAIRES formulés par Jayson Myers lors de la discussion en panel à la conférence. Jayson Myers a souligné que l'intégration en Amérique du Nord procédait de façon très asymétrique. Le marché américain est extrêmement important pour les exportateurs canadiens, mais le marché canadien est loin d'avoir la même importance pour les exportateurs américains. En outre, les opérations canadiennes représentent souvent une modeste part des opérations mondiales ou même nord-américaines d'une multinationale américaine. Il y a néanmoins un degré élevé d'interdépendance entre les deux pays. À titre d'exemple, le marché de l'automobile au Canada ne représente qu'une petite partie du marché 346 ÉVALUATION DE LA PORTÉE DES LIENS ÉCONOMIQUES ACTUELS mondial, mais une interruption ou un délai dans une usine canadienne pourrait entraîner de coûteux délais dans les opérations aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Il s'ensuit que les politiques canadiennes ont une grande importance pour la localisation de l'investissement étranger. Les avantages d'une implantation au Canada, pour avoir accès aux marchés par exemple, sont très limités, tandis que les risques d'une interruption de la production à l'échelle mondiale peuvent être assez élevés. Par conséquent, le Canada doit relever le défi d'être non seu- lement concurrentiel afin d'attirer l'investissement étranger, mais aussi d'offrir un avantage distinctif. Un autre point soulevé par Jayson Myers est qu'une mé- thodologie claire doit être appliquée dans l'élaboration des politiques publiques, afin de pouvoir déterminer lesquelles devraient s'inscrire dans une perspective nord-américaine et lesquelles devraient découler d'une vision mondiale. 347 This page intentionally left blank Partie IV Conséquences de l'intégration Canada-Etats-Unis pour la politique sociale : Y a-t-il une course vers le bas 7 . This page intentionally left blank Rafaël Gornez et Moriey Gunderson / London School of Economies Université de Toronto L'intégration économique entraîne-t-elle une convergence de la politique sociale? Analyse des liens nord-américains et de la politique sociale INTRODUCTION L A NOTION DE LIENS ENTRE PAYS évoque le commerce, les flux de capitaux, les échanges culturels et le mouvement de personnes. Ces phénomènes sont manifestement importants et supposent une intégration sur différents mar- chés — ceux des biens, des capitaux, des idées (qui ont trait aux droits de pro- priété intellectuelle) et du capital humain (qui ont trait à la mobilité de la main-d'œuvre et à l'exode des cerveaux). Cependant, les liens entre les divers éléments de la politique sociale sont tout aussi importants, mais souvent négligés. La présente étude vise à faire un rapprochement entre l'intégration éco- nomique sur ces autres marchés et les liens en matière de politique sociale observés en Amérique du Nord. En termes simples, nous cherchons à savoir si l'intégration économique peut (en théorie et en pratique) entraîner une convergence de la politique sociale entre pays. L'étude ne porte pas principale- ment sur les divers sentiers pouvant mener à une convergence des politiques, comme ceux proposés récemment par Mukand et Rodrik (2002) et examinées plus loin. Dans la mesure où des facteurs tels que ['émulation des meilleures pratiques sont pris en considération, ils entrent dans notre analyse uniquement sous forme d'effets indirects — agissant d'abord par le mécanisme de l'efficience économique et du besoin instrumental d'adopter une politique globale à la fois optimale, unique et reconnaissable. Nous nous sentons justifiés d'adopter une telle approche, principalement parce que le nombre de mécanismes de conver- gence que l'on retrouve dans les écrits en économique pourrait suffire à remplir plusieurs volumes, sans parler d'une simple synthèse comme celle présentée ici. 351 7 GOMEZ ET GUNDERSON L'étude débute par une brève description de la façon dont les liens sont renforcés par l'intégration économique. Puis, elle décrit comment les liens en matière de politique sociale peuvent être analysés utilement dans le contexte d'un marché influencé par l'interaction de la demande de mesures de politique sociale provenant de diverses parties, comme les travailleurs, et l'offre de telles mesures provenant des gouvernements, des entreprises multinationales et d'autres fournisseurs, y compris les organismes non gouvernementaux (ONG), les familles, les collectivités et le secteur bénévole. Après une courte descrip- tion des divers éléments de la politique sociale, l'étude examine la façon dont la demande et l'offre de politiques sociales subissent l'influence de l'intégration et des liens croissants sur les marchés plus traditionnels (des biens, des capitaux, des idées et du capital humain, par exemple). L'étude aborde ensuite briève- ment d'autres perspectives théoriques, en mettant notamment l'accent sur leurs conséquences au niveau de la convergence ou de la divergence des politiques sociales. Une attention particulière est accordée aux divers liens nécessaires pour qu'il y ait harmonisation des initiatives de politique sociale vers un plus petit commun dénominateur. Afin d'illustrer ces questions, l'étude examine en- suite des données empiriques sur la convergence ou la divergence des politiques sociales. L'étude se termine par un résumé et une brève analyse des questions de politique. CONVERGENCE GRÂCE À UNE INTÉGRATION ÉCONOMIQUE PLUS POUSSÉE ET PLUS ÉTENDUE L ES ARGUMENTS ENTOURANT LA CONVERGENCE sont bien ancrés dans la pensée des sciences sociales, et les vérifications de la théorie de la conver- gence sont nombreuses. La présente étude tente d'évaluer un certain nombre d'études parmi les plus récentes (théoriques et empiriques) qui portent sur la convergence des politiques sociales. Au cœur du débat sur l'intégration éco- nomique et son incidence sur la politique sociale intérieure, on retrouve la no- tion selon laquelle les résultats économiques sont reliés à des institutions dans ce que Freeman (2000) a appelé « un maximande social à une seule pointe ». Dans ce contexte, la convergence signifie qu'il y a un ensemble particulier (sin- gulier) de politiques sociales que l'on peut dénoter N*, qui engendre la produc- tion globale la plus élevée au sein d'une économie, Y*. Chaque déplacement en direction de N* accroît donc le bien-être économique. Comme l'illustre la fi- gure la, la convergence dans le domaine de la politique sociale survient parce qu'il y a des gains croissants à retirer de déplacements en direction de N*, de sorte que toutes les économies sont incitées à adopter la combinaison optimale de politiques. Les pays qui se trouvent à gauche et à droite de la combinaison 352 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? FIGURE la POLITIQUE SOCIALE ET SITUATION ÉCONOMIQUE LORSQU'IL Y A CONVERGENCE Source : Adapté de Freeman, 2000. Notes : N 1 : Combinaison de politiques sociales caractéristique de la Nouvelle-Zélande. N° : Combinaison de politiques sociales caractéristique du Canada. N* : Combinaison de politiques sociales caractéristique des Etats-Unis. Y : Production globale; Y* : Production globale maximale. optimale de politiques sociales, N*, sont ainsi pénalisés par des niveaux moins élevés de performance économique. Le problème que soulève le modèle à une seule pointe est que rien dans la théorie n'écarte la possibilité de multiples combinaisons de politiques sociales. Il se pourrait bien que différentes institutions produisent des niveaux très simi- laires de bien-être économique. En outre, les sommets locaux peuvent être séparés par des vallées, indi- quant qu'il pourrait y avoir des coûts de transition (T) importants à passer d'un ensemble de politiques à un autre. Comme l'illustre la figure Ib, même si un optimum existe, il n'est peut-être pas rentable pour les pays qui ont un niveau de production légèrement inférieur, Y < Y*, de s'engager dans un coûteux proces- sus de changement de politiques, notamment si le gain attendu, Y* - Y = AY, est inférieur au coût de transition : T > AY. 353 GOMEZ ET GUNDERSON FIGURE lb POLITIQUE SOCIALE ET SITUATION ÉCONOMIQUE LORSQU'IL Y A CONVERGENCE (AVEC COÛTS DE TRANSITION POSITIFS) Source : Adapté de Freeman, 2000. Notes : T : Coûts de transition. N 1 : Combinaison de politiques sociales caractéristique de la Nouvelle-Zélande. N° : Combinaison de politiques sociales caractéristique du Canada. N* : Combinaison de politiques sociales caractéristique des États-Unis. Y : Production globale; Y* : Production globale maximale. En somme, on peut invoquer des arguments tout aussi convaincants à l'appui et à l'encontre de la convergence des modalités de la politique sociale dans un contexte d'intégration économique. Dans ce qui suit, ces deux possibi- lités sont présentées de façon plus formelle, et la théorie et les données disponi- bles sont évaluées de façon plus concrète. Mais auparavant, nous devons définir ce que signifie précisément l'intégration économique. DÉFINITIONS DE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE comporte simultanément une .dimension d'approfondissement et une dimension d'élargissement 1 . La première dimension a trait à l'expansion sur les plans du commerce, du capital, de la main-d'œuvre, de la technologie et des activités des multinationales. Ces cinq marchés et domaines fonctionnels ainsi que leurs liens avec l'intégration sont résumés au tableau 1. 354 nt L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? TABLEAU l CINQ DOMAINES OÙ IL Y A UNE INTÉGRATION PLUS POUSSÉE DOMAINE DÉFINITION 1. Commerce 2. Flux de capitaux 3. Mobilité de la main-d'œuvre et du capital humain 4. Transferts de technologie et de connaissances 5. Entreprises multinationales L'intégration du commerce des biens et des services est essen- tiellement atteinte grâce à des réductions des droits tarifaires et des barrières non tarifaires. Cette forme d'intégration peut agir en remplacement de la mobilité de la main-d'œuvre. L'intégration stimule les flux de capitaux, tant le capital financier à court terme (les liquidités mobiles) que les investissements à long terme et les implantations d'usines. L'intégration accroît la mobilité souvent par l'intermédiaire de l'immigration (acquisition de cerveaux) et de l'émigration (exode de cerveaux), des permis de travail temporaires, des visas destinés aux gestionnaires, aux professionnels et au personnel technique, et des mutations intra-entreprise. L'intégration améliore les transferts de connaissances et de technologie. Cette forme d'intégration est souvent associée à la nouvelle technologie de l'information (TI) et comporte la cession de droits de propriété intellectuelle. Les activités des multinationales entraînent une intégration marquée par le recours à la sous-traitance, les échanges internes et une gamme étendue de fonctions, dont l'embauche au siège social, la recherche-développement (R-D), la production, le montage et l'entreposage, qui se déroulent souvent dans des pays différents. La dimension élargissement de l'intégration a trait à l'expansion à d'autres pays et régions, comme ce fut le cas, par exemple, du Pacte de l'automobile de 1965, de l'Accord de libre-échange (ALE) Canada-États-Unis de 1989 et de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1992 et de leurs pro- longements éventuels dans l'hémisphère occidental par la conclusion d'un ac- cord de libre-échange des Amériques. L'élargissement se produit aussi sous l'effet des forces de la mondialisation, alors que la planète devient de plus en plus intégrée grâce à la diminution des coûts de transport et à la facilité accrue des communications et des activités de coordination. En théorie, différents aspects de l'approfondissement de l'intégration peuvent être des substituts ou des compléments réciproques. Ainsi, une libéralisation du commerce peut se substituer à la mobilité de la main-d'œuvre si les biens échangés intègrent de la main-d'œuvre qui, par ailleurs, pourrait se déplacer 2 . De même, l'accroissement de l'investissement étranger direct des États-Unis dans des usines au Canada est un moyen qui a été largement utilisé pour contourner le mur tarifaire là où les barrières tarifaires et non tarifaires restrei- gnaient les flux commerciaux. Cependant, les différents flux qui interviennent 355 GOMEZ ET GUNDERSON dans une intégration plus poussée peuvent aussi bien être complémentaires, par exemple lorsque l'immigration accrue entraîne une augmentation des échanges avec le pays d'origine — les nouvelles collectivités établissent des liens en amont avec des fournisseurs et des liens en aval avec des clients dans le pays d'accueil — ou lorsque les flux de capitaux sont gonflés par les montants trans- férés du pays d'accueil. Si l'approfondissement et l'élargissement de l'intégration sont générale- ment interprétés comme une expansion des échanges économiques, ils peuvent aussi signifier une intégration de la politique sociale. Les liens par lesquels cela peut se produire sont à la fois directs (des pressions peuvent s'exercer en vue d'une normalisation des politiques sociales entre pays ou entre des régions d'un pays) et indirects (la capacité d'un pays de suivre une politique distincte peut être influencée par les flux plus vastes d'échanges, de capitaux et de personnes). Essentiellement, les divers flux que suppose une intégration plus poussée sont inextricablement liés, non seulement les uns avec les autres, mais aussi avec la politique sociale. LE MARCHÉ DE LA POLITIQUE SOCIALE L ES POLITIQUES DE MAIN-D'ŒUVRE et les politiques sociales sont généralement conçues pour influer sur des facteurs tels que la syndicalisation, les grèves, l'inégalité, la pauvreté, le revenu, les pertes d'emploi, la santé, la criminalité, la sécurité et la discrimination. Elles s'articulent dans toute une gamme de lois et de règlements, notamment 3 : • la législation sur les relations de travail, qui régit l'établissement et le dé- roulement de la négociation collective; • la législation sur les normes du travail, qui a trait à des facteurs tels que le salaire minimum, la réglementation des heures travaillées et du temps supplémentaire, les exigences relatives aux mises à pied et aux préavis, et les politiques en matière de congés; • Passurance-chômage (AC) ; • la législation sur l'indemnisation des travailleurs; • la réglementation en matière de santé et de sécurité; • les exigences relatives aux droits de la personne et les règles anti- discrimination, y compris l'équité en matière de rémunération et d'emploi; • la politique des pensions; • les prestations de bien-être et les prestations familiales; • les impôts. 356 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? Ces initiatives de politique et les situations sociales qu'elles touchent sont au centre de notre analyse 4 . LA DEMANDE DE POLITIQUE SOCIALE ET LE PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE LA DEMANDE POUR DES INITIATIVES DE POLITIQUE SOCIALE est sensible à tout un éventail de facteurs, dont la richesse, l'évolution des besoins de la société pour de telles initiatives, la disponibilité de solutions d'origine privée ou autres, et le pouvoir des groupes d'intérêts qui peuvent exercer une influence sur ces initiatives. De nombreux aspects de la demande sont également liés à une inté- gration plus étendue et plus poussée, tel que décrit précédemment. A mesure que s'améliore notre niveau de vie et notre richesse, nous devrions pouvoir nous offrir davantage de mesures sociales dans des domaines comme la santé et la sécurité, les droits de la personne, les aménagements convenant aux personnes handicapées, les pensions et la sécurité de la vieillesse, les soins de santé, la garde des enfants et l'aide aux personnes par ailleurs défavorisées. Essentielle- ment, Pélasticité-revenu de la demande pour ces initiatives de politique sociale est positive. Dans la mesure où l'intégration examinée précédemment accroît la richesse (par exemple grâce aux gains engendrés par la libéralisation des échanges et l'accroissement des flux de capitaux), la demande pour de telles initiatives de politique sociale augmentera à mesure que progresse l'intégration. La demande pour ces initiatives de politique sociale devrait aussi augmen- ter en raison de l'adaptation requise par une intégration et une mondialisation accrues. Même si la libéralisation des échanges engendre des gains d'efficience, le processus fait manifestement des gagnants et des perdants et, malheureuse- ment, les perdants se retrouvent parmi les travailleurs les moins qualifiés et les plus désavantagés, qui sont déplacés par la concurrence des importations pro- venant de pays à faibles salaires 5 . Le besoin d'offrir une aide à l'adaptation peut donc provenir à la fois des effets négatifs (comme les pertes d'emploi et les fer- metures d'usines) et des effets positifs (comme les postes à combler, les pénuries de compétences et les exigences en matière de formation), créant une prime à l'aide qui facilite la réaffectation de la main-d'œuvre des secteurs et des régions en déclin à ceux qui sont en expansion. LA DEMANDE DE POLITIQUE SOCIALE ET L'INFLUENCE POLITIQUE DES GROUPES D'INTÉRÊTS LA DEMANDE D'INITIATIVES DE POLITIQUE SOCIALE est également influencée par le pouvoir et l'influence de divers groupes d'intérêts au sein de la société. À titre d'exemple, le vieillissement de la population active au Canada et aux États-Unis engendrera des pressions en faveur d'un relèvement des pensions et 357 GOMEZ ET GUNDERSON de la sécurité de la vieillesse, ainsi que des soins de santé pour une population qui vivra plus longtemps (Cheal, 2000), mais non dans les pays où la population est relativement jeune, comme au Mexique. La participation accrue des femmes à la population active en Amérique du Nord dans les années 60 et 70 a intensi- fié la demande pour les mesures d'équité en matière d'emploi et de rémunéra- tion dans les années 80 et 90. Le nombre croissant de familles à deux revenus engendre une demande pour les services de garde d'enfants et des normes du travail tenant compte des obligations familiaks, notamment sur la question du congé familial. L'hétérogénéité et la diversité croissantes de la population ac- tive suscitent une demande accrue de politiques destinées à protéger les droits de la personne et à interdire la discrimination. Comme nous le verrons en détail plus loin, l'importance des entreprises multinationales dans un contexte d'intégration économique croissante peut avoir des effets complexes sur la demande d'initiatives de politique sociale. En tant que groupe d'intérêts, les multinationales peuvent résister aux lois et rè- glements coûteux, mais elles peuvent aussi appuyer certaines mesures si elles les offrent déjà elles-mêmes (par exemple les normes de santé et de sécurité et les normes du travail). De même, les multinationales (et d'autres entreprises) peuvent considérer certaines initiatives législatives comme une alternative aux syndicats (ainsi, lorsque l'Etat applique des normes de travail minimales et des normes de santé et de sécurité, cela peut réduire le besoin de recourir à des syndicats pour garantir de telles normes). Notamment dans les pays en déve- loppement, les entreprises multinationales peuvent aussi accorder une valeur à la cohésion sociale qui découle des politiques gouvernementales visant à lutter contre l'instabilité, la criminalité et le désordre. De façon générale, la demande pour de nombreuses formes de politiques sociales est de plus en plus attribuable aux conséquences d'une intégration plus poussée et plus étendue. Il en est ainsi, notamment, parce que le changement entraîne inévitablement des demandes nouvelles, tandis que les anciennes de- mandes ont tendance à ne pas disparaître à cause de l'asymétrie engendrée par les intérêts acquis et les structures bureaucratiques. Même si de nombreuses mesures de politique sociale et de politique du travail remontent à une époque passée, où les besoins étaient très différents (Gunderson et Riddell, 1995, 2001), il est extrêmement difficile de réaffecter des ressources publiques de ces mesures pour accommoder des changements récents. Les initiatives de politique semblent caractérisées par une tendance persistante à la hausse, plutôt que de permettre une réaffectation des sources décroissantes vers les sources croissantes de demande. 358 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? L'OFFRE D'INITIATIVES DE POLITIQUE AU MOMENT OÙ L'INTÉGRATION accroît la demande pour les initiatives de poli- tique sociale, bon nombre des mêmes sources de pressions limitent le rôle que les gouvernements peuvent jouer pour mettre en oeuvre de telles initiatives. Il en est ainsi parce dans un contexte de libéralisation des échanges et de mobilité accrue du capital, les entreprises peuvent plus facilement aller s'établir là où les coûts de réglementation sont les plus bas, pour ensuite réexporter vers les pays ou les régions où les coûts de la réglementation sont plus élevés. Cela vaut, peu importe que les initiatives de politique sociale prennent la forme d'une régle- mentation des entreprises ou de programmes financés à même les impôts. Dans l'un et l'autre cas, les gouvernements subissent des pressions et doivent rivaliser pour obtenir les investissements des entreprises et les emplois connexes. Une façon évidente de rivaliser est de paraître accueillant pour les entreprises en réduisant les coûts de la réglementation ou de la fiscalité. Cela suscite la crainte (sur laquelle nous reviendrons plus en détail) d'une course vers le bas — vers l'État qui impose le fardeau réglementaire et les normes sociales les moins contraignants. A la table de négociation où sont définies les politiques, la menace d'un départ, représenté par la mobilité du capital et la sous-traitance, donne essentiellement aux entreprises une donne gagnante. On peut dire la même chose de la main-d'œuvre qualifiée, qui est également plus mobile aujourd'hui et qui peut échapper à une fiscalité très progressive. Le seul facteur de produc- tion immobile, qui ne peut se soustraire à la fiscalité, est la main-d'œuvre moins qualifiée et peu rémunérée, qui subit déjà les effets défavorables de la libéralisa- tion des échanges et du changement technologique, outre les pressions institu- tionnelles engendrées par le déclin de la syndicalisation et des salaires minimums 6 . Même les charges sociales initialement imposées aux employeurs peuvent être répercutées sous la forme de salaires moins élevés en retour de po- litiques sociales financées par ces charges (par exemple les pensions publiques, l'indemnisation des travailleurs et l'assurance-emploi) 7 . Dans un tel contexte, il est de plus en plus difficile pour les gouvernements d'offrir les initiatives de po- litique qui sont en demande croissante (bien que certaines forces jouent en sens opposé, comme nous le verrons subséquemment). RAISONS DE LA CONVERGENCE DES POLITIQUES SOCIALES SOUS L'EFFET DE L'INTÉGRATION D ANS L'ANALYSE QUI PRÉCÈDE, nous avons évoqué un certain nombre de mécanismes qui devraient mener à une convergence des initiatives de po- litique sociale dans différents pays et entre ceux-ci. Comme nous le verrons plus en détail dans cette section, les mécanismes théoriques comprennent : i) la concurrence politique pour les investissements des entreprises et les emplois; 359 GOMEZ ET GUNDERSON ii) les pressions émanant des groupes de consommateurs et des organismes à but non lucratif (ONG); iii) l'activité des entreprises multinationales; iv) les clauses sociales et les ententes parallèles dans les accords commerciaux; v) les menaces de mesures de représailles et de sanctions commerciales; vi) l'émulation des meilleures pratiques sur le plan des politiques; vii) la convergence de la croissance, qui favorise une convergence des politiques. La robustesse de chacune de ces explications théoriques est évaluée ci-dessous. LA CONCURRENCE POLITIQUE POUR L'INVESTISSEMENT ET LES EMPLOIS FAVORISE UNE HARMONISATION À LA BAISSE COMME NOUS L'AVONS DÉJÀ INDIQUÉ, la menace de la mobilité du capital et de la relocalisation des usines peut inciter les gouvernements à restreindre leurs initiatives de politique sociale afin d'attirer l'investissement et les emplois. Cela peut être vrai entre pays et entre différentes sphères de compétence (au niveau provincial et même au niveau municipal) au sein d'un pays. Certains craignent que cela provoque une « harmonisation vers le plus petit commun dénomina- teur » — les gouvernements ne pourront mettre en place des systèmes sociaux plus généreux — et que la règle de droit cède la place à la règle du marché, no- tamment celle dictée par les entreprises multinationales dont les activités se- ront réalisées en sous-traitance là où les coûts sont les plus bas. Pour d'autres, bien sûr, il s'agit là simplement de l'application de la concurrence classique à la sphère politique. Les gouvernements doivent sim- plement prêter plus d'attention aux répercussions financières de leurs décisions et cela est tout à fait normal. Si les gouvernements rivalisent pour attirer l'investissement et les emplois connexes, on peut supposer que cela reflète le coût d'opportunité social de leur infrastructure publique et les préférences de leurs commettants, du moins dans les sociétés démocratiques. Si cela traduit les préférences de l'élite et de groupes d'intérêts qui contrôlent l'appareil gouver- nemental, alors le problème se situe au niveau du système politique — un pro- blème qui existerait aussi dans un système fermé, mais serait moins apparent que dans un système plus ouvert, intégré et orienté vers le marché. De nombreuses forces agissant contre la convergence des initiatives de po- litique sociale seront examinées dans la prochaine section. À ce stade, il est important de souligner que, pour qu'il y ait harmonisation vers le plus petit commun dénominateur, cinq conditions doivent être respectées et quatre liens (voir la figure 2) doivent rester intacts (Gunderson, 1998a, 1999). 360 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? FIGURE 2 LIENS NÉCESSAIRES DANS UNE SPIRALE DE POLITIQUE SOCIALE DESCENDANTE Premièrement, les initiatives de politique doivent être mises en oeuvre — autrement, elles n'imposent aucun coût aux employeurs. Souvent, les politiques qui imposent un fardeau réglementaire extrême ne sont pas appliquées de façon rigoureuse, en partie à cause de la gravité du fardeau concomitant. Cela semble avoir été le cas de la réglementation sur le nombre maximal d'heures de travail en Ontario, où un ensemble complexe de permis était requis pour excéder le nombre d'heures maximales. Il semble que ces permis aient été ignorés puisque, pour chaque heure légalement travaillée au-delà du maximum, environ 24 heures de travail illégales ont été effectuées sans permis (Donner, 1987, p. 49). Ainsi, lorsqu'un gouvernement ne consacre pas de ressources à l'application de la loi, cela constitue une façon efficace de neutraliser une loi en pratique, même si celle-ci demeure en vigueur. Deuxièmement, les initiatives de politique sociale peuvent apporter aux employeurs des avantages qui compensent en partie leurs coûts 8 . L'indemnisation des travailleurs accidentés impose une charge sociale, mais ce système a historiquement été accepté tant par les employés que par les em- ployeurs puisque les employés ont renoncé à leur droit de poursuivre l'employeur en retour d'une indemnisation sans égard à la faute en cas de bles- sure. On peut penser que la suppression du régime d'indemnisation des travail- leurs entraînerait un retour au système de responsabilité délictuelle, avec tous les coûts qu'il comporte, notamment le coût élevé des litiges (comme c'est le cas actuellement des litiges portant sur des blessures non professionnelles, que 361 GOMEZ ET GUNDERSON doit trancher le système judiciaire). Cela voudrait dire aussi que les employeurs devraient verser des primes salariales plus élevées en contrepartie des risques non assurés en milieu de travail. Les avantages pour les employeurs qui découlent de la législation et des politiques sociales sont évidents dans beaucoup d'autres domaines. Les disposi- tions législatives sur le préavis de mise à pied peuvent permettre aux employés de commencer à chercher un autre emploi et, ainsi, à combler des pénuries pos- sibles chez d'autres employeurs. L'assurance-emploi peut permettre aux em- ployés de chercher plus longtemps un meilleur emploi correspondant davantage à leurs compétences, ce qui est avantageux tant pour les employeurs que pour les employés. La réglementation en matière de santé et de sécurité réduit les absences attribuables aux blessures et, également, la prime salariale compensa- toire que les employeurs devraient verser en contrepartie des risques présents en milieu de travail. L'information sur le marché du travail publiée par les gou- vernements atténue les pénuries de compétence. De façon plus générale, les filets de sécurité sociale peuvent réduire la résistance des travailleurs au chan- gement technologique, et les soi-disant « coûteux » programmes sociaux peuvent être moins coûteux que les prisons, la criminalité ou les dépenses de santé éventuellement attribuables à l'absence de programmes sociaux. En termes simples, mieux vaut prévenir que guérir. Les programmes sociaux peuvent donc constituer un volet important d'une infrastructure publique capable de soutenir l'investissement privé 9 . De tels programmes engendrent des avantages que l'on observe même au niveau de la rentabilité des entreprises, et le coût net de la fiscalité et du fardeau de la ré- glementation pour les entreprises n'est pas aussi élevé qu'à première vue. Troisièmement, une partie des coûts des initiatives de politique sociale est transmise en amont aux travailleurs ou, en aval, aux consommateurs — rédui- sant aussi leur coût net pour les entreprises. Comme nous l'avons indiqué pré- cédemment, dans le cas des charges sociales imposées aux employeurs (par exemple pour les pensions publiques, l'indemnisation des travailleurs acciden- tés, l'assurance-emploi et les prestations de santé), la plus grande partie du far- deau fiscal est répercutée sur les travailleurs sous la forme d'une rémunération moins élevée. Les employeurs peuvent verser des primes de risque moins éle- vées en raison des avantages que retirent les travailleurs des programmes so- ciaux. Une bonne partie du coût des primes de temps supplémentaire légiférées est aussi transmise aux travailleurs sous la forme d'une rémunération moins éle- vée pour les heures normales de travail (Trejo, 1991). Enfin, le coût que doivent assumer initialement les employeurs pour offrir une réinsertion raisonnable en milieu de travail aux travailleurs blessés est partiellement transféré, du moins lorsque la personne retourne au travail mais pour un autre employeur (Gunderson etHyatt, 1996). 362 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? Quatrièmement, pour que les politiques sociales aient un effet dissuasif sur l'investissement des entreprises et les flux de capitaux, les employeurs doivent réagir à tout coût net imposé par ces politiques en modifiant leurs décisions d'investissement et de localisation. Bien que cela se produise certainement lorsque les coûts sont élevés, les données sur l'importance du coût marginal net des po- litiques sociales que l'on peut associer à ces décisions ne semblent pas concluantes 10 . Ce qui est sûr, c'est que les investissements ne vont pas vers les pays où le fardeau de la réglementation est le moins lourd, en partie parce que ces pays ne sont pas perçus comme offrant un contexte juridique et social pro- pice aux affaires 11 . Les politiques sociales permettent souvent d'acheter la stabi- lité sociale et cette stabilité est favorable aux affaires. Cinquièmement, pour qu'il y ait harmonisation à la baisse, les gouverne- ments doivent réagir à toute menace de fuite de capitaux et de relocalisation d'usines en restreignant leurs initiatives de politique sociale. Cela ne se produit pas nécessairement dans les pays démocratiques parce que les gouvernements — traduisant en cela les préférences de leurs électeurs — peuvent ne pas vou- loir rivaliser sur cette base. Ils pourraient être prêts à payer le prix que repré- sente un investissement perdu si celui-ci est conditionnel à l'adoption de normes sociales inacceptables. En résumé, pour qu'il y ait harmonisation des initiatives de politique so- ciale vers le plus petit commun dénominateur, toutes les conditions contextuelles précitées doivent être présentes. La figure 2 fait voir comment une rupture dans l'un des quatre liens empêchera une course vers le bas en matière de politiques sociales. Il est peu probable que toutes ces conditions soient réunies, mais il faut dire qu'elles prévalent de plus en plus, à des degrés divers, dans un contexte d'intégration économique accrue. La plupart des politiques sont appliquées dans une certaine mesure; les avantages que retirent les employeurs ne com- pensent pas pleinement les coûts qu'ils assument; les coûts ne peuvent être en- tièrement répercutés sur les travailleurs; les employeurs modifieront leurs décisions d'investissement et de localisation en réponse à des politiques coûteuses; enfin, les gouvernements sont obligés de rivaliser afin d'attirer les investisse- ments des entreprises et les emplois connexes. Dans ces circonstances, il y aura probablement une tendance à l'harmonisation, et cette tendance ira dans le sens du plus petit commun dénominateur. PRESSIONS DES GROUPES DE CONSOMMATEURS ET DES ONG Si LA CONCURRENCE ENTRE LES GOUVERNEMENTS pour attirer l'investissement et les emplois qui en découlent favorise une harmonisation vers le plus petit commun dénominateur, d'autres sources de pression peuvent se manifester et 363 GOMEZ ET GUNDERSON neutraliser en bonne partie cet effet, voire susciter une harmonisation à la hausse vers le dénominateur commun le plus élevé. Dans un monde caractérisé par une intégration économique à la fois plus profonde et plus étendue, les groupes de consommateurs, les activistes et les ONG peuvent exercer des pressions considérables sur les entreprises pour qu'elles améliorent leurs normes et leurs pratiques de travail (Kech et Sikkink, 1998). Cela est notamment vrai pour les entreprises qui fabriquent des produits dont l'image de marque est reconnue aux quatre coins du monde. Le fait que leur prospérité tienne à leur image signifie que leur déclin pourrait aussi être lié à leur image, et cette vulnérabilité les rend sensibles aux pressions du public. Cela était évident dans l'une des premières campagnes modernes visant la gamme de vêtements de Kathy Lee Gifford, produits dans des conditions de travail misé- rables au Honduras et vendus dans les magasins Wal-Mart, et, plus récemment, dans l'ouvrage de Naomi Klein (1999), intitulé No Logo: Taking Aim at thé Brand Bullies, qui cible les multinationales comme Nike et Reebok. Les tactiques employées vont des campagnes de boycottage des consom- mateurs aux sorties sur Internet et aux étiquettes sociales qui informent les consommateurs des conditions de travail dans lesquelles un produit est fabriqué (Freeman, 1994; Organisation internationale du travail, 1997). Ces dernières sont particulièrement intéressantes pour les économistes parce qu'elles consis- tent simplement à informer les consommateurs sur les attributs des produits qu'ils achètent, tout en respectant le principe de la souveraineté du consomma- teur. Même si les données d'enquête indiquent que les consommateurs seraient prêts à payer un prix pour le contenu social des biens qu'ils achètent (Elliott et Freeman, 2001), l'efficacité de cette approche peut être mise en doute étant donné que les consommateurs pourraient verbalement appuyer une cause tout en continuant d'acheter le produit le moins cher. ACTIVITÉS DES MULTINATIONALES ET HARMONISATION À LA HAUSSE DANS UN CONTEXTE D'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE, les pratiques des multina- tionales peuvent aussi faciliter l'harmonisation. Même si elles se conforment aux lois des pays où elles font affaire, les multinationales ont tendance à appli- quer des normes plus rigoureuses que celles des employeurs nationaux. Ainsi, elles favorisent une harmonisation à la hausse vers les normes de leur pays d'origine. Cette harmonisation à la hausse se fait par cinq mécanismes : 1. Les multinationales sont influencées par les pratiques de leur pays d'origine et, ainsi, les « exportent » dans les pays d'accueil. 2. Elles appliquent souvent un ensemble plus uniforme de pratiques d'entreprise à l'ensemble de leurs opérations. 364 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? 3. Les multinationales sont extrêmement sensibles à leur image publique, en partie parce qu'elles produisent souvent des biens de marque dont les ventes dépendent de cette image. 4. Elles veulent généralement démontrer leur sens du civisme dans les pays où elles ont des activités, en partie parce que la réglementation sur la propriété étrangère est influencée par l'opinion publique au su- jet des entreprises multinationales. 5. Les multinationales appliquent souvent un code de conduite volon- taire 12 et adhèrent à des lignes directrices comme celles proposées pour les entreprises multinationales par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1976 et par l'Organisation internationale du travail (OIT) en 1977, qui privilé- gient l'application de normes au moins aussi élevées que celles en vi- gueur dans le pays d'accueil 13 . Puisqu'elles favorisent une harmonisation à la hausse dans les pays d'accueil où les normes sont généralement moins élevées, mais une harmonisa- tion à la baisse dans les pays dont les normes sont plus élevées et qui rivalisent pour obtenir les investissements et les emplois des multinationales (tel que mentionné précédemment), celles-ci facilitent la convergence des politiques et des pratiques de deux façons. Les pressions qu'exercent les multinationales en vue d'un assouplissement des normes des pays où celles-ci sont élevées et d'un relèvement des normes des pays où elles sont faibles devraient donc entraîner une convergence vers une moyenne quelconque des « politiques internes ». CLAUSES SOCIALES ET ENTENTES PARALLÈLES DANS LES ACCORDS COMMERCIAUX LES CLAUSES SOCIALES ET LES ENTENTES PARALLÈLES qui figurent dans les ac- cords commerciaux peuvent aussi favoriser une convergence des politiques so- ciales (Gunderson, 2001). Ainsi, en vertu de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), qui fait partie de l'ALENA 14 , chacun des trois partenaires commerciaux doit appliquer ses propres politiques internes dans le domaine du travail, la sanction pour un manque- ment à cet égard prenant principalement la forme d'une publicité négative. Pour les partisans du libre-échange, ces initiatives sont souvent considérées comme une forme de protectionnisme à peine voilé, qui vise à hausser artificiel- lement les coûts dans les pays à coût modique (en l'occurrence, le Mexique), bien qu'elles soient aussi souvent perçues comme un modeste prix à payer pour affaiblir la résistance à la libéralisation du commerce. Parmi les défenseurs des droits des travailleurs, les points de vue varient entre la perception que de telles 365 GOMEZ ET GUNDERSON initiatives sont inoffensives et visent à réduire les pressions qui s'exercent contre l'adoption de politiques coordonnées comportant des sanctions réelles, et celle où elles représentent un modeste progrès en vue d'attirer l'attention du public et de jeter les bases de l'adoption éventuelle d'initiatives de politique mieux coordonnées. Les clauses sociales négociées dans le cadre d'accords commerciaux, comme dans le cas de l'Union européenne (UE), sont habituellement assorties d'initiatives plus substantielles 15 . L'application des clauses sociales relève des tribunaux (jusqu'au niveau de la Cour européenne de justice) et les jugements rendus sont exécutoires pour les pays membres. Dans le cas de l'UE, ces disposi- tions ont été expressément conçues pour favoriser une harmonisation à la hausse, les pays ayant des normes plus faibles (comme la Grèce, l'Espagne et le Portugal) étant obligés d'harmoniser leurs politiques à la hausse vers celles des pays possédant des normes plus élevées (comme la Suède, l'Allemagne et la France). Cependant, des fonds sociaux ont été constitués pour aider les pays plus pauvres à procéder à cette harmonisation à la hausse. Des clauses sociales garantissant des normes du travail ont aussi été discutées lors des négociations sur les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) (De Wet, 1995; Maskus, 1997; Gomez, 2002). MENACES DE MESURES COMPENSATOIRES ET DE SANCTIONS COMMERCIALES L'HARMONISATION DES POLITIQUES peut aussi se produire sous l'effet de la menace de l'imposition de droits compensateurs ou de sanctions commerciales en réponse à des politiques nationales qui comportent des subventions à l'exportation. Évidemment, cela risque plus de se produire lorsque des accords de libre-échange ont été conclus puisque ceux-ci interdisent généralement les subventions aux exportations (ou permettent l'imposition de droits compensa- teurs pour en atténuer les effets). Si les politiques sociales d'un pays peuvent être interprétées comme com- portant une subvention à l'exportation, des pressions pourraient être exercées en vue d'atténuer la portée de ces politiques et d'éviter l'imposition de droits compensateurs. Après l'entrée en vigueur de l'ALENA, des plaintes ont été formulées aux États-Unis alléguant que le Canada subventionnait ses exporta- tions en offrant gratuitement l'assurance-santé, tandis que les producteurs amé- ricains devaient généralement assumer cette forme d'assurance dans le cadre de régimes parrainés par l'employeur qui leur imposaient de fortes primes. Cela ne tient pas compte du fait que l'assurance-santé au Canada est financée à même les recettes fiscales générales ou par des cotisations salariales qui imposent des coûts semblables aux employeurs. Si l'assurance-santé coûte moins cher au Canada (une hypothèse difficile à vérifier parce que la qualité des soins de santé 366 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? et les coûteuses listes d'attente peuvent différer), cela doit traduire un meilleur bilan coût-efficacité du régime public de prestations de santé en comparaison d'un régime privé. Les politiques sociales comme l'assurance-emploi peuvent comporter une subvention aux industries saisonnières telles que la pêche et l'exploitation fo- restière puisque les charges salariales ne couvrent pas le coût des prestations versées dans ces industries, bien qu'il soit difficile d'établir le niveau précis de la subvention. Ces exemples mettent en lumière le fait que la pression en vue d'une harmonisation des politiques sociales découlant de la menace de l'imposition de droits compensateurs est vraisemblablement une possibilité plus théorique que pratique. ÉMULATION DES MEILLEURES PRATIQUES AU NIVEAU DES POLITIQUES BIEN QUE NOUS SOYONS PORTÉS À PENSER que l'émulation des meilleures pratiques est un phénomène par lequel des employeurs du secteur privé copient les meilleures pratiques d'autres employeurs privés 16 , une telle émulation se produit aussi dans le domaine des politiques (Gunderson, 1998a, p. 32). Avec le renforcement des liens économiques dans d'autres secteurs, les gouverne- ments évoluant dans différents régimes commerciaux sont davantage en inte- raction et exposés de plus en plus aux pratiques des autres pays sur le plan des politiques. Dans ces circonstances, il est plus probable qu'ils adoptent les meilleu- res pratiques des autres pays, à l'instar des employeurs du secteur privé qui font du commerce réciproque et qui ont plus de chance d'adopter les meilleures pra- tiques de leurs concurrents. Récemment, Mukand et Rodrik (2002) ont ajouté une variante à ce phénomène connu, laquelle suppose que l'émulation des politi- ques comporte des avantages non linéaires. Dans leur modèle, les pays ne profi- tent pas tous de l'émulation des meilleures pratiques à cause de l'incompatibilité de certaines réformes, attribuable à F« éloignement » relatif du pays d'origine. L'idée ici est que les pays qui sont très rapprochés ou très éloignés d'un pays performant sont ceux qui pourraient retirer les avantages les plus importants de l'adoption des meilleures pratiques de ce pays. Il en est ainsi parce que les pays avoisinants partagent souvent des caractéristiques très semblables qui rendent appropriée l'adoption de ces pratiques, tandis que les pays éloignés peuvent choisir l'instrument de politique qui convient le mieux à leur situation sans su- bir de pression en vue d'adopter l'ensemble des meilleures pratiques de l'autre pays. Par contre, les voisins immédiats peuvent subir d'importantes pertes en conséquence de l'émulation des politiques parce qu'ils sont exposés au double problème d'être suffisamment rapprochés des pratiques du pays voisin perfor- mant pour que cela influence les décideurs, mais trop éloignés en termes de conditions initiales pour justifier l'adoption intégrale des pratiques de ce voisin. 367 GOMEZ ET GUNDERSON Comme l'ont noté Mukand et Rodrik (2002), si l'émulation de meilleures pratiques favorise l'harmonisation, celle-ci peut aller vers le haut ou vers le bas, selon que les meilleures pratiques englobent plus ou moins d'initiatives de poli- tique sociale. A titre d'exemple, étant davantage exposés au Canada et aux États-Unis, les pays d'Amérique latine ont accordé beaucoup plus d'attention à Passurance-emploi comme solution de rechange à leur système actuel de mises à pied, dont les coûts sont assumés par les employeurs. Après l'entrée en vi- gueur de l'ALENA, les initiatives de réforme des soins de santé entreprises aux États-Unis au milieu des années 90 ont comporté un examen attentif du sys- tème public de soins de santé du Canada, tandis que les Canadiens ont étudié attentivement les réformes mises en œuvre dans le secteur du bien-être aux États-Unis à peu près à la même époque. Les réformes apportées à l'assurance- chômage/assurance-emploi au Canada vers le milieu des années 90 constituent peut-être le meilleur exemple d'émulation d'une politique dans un contexte d'intégration accrue (et il y a vraiment eu un changement de politique dans ce cas). Ces réformes, qui ont aligné le système canadien sur celui des États-Unis, ont bénéficié des travaux de recherche menés en sciences sociales, lesquels ont été influencés, dans une large mesure, par l'expérience américaine. L'effet de l'intégration économique sur les politiques dans ces cas est clai- rement de nature indirecte parce qu'il est possible d'examiner les pratiques des autres pays peu importe qu'il y ait intégration plus poussée ou plus étendue sous d'autres dimensions 17 . Mais, comme l'ont noté Gunderson (1998a) et Mukand et Rodrik (2002), l'émulation sera vraisemblablement plus importante lorsque les pays sont exposés aux pratiques étrangères dans d'autres secteurs. LA CONVERGENCE DE LA CROISSANCE FAVORISE LA CONVERGENCE DES POLITIQUES LA CONVERGENCE DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE favorisée par l'intégration économique peut aussi entraîner une convergence des politiques sociales. Il y a convergence des taux de croissance du fait que les pays (ou les régions des pays) moins développés connaissent une expansion plus rapide parce qu'ils se trouvent au stade des rendements croissants sur leur courbe potentielle de croissance, tandis que l'expansion des pays avancés est plus lente parce que ceux-ci ont atteint le stade des rendements décroissants sur leur courbe de croissance potentielle 18 . Si l'élasticité-revenu de la demande pour les politiques sociales est posi- tive, cela signifie que la demande pour ces politiques augmentera plus rapide- ment dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu élevé 19 . Essentiellement, les pays à revenu moins élevé ont tendance à s'adapter aux normes des pays à revenu élevé, vers lesquels converge leur taux de croissance. À mesure qu'ils se développent, les pays à revenu moins élevé sont mieux en 368 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? mesure de financer les politiques sociales coûteuses des pays riches et ils peu- vent recourir à une stratégie sélective en adoptant uniquement les politiques so- ciales qui ont donné de bons résultats et en évitant celles qui ont échoué. En d'autres termes, ils n'ont pas à passer par le même processus coûteux d'innovation et d'expérimentation et peuvent donc profiter de l'expérience des pays à revenu élevé. Bien entendu, cela se compare à la capacité des pays moins développés d'adopter les technologies gagnantes des pays développés. RAISONS DE LA DIVERGENCE DES POLITIQUES SOCIALES DANS UN CONTEXTE D'INTÉGRATION L ) ANALYSE QUI PRÉCÈDE met l'accent sur les raisons théoriques de l'harmonisation des initiatives de politique sociale dans un contexte d'intégration économique croissante où s'exercent certaines pressions en vue d'une harmonisation à la baisse et d'autres favorisant une harmonisation à la hausse. Dans cette section, nous analysons sept grandes forces d'intégration menant à une divergence durable sur le plan des politiques (ou du moins à une diffusion lente). CROISSANCE ENDOGÈNE ET RETOMBÉES POSITIVES L'ANALYSE QUI PRÉCÈDE ÉVOQUE la convergence possible des initiatives de politique sociale sous l'effet de la convergence des taux de croissance écono- mique qui, elle-même, est basée sur la logique des rendements décroissants. Cependant, la documentation sur la croissance endogène 20 incite à penser que les pays (ou les régions au sein des pays) à revenu élevé n'enregistrent pas né- cessairement des rendements décroissants — en fait, ils peuvent profiter de rendements croissants dans la mesure où il y a un nombre infini de façons de conjuguer les intrants et de continuer à croître. La théorie des rendements croissants tourne autour de ce que l'on appelle les retombées positives et les effets d'agglomération provenant des grappes de connaissances et de capital humain. Ces grappes sont caractéristiques de nombreuses nouvelles industries clés comme la pharmacologie et les technologies de l'information où, essentielle- ment, la croissance suscite une croissance encore plus grande. A l'opposé, les pays à faible revenu peuvent être piégés dans un équilibre à un niveau peu élevé, incapables de réunir les ressources nécessaires pour amor- cer un démarrage sur la voie d'une expansion soutenue. Il y peu de retombées du savoir si, au point de départ, le stock de capital humain est limité. La situa- tion est aggravée si les meilleurs éléments migrent vers les centres de croissance, privant ainsi les régions à faible rémunération des personnes qui pourraient être le mieux placées pour faciliter le processus de croissance. 369 GOMEZ ET GUNDERSON Dans ces circonstances, il est difficile de s'engager dans des activités qui favorisent des rendements croissants, par exemple imposer le revenu privé pour offrir une infrastructure publique de base en vue d'étendre les services d'enseignement, garantir une application appropriée des contrats privés et, en- fin, assurer la stabilité sociale, qui est généralement considérée comme une condition préalable à l'investissement privé et à une croissance économique du- rable. Les régions à faible revenu et dont la capacité fiscale est limitée peuvent être confrontées à un véritable dilemme — incapables de se doter des politiques sociales requises parce qu'elles ne peuvent croître assez rapidement pour offrir les politiques sociales de base généralement perçues comme essentielles à la pé- rennité de la croissance. Dans ce scénario, la pauvreté engendre encore plus de pauvreté, y compris un manque de politiques sociales de base. À la lumière de la documentation sur la croissance endogène, une divergence des politiques so- ciales peut donc durer longtemps, tout comme il est possible que durent des taux de croissance divergents. EFFET DE PARCOURS ET IMPORTANCE DES CONDITIONS INITIALES UNE AUTRE CONSTATATION QUI RESSORT de la documentation sur la crois- sance endogène est que les taux de croissance économique peuvent converger, mais le taux de convergence sera tributaire de la trajectoire passée et propre à chaque pays. Autrement dit, la croissance à l'état stationnaire est déterminée par les conditions initiales, lesquelles peuvent s'être formées par accident histo- rique ou autrement 21 . En appliquant cette logique aux politiques sociales, les systèmes sociaux peuvent aussi être tributaires du cheminement passé (c'est-à- dire être basés sur les conditions qui prévalaient à l'origine lorsque ces politiques ont été mises en place). Dans le secteur de la politique sociale, cela peut se produire par divers mécanismes. Les bureaucraties, qui se forment autour d'initiatives de politique, peuvent hésiter à modifier ces politiques parce qu'elles ont acquis une expertise spécifi- que qui pourrait ne pas être transférable à d'autres initiatives. Les bureaucraties peuvent également avoir des intérêts acquis gravitant autour de certaines poli- tiques particulières. À titre d'exemple, si l'on privatisait les régimes d'indemni- sation des travailleurs au Canada (comme c'est le cas dans de nombreux États américains), des questions surgiraient au sujet de la transférabilité des employés protégés par les régimes publics aux assureurs privés. La même logique s'appliquerait aux assureurs du secteur privé aux États-Unis si ce pays adoptait un régime entièrement public. Ainsi, les acteurs privés peuvent avoir des inté- rêts acquis associés à des politiques particulières comme c'est le cas, par exem- ple, lorsque Passurance-emploi soutient les entreprises d'industries saisonnières en permettant aux travailleurs de ces industries de rester liés à leur entreprise même lorsqu'ils sont en chômage. Tout un mode de vie peut se créer autour 370 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? des programmes sociaux, engendrant de sérieux problèmes d'adaptation lors- qu'on envisage de modifier ces programmes. Les entreprises qui s'ajustent aux coûts fiscaux de politiques sociales particulières hésitent à assumer les coûts fis- caux de programmes nouveaux et différents, ce qui engendre un biais favorable au maintien des programmes en place. Dans ces circonstances, il est possible que des pays (ou des régions au sein des pays) demeurent sur le sentier qu'ils ont emprunté à l'origine, ce qui peut donner lieu à une divergence soutenue des politiques sociales, que nous avons illustrée précédemment à la figure Ib. Comme Banting, Hoberg et Simeon (1997, p. 15) l'ont noté pertinemment, cela peut expliquer pourquoi on observe davantage une divergence soutenue au niveau des anciens programmes, tels que les soins de santé, en raison de leur héritage historique, comparativement aux programmes plus récents (comme les mesures de protection de l'environnement et les régimes de garde d'enfants), qui montrent une plus grande convergence des politiques. DIFFÉRENCES AU NIVEAU DE LA CULTURE, DES VALEURS ET DES INSTITUTIONS EN PLACE LES DIFFÉRENCES DANS LES POLITIQUES SOCIALES peuvent aussi être soutenues par des différences au niveau de la culture, des valeurs et des institutions parce que les politiques sociales sont le reflet (en grande partie) de différences dans les résultats électoraux, qui sont eux-mêmes liés aux systèmes de valeurs et aux institutions connexes. L'expression peut-être la plus révélatrice à cet égard nous vient de Lipset : « Le Canada a été, et demeure, une société plus marquée par l'esprit de classe, Pélitisme, le respect des lois, l'étatisme, les orientations collectives et le particularisme (l'identification au groupe) que les États-Unis. Ces distinctions fondamentales remontent en bonne partie à la Révolution américaine et aux diverses écologies sociales et environnementales découlant de la division de l'Amérique du Nord britannique. Les effets sociaux de ces dis- tinctions ont été renforcés par des différences au niveau de la littérature, de la tradition religieuse, des institutions politiques et juridiques, ainsi que des struc- tures socioéconomiques. » (1989, p. 8) Lipset affirme qu'en dépit de leurs simi- litude apparente, les États-Unis et le Canada ont amorcé leur évolution dans des conditions initiales fondamentalement différentes puisque la Révolution américaine a lancé les États-Unis sur un sentier de dépendance envers l'État qui a privilégié l'individualisme et la méfiance à l'égard de l'État, tandis le Canada a débuté dans un climat de loyauté envers la Grande-Bretagne et de respect pour les grandes institutions et, par conséquent, de moins grande méfiance à l'égard de l'action collective représentée par l'État. Ces conditions initiales devraient faciliter une plus grande acceptation des politiques collectivistes et sociales au Canada qu'aux États-Unis. 371 GOMEZ ET GUNDERSON Les théories axées sur l'enchâssement (embeddedness) projettent des pers- pectives similaires 22 , en posant par hypothèse que le comportement des personnes et des institutions (dont les politiques sociales) est enchâssé dans le système plus vaste de relations sociales et de réseaux au sein de la société. Dans ce cadre, les pressions provenant des forces du marché qui pourraient susciter une convergence des politiques sociales doivent affronter la résistance émanant des relations sociales plus vastes qui favorisent la diversité. ÉQUILIBRE DE TYPE TlEBOUT COMPORTANT DES COMBINAISONS IMPÔTS-DÉPENSES HÉTÉROGÈNES LES PAYS OU LES ADMINISTRATIONS INFRANATIONALES peuvent recourir à des combinaisons différentes de politiques sociales et d'impôts (pour les financer) simplement à cause des préférences des contribuables. Des préférences divergentes peuvent découler de différences dans la situation initiale d'un pays (comme nous l'avons déjà vu), ou simplement du fait que les contribuables sont influen- cés par des facteurs autres que la dépendance historique. Ainsi, certaines per- sonnes peuvent préférer un haut niveau de dépenses sociales et être disposées à payer les impôts nécessaires à ces dépenses, alors que d'autres peuvent préférer une combinaison d'impôts peu élevés et de dépenses peu élevées. En théorie, les particuliers se répartiront entre les territoires en fonction de la combinaison optimale correspondant à leurs préférences. De multiples équilibres peuvent donc être soutenus par l'homogénéité des préférences au sein de chaque collec- tivité (Tiebout, 1956). Ce principe pourrait aussi s'appliquer aux entreprises, dont certaines souhaitent éviter tout coût réglementaire, tandis que d'autres peuvent être prêtes à payer des impôts plus élevés pour avoir accès à des infras- tructures publiques répondant à leurs besoins. En pratique, les équilibres de type Tiebout sont évidemment difficiles à at- teindre à cause de l'étroitesse des marchés pour les diverses combinaisons pos- sibles. On pourrait envisager de déménager dans une province où les impôts sont moins élevés et les services sociaux moins nombreux, mais cela devient plus difficile si, par exemple, les entreprises veulent avoir moins de services so- ciaux en général, tout en n'étant pas disposées à payer des impôts plus élevés pour financer des infrastructures publiques comme le système d'éducation. Le problème se complique encore davantage lorsque les particuliers souhaitent pour leur part demeurer dans une province ou un Etat situé près de l'océan, ou à un endroit où le français occupe une place dominante. Les services sociaux et les dépenses publiques ne sont pas des composantes distinctes et dissociables auxquelles on peut attribuer un prix, pour ensuite les regrouper et les offrir comme on le ferait d'un assemblage de blocs Lego. De même, la mobilité est généralement limitée entre pays et, même lorsqu'elle est légalement permise, elle impose d'autres coûts 23 . 372 ) L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? Néanmoins, on retrouve de larges combinaisons impôts-dépenses d'un en- droit à l'autre, et ces combinaisons divergentes de politiques peuvent être sou- tenues en raison des préférences et des besoins différents des contribuables. Même si toute une série d'autres facteurs interviennent, les Québécois semblent davantage disposés à accepter une fiscalité plus lourde pour les services sociaux que les Albertains. Les Européens semblent plus disposés à accepter un rôle ac- cru pour l'Etat dans la prestation des services sociaux que les Américains, tan- dis que les Canadiens semblent positionnés — comme toujours — quelque part entre les deux (c'est-à-dire avec une combinaison convexe de préférences eu- ropéennes et américaines). Des politiques sociales divergentes peuvent aussi être soutenues à l'équilibre parce qu'il est possible d'atteindre les objectifs de la politique sociale en recourant à différents types de politiques sociales (comme l'indique la fi- gure Ib). En d'autres termes, on peut emprunter différents sentiers de politi- ques pour atteindre le même but. Dans certains cas, l'État consacrera des dépenses aux politiques sociales (par exemple pour l'aide sociale offerte aux personnes handicapées), tandis qu'ailleurs la réglementation obligera les em- ployeurs à fournir de l'aide (comme des aménagements raisonnables pour les travailleurs handicapés). Les entreprises peuvent être tenues de verser de coû- teuses indemnisations aux travailleurs lors d'un accident industriel, ou d'offrir une coûteuse formation en matière de santé et de sécurité qui pourra réduire l'incidence de ces accidents. On peut rendre les rues plus sécuritaires en cons- truisant des prisons ou en offrant des services sociaux qui contribuent à abaisser la criminalité. Dans toutes ces situations, les coûts fiscaux peuvent être identi- ques — ils font simplement intervenir différentes mesures de politique sociale qui sont également soutenables pour le même niveau de coût fiscal. Les diffé- rents sentiers que l'on peut emprunter pour parvenir aux mêmes objectifs sup- posent donc une divergence durable dans les combinaisons de politiques sociales (même si leurs coûts ne divergent pas toujours). DEMANDES HÉTÉROGÈNES AU NIVEAU DES POLITIQUES PROVENANT DE POPULATIONS HÉTÉROGÈNES DES DEMANDES DIFFÉRENTES POUR DES POLITIQUES SOCIALES peuvent aussi découler du fait que les populations diffèrent de diverses façons, par exemple sur le plan de l'ethnicité ou de la structure d'âge. Ainsi, une population qui pos- sède une importante cohorte de jeunes nécessitera plus de dépenses sociales en éducation, mais moins en santé. Par contre, une population qui compte une importante fraction de personnes âgées aura de lourdes obligations au chapitre des pensions et des soins de santé, notamment lorsque cette population vieillis- sante exerce une influence sur les systèmes électoraux servant à établir les prio- rités sociales. Une population comptant une cohorte limitée de personnes en 373 GOMEZ ET GUNDERSON âge de travailler aura de la difficulté à se doter d'une assiette fiscale permettant de défrayer un quelconque programme social. Le fait qu'il y ait des écarts im- portants et croissants dans la structure d'âge des pays de l'OCDE ne fait que mettre en relief la divergence durable au niveau des politiques sociales qui en résultera vraisemblablement (Gomez, Gunderson et Luchak, 2002). En outre, si la génération actuelle de contribuables a de la difficulté à as- sumer le coût des services sociaux, elle pourrait tenter de le transmettre aux générations futures de contribuables, comme les régimes de prestations sans ca- pitalisation permettent de le faire. C'est le cas, par exemple, des régimes publics de pensions, dans le cadre desquels les contribuables actuels défraient les pres- tations versées à la cohorte des personnes à la retraite, en espérant que les gé- nérations futures assumeront le coût de leurs prestations de retraite lorsqu'ils auront quitté la population active. De tels systèmes sont soutenables lorsqu'il y a une croissance normale de la production et la productivité et, partant, du re- venu. Mais, à l'heure actuelle, les taux de croissance des cohortes plus âgées sont supérieurs à ceux des plus jeunes, et de lourds fardeaux intergénération- nels devront être assumés par les cohortes futures de contribuables. Les mem- bres de la prochaine génération pourraient cependant refuser d'honorer le contrat social implicite qui leur est imposé, du fait notamment que ces événe- ments étaient facilement prévisibles et que les obligations correspondantes au- raient pu être financées par la génération actuelle de contribuables. Essentiellement, la diversité des initiatives de politique sociale peut découler d'une diversité au niveau de la volonté et de la capacité de payer pour de tels transferts intergénérationnels. L'EFFET FRONTIÈRE L'EFFET FRONTIÈRE — les différences observées de part et d'autre de la fron- tière que les facteurs économiques fondamentaux ne semblent pouvoir expli- quer— peut aussi permettre des politiques sociales divergentes. Helliwell (1998, 2001) et d'autres ont appliqué des modèles de gravité pour montrer que les échanges entre des villes de taille et d'éloignement comparables étaient d'environ dix-huit fois plus élevés au Canada qu'entre le Canada et les Etats- Unis. Autrement dit, les frontières ont de l'importance au sens où nous préférons commercer à l'intérieur de notre pays, même lorsqu'il ne semble pas profitable de le faire. Incidemment, même les plus farouches théoriciens de la conver- gence n'ont pu expliquer l'effet lié à la frontière canado-américaine. Le théori- cien par excellence de la convergence et autorité en la matière, Frederick Engels, s'étonnait des écarts qu'il observait entre le Canada et les États-Unis. Écrivant il y a plus d'un siècle, Engels — convaincu qu'un tel anachronisme (le Canada) disparaîtrait à brève échéance — était manifestement préoccupé par 374 Dans la mesure où les frontières ont de l'importance pour le commerce, il n'est pas étonnant qu'elles puissent aussi avoir de l'importance au niveau de la politique sociale, du soutien des programmes à l'intérieur des frontières et du ralentissement de la convergence hors des frontières nationales. Si le commerce interne se poursuit dans un pays, les politiques sociales internes devraient aussi être viables. Cependant, les mécanismes qui engendrent une préférence pour le com- merce intérieur par rapport au commerce extérieur (c'est-à-dire la familiarité et les réseaux, ainsi que les similitudes de culture, de lois, de réglementation et d'institutions) pourraient ne pas s'appliquer aussi facilement au maintien de politiques sociales qu'à celui de liens commerciaux. De plus, les données indi- quent que l'effet frontière s'est dissipé de façon spectaculaire après l'entrée en vigueur de l'ALENA, passant d'un ratio de 18:1 en faveur du commerce in- terne en 1990 (tout juste avant l'ALENA) à un ratio de 12:1 en 1993 (tout juste après l'ALENA), ce qui signifie une diminution d'un tiers de l'importance de la frontière sur une courte période de trois ans. Cela incite à penser que l'intégration économique plus poussée et plus étendue qui a suivi l'ALENA a provoqué une réorientation marquée des échanges commerciaux, de l'espace canadien (est-ouest) à l'espace canado-américain (nord-sud). Dans la mesure où l'effet frontière, favorable au commerce interne, pourrait aussi soutenir des politiques sociales internes, cela voudrait dire qu'il devient de plus en plus diffi- cile de maintenir des politiques nationales distinctes et que celles-ci évolueront de plus en plus selon un axe nord-sud. LE CAPITAL SOCIAL LE CAPITAL SOCIAL SUPPOSE UN INVESTISSEMENT en temps et en ressources dans les réseaux informels de relations sociales et de soutien réciproque au sein d'une collectivité 24 . Il peut prendre diverses formes : le bénévolat, les effets liés 375 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? le fait que son système de déterminisme matérialiste était remis en question par la différence marquée existant entre le Canada et les États-Unis : II y a une étrange transition en passant des États-Unis au Canada. Pre- mièrement, on s'imagine se retrouver en Europe, mais on constate que l'on se trouve dans un pays rétrograde qui dépérit. Ici, on peut voir com- bien nécessaire est l'esprit spéculatif fébrile des Américains pour le déve- loppement rapide d'un nouveau pays (en prenant pour base de référence la production capitaliste) et, dans dix ans, ce Canada somnolent sera mûr pour l'annexion — les agriculteurs du Manitoba, et d'autres, la ré- clameront. [...] et ils [les Canadiens] pourront lutter et résister autant qu'ils le voudront, la nécessité économique d'une infusion de sang Yankee prévaudra et abolira cette frontière ridicule — le moment venu, John Bull dira « amen » sur cet épisode. (Engels, 1888) GOMEZ ET GUNDERSON au groupe d'attache, les réseaux communautaires, la confiance, l'aide mutuelle et les normes de la collectivité. En tant que forme de capital, il peut produire des services de diverses façons, notamment par les réseaux d'information, l'assurance, la sécurité et une diminution des coûts de transaction. Si une intégration économique plus poussée et plus étendue suppose une réorientation des collectivités locales vers la collectivité internationale, le capi- tal social interne de la collectivité pourrait se dissiper quelque peu. Comme l'affirment Lin, Cook et Burt : « Le capital social sert non seulement de force exogène qui mène à certains résultats mais, ce qui est plus important, il est lui- même la conséquence d'autres forces exogènes dynamiques.» (2001, p. viii) Cela concorde aussi avec le déclin de l'effet frontière découlant d'une intégra- tion accrue, comme nous l'avons mentionné précédemment. Le capital social est souvent perçu comme une alternative aux services so- ciaux offerts par l'État, ce qui signifie que tout recul dans l'utilisation du capital social attribuable à l'intégration pourrait accentuer le besoin de recourir aux politiques officielles de l'État. On s'attend donc à ce que les politiques sociales offertes par le mécanisme formel de l'État comblent le vide laissé par le capital social qui, autrement, pourrait avoir joué un rôle semblable. AUTRES OBSTACLES À LA DIFFUSION DES POLITIQUES SOCIALES UNE DIVERSITÉ DE POLITIQUES SOCIALES peut aussi être soutenue par la pré- sence d'obstacles à l'adoption et à la diffusion des meilleures pratiques dans l'élaboration des politiques sociales. A cet égard, des parallèles existent avec de nombreux autres obstacles qui gênent l'adoption et la diffusion des meilleures pratiques en milieu de travail et dans la gestion de ressources humaines 25 . Bien que nous ayons de l'information sur ce qui fonctionne et ne fonc- tionne pas dans le secteur de la politique sociale, il n'y a manifestement pas un degré suffisant de consensus sur les meilleures politiques qui pourraient être adoptées uniformément dans tous les contextes. Le débat actuel sur les politiques de salaire minimum en témoigne : alors qu'il y avait jadis un consensus sur cette question, celui-ci a littéralement volé en éclat récemment (Benjamin, Gunderson et Riddell, 2002, p. 217). Même s'il y a consensus sur certaines ini- tiatives de politique efficientes, il n'y a pas unanimité sur le fait qu'elles donne- ront de bons résultats dans tous les contextes. On s'entend généralement pour dire que le système d'apprentissage allemand réussit bien à doter ce pays d'une main-d'œuvre qualifiée. Cependant, on ne s'entend pas sur l'opportunité de transplanter un tel système dans des pays comme le Canada et les États-Unis compte tenu de la nécessité de faire assez tôt un choix (essentiellement irréver- sibles) entre les disciplines professionnelles et les disciplines plus théoriques. La résistance provenant de groupes qui ont intérêt à maintenir le statu quo pourrait faire obstacle à l'adoption et à la diffusion d'initiatives correspondant 376 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? aux meilleures politiques. Ces groupes peuvent englober les fonctionnaires qui administrent les politiques en place, et même les employeurs et les employés qui se sont déjà adaptés à ces politiques. La classe politique, qui a la responsabilité de modifier les politiques sociales, a souvent un horizon temporel limité — de quatre ans peut-être, soit jusqu'à la prochaine élection. Dans ces circonstances, elle hésite à réformer en profon- deur des politiques sociales sur la base des meilleures pratiques parce que les coûts d'une telle réforme pourraient se faire sentir dans l'immédiat, tandis que les avantages pourraient se manifester dans un avenir lointain — et profiter aux partis qui forment aujourd'hui l'opposition. Tout comme les obstacles sociaux à la coopération patronale-ouvrière nuisent à l'adoption et à la diffusion des meilleures pratiques en milieu de tra- vail, des obstacles tels que la méfiance peuvent entraver la coopération néces- saire à l'adoption des meilleures pratiques dans le secteur des politiques. Les initiatives de politique sociale exigent parfois la coopération des employés et des gestionnaires de différents groupes d'intérêts, dont l'existence même pour- rait être menacée par cette coopération. Sur la scène internationale, cette coo- pération est, à coup sûr, compromise lorsqu'elle suppose la cession d'un degré réel de souveraineté à des organisations internationales. Pour ces diverses raisons, de nombreux obstacles à l'adoption et à la diffu- sion des meilleures pratiques sur le plan des stratégies, des technologies ou des ressources humaines en milieu de travail pourraient aussi limiter les initiatives de politique sociale dans la sphère politique. La divergence au niveau des politiques sociales existe donc, et la convergence vers les meilleures pratiques pourrait ne jamais se produire. Y A-T-IL DES PREUVES D'UNE CONVERGENCE DES POLITIQUES ET DES MESURES SOCIALES? L )ANALYSE QUI PRÉCÈDE MONTRE QUE, dans un contexte d'intégration économique accrue, la convergence des politiques sociales peut se faire à la baisse vers le plus petit commun dénominateur, ou à la hausse, dans la foulée des pays qui possèdent des politiques sociales plus élaborées. À l'inverse, il existe des raisons tout aussi convaincantes de supposer qu'une diversité de poli- tiques sociales pourrait être soutenue et même accentuée sous la pression d'une intégration plus poussée et plus étendue. Devant ces positions théoriques contradictoires, il importe d'examiner les données empiriques pour voir s'il y a eu une convergence des politiques (le cas échéant, à la baisse ou à la hausse) ou une diversité soutenue (croissante) au lendemain des initiatives récentes (ALE et ALENA) qui ont approfondi et élargi la portée de l'intégration économique en Amérique du Nord. 377 GOMEZ ET GUNDERSON EXAMEN DES DONNÉES NORD-AMÉRICAINES : CONVERGENCE OU DIVERGENCE DES POLITIQUES SOCIALES? ON A L'IMPRESSION QUE LE CANADA possède des lois ouvrières, des normes d'emploi et des politiques sociales plus rigoureuses que les États-Unis, et une analyse systématique vient confirmer cette impression. Sur la base d'une éva- luation détaillée de la législation portant sur la négociation collective, l'égalité des chances, les congédiements injustifiés, la santé et la sécurité au travail, l'indemnisation des travailleurs, les préavis de mise à pied et l'assurance-emploi, Block et Roberts arrivent à la conclusion suivante : « Un survol général des normes du travail [l'expression qu'ils utilisent pour décrire l'ensemble de ces politiques] dans les deux pays donne à penser que les idées préconçues sont exactes — les normes du travail sont, en effet, plus élevées au Canada qu'aux États-Unis. » (1997, p. 39) Cette étude nous fournit un instantané de la situa- tion vers 1997, mais sans analyse des changements survenus au fil du temps, de sorte que l'on ne peut déduire s'il y a eu, dans l'ensemble, convergence. La convergence entre le Canada et les États-Unis dans des domaines autres que la politique ouvrière et sociale a été examinée dans diverses études pu- bliées dans Banting, Hoberg et Simeon (1997). C'est le cas notamment de la politique macroéconomique, qui privilégie la réduction de l'endettement et la lutte à l'inflation (Boothe et Purvis, 1997), des politiques industrielles davan- tage axées sur le marché ayant trait à la libéralisation du commerce, aux sub- ventions à l'industrie, au développement régional, à la R-D, à l'éducation et à la formation (Howse et Chandler, 1997), des politiques environnementales, qui montrent une harmonisation à la hausse du Canada vers les politiques en vi- gueur aux États-Unis (Hoberg, 1997, 2000), ainsi que des droits politiques in- dividuels et de la protection judiciaire contre l'État, essentiellement avec l'adoption de la Charte des droits et libertés au Canada (Manfredi, 1997). Nous voulons savoir essentiellement s'il y a eu tendance à une convergence des poli- tiques ouvrières et sociales et de leurs conséquences. Une analyse statistique détaillée des données disponibles sur la gamme complète des politiques sociales déborde du cadre de la présente étude, no- tamment devant l'absence d'examens systématiques et détaillés sur lesquels nous baser. De même, il y a peu de données systématiques sur cette question et aucun consensus n'est d'ailleurs ressorti. Dans cette optique, les données exami- nées ici sont de nature iilustrative plutôt qu'exhaustive (malgré leur étendue). Nous présentons toutefois une méta-analyse qualitative de la documentation empirique. La méthodologie empirique s'inspire de la tradition de l'analyse vau- tourienne — survoler les restes des autres pour s'approprier les meilleurs mor- ceaux. Nous nous intéressons surtout aux questions de convergence entre le 378 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? TABLEAU 2 SOMMAIRE DE LA CONVERGENCE ou DE LA DIVERGENCE DES DIVERSES POLITIQUES DU TRAVAIL ET POLITIQUES SOCIALES POLITIQUE SOCIALE / DU TRAVAIL OU RÉSULTAT 1. Syndicalisation et lois du travail 2. Grèves 3. Salaires minimums 4. Assurance-chômage 5. Indemnisation des accidents du travail DIVERGENCE ou CONVERGENCE Convergence vers des niveaux inférieurs de syndicalisation et de lois du travail dans les pays où la négociation est décentra- lisée (le Canada fait exception, en dépit d'une certaine con- vergence récente vers les États-Unis) . Convergence vers un moins grand nombre de grèves, notam- ment dans le secteur privé, et convergence à la baisse vers des restrictions accrues visant les grèves dans le secteur public. Convergence vers des niveaux inférieurs de salaires mini- mums réels. Convergence vers des modalités d'accès plus restrictives. Divergence soutenue. 6. Santé et sécurité au travail Divergence soutenue. 7. Équité salariale 8. Équité en emploi 9. Discrimination fondée sur l'âge et retraite obligatoire 10. Pensions 1 1 . Prestations de bien-être et prestations familiales 12. Dépenses sociales globales 13. Normes du travail en général 14. Impôts Conclusion générale Convergence vers l'absence d'exigences obligatoires. Incertain. Divergence soutenue mais pression en faveur d'une conver- gence à la hausse vers les États-Unis. Convergence du côté du financement. Divergence croissante du côté des prestations. Convergence pour les familles au travail. Divergence pour les familles n'ayant aucun revenu gagné. Divergence soutenue avec une certaine convergence vers la moyenne (c'est-à-dire convergence à la baisse dans les pays où les dépenses sont élevées et convergence à la hausse dans les pays où les dépenses sont peu élevées). Convergence qui se fait souvent vers la moyenne (c'est-à-dire convergence à la baisse dans les pays où les normes sont élevées et convergence à la hausse dans les pays où les normes sont faibles) . Interprétation mixte : les spécialistes des sciences politiques affirment qu'il n'y a pas de convergence, mais la plupart des économistes sont d'avis qu'il y a une convergence à la baisse vers des impôts moins élevés. Convergence générale, habituellement à la baisse vers le plus petit commun dénominateur, mais une divergence considérable persiste. SENS 1 4 1 ^ <-» <-> 1 — t 4 <-> 1 <-> <-> <-> <-> 1 Source : Interprétation faite par les auteurs de diverses études, tel qu'indiqué dans le texte. 379 GOMEZ ET GUNDERSON Canada et les États-Unis, mais des comparaisons plus vastes sont aussi faites avec d'autres pays (notamment de l'OCDE). Le tableau 2 renferme un som- maire des constatations. Un examen des politiques du travail et de leurs résul- tats est d'abord présenté, suivi d'une comparaison des taux d'imposition. SYNDICALISATION ET LOIS DU TRAVAIL MÊME S'IL NE S'AGIT PAS D'UNE POLITIQUE SOCIALE EN SOI, la syndicalisation est une force institutionnelle qui a une incidence marquée sur d'autres volets de la politique sociale et qui subit l'influence des initiatives de politiques légifé- rées. C'est aussi un élément qui revient souvent dans le débat sur la conver- gence et la divergence. La densité syndicale a diminué depuis les années 70 dans la plupart des pays développés, sauf dans les pays Scandinaves, qui ont tendance à avoir une structure de négociation centralisée, et au Canada (Lipsig-Mummé, 2001, p. 534; Benjamin, Gunderson et Riddell, 2002, p. 421). À cet égard, le Canada constitue en quelque sorte une anomalie, ayant une structure de négociation décentralisée mais sans montrer un déclin important de la syndicalisation. Le contraste est particulièrement marqué avec son principal partenaire commer- cial, les États-Unis. Au milieu des années 60, les taux de syndicalisation étaient pratiquement identiques dans les deux pays, aux environs de 30p. 100 de la population active non agricole rémunérée. Depuis, la densité syndicale a cons- tamment diminué aux États-Unis pour atteindre moins de la moitié de ce ni- veau, tandis qu'elle a augmenté légèrement au Canada jusque vers le milieu des années 80; actuellement, elle se situe autour de son niveau de 1965, soit 30 p. 100 (Gomez et Gunderson, 2002). Le recul de la syndicalisation dans la plupart des pays développés est attri- bué, en grande partie, aux pressions économiques qui s'exercent à l'échelle mondiale (Lipsig-Mummé, 2001, p. 535) — ce qui vient appuyer notamment l'hypothèse de la convergence vers le plus petit commun dénominateur — mais aussi à des modalités institutionnelles différentes telles que la présence de conseils du travail et de restrictions visant la formule de l'atelier fermé (Visser, 2002). La divergence persistante entre pays ayant une structure de négociation plus centralisée est attribuée en partie à la capacité des syndicats d'influencer les facteurs politiques pouvant contribuer à assurer leur existence (Jacoby, 1995) — ce qui appuie dans une certaine mesure le point de vue de la diver- gence, selon lequel les États nations conservent un degré élevé de liberté pour choisir les initiatives de politique qu'ils prendront face à la mondialisation. Comme nous l'avons déjà indiqué, le Canada représente en quelque sorte une anomalie, et les raisons qui expliquent la divergence soutenue observée entre le Canada et les États-Unis ont fait l'objet d'un débat considérable (Benjamin, Gunderson et Riddell, 2002, p. 420-434). En outre, si nous tenons compte des 380 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? taux de couverture de la négociation collective (qui, dans des pays comme la France, diffèrent largement du nombre d'adhésions), un tableau plus robuste de la présence syndicale dans un contexte d'intégration économique commence à émerger. Une hypothèse sur la raison pour laquelle les États-Unis et le Canada ont divergé dans ce secteur de politique est que l'évolution de la structure de l'économie et de la population active (comme le passage de la fabrication vers les services, des postes de cols bleus vers les postes de cols blancs, de l'emploi masculin vers l'emploi féminin, du travail à temps plein vers le travail à temps partiel, et des grosses entreprises vers les petites entreprises) a eu un effet pré- judiciable pour les syndicats parce que ces mouvements privilégient les travail- leurs non syndiqués. Cependant, la plupart de ces changements sont survenus tant au Canada qu'aux États-Unis. Riddell (1993) attribue seulement 15 p. 100 de l'écart de syndicalisation entre les deux pays aux différences observées dans ces facteurs structurels, le secteur public (fortement syndiqué), plus important au Canada, étant à l'origine d'environ la moitié de ce modeste écart. Une seconde hypothèse est qu'il y a eu une désaffectation du public à l'égard des syndicats et de la représentation collective. Cela s'est produit, mais de façon similaire au Canada et aux États-Unis (Riddell, 1993). Selon une troisième hypothèse, il y a eu une augmentation des solutions de remplacement aux syndicats, notamment sous la forme de mesures de protection légiférées et de services sociaux offerts par les gouvernements, ainsi que de pra- tiques progressistes de gestion des ressources humaines du côté des employeurs. Bien que la contribution exacte de ces facteurs n'ait pas fait l'objet de beaucoup d'études, il est peu probable qu'ils puissent expliquer la divergence observée parce que les gouvernements au Canada ont eu tendance à offrir davantage de mesures de sécurité sociale et d'emploi (Riddell, 1993; Benjamin, Gunderson et Riddell, 2002, p. 429-430). La quatrième hypothèse, et celle qui semble recevoir le plus d'appui, est que les syndicats au Canada ont été maintenus en place par les lois du travail et l'application de ces lois. Entre autres dispositions, il y a l'accréditation obtenue par la signature de cartes plutôt que par la tenue d'un scrutin obligatoire, une application plus rigoureuse de pratiques de travail inéquitables durant les cam- pagnes d'accréditation ou lors des tentatives de désaccréditation, l'arbitrage d'un premier contrat dans certaines juridictions canadiennes, les procédures de faillite et de continuation, ainsi que les dispositions plus sévères en matière de sécurité syndicale, par exemple le prélèvement des cotisations et les restrictions plus rigoureuses contre le recours à des travailleurs de remplacement en cas de grève (Betcherman et Gunderson, 1990; Kumar, 1993; Riddell, 1993). Essen- tiellement, le contexte législatif au Canada a été plus propice à l'atténuation des pressions engendrées par la mondialisation, qui auraient par ailleurs suscité 381 GOMEZ ET GUNDERSON une baisse de la syndicalisation. Cela a tendance à corroborer la théorie de la divergence, selon laquelle les gouvernements ont une marge de manœuvre substantielle en dépit de l'intégration économique. Les autres raisons possibles de la stabilité des taux de syndicalisation au Canada n'ont pas été examinées de façon aussi systématique. Parmi ces raisons, il y a la possibilité que les employeurs canadiens qui subissent un désavantage concurrentiel en raison des coûts plus élevés liés à la syndicalisation soient en partie protégés de la concurrence par le taux de change, ainsi que la possibilité que les syndicats imposent moins de coûts en raison de la baisse de la prime sa- lariale liée à la syndicalisation (Gunderson et Hyatt, 2001, p. 393). Cependant, certains événements récents incitent à penser que les taux de syndicalisation au Canada pourraient converger vers ceux observés ailleurs et, en particulier, aux États-Unis. Plus précisément, depuis 1984, le taux de cou- verture des conventions collectives au Canada a reculé de sept points de pour- centage, soit le même déclin que celui observé aux États-Unis durant cette période. Riddell et Riddell (2001) attribuent en bonne partie ce recul à une convergence vers des lois du travail semblables aux lois américaines et, plus précisément, au passage de l'accréditation fondée sur la signature de cartes à la tenue d'un scrutin obligatoire dans de nombreuses juridictions. L'analyse détaillée de Bronfenbrenner (2000), qui repose sur des enquêtes, des entrevues, des preuves documentaires et des bases de données électroni- ques, offre une preuve convaincante du fait que l'intégration économique en- trave l'organisation de syndicats. Les données sur les tentatives d'accréditation aux États-Unis en 1998 et 1999 montrent que : « [...] l'accélération récente de la mobilité du capital a eu un effet dévastateur sur la portée et la nature des campagnes de syndicalisation. Lorsque les employeurs peuvent menacer de fa- çon crédible de fermer et/ou de déménager leurs installations en réaction à l'activité syndicale, ils le font en grand nombre » (p. v). Dans la même veine, Bronfenbrenner constate que cette menace est deux fois plus grande dans les industries mobiles, telles que la fabrication, les com- munications et la distribution en gros, que dans les industries immobiles, comme la construction, les soins de santé, l'éducation, le commerce de détail et d'autres services. Traduisant vraisemblablement l'effet perçu des lois canadiennes favorables à l'accréditation, l'auteure recommande (p. vii) l'adoption de lois semblables à celles du Canada imposant, par exemple, l'arbitrage lors d'un pre- mier contrat et l'accréditation fondée sur la signature de cartes plutôt que sur la tenue d'un scrutin obligatoire, de même qu'une application plus rigoureuse des mesures visant les pratiques de travail inéquitables pour faire contrepoids à ce qu'elle perçoit comme une tendance non souhaitable aux États-Unis. Dans l'ensemble, les données sont partagées sur la convergence ou la diver- gence en ce qui concerne la syndicalisation et la législation du travail. Il semble y 382 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? avoir convergence des taux de syndicalisation vers le plus petit commun déno- minateur; cependant, les pays qui possèdent des structures de négociation cen- tralisée ont pu faire jouer l'influence de l'État pour maintenir la syndicalisation. La même chose semble s'appliquer au système de négociation décentralisée du Canada (un cas extrême à cet égard), bien que les données récentes laissent voir une certaine convergence vers des taux de syndicalisation moins élevés et des lois du travail plus souples. Des données plus directes en provenance des États-Unis indiquent assez clairement que la menace de la mobilité du capital et du déménagement des installations exerce un puissant effet de dissuasion sur la formation et le maintien des syndicats. GRÈVES ET CONFLITS INDUSTRIELS LES GRÈVES SONT LA MANIFESTATION LA PLUS VISIBLE du pouvoir des employés (syndicats). Les forces de l'intégration économique devraient mener à une convergence à la baisse des grèves parce que leur coût est plus onéreux pour les employeurs et les employés lorsque les clients peuvent recourir à d'autres sources d'approvisionnement, peut-être pour de bon — même après que la grève soit terminée. Les grèves peuvent aussi décourager l'investissement nouveau (et les emplois connexes) dans les pays où l'on recourt souvent à la grève. Ces effets seront probablement plus marqués dans le secteur privé que dans le secteur pu- blic parce que la perte d'une part de marché aux mains de concurrents interna- tionaux n'est pas un risque important dans le second cas. De même, les employeurs du secteur public dans les secteurs de l'administration, de l'éducation, des services de santé et des services sociaux risquent peu de dépla- cer leurs installations vers un autre pays en réaction à une grève! Même si d'autres facteurs peuvent intervenir, les données empiriques concordent avec la notion selon laquelle la mondialisation entraîne une convergence à la baisse des mouvements de grève à l'échelle internationale (Aligisakis, 1997), et au Canada (Gunderson, Hyatt et Ponak, 2001). En outre, ce recul a été beaucoup plus marqué dans le secteur privé que dans le secteur public (Gunderson, 2002b). Si les parties à la négociation dans le secteur public ne sont pas soumises à la même contrainte budgétaire rigoureuse que les employeurs du secteur privé dans un contexte de mondialisation, elles sont néanmoins assujetties à toute une série de règlements légifères encadrant les grèves. Au Canada, ces restric- tions législatives sont devenues beaucoup plus sévères depuis quelques années. Ces restrictions accrues comprennent notamment des mesures de contrôle des salaires dans le secteur public durant la majeure partie des années 80 et au dé- but des années 90, la suspension de la négociation collective, et même des baisses de salaire à mi-contrat (par exemple le gel des salaires et la suspension de la né- gociation collective décrétés par le gouvernement fédéral de 1991 à 1997, ou 383 l'imposition, dans certaines provinces, de contrats sociaux qui comportaient des jours de congé non rémunérés), le recours plus fréquent à des lois de retour au travail, l'augmentation du pourcentage des employés désignés n'ayant pas le droit de faire la grève et, enfin, l'obligation faite aux arbitres de tenir compte de la capacité de payer d'un employeur du secteur public (Gunderson, 2002b). Aux États-Unis, depuis le milieu des années 80, la législation et les interpréta- tions des tribunaux ont aussi imposé des restrictions plus rigoureuses sur le re- cours à la grève dans le secteur public (Lund et Maranto, 1996). Dans l'ensemble, les données sur les grèves indiquent une harmonisation à la baisse (tant à l'échelle mondiale qu'au Canada et aux Etats-Unis), notam- ment dans le secteur privé, où les pressions de la concurrence mondiale se font sentir plus vivement. De même, il y a eu une harmonisation à la baisse de la lé- gislation régissant le secteur public vers l'application accrue de restrictions au droit de grève tant au Canada qu'aux États-Unis. SALAIRES MINIMUMS EN DÉPIT D'AUGMENTATIONS NOMINALES aux États-Unis et au Canada durant les années 90, la valeur réelle des salaires minimums (par rapport à l'indice des prix à la consommation ou à une mesure du salaire industriel moyen) a eu ten- dance à diminuer dans les deux pays depuis le milieu des années 70 (Benjamin, 2001, p. 191-194). Même si cela ne signifie pas qu'il y a eu convergence, on peut penser que les deux pays ont suivi un cheminement semblable vers le plus petit commun dénominateur, en l'occurrence un salaire minimum moins élevé. Ce cheminement commun laisse craindre que l'emploi dans les industries à faible rémunération soit de plus en plus soumis à la concurrence internationale pro- venant des pays en développement. Bien que les données à ce sujet soient très limitées, les autorités canadiennes qui envisagent de hausser les salaires mini- mums regardent de plus en plus du côté des États américains concurrents pour faire des comparaisons, au lieu d'examiner la situation des autres provinces cana- diennes, à l'est ou à l'ouest. L*ASSURANCE-CHÔMAGE SURTOUT DEPUIS LA LIBÉRALISATION de l'assurance-chômage (AC) au Canada en 1971, ce programme a été nettement plus généreux au Canada qu'aux États- Unis. À titre d'exemple, malgré une population dix fois plus élevée, les dépenses totales consacrées à l'AC aux États-Unis n'ont été que légèrement supérieures à celles du Canada durant les années 80 (Green et Riddell, 1993). Bien que le taux de chômage plus élevé au Canada soit en partie responsable de cet écart, la plus grande part est imputable à une générosité plus grande sur des aspects tels que la couverture, la période d'admissibilité, les taux de prestation et leur durée. 384 GOMEZ ET GUNDERSON L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? Avec le temps, toutefois, des réformes visant la plupart de ces aspects (notam- ment celles de 1989 et de 1994) ont contribué dans l'ensemble à une conver- gence vers le plus petit commun dénominateur, soit le modèle américain (Banting, 1997; Boychuk et Banting, 2003; Gunderson et Riddell, 2001). Boychuk et Banting (2003, p. 621) signalent que cette convergence transfron- tière à la baisse a été plus marquée entre les régions limitrophes (comme l'Ontario et les Grands Lacs, la Colombie-Britannique et l'État de Washing- ton), mais les auteurs considèrent cette réaction apparente aux pressions concurrentielles provenant des régions limitrophes comme une énigme puisque l'AC est un programme fédéral. INDEMNISATION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL LES RÉGIMES D'INDEMNISATION des travailleurs accidentés au Canada et aux États-Unis sont notoirement difficiles à comparer parce qu'ils varient d'une province et d'un État à l'autre et qu'ils peuvent différer sur de nombreux as- pects, comme la couverture, l'admissibilité, la substitution et la durée des pres- tations, les prestations aux survivants, les exigences relatives au retour au travail, les périodes de carence, les dispositions relatives à la réhabilitation pro- fessionnelle, les procédures d'appel et l'accès au système de soins de santé. Se basant sur une comparaison de plusieurs aspects, Block et Roberts (1997, p. 33) affirment que les provinces canadiennes ont, dans l'ensemble, des régimes d'indemnisation des travailleurs plus généreux que ceux des États américains. Les systèmes de prestations sont aussi très différents entre les deux pays. L'indemnisation des travailleurs accidentés aii Canada relève d'un organisme unique qui exerce un monopole dans chaque province et territoire. Cela contraste nettement avec les États-Unis où des organismes monopolistiques n'existent que dans cinq États, tandis que vingt-quatre autres ont exclusive- ment recours à des assureurs privés et que dix-neuf combinent des assureurs publics et privés (Gunderson et Hyatt, 1999, p. 548). Malgré le fait que presque toutes les provinces au Canada ont révisé leur régime d'indemnisation des travailleurs dans les années 90, en partie à cause d'une escalade des coûts (Gunderson et Hyatt, 2000a, p. 3), les réformes envi- sagées ne visent manifestement pas à converger vers le modèle américain. Il ne semble pas y avoir beaucoup de pression pour passer à un système privé ou mixte, parce que les données américaines sur les coûts et l'efficacité de ces ré- gimes sont peu concluantes (Gunderson et Hyatt, 1999, p. 561-563), parce que certaines données indiquent que les coûts sont sensiblement moins élevés au Canada qu'aux États-Unis (Thomason et Burton, 2000) et parce que la plus grande partie des dépenses est représentée par les prestations versées aux béné- ficiaires, de sorte que toute économie se ferait essentiellement aux dépens de ces derniers (Dewees, 2000). Boychuk et Banting (2003) arrivent aussi à la 385 GOMEZ ET GUNDERSON conclusion que les comparaisons des régimes d'indemnisation des travailleurs au Canada et aux États-Unis montrent une divergence soutenue au cours des 20 dernières années. Cependant, même s'il semble n'y avoir que peu de signes d'une convergence, des pressions sont apparues au Canada pour que l'on ac- corde plus d'attention à l'influence que les indemnités versées exercent sur la décision de retourner au travail, généralement en vue de recourir à l'incitation du marché sur des aspects tels que la tarification par incidence. LÉGISLATION EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ LA LÉGISLATION EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ aux États-Unis est gé- néralement perçue comme étant inspirée d'un modèle plus réglementaire, où l'accent est mis sur la réglementation détaillée du lieu de travail. Au Canada, on retrouve une réglementation semblable, mais l'accent est mis davantage sur ce qu'on appelle le « système de responsabilité interne », dans lequel les travail- leurs et les gestionnaires se partagent la responsabilité (Kralj, 2000) — un sys- tème facilité par le taux élevé de syndicalisation qui existe au Canada. Le système de responsabilité interne est renforcé par les trois droits : le droit de savoir ou d'être informé des risques présents sur le lieu de travail, le droit à la représentation énoncé dans les exigences législatives portant sur les comités conjoints de santé et de sécurité et, enfin, le droit de refuser d'effectuer un tra- vail non sécuritaire. Bien que ces systèmes semblent assez différents sur papier, la mesure dans laquelle ils diffèrent en pratique est mal connue. Dans l'ensemble, ces systèmes ne semblent pas avoir subi de changements spectaculaires ces dernières années. Les systèmes de santé et de sécurité se ca- ractérisent donc plus par une diversité soutenue que par une convergence. Cela pourrait traduire les pressions moindres qu'exercent ces systèmes sur les coûts par suite de la baisse substantielle du nombre d'accidents en milieu de travail, laquelle est en partie attribuable à la restructuration industrielle vers les sec- teurs où les taux d'accident sont moins élevés (Gunderson et Hyatt, 2000b). Les questions de santé et de sécurité au travail bénéficient aussi d'un appui po- litique considérable. Cependant, comme pour l'indemnisation des travailleurs, on accorde aujourd'hui plus d'importance au Canada aux stimulants du marché (comme la tarification par incidence) en vue de réduire le nombre d'accidents en milieu de travail (Kralj, 2000). LÉGISLATION EN MATIÈRE D'ÉQUITÉ SALARIALE LA LÉGISLATION CANADIENNE SUR L'ÉQUITÉ SALARIALE est l'une des plus ri- goureuses au monde (Gunderson, 1994); elle s'applique partout sauf en Alberta. Elle est aussi appliquée de façon proactive au secteur privé et au secteur public 386 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? en Ontario et, plus récemment, au Québec (Gunderson, 1994; Benjamin, Gunderson et Riddell, 2002, p. 370). La plupart des initiatives axées sur l'équité salariale au Canada ont été adoptées dans les années 80; dans les plus récentes, généralement plus modérées, les gouvernements s'engagent volontairement à respecter le principe de l'équité salariale dans le processus de négociation collective. Le modèle rigoureux adop- té en 1987 en Ontario, qui prévoyait l'application proactive de telles mesures à la fois au secteur public et au secteur privé, n'a pas été imité. En outre, l'Ontario semble s'être mise en mode maintenance, puisqu'on n'enregistre qu'une activité limitée dans ce domaine (Gunderson, 2002e). Une exception à cet égard est le Québec, où un régime proactif a été adopté en 1996 tant pour le secteur public que pour le secteur privé; cependant, la mise en œuvre de ce régime s'est faite lentement. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a été obligé (suite à une décision de la Commission des droits de la personne, confirmée par la Cour fédérale) de régler avec l'Alliance de la fonction publique du Canada une plainte d'équité salariale d'une valeur de 3,6 milliards de dollars, au terme d'une cause ayant débuté quinze ans auparavant. Tel qu'indiqué précédem- ment, le gouvernement fédéral n'est pas soumis aux mêmes pressions de la concurrence internationale que les employeurs du secteur privé. Même si l'équité salariale existe en Europe (sous l'expression traitement égal pour un travail de valeur égale), elle repose essentiellement sur un régime de plaintes et n'est pas appliquée avec beaucoup de fermeté. De même, ce principe n'est pas répandu aux États-Unis (où l'on emploie l'expression valeur comparable) et n'est appliqué que dans un nombre limité de gouvernements d'États et d'employeurs locaux du secteur public. Quant à savoir si le recul de l'activité axée sur l'équité salariale au Canada vers les niveaux européen et américain traduit les pressions de la concurrence mondiale, la question demeure ouverte, mais il ne semble pas que cette initiative législative soit en voie de converger vers une norme inférieure au Canada. L'ÉQUITÉ EN EMPLOI L'ÉQUITÉ EN EMPLOI OBLIGE LES EMPLOYEURS à maintenir une représentation de certains groupes cibles (les femmes, les minorités visibles, les peuples au- tochtones et les personnes handicapées) égale à leur représentation au sein de la population active. Au Canada, une telle législation est en place dans la sphère fédérale et pour les fonctionnaires de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et du Manitoba. En Ontario, une loi a été adoptée par le gou- vernement néo-démocrate en 1993, mais elle a été abrogée (avant de pouvoir être mise en oeuvre) par le gouvernement progressiste-conservateur immédia- tement après son accession au pouvoir. Dans l'ensemble, on juge que l'applica- tion de ces initiatives au Canada demeure faible. 387 GOMEZ ET GUNDERSON Ces initiatives ont reçu plus d'attention aux États-Unis (où l'on emploie l'expression action affirmative), sous l'impulsion du mouvement des droits civils en faveur des Noirs durant les années 60; les mesures adoptées ont par la suite été étendues aux femmes dans les années 70. Cependant, on observe générale- ment un recul de ces initiatives depuis les années 80. On ne peut dire avec cer- titude si ce recul et l'application moins énergique de ces mesures au Canada constituent une réaction aux pressions de la concurrence mondiale. DISCRIMINATION FONDÉE SUR L'ÂGE ET RETRAITE OBLIGATOIRE ALORS QUE LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS possèdent des lois interdisant la discrimination fondée sur l'âge, ils ont suivi des cheminements distincts en ce qui a trait à la retraite obligatoire (Gomez, Gunderson et Luchak, 2002). La re- traite obligatoire a été interdite aux États-Unis en 1986, mais cette pratique demeure essentiellement intacte au Canada, même si elle a été débattue à fond à l'époque, et elle a été confirmée dans les jugements de la Cour suprême. Les raisons qui expliqueraient les réactions divergentes au niveau des poli- tiques ne sont pas évidentes parce que les deux pays sont dans une situation similaire en ce qui a trait à la structure d'âge, aux préoccupations à l'égard des pensions publiques et des dépenses associées à une population vieillissante, aux pressions visant à faciliter la transition vers la retraite et à l'importance accrue accordée à la lutte contre la discrimination. Ces réactions divergentes peuvent être le reflet d'autres différences, par exemple des syndicats plus actifs (qui ont tendance à favoriser la retraite obligatoire comme forme de partage du travail, en retour du versement de pensions) et un système de pensions publiques plus redistributif au Canada qui garantit un revenu minimum aux personnes âgées. Quelle que soit l'explication, le cheminement distinct des politiques res- sort clairement dans le dossier de la retraite obligatoire. Néanmoins, les chan- gements semblent indiquer une harmonisation à la hausse vers le modèle américain, comme en témoigne le fait que le Manitoba et le Québec ont inter- dit la retraite obligatoire, tandis que le gouvernement fédéral l'a supprimée vo- lontairement pour ses fonctionnaires. D'autres gouvernements examinent la possibilité d'interdire la retraite obligatoire (Gomez, Gunderson et Luchak, 2002), et cette idée reçoit une attention croissante sur la scène internationale (Hornstein, 200l) 26 . Bien que ces tendances n'appuient pas l'hypothèse d'une convergence vers le plus petit commun dénominateur en réaction aux pressions de la concurrence internationale, une mise en garde s'impose. La retraite obligatoire relève de la compétence provinciale au Canada; par conséquent, il se peut que chaque province ait hésité à interdire la retraite obligatoire de crainte que cette mesure n'impose des coûts aux employeurs. Essentiellement, même s'il n'y a pas eu convergence vers la réglementation américaine, il y a eu une convergence 388 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? soutenue et très marquée vers le plus petit commun dénominateur (l'absence de réglementation) au Canada. LES PENSIONS TANT AU CANADA QU'AUX ÉTATS-UNIS, les systèmes de pensions subissent les mêmes pressions démographiques liées au vieillissement de la population active et à l'augmentation de l'espérance de vie. Au Canada, on présente souvent le système de pensions comme étant constitué de trois éléments : 1. La Sécurité de la vieillesse (SV), qui est une subvention démographique forfaitaire universelle et non contributive versée à tous les Canadiens âgés de 65 ans et plus sans égard à leurs antécédents de gains et de travail, à laquelle peut s'ajouter le Supplément de revenu garanti (SRG) selon le revenu; les deux prestations sont financées à même les recettes fiscales générales. 2. Le Régime de pensions du Canada/Régime des rentes du Québec (RPC/RRQ), qui est un régime contributif, fondé sur les gains et fi- nancé par des cotisations sociales, dont le montant des prestations est lié aux antécédents de gains et de travail. 3. Les pensions privées, liées au travail, sous forme de régimes de pen- sions agréés (RFA), parrainés et financés par les employeurs avec, ha- bituellement, une participation des employés; et l'épargne privée sous forme de régimes enregistrés d'épargne-retraite, à impôt différé, dont le soutien public prend essentiellement la forme d'un traitement fiscal favorable, c'est-à-dire d'un manque à gagner en recettes fiscales. Au Canada, les dépenses publiques (ou les recettes non perçues en raison d'un traitement fiscal favorable) se répartissent à peu près également entre ces trois éléments. Par contre, aux États-Unis, les dépenses consacrées au premier élément (subvention démographique universelle à laquelle peut s'ajouter un supplément selon le revenu) sont presque nulles et les deux tiers des dépenses publiques vont au second élément, les pensions contributives liées aux gains, que l'on appelle Social Security (Boychuk et Banting, 2003, p. 623). Le troisième élément, soit les pensions privées bénéficiant d'un soutien fiscal et les régimes d'épargne privée, accapare le tiers des dépenses publiques, comme au Canada. Par conséquent, la principale différence dans les modalités des pensions entre le Canada et les États-Unis se situe au niveau de l'importance beaucoup plus grande accordée à la sécurité sociale aux États-Unis, en comparaison du régime équivalent au Canada, le RPC/RRQ (deux tiers c. un tiers des dépenses publiques consacrées aux pensions, respectivement) et au niveau de l'accent beaucoup plus 389 GOMEZ ET GUNDERSON grand mis sur la subvention démographique universelle (et le supplément conditionnel) au Canada (un tiers des dépenses publiques c. presque rien, res- pectivement). En raison de la SV universelle et du SRG conditionnel, le sys- tème canadien de pensions est plus progressif que le système américain (Boychuk et Banting, 2003; Gunderson, Hyatt et Pesando, 2000). Boychuk et Banting (2003, p. 623) signalent qu'il y a eu une certaine convergence des deux systèmes dans la mesure où les taux de cotisation moins élevés au RPC/RRQ au Canada ont évolué à la hausse pour se rapprocher des taux de cotisation plus élevés de la Social Security aux Etats-Unis. Cependant, du côté des prestations, on note une divergence croissante puisque les baisses de prestations ont été plus prononcées aux Etats-Unis, principalement à cause du relèvement de l'âge d'admissibilité aux prestations — passé de 65 à 67 ans — et dont l'application doit se faire progressivement entre 2000 et 2021. Les auteurs affirment par ailleurs que le caractère plus redistributif des pensions au Canada persistera vraisemblablement dans l'avenir et ils en concluent que : « [...] l'évolution générale des revenus de retraite au cours des 20 dernières années a été marquée par la divergence. [...] et il est peu probable que les changements déjà adoptés finissent par modifier sensiblement cette évolution à la longue. » (p. 626) PRESTATIONS DE BIEN-ÊTRE ET PRESTATIONS FAMILIALES LE PROFIL MIXTE DE CONVERGENCE ET DE DIVERGENCE qui ressort des presta- tions de bien-être et des prestations familiales au Canada et aux États-Unis est très difficile à interpréter (Boychuk et Banting, 2003). Les prestations de bien- être ont généralement divergé entre les années 80 et les années 90 (diminuant aux États-Unis mais augmentant au Canada), mais elles ont convergé légère- ment au cours des dernières années (diminuant plus rapidement au Canada qu'aux États-Unis), quoi que le Canada demeure encore plus généreux dans l'ensemble. Les deux pays ont mis de plus en plus l'accent sur des mesures qui inciteraient les personnes potentiellement employables à quitter l'aide sociale pour entrer dans la population active. Par contre, les prestations familiales ont convergé sensiblement, alors que le Canada est passé d'un système d'allocations familiales universelles à un système de crédits d'impôt remboursables, calculés en fonction du revenu, semblable au Earned Income Tax Crédit (crédit d'impôt sur les revenus salariaux) des États-Unis. Dans l'ensemble, l'effet conjugué des prestations de bien-être et des pres- tations familiales montre une divergence soutenue pour les familles n'ayant au- cun revenu gagné (avec une légère baisse des prestations dans les deux pays), mais une convergence marquée pour les familles gagnant un revenu. 390 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? LES DÉPENSES SOCIALES GLOBALES L'ANALYSE QUI PRÉCÈDE porte sur des lois et des programmes particuliers qui pourraient être vulnérables aux forces de la mondialisation et à une intégration économique plus poussée et plus étendue. Dans l'ensemble, du côté des dépenses publiques, il ne semble pas y avoir de convergence des dépenses consacrées aux programmes sociaux en proportion du produit intérieur brut (PIB), du moins pour les pays de l'OCDE. En fait, les dépenses sociales ont augmenté légère- ment dans ces pays de façon générale (Boychuk et Banting, 2003, p. 616). On retrouve la même interprétation dans un rapport de l'Organisation des Nations Unies sur le secteur public dans le monde : « [...] l'hypothèse selon laquelle la mondialisation réduit la taille du gouvernement n'est pas corroborée par les données » (2001, p. 5). En réalité, les économies ouvertes (mondialisées) affi- chent des dépenses gouvernementales plus élevées et non l'inverse. Ces études font généralement ressortir l'importance des infrastructures du secteur public et des filets de sécurité sociale comme facteurs de promotion de la compétitivité et de l'ouverture. Toutefois, elles reconnaissent que la causalité peut jouer en sens opposé : en d'autres termes, la croissance économique peut favoriser une augmentation des dépenses sociales. Boychuk et Banting (2003, p. 617) notent aussi qu'il y a eu une convergence considérable des politiques sociales au sein de l'Union européenne, même si ce n'est pas le cas de l'OCDE dans son en- semble. Cette convergence résulte à la fois des modifications à la baisse appor- tées dans les pays plus riches d'Europe du Nord et d'une convergence à la hausse parmi les pays plus pauvres du Sud. LES NORMES DU TRAVAIL EN GÉNÉRAL UNE ÉTUDE ANTÉRIEURE DE L'OCDE (1994) a examiné la question de la convergence des normes du travail en général parmi les pays de l'OCDE. Sur différents aspects des normes du travail, l'étude a révélé ce qui suit : 1. Réglementation des heures de travail : convergence à la baisse (réglemen- tation réduite et plus grande souplesse). 2. Contrats à durée fixe : convergence à la baisse (plus grande souplesse). 3. Protection des emplois : convergence à la baisse (réglementation réduite). 4. Salaires minimums : convergence à la baisse (valeur réelle inférieure et règles moins contraignantes). 5. Droits des employés à la représentation : résultats partagés (convergence vers la moyenne — à la hausse dans les pays où un régime autocratique est devenu plus démocratique, à la baisse dans les autres pays). 391 6. Protection sociale (santé, pensions, assurance-chômage et soutien du revenu) : Convergence vers la moyenne (à la hausse dans les pays plus pauvres et à la baisse dans les pays plus riches). Dans l'ensemble, l'évolution montre une convergence, habituellement à la baisse mais, souvent, vers la moyenne (c'est-à-dire à la hausse dans les pays où les normes sont faibles et à la baisse dans les pays ayant des normes élevées). Comme l'ont conclu les auteurs du rapport de l'OCDE, « La tendance générale qui ressort est qu'une certaine convergence vers des règles et des modalités plus souples en matière de normes du travail s'est produite durant les années 80 [...] à quelques exceptions près [...] mais des différences considérables sub- sistent entre pays » (1994, p. 152). L'étude de l'OCDE révèle également que l'intensification du commerce, l'intégration et la croissance ont tendance à améliorer plutôt qu'à abaisser les normes du travail de façon générale (p. 155). Un indice des normes du travail a aussi été élaboré et relié au commerce et à l'investissement. La conclusion qui en ressortait à l'époque était que des normes du travail plus rigoureuses n'imposaient pas de coûts susceptibles de décourager les échanges commer- ciaux (p. 157), en dépit des données indiquant que les pays où les normes sont moins coûteuses attirent davantage d'investissement étranger (p. 160). Plus récemment, McBride et Williams (2001) ont examiné la Stratégie d'emploi de l'OCDE, élaborée en 1994. Ils la décrivent comme un idéal néo- libéral de politique du marché du travail en raison de l'accent mis sur les stimu- lants du marché et une réforme orientée vers le marché, notamment parce qu'elle encourage l'adoption de politiques d'intervention sur le marché du tra- vail visant à faciliter une adaptation dans le sens des forces du marché, en dé- laissant les programmes passifs de soutien du revenu qui peuvent nuire à cet ajustement. Les auteurs examinent certaines évaluations subséquentes de l'OCDE et concluent que : « [...] les rapports de l'OCDE sur la mise en œuvre révèlent une divergence significative des politiques : les cadres nationaux continuent de varier de façon substantielle » (p. 292). Toutefois, la conclusion selon laquelle il n'y a pas eu convergence ne nous dit pas clairement s'il y a eu une tendance à la convergence des politiques du travail. Leur propre analyse des rapports de mise en œuvre subséquents laisse penser qu'il y a eu une telle ten- dance et que celle-ci allait vers le plus petit commun dénominateur (une ré- glementation réduite) dans des domaines comme l'assurance-chômage, les charges sociales, la négociation collective décentralisée, la protection des em- plois, la souplesse des heures de travail et les politiques d'intervention sur le marché du travail en général (p. 293). Une conclusion raisonnable pourrait être qu'il y a eu une tendance à la convergence pour un large éventail de politiques du marché du travail dans les pays de l'OCDE et que celle-ci s'est faite à la 392 GOMEZ ET GUNDERSON L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? baisse vers le plus petit commun dénominateur, mais que des différences impor- tantes subsistent toujours dans les politiques du marché du travail. LES IMPÔTS LES IMPÔTS PEUVENT CONSTITUER une bonne mesure globale pour évaluer la convergence parce qu'ils servent à financer un large éventail de programmes publics et que le capital mobile peut réagir à des coûts fiscaux qui paraissent excessifs en regard des services publics financés par les impôts. Cependant, l'utilisation d'une mesure de la fiscalité soulève certaines difficultés. Il y a toute une variété d'impôts (sur les sociétés, la masse salariale, les particuliers et la consommation) qui peuvent influer sur les décisions d'investissement, et en privilégiant une forme d'imposition particulière, on risque de reléguer les autres au second plan. Les taux d'imposition des sociétés semblent retenir l'attention, mais même l'impôt sur le revenu des particuliers peut influer sur les décisions d'investissement parce qu'il risque d'avoir un effet sur les coûts de main- d'œuvre, notamment pour les professionnels et les dirigeants. De même, l'accent mis sur les taux d'imposition peut contribuer à masquer des variations entre les assiettes fiscales dans la nature des revenus assujettis à l'impôt (en te- nant compte de l'amortissement et des déductions pour inventaire, des crédits, des montants déductibles et des congés fiscaux) parce que ces deux éléments influent sur l'impôt réel (Organisation de coopération et de développement économiques, 1991). Les impôts peuvent aussi se déplacer par rapport à la cible visée initialement. Comme nous l'avons déjà indiqué, presque toute la partie des charges sociales initialement imposée aux entreprises est éventuellement transférée aux employés sous la forme de salaires moins élevés en retour des avantages retirés des divers programmes (assurance-emploi, indemnisation des travailleurs, pensions) financés par ces charges sociales. Tout considéré, les données empiriques concernant l'effet de la mondiali- sation sur la convergence fiscale sont partagées. Poddar, Neubig et English (2000) constatent que les taux d'imposition diffèrent beaucoup. En outre, dans presque tous les pays de l'OCDE, le ratio des recettes fiscales au PIB était plus élevé en 1997 qu'en 1965. Néanmoins, ces auteurs arrivent à la conclusion (en citant des informations anecdotiques) que les taux d'imposition sont soumis à des pressions accrues à la baisse. Olewiler (1999) observe aussi une divergence notable dans les taux d'imposition parmi les pays de l'OCDE, mais note un dé- placement (au niveau agrégé) de la fiscalité vers les facteurs de production moins mobiles, sous forme d'impôts fonciers et de charges sociales. Après avoir passé en revue une bonne partie de ces données, Slemrod ar- rive à la conclusion suivante : « Ainsi, il n'y a pas de consensus dans les travaux publiés en sciences politiques sur le fait que l'ouverture, la libéralisation ou la mondialisation ait entraîné une baisse de l'imposition du revenu du capital, 393 s GOMEZ ET GUNDERSON y compris de l'utilisation de l'impôt sur le revenu des sociétés, bien qu'une ré- duction des impôts des sociétés ait parfois été recherchée dans les politiques accompagnant une libéralisation financière » (2001, p. 9). L'auteur arrive aussi à une conclusion étonnante : « II n'est pas faux de résumer la documentation disponible en affirmant que les spécialistes des sciences politiques qui ont étu- dié cette question n'ont trouvé aucune preuve que la mondialisation ait entraî- né une baisse des impôts des sociétés, tandis que (deux) économistes ont trouvé de telles preuves » 27 . Les propres données de Slemrod (qui corroborent les observations d'autres économistes) indiquent qu'il y a eu convergence à la baisse des taux légifères et effectifs (qui tiennent compte de l'assiette fiscale) d'imposition des sociétés. L'écart type et la moyenne de ces taux ont diminué durant les années 80 et, notamment, durant les années 90, ce qui indique à la fois une convergence (diminution de l'écart-type) et une convergence vers le plus petit commun dénominateur (diminution de la moyenne). Après avoir examiné dix études quantitatives traitant de l'incidence des impôts sur l'investissement étranger direct sortant des États-Unis et dix études traitant de l'investissement étranger entrant aux États-Unis, Hines arrive à la conclusion que : « [...] la fiscalité exerce un effet significatif sur le niveau et la localisation de l'investissement étranger direct. » (1997, p. 414) Sur la base d'un grand nombre d'entrevues menées auprès de gestionnaires d'entreprises prenant des décisions en matière de localisation, Wilson conclut que, pour les activités d'administration et de distribution: « [...] les considérations fiscales dictent [italique ajouté] essentiellement les choix de localisation des activités commerciales » (1993, p. 195). Dans une analyse de ces études et d'autres, Avi-Yonah arrive à la conclusion que : « [... ] la fiscalité exerce une influence majeure sur les décisions des multinationales quant à la localisation de leurs capitaux d'investissement » (2000, p. 1608). À titre d'exemple, l'auteur men- tionne que l'abolition en 1984 aux Etats-Unis de la retenue fiscale de 30 p. 100 sur les intérêts gagnés par des résidents étrangers a «[...} déclenché une 'course classique vers le bas' [...]. L'une après l'autre, toutes les grandes éco- nomies ont aboli leurs retenues fiscales sur les intérêts de crainte de perdre des capitaux mobiles au profit des États-Unis » (p. 1581). L'auteur note également que « la concurrence fiscale a engendré une prolifération de paradis fiscaux pour la production. À l'heure actuelle, au moins 103 pays offrent des conces- sions fiscales spéciales aux sociétés étrangères qui implantent des installations de production ou d'administration à l'intérieur de leurs frontières » (p. 1588). Dans l'ensemble, notre interprétation est que l'intégration et la menace de la mobilité du capital pourraient avoir déplacé l'incidence de la fiscalité vers les facteurs de production moins mobiles (comme les terrains et la main-d'œuvre moins qualifiée), mais les données ne nous permettent pas d'affirmer que l'intégration a favorisé une convergence à la baisse des impôts. 394 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? SOMMAIRE ET OBSERVATIONS FINALES D ANS L'INTRODUCTION DE NOTRE SECTION EMPIRIQUE, nous avons mis en évidence les données de diverses études publiées dans l'ouvrage de Banting, Hoberg et Simeon (1997), en notant qu'il y avait eu une tendance à la conver- gence des politiques canadiennes vers celles des États-Unis dans certains do- maines, dont la politique macroéconomique, la politique industrielle, la politique environnementale, ainsi que les droits politiques individuels et la pro- tection judiciaire contre l'État. Pour ce qui est de la politique sociale, toutefois, Simeon, Hoberg et Banting arrivent à la conclusion suivante : « Si les politi- ques économiques révèlent une convergence générale entre les deux pays, la politique sociale a de quoi rassurer les Canadiens qui redoutent les pressions en faveur d'une harmonisation dans la foulée du libre-échange. » (1997, p. 393) Ce point de vue semble répandu parmi les spécialistes des sciences politiques. Cameron et Stein concluent que : « La mondialisation [...] offre plus de degrés de liberté qu'on ne le pense généralement. » (2000, p. S30) Pour leur part, McBride et Williams arrivent à la conclusion qu'« en dépit des preuves mani- festes de pressions politiques internationales visant à susciter une convergence des politiques du marché du travail, et des hypothèses d'une interprétation 'à saveur économique' de la mondialisation à l'effet que les États devront vivre avec les conséquences concrètes de la non-adoption de stratégies néo-libérales, la convergence ne s'est pas produite. » (2001, p. 302) Les auteurs citent égale- ment Garrett : « [...] aucune course généralisée vers le bas, en direction de po- litiques néo-libérales » (1998a, p. 823) ne s'est manifestée parmi les pays de l'OCDE. Notre interprétation des données limitées dont nous disposons (résumées au tableau 2) est à peu près conforme à ces conclusions, bien qu'elle diffère considérablement en termes de degré. Plus précisément, notre interprétation s'articule autour de quatre observations : 1. Les forces de l'intégration favorisent une tendance à la convergence des politiques, y compris les politiques du travail et les politiques sociales, qui a tendance à aller vers le plus petit commun dénominateur. 2. Cette harmonisation à la baisse n'est pas toujours indésirable (comme peuvent l'évoquer des expressions telles que « course vers le bas », « dumping social », « harmonisation vers le plus petit commun déno- minateur » et « désintégration de la réglementation »). En bonne par- tie, une telle tendance pourrait être souhaitable car elle permettrait de supprimer des politiques inefficientes, axées sur la recherche de rentes, tandis que les politiques ayant des effets de rétroaction positifs sur l'efficience (c'est le cas de plusieurs) pourraient non seulement 395 GOMEZ ET GUNDERSON être conservées mais donner de meilleurs résultats dans un environ- nement plus intégré. Essentiellement, les gouvernements doivent au- jourd'hui accorder plus d'attention aux conséquences de leurs politiques sur le plan des coûts, mais cela constitue habituellement une source de pression souhaitable, et non indésirable. À notre avis, l'Etat a moins de degrés de liberté dans l'élaboration des initiatives de politique sociale, mais cela est globalement une influence contrai- gnante souhaitable. Au moment de faire des choix de politique, l'État est soumis à une contrainte budgétaire plus rigoureuse, mais cela l'oblige simplement à affronter la réalité — nous ne pouvons résoudre les problèmes sociaux en y engloutissant des ressources. 3. Dans ces circonstances, une très grande diversité de politiques peut et devrait encore prévaloir, traduisant une diversité de préférences et de capacité et de volonté de payer, de même que les rôles positifs diffé- rents joués par diverses initiatives de politique. 4. La question problématique — et cela s'applique à de nombreuses poli- tiques sociales — est que les politiques sociales qui visent exclusive- ment des fins d'équité en aidant des groupes défavorisés vulnérables mais qui n'ont pas d'effets de rétroaction positifs sur l'efficience et la compétitivité seront les plus difficiles à maintenir. Pourtant, elles pourraient être les plus importantes compte tenu du nombre de groupes vulnérables n'ayant pas accès aux avantages de la mondialisation. Si l'un de nous deux pouvait fredonner un refrain, il se terminerait ainsi : ft [...] là où vous voyez de la divergence, nous voyons de la convergence. /3 Mais nous ne terminerions pas notre refrain par : J> [...] mettons un terme à tout cela. J> Plutôt, nous conclurions en lançant un appel pour que des preuves supplémentaires soient recueillies dans cet important domaine. Heureusement, il semble y avoir convergence de vues de tous les côtés sur ce point. Ces nou- velles données favoriseraient probablement une convergence des opinions, bien que le sens de cette convergence demeure un sujet à la fois ouvert et captivant. NOTES 1 Voir Castro-Rea (1996), Gomez et Gunderson (2002), Gunderson (2001), Hoberg (2000) et Weintraub( 1994). 2 Cela est illustré par la déclaration de l'ancien président Salinas du Mexique : « Vous pouvez prendre soit nos biens soit nos gens. » — ce qui voulait dire que si les Etats-Unis n'ouvraient pas leurs portes au libre-échange avec le Mexique, alors l'immigration illégale augmenterait. 396 L'INTEGRATION ECONOMIQUE ENTRAINE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? 3 Nous avons décidé d'exclure les politiques de santé et d'éducation parce qu'elles semblent convenir davantage à une analyse du rôle fondamental de l'État dans la promotion du développement économique. 4 Même si la présente analyse porte principalement sur l'incidence de l'intégration et des liens économiques sur les politiques et les programmes sociaux, Gomez et Gunderson (2002) examinent aussi leur incidence sur divers aspects du marché du travail, par exemple les salaires, l'inégalité salariale, les structures salariales, l'emploi et la mobilité, ainsi que sur les pratiques internes des entreprises en mi- lieu de travail. Ce dernier aspect est également mis en relief dans Chaykowski et Gunderson, 2001, 2002. 5 Les données indiquant que l'inégalité salariale a été exacerbée par la libéralisation du commerce (mais dans une mesure moindre que pour le changement technolo- gique) sont résumées dans Cline (1997), Collins (1996), Richardson (1995) et Wood (1996). Feenstra et Hanson (1997) notent aussi que l'investissement étranger direct des États-Unis au Mexique a accru l'inégalité salariale dans les deux pays, en augmentant la demande de main-d'œuvre qualifiée au Mexique et en réduisant la demande de main-d'œuvre qualifiée aux États-Unis. 6 L'importance du salaire minimum et des syndicats est mise en relief dans DiNardo, Fortin et Lemieux (1996), DiNardo et Lemieux (1997), Lee (1999), Lemieux (1993) et Fortin et Lemieux (1997). 7 Dahlby (1993) et Kesselman (1996) notent comment la presque totalité du coût des charges sociales initialement imposées aux employeurs est éventuellement transmise aux employés. 8 Des exemples d'avantages pour les employeurs liés à ces initiatives de politique sont examinés dans Gunderson (1998a, 1999) et dans Chaykowski et Gunderson (2001). 9 Comme l'ont pertinemment affirmé Cameron et Stein (2000, p. S27) : « La crimi- nalité, les désordres sociaux, la maladie et la pauvreté contribuent tous à réduire la compétitivité d'un pays; toutes choses égales par ailleurs, les gens et les entre- prises préféreront s'établir là où il y a une bonne qualité de vie ». 10 Les données concernant l'effet des politiques et de la réglementation ouvrières et sociales sur les décisions relatives à l'implantation des établissements sont exami- nées dans Gunderson (1998a, p. 41) et dans Gunderson (1999, p. 92). 11 Des données internationales montrant qu'un secteur public de taille viable contri- bue à attirer les investissements sont présentées dans le rapport de l'Organisation des Nations Unies sur le secteur public dans le monde, publié en 2001. 12 Pour une analyse des codes de conduite des sociétés, voir Compa et Darricarrère (1996), Erickson et Mitchell (1996) et Liubicic (1998). 13 Pour une analyse des lignes directrices de l'OCDE et de TOIT, voir Gunther (1992) et Blanpain (2000). 14 L'ANACT est examiné dans Diamond (1996) et Robinson (1994). 15 Les clauses sociales en vigueur dans l'UE sont examinées dans Addison et Siebert (1992, 1994), Due, Madsen et Stroby-Jensen (1991) et Sapir (1996). 16 Pour une analyse de l'émulation des meilleures pratiques favorisant la conver- gence des méthodes de gestion des ressources humaines et des pratiques en milieu de travail sur les marchés internes de la main-d'œuvre des entreprises, voir 397 GOMEZ ET GUNDERSON Chaykowski et Gunderson (2001) et Katz et Darbishire (2000). Toutefois, une di- vergence peut se produire dans de nombreux secteurs lorsque les modèles de né- gociation sont rompus et que les conditions de rémunération et d'emploi reflètent différentes capacités de payer. 17 Nous aimerions remercier Michael Smith pour nous avoir rappelé ce cas extrê- mement pertinent, et pour nous avoir aussi rappelé que l'émulation des politiques n'est pas strictement un effet direct de l'intégration économique mais, plutôt, un effet de second ordre qui peut survenir même en l'absence d'intégration. 18 Tel que résumé dans Gunderson (1996), des données sur la convergence des taux de croissance entre pays sont présentées dans Barro (1991), entre les États améri- cains dans Barro et Sala-I-Martin (1991), et entre les provinces canadiennes dans Helliwell (1996), Lee et Coulombe (1995) et Mime et Tucker (1992). 19 Des données indiquant que la croissance plus rapide des pays à faible revenu favo- rise une harmonisation à la hausse de leurs normes du travail et de leurs politiques sociales sont présentées dans Fields (1995), Freeman (1994) et Krueger (1996). Casella (1996) présente un modèle formel de ce processus. 20 Voir Lucas (1988) et Romer (1986, 1990) pour les premières études consacrées à la croissance endogène. 21 Voir Arthurs (1989) et David (1986) pour les premiers travaux sur la dépendance à l'égard des choix passés; de nombreux exemples sont examinés dans Krugman (1991), tandis qu'une analyse subséquente figure dans Gunderson (1998b) et qu'un examen du secteur de la politique sociale est présenté dans Banting, Hoberg etSimeon(1997). 22 Des modèles d'enchâssement sont décrits dans Granovetter (1985), dont les tra- vaux sont inspirés des efforts antérieurs de Karl Polanyi, décrits dans Granovetter (1993). 23 L'expérience de l'UE à cet égard est révélatrice. En dépit de l'adoption d'un pas- seport commun il y a plus d'une décennie, l'Europe enregistre toujours de faibles taux de mobilité entre pays. 24 Voir Coleman ( 1988) et Putnam (2000). 25 L'analyse présentée dans cette section découle de l'analyse présentée dans Gunderson (2002a), qui décrit les obstacles à l'adoption et à la diffusion des meilleures pratiques en milieu de travail et dans la gestion des ressources humaines. 26 The Economise a récemment consacré sa page couverture à un article intitulé « The Retirement Age: Bin it »; The Economist, 14-20 novembre 2002, p. 14. 27 Parmi les études émanant de spécialistes des sciences politiques, il y a celles de Garrett (1996, 1998a, 1998b), de Hallerberg et Basinger (1998), de Steinmo et Swank (2001), de Swank (1998) et de Quinn (1997). Les études provenant d'économistes sont celles de Grubert (2001) et de Rodrik (1997). 398 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? REMERCIEMENTS N OUS REMERCIONS les personnes qui ont formulé des commentaires lors de la rencontre consacrée au projet sur les Liens nord-américains, tenue à Montréal du 20 au 22 novembre 2002. En particulier, nous sommes reconnais- sants envers Michael Smith pour ses commentaires utiles et détaillés. BIBLIOGRAPHIE Addison, J., et W. Siebert. « The Social Charter: Whatever Next? », British Journal of Industrial Relations,v vol. 30 (1992), p. 495-513. . « Récent Developments in Social Policy in thé New European Union », Industrial and Labor Relations Review, vol. 48 (octobre 1994), p. 5-27. Aligisakis, M. « Labour Disputes in Western Europe: Typology and Tendencies », International Labour Review, vol. 136 (1997), p. 73-94. Arthurs, B. « Competing Technologies and Lock-In by Historical Events », Economie journal, vol. 99 (mars 1989), p. 116-131. 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Smith Université McGifl G OMEZ ET GUNDERSON ONT PRODUIT un examen particulièrement minu- tieux des effets possibles et apparents de la politique sociale sur l'intégration économique nord-américaine. Leur étude est si détaillée que sa lecture provoquait parfois l'irritation. Chaque fois que je pensais avoir détecté une lacune dans leur raisonnement, celle-ci se trouvait rapidement comblée quelques pages plus loin. Mon interprétation de leur conclusion générale est qu'il y a de puissants facteurs de convergence des politiques sociales, mais qu'il subsiste une grande diversité dans ces politiques, essentiellement en raison des variations dans les préférences d'une entité politique à l'autre 1 . Je pense qu'ils ont raison. Ainsi, tout ce que je puis faire est de formuler quelques suggestions en ce qui concerne la structure globale de leur argument. Cette structure est résumée dans l'encadré 1. La liste démontre la minutie qui caractérise leur examen des données disponibles. Néanmoins, il me semble que deux aspects importants n'y figurent pas — l'éducation et la formation, et la santé, qui, à mon avis, ont autant à voir avec la politique sociale que, disons, les politiques sur les droits du successeur dans les établissements syndiqués. Comme ils le soulignent, il est peut-être vrai que la santé et l'éducation ont un effet sur la croissance économique. Mais c'est le cas également des autres fac- teurs qu'ils énumèrent. Néanmoins, en ne considérant pour l'instant que les facteurs envisagés dans l'étude, je suggère, dans l'encadré 2, une façon un peu différente de structurer les questions à élucider. Le principal point à souligner ici est que, dans les résultats qui retiennent leur attention, il y a deux grands mécanismes qui pourraient amener les gouvernements sur un sentier de conver- gence des politiques. L'un a trait aux effets des liens économiques sur la fiscali- té. L'autre a trait à leurs effets sur la mesure dans laquelle la réglementation qu'ils imposent hausse les coûts et réduit la compétitivité internationale des employeurs nationaux. 407 GOMEZ ET GUNDERSON ENCADRÉ 1 LA STRUCTURE DE L'ÉTUDE DE GOMEZ ET GUNDERSON Raisons de la convergence Raisons de la divergence Preuves d'une convergence / divergence sous 14 rubriques : • Taux de syndicalisation et lois du travail • Grèves et conflits industriels • Salaires minimums • Assurance-chômage • Indemnisation des accidents du travail • Législation en matière de santé et de sécurité • Législation en matière d'équité salariale • Équité en emploi • Discrimination fondée sur l'âge et retraite obligatoire • Pensions • Prestations de bien-être et prestations familiales • Dépenses sociales globales • Normes du travail en général • Impôts Les liens économiques peuvent aussi avoir des effets directs sur les options qui s'offrent aux employeurs. Supposons qu'à un moment donné, les em- ployeurs sont en mesure d'offrir une gamme quelconque d'avantages parce qu'ils sont à l'abri de la concurrence — en d'autres termes, supposons qu'ils partagent leurs rentes avec leurs employés. Puis, supposons que plus tard — après, disons, l'entrée en vigueur de l'ALE et de l'ALENA — le contexte de- vient plus concurrentiel. Les rentes auparavant partagées disparaîtraient et les employeurs seraient forcés de supprimer des avantages qui constituaient la part des rentes allant aux employés. À vrai dire, cette question ne découle pas direc- tement de la politique sociale. Mais elle pourrait avoir des effets sur la mesure dans laquelle les employeurs sont disposés à accepter de coûteuses politiques sociales sans trop protester. Elle pourrait aussi susciter une recherche plus éner- gique de moyens d'évasion. Gomez et Gunderson soulèvent pertinemment la question de l'application de la loi (p. 361). Si les employeurs délaissent un sec- teur de prestations particulier, cela pourrait engendrer des pressions accrues sur le gouvernement pour qu'il occupe lui-même ce secteur 2 . Examinons les questions abordées par Gomez et Gunderson à la lumière de l'encadré 2. 408 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? ENCADRÉ 2 ENJEUX LIÉS À L'INTÉGRATION NORD- AMÉRICAINE Changement institutionnel et technologique GATT, OMC, ALE, ALENA, et technologie Autres facteurs Fiscalité Commerce Mobilité du capital Mobilité de la main-d'œuvre Transfert de technologie Emploi Réglementation Dépenses de bien-être Assurance-emploi Indemnisation des travailleurs Pensions Âge de la retraire Syndicalisation Grèves Salaire minimum Hygiène et sécurité au travail Équité salariale Résultats : Efficience Équité LA FISCALITÉ UN DES POINTS FONDAMENTAUX que je voudrais signaler en rapport avec l'encadré 2 est que la fiscalité n'est pas seulement un des effets potentiels de l'intégration nord-américaine parmi d'autres. Toute une gamme d'effets poten- tiels dépendent de ce qui arrivera à la capacité d'imposition des gouverne- ments. Dans le contexte de la législation en place, les choix des gens en matière de retraite seront influencés par leur revenu de retraite, ce qui signifie leur pen- sion dans une large mesure. Mais les pensions offertes par les gouvernements sont souvent financées à même les recettes courantes — les recettes fiscales. La décision de soutenir un niveau particulier de prestations de pension sera plus difficile si l'assiette fiscale rétrécit. La même chose est vraie pour les program- mes de santé, d'éducation, de bien-être, d'assurance-chômage et (peut-être) d'indemnisation des travailleurs accidentés. Tout cela incite à penser qu'une analyse de la fiscalité devrait probablement occuper une place plus importante dans l'étude. La conclusion de cette section de leur étude est plutôt vague. On pourrait la paraphraser ainsi : tout dépend de qui vous croyez. De façon générale, si vous croyez les spécialistes des sciences politiques, il n'y a pas de convergence fiscale. Si vous croyez les économistes, il y a convergence fiscale. Laissez-moi élaborer sur deux des études sur les tendances de la fiscalité citées par Gomez et Gunderson. 409 GOMEZ ET GUNDERSON ENCADRÉ 3 TENDANCES DE LA FISCALITÉ SELON OLEWILER (1999) En termes généraux, entre la fin des années 70 et le milieu des années 90 : • Dans un sous-ensemble de pays de l'OCDE, il n'y a eu globalement aucun changement dans le taux d'imposition marginal des personnes à revenu élevé. • Les taux d'imposition marginaux ont augmenté pour les personnes jeunes et vivant seules dans douze des quinze pays de l'OCDE — bien que, en principe, ces personnes soient parmi les travailleurs les plus mobiles. • En moyenne, le fardeau fiscal des employés à revenu moyen dans les pays du G7 a augmenté. • Les taux d'imposition des sociétés ont fluctué mais, en moyenne, ils étaient à peu près aussi élevés en 1997 qu'en 1983. • L'écart type des taux d'imposition des sociétés entre les pays a augmenté sur la période. • En 1995, on notait une variation assez grande (allant d'environ 32 p. 100 au Japon à moins de 20 p. 100 au Royaume-Uni) des taux d'imposition effectifs — les taux rajustés pour tenir compte de divers éléments dont, par exemple, les dépenses de R-D. • Par industrie, les taux d'imposition effectifs des entreprises au Canada sont sensiblement différents des taux d'imposition aux États-Unis. • De 1975 à 1996, les impôts en pourcentage du PIB ont augmenté au Canada, aux États- Unis, dans un échantillon de pays européens et dans l'ensemble de l'OCDE. • Globalement, il y a des indices d'un déplacement de la fiscalité vers les facteurs moins mobiles. TENDANCES DE LA FISCALITÉ SELON PODDAR, NEUBIG ET ENGLISH (2000) Les recettes gouvernementales, exprimées en pourcentage du PIB, étaient plus élevées en 1997 qu'en 1965 dans tous les pays du G7. Pour cinq de ces pays, le pourcentage enregistré en 1997 était le plus élevé des huit observations ponctuelles publiées. Les impôts des sociétés au Canada, exprimés en pourcentage du PIB, étaient à peu près aussi élevés en 1997 qu'en 1965; toutefois, aux États-Unis, ils ont diminué d'un peu plus d'un point de pourcentage. À noter cependant que les impôts des sociétés ne représentent qu'un modeste pourcentage des recettes fiscales totales — 3,8 p. 100 au Canada et 2,8 p. 100 aux États-Unis en 1997. En 1997, d'importantes variations subsistaient parmi les pays du G7 dans les taux d'imposition des particuliers et des sociétés. Olewiler (1999) est un économiste. Poddar, Neubig et English (2000) sont ou étaient des employés de la firme comptable Ernst & Young. Les résultats des deux études sont résumés dans l'encadré 3. Quelle interprétation pouvons-nous faire des conclusions de ces deux études? Premièrement, il n'y a pas de preuve d'une convergence des taux d'imposition du- rant la période où l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et POMC intégraient les marchés des pays riches. Deuxièmement, il n'y 410 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAINE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? a pas de preuve d'une convergence des taux d'imposition du Canada et des Etats-Unis durant la période où les effets de TALE et de l'ALENA sont venus s'ajouter à ceux du GATT et de l'OMC. Troisièmement, les écarts de taux d'imposition entre les pays ont été, et demeurent, importants. Poddar, Neubig et English (2000) affirment clairement qu'à leur avis, les taux d'imposition font actuellement l'objet de fortes pressions à la baisse. L'une des sources de pression qu'ils mentionnent est la présence de 'marchés plus par- faits', ce qu'ils interprètent, en partie, comme étant le fruit d'une intégration économique internationale. Cependant, ils énumèrent aussi d'autres facteurs importants qui font pression à la baisse sur les impôts. Je reviendrai sur l'un de ces facteurs un peu plus loin. Le point que je voudrais signaler est qu'à tout le moins, ces deux études montrent une résilience étonnante des taux d'imposition en dépit d'une tendance séculaire à l'intégration économique du- rant la période d'après-guerre. Mais si les taux d'imposition peuvent demeurer élevés dans un contexte d'intégration économique — dans certains pays, ils semblent être demeurés élevés —, la même chose pourrait se produire du côté des dépenses consacrées aux programmes sociaux. Cela laisse ouverte la question de savoir si les taux d'imposition peuvent demeurer aussi divergents. Gomez et Gunderson abordent cette question. Les impôts peuvent servir à défrayer des mesures qui attirent l'investissement. L'éducation en est un exemple. Les auteurs font l'hypothèse plausible que la sécurité dans les rues a aussi tendance à attirer les investisseurs. Par contre, les impôts pourraient aussi faire fuir des investisseurs, mais le poids des préférences politiques (peu importe la façon dont elles sont agrégées) pourrait favoriser les programmes financés par les impôts. Manifestement, dans l'optique des politi- ques, il est très important de savoir laquelle de ces deux interprétations est juste — en reconnaissant que les deux peuvent être valides mais pertinentes à différentes politiques et à différents secteurs institutionnels. AUTRES FACTEURS À MON AVIS, LA MÉTHODE DE GOMEZ ET GUNDERSON peut se résumer comme suit : montrer que, lorsque toutes les forces pertinentes sont considérées simul- tanément, la convergence et la divergence sont toutes deux possibles; il faut donc en conclure que cette question est de nature empirique; ensuite, il faut examiner les données pertinentes sur la convergence en général et sur la course vers le bas en particulier. Cette approche pourrait nous inciter à négliger le fait que des facteurs autres que l'intégration économique peuvent entraîner une convergence ou mener à des résultats qui traduisent une course vers le bas 3 . J'illustrerai ce point en évoquant deux questions examinées dans leur étude — la fiscalité et l'assurance-chômage. 4H GOMEZ ET GUNDERSON Prenons d'abord l'évolution de la fiscalité. Tel que noté précédemment, Poddar, Neubig et English arrivent à la conclusion que les taux d'imposition font actuellement l'objet de fortes pressions à la baisse. Nous savons que les gouvernements canadiens ont récemment pris des initiatives timides en vue de réduire les impôts. Pourquoi? Un facteur qu'ils identifient est l'intégration éco- nomique — même si ce n'est pas principalement l'intégration avec les États- Unis. Ainsi : « Les questions de fiscalité internationale continueront de prendre de l'importance à mesure que les barrières au commerce international, aux flux de capitaux et à la mobilité de la main-d'œuvre seront abaissées. La concur- rence fiscale internationale ira en s'intensifiant, notamment à la lumière du fait que les pays émergents comme l'Inde et la Chine offrent d'alléchantes possibili- tés d'investissement, où le capital ne serait que peu ou pas taxé » (2000, p. 113). Il est intéressant de noter que les auteurs évoquent des pressions en provenance de l'Inde et de la Chine, plutôt que des Etats-Unis ou du Mexique. Dans la perspective d'une intégration économique nord-américaine, cela a de l'importance parce qu'il se peut qu'une intégration plus poussée s'accompagne de la conclusion de traités sur les niveaux d'imposition du capital. Cependant, quelle que soit la nature des pressions engendrées par l'intégration économique, plusieurs autres facteurs mèneront probablement, ou ont déjà mené, à des réductions d'impôt. J'en examinerai un seul ici. Les impôts devaient augmenter — dans presque tous les pays de l'OCDE, y compris aux États-Unis — pour supprimer les déficits créés dans les années 70 et 80 par des « gouvernements interventionnistes » qui avaient « instauré avec optimisme de nouveaux programmes de dépenses » (Poddar, Neubig et English, 2004, p. 104). Une fois ces déficits contrôlés, on a pu abaisser les impôts. C'est à peu près ce qui s'est produit au Canada. Dans ma vision des choses, la décision de réduire les impôts, qui avaient été haussés pour supprimer le déficit, a peu ou pas à voir avec l'intégration économique 4 . Envisageons maintenant le cas de l'assurance-chômage. Gomez et Gun- derson notent (brièvement) qu'après 1971, le Canada a eu un programme d'AC plus généreux que les États-Unis, mais qu'une série de réformes entreprises à compter de 1989 « ont contribué dans l'ensemble à une convergence vers le plus petit commun dénominateur, soit le modèle américain. » (p. 385) Les au- teurs semblent y voir la preuve d'un effet d'intégration économique. Depuis déjà longtemps, on a tenté d'évaluer les conséquences sur le plan de l'efficience des programmes d'AC en général et du programme canadien en particulier. En 1981, les données disponibles permettait à Hum (1981) de conclure de façon raisonnable que l'AC contribuait à l'efficience des marchés du travail 5 . L'auteur jugeait qu'il en était probablement ainsi parce que ce pro- gramme permettait d'allonger la période de recherche d'un emploi, ce qui, en retour, haussait la probabilité d'une bonne correspondance entre le poste et 412 L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ENTRAÎNE-T-ELLE UNE CONVERGENCE? le candidat. Par suite de ce que je considère comme l'une des plus grandes ré- alisations des sciences sociales canadiennes, nous savons maintenant que c'est là une vision naïve des choses. Les observations suivantes sont pertinentes : • Un aspect fondamental du programme d'AC a été le recours répété aux prestations, ce qui soulève la possibilité que la correspondance re- cherchée sur le plan de l'emploi ait englobé l'admissibilité éventuelle à l'AC (Corak, 1993a). • Une autre preuve qui corrobore cette interprétation est que la proba- bilité d'une autre demande d'AC augmentait au fil des demandes consécutives (Corak, 1993a; Lemieux et MacLeod, 1995, p. 26-Z7) 6 . • Une preuve supplémentaire que certains employés potentiels cher- chaient à négocier des conditions qui englobaient une combinaison d'emploi et d'admissibilité à l'AG est que la durée d'une période de prestations avait tendance à augmenter au fil des demandes consécu- tives (Corak, 1993b). • Une autre preuve que l'admissibilité à l'AC était devenue un objectif des personnes à la recherche d'un emploi est que la durée d'emploi ait eu tendance à coïncider avec la période moyenne requise d'admissibilité à l'AC, qui varie d'une province à l'autre (Christofides et McKenna, 1995). Enfin, durant la période 1988-1989, la probabili- té de quitter un emploi était prédite par la période moyenne d'emploi exigée, qui varie entre les provinces (Christofides et McKenna, 1996). • Les travailleurs saisonniers ont tendance à perdre leur emploi au mo- ment où les prestations leur permettent de compléter la période de 52 semaines, ou un peu après 7 . Cette concentration des départs est at- tribuable à des mises à pied plutôt qu'à des départs volontaires. Green et Sargent (1995, p. 46) en concluent que cela « pourrait refléter une utilisation plutôt ingénieuse du régime d'AC dans le choix de la date d'expiration de certains emplois [...] les mises à pied et les départs sai- sonniers ne surviennent pas uniquement lorsqu'une personne devient admissible à l'AC, mais plutôt à une date ultérieure qui lui permet d'être admissible aux prestations maximales ». • L'apparition d'une correspondance entre la recherche d'un emploi et l'admissibilité à l'AC dans certaines industries ressort aussi du fait que, parmi les personnes qui demandent fréquemment des prestations d'AC, les résidents des provinces de l'Atlantique et du Québec sont surreprésentés, comme les employés des industries de l'abattage, de la pêche, de l'exploitation forestière, de l'exploitation de carrières, de la 413 GOMEZ ET GUNDERSON construction et de certaines industries manufacturières — en particu- lier le bois, la préparation des aliments et le tabac (Wesa, 1995; Corak etPyper, 1995). • En 1990, une impasse législative entre la Chambre des communes et le Sénat a eu pour effet de suspendre la période d'admissibilité obliga- toire de dix semaines à l'AC, pour la porter à quatorze semaines dans les régions où elle était de dix semaines. Dans la période qui a suivi ce changement inattendu à la période d'admissibilité, la probabilité de perdre son emploi après dix semaines a diminué tandis que la probabi- lité de le perdre après quatorze semaines ou un peu après a augmenté (Green et Riddell, 1995). À noter que ce changement s'est produit pour les mises à pied plutôt que pour les départs volontaires. • Le fait de recevoir de l'AC n'a p